Loisirs

De DHIALSACE
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C’est au milieu du XIXe siècle que s’introduit une distinction nette entre le travail et les loisirs : l’industrialisation et la salarisation de masse, la séparation nette entre domicile et usine, le décompte net des heures et jours de travail, la progressive diminution du temps de travail et l’augmentation du temps libre y contribuent.

La pratique des jeux par les adultes, et plus encore celle des enfants, est sans doute moins marquée par ces coupures. Et la distinction entre temps de travail et temps libre est bien moins nette au Moyen Âge et à l’époque moderne : le temps de la journée est celui de la lumière du jour, longue en été, courte en hiver, et les rythmes du travail et du délassement sont ceux des saisons et du calendrier liturgique. Pourtant, hommes, femmes et enfants ne gâchent pas leur plaisir : les fêtes se succèdent dans l’année à un rythme soutenu. Fêtes de famille, souvent accordées aux actes liturgiques (baptêmes, mariages, enterrements) qui donnent lieu à des dépenses extravagantes, que les gouvernants urbains ou seigneuriaux veulent parfois réprimer, quand ils ne donnent pas le mauvais exemple par leurs fêtes privées, ou les fêtes publiques, fontaines et distributions de vin (voir : Gastronomie, Imbiss, Lois somptuaires). Dimanches et jours chômés sont nombreux (et les évêques tentent parfois de les limiter). C’est le jour où se réunissent les sociétés de tir, réserves de lansquenets et de milice (voir : Arbalète, Arquebuse, Krieg, Shützengesellschaften). Les grandes fêtes religieuses sont l’occasion de donner et d’assister aux représentations théâtrales, missions et passions (Geistliche Festspiele), alors que le chant religieux accompagne les offices (Kirchengesang), et que les sociétés de ménétriers (Chanteurs, Maîtres-Meistersänger) agrémentent les festivals et fêtes paroissiales (voir : Adelphi Tag, Carnaval, Dédicace, Kilbe). Dans ses tableaux célèbres, Pieter Breughel l’Ancien illustre ces loisirs de la société de l’Europe du Nord-Ouest à l’époque médiévale et moderne, et en particulier les jeux d’enfants. Hoffmann, dans son Alsace au XVIIIe siècle, consacré à la Haute-Alsace, dresse un tableau haut en couleurs des distractions de l’Alsace au XVIIIe siècle, avec ses sociétés de tir, sa passion du jeu, ses banquets et fêtes, leurs feux et illuminations, les salves des armes à feu (Büchsen), et surtout le vin dans les stuben et les auberges. S’y manifeste le goût apparemment irrépressible des Alsaciennes et Alsaciens pour la danse, sous les tilleuls et dans les cabarets. Et « si le paysan était ordinairement frugal dans ses repas, il aimait le vin passionément ». Quant à l’artisan, « il travaille toute la semaine, pour aller au cabaret le dimanche, à la promenade et à la danse (Mémoire de l’intendant La Grange, cité par Hoffmann p. 122-123). Cabarets et kunkelstuben (voir : veillées), où l’on mutualise la lumière et les poêles des longues journées et soirées d’hiver, et « lieux de sociabilité », ceux de la chanson, des longs récits et courtes plaisanteries… et des jeux.

Bibliographie

HOFFMANN, L’Alsace au XVIIIe siècle, (1906), t. I.

Jeux, sports et divertissements au Moyen-Âge et à l’âge classique, Actes du 116e congrès national des Sociétés Savantes, Chambéry, 1991, numéro 116, ouvrage collectif.

CORBIN (Alain), L’Avènement des loisirs (1850-1960), Paris, 1995.

Notices connexes

Adelphi Tag, Alcoolisme, Arbalète, Artisanat

Bannfeiertage, Bechte, Bienfaisance, Brautlauf

Calendrier, Carnaval, Chanteurs (Maîtres-Meistersänger), Chasse, Christkindelmarik, Cimetière, Constitution civile du clergé-affaire d’Hirsingue, Cloches (sonnerie des), Communion, Compagnon, Confirmation, Cordonniers (fête de saint Crépin et saint Crépinien), Coutume

Danse, Décadi, Dédicace, Deux-Ponts-rois des fifres, Dimanche, Dorflinde-Tilleul, Droit de l’Alsace

États de l’Alsace-Elsässische Landstände

Fêtes liturgiques, Fifres, Fontaine à vin

Gastronomie alsacienne, Geistliche Spiele

Herrenstube, Hochzeit

Images

Kilbe-Kirwe, Kirchengesang

Mayen, Ménétriers (fête des), Milices, Musiciens, Musique

Schutzengesellschaft

Veillées

Jeux, Spiele

De tout temps, les jeux ont été un loisir auxquels se sont adonnés les adultes pendant leur temps libre, soit après les heures de travail et les jours sans activité. Parallèlement à leur caractère frivole, les jeux sont constitutifs de la sociabilité. Pour autant, ils sont sources de débordements verbaux, d’injures et de blasphèmes, de conflits dégénérant parfois en bagarres, de dettes, voire de ruine, car l’on jouait pour de l’argent ou des biens. Aussi les autorités ont-elles pris des mesures visant à les encadrer ou à les interdire, sommairement au XIVe siècle, puis régulièrement et sévèrement aux siècles suivants.

Diversité des jeux

Le nombre et la diversité des jeux sont légion, comme l’atteste J. Fischart dans sa traduction de Gargantua en allemand (1575). Il en ajoute 400 à ceux répertoriés par Rabelais, au nombre de 218 (Fischart, Geschichtklitterung). D. Martin, au début du XVIIe siècle, consacre plusieurs textes aux jeux : dames et trictrac, quilles, paume, dés (dont il dit que « c’est un jeu de laquais, soldats, goujats et berlandiers, inventé pour attraper le bien d’autruy. Un tel gain et acquest ne vaut guère mieux qu’un larcin, car les joueurs usent de toutes sortes de ruses pour dupper les simples (…) ».

Jeux de cartes

Les jeux de cartes éveillent chez D. Martin méfiance et dénigrement (« je vous diray qu’il vaudroit mieux qu’il n’y en eust jamais eu au monde : car cent homme s’y sont plustot appauvris, qu’un enrichi ») ; il admet qu’on puisse y jouer pour se divertir, non pour ruiner son prochain. Il cite ainsi le trente et un, la triomphe, le piquet, le lansquenet, la Beste, tous jeux dont il retrace le déroulement. Ces cartes, depuis le Moyen Âge, sont l’œuvre de kartenmacher, dont certains utilisent des tirages de gravures sur cuivre, œuvres parfois de graveurs célèbres, comme celle du Maître des Cartes à jouer (1re moitié du XVe siècle), susceptible d’être le peintre Conrad Witz (Girodie, p. 82).

Jeux de galets, échecs, ballon, osselets, dés, billes, marelles…

Les autres jeux sur lesquels D. Martin s’attarde sont le jeu de galets (Spiel auf der Schiesstaffel oder Bilckensteinenspiel) en fer, airain ou laiton, qui se joue sur une table spéciale, les échecs et le jeu de ballon : on le frappe entre le coude et le poignet (Nerlinger-Martin). Dans les sources de la fin du Moyen Âge sont mentionnés les jeux de cartes, d’échecs, de quilles, d’osselets, de dés, de billes et ceux se jouant sur un damier (marelle ; dames), ainsi que toute une série d’autres au sens obscur (küwell ou faßspiel?) et qui ont disparu au fil du temps. Le jeu des osselets était très répandu ; les joueurs utilisaient de petits os du tarse (bombés d’un côté, creux de l’autre), en général de mouton. Ce jeu est cité par plusieurs poètes du Moyen Âge, dont Konrad von Würtzburg (dans sa Guerre de Troyes, XIIIe siècle), qui en parle comme d’un divertissement auquel se livraient les jeunes filles (« junge megde »). Ce jeu avait plusieurs dénominations, hiltekens (Fischart), knöcheln, knobeln, datschelspiel… (voir : Grimm). En Alsace, on trouve les termes bäpstels (Strasbourg, Bouxwiller, Haguenau), strohlstein (Andolsheim), sternerlis ou julehäle (Soultzmatt) ou encore drusch (Mulhouse) (Stœber).

Espace des jeux

L’archéologie a mis en évidence que l’on jouait dans des endroits insolites : à l’étage du clocher de l’église d’Obermorschwiller, sur le coussiège de la fenêtre géminée sud, ont été répertoriés deux jeux de moulin gravés. Ce jeu de patience était destiné au gardien ou à des habitants réfugiés en ce lieu (le clocher est daté 1267 par dendrochronologie) (Grodwohl). D’autres grilles de jeux (marelle) ont été découvertes par les archéologues au château du Grand-Geroldseck (Rebert) et dans d’autres châteaux (Brunel, Kill, Schnitzler, Mengus). Lorsque, en 1970, le plancher sous les stalles de l’église Saint-Léger de Guebwiller a été déposé, on y a trouvé ce que les chapelains y avaient laissé tomber, entre autres des cartes à jouer et des dés (CAAAH).

Les lieux où se pratiquaient les jeux sont connus par le biais des autorisations et surtout des interdictions. Une typologie peut ainsi s’établir. En tout premier lieu, les jeux se pratiquaient dans les poêles, où se créaient et s’entretenaient les liens de sociabilité professionnelle et sociale. Les poêles des métiers et des confréries, (maîtres et/ou compagnons), des patriciens (constofler et ammeister) étaient loués ou achetés ; ils servaient aux assemblées, prestations de serment, à la conservation des archives, des objets (comme les bannières), de la caisse, et de tribunal jugeant les conflits internes à une profession. Leur fonction courante était de permettre aux gens de métier et autres de se retrouver le soir afin de prendre des repas en commun, de consommer ou de banqueter. Ces activités de loisir étaient assorties de jeux de toute sorte.

L’on jouait aussi dans les jardins, dont les métiers ou les confréries étaient propriétaires ou qu’ils louaient, dans les auberges et les tavernes, dans les bains publics tenus par les barbiers (schererhüser) qui servaient autant à assurer l’hygiène qu’à s’adonner à d’autres plaisirs, comme les relations galantes ou liées à la prostitution.

L’on jouait surtout sur l’aire de jeu du bourreau, qui disposait des prérogatives d’organiser les jeux sur un espace qui lui était réservé et de prélever une part des gains (scholder nehmen). D’autres lieux sont mentionnés : à Strasbourg, on jouait sous la Pfalz, am Holwige, sous la Laube (XVe siècle s. d.), à Thann, aux deux portes de la ville (1548-1581). On jouait aussi chez soi, cela va sans dire, secrètement lorsque les jeux étaient interdits. Si l’on joue dans le cadre urbain, on joue aussi extra muros, sur le ban de la ville.

Les jeux dans les écrits anciens et contemporains : suspicion et interdictions

Joueurs dans une taverne strasbourgeoise. Gruninger, Virgile, appendice p. IX. Reproduit par J. Hatt, Strasbourg au XVe siècle, p. 391. À gauche, un joueur offre sa vaisselle à un usurier. À droite, premier plan, une sorte de jeu de trictrac. Dans le fond de la salle, deux joueurs de cartes (?) dont l’un semble en train de perdre.

Autant que les jeux et les endroits où l’on s’y adonnait, les écrits qui en font mention sont pléthoriques. Du sud au nord de l’Alsace, des articles (historiques ou archéologiques), des mentions, des évocations ou des images concernant les jeux témoignent de l’intérêt qu’ils soulevaient et soulèvent toujours. Par exemple, Herrade de Hohenbourg, dans son Hortus deliciarum (XIIe siècle) présente deux enfants jouant aux marionnettes de combat sous l’œil de Salomon. S. Brant parle des jeux dans son Narrenschiff et indique le jeu de cartes à la mode : le karnöffel (XVe siècle). Geiler de Kaysersberg, en 1500, adresse au Magistrat de Strasbourg vingt-et-un articles pour présenter les réformes souhaitables et dénoncer les jeux comme une plaie sociale des plus dangereuses ; les artisans y perdent la plus grande part de leurs revenus, voire tous leurs biens, certains s’endettent et deviennent des voleurs (Hatt, Une ville au XVe siècle, p. 393). Les ordonnances de police, en 1628, interdisent les jeux avec une mise en argent aux journaliers, valets de métier, domestiques, jeunes garçons et jeunes filles, mais autorisent ceux dont l’enjeu est un pot de vin (Hatt, La vie strasbourgeoise). À Thann, un règlement municipal (Statuten und Ordnungen, 1548-1581) indique qu’il est interdit de jouer aux deux portes de la ville, sauf à des jeux sur damier (brettspiel) et pour de courts moments. Il est interdit aux gardiens des portes de jouer, ni avec un damier ni au jeu de marelle (neüntenstein, mühlenspiel) (Baumann, p. 94-106).

À l’époque contemporaine, Antoine Ingold donne la composition d’un jeu de cartes médiéval (couleurs, figures) (1882), Auguste Hanauer relate les interdiction à Haguenau (1900) et Alfred Pfleger parle des jeux dans la vallée de Munster (1966), par exemple. Des ouvrages complets, aussi, ont été consacrés aux jeux, comme celui de Jean-Michel Mehl, de Johan Huizinga ou de Nicolas Witkowski (à propos des jeux d’enfants).

Un groupe social particulièrement visé par les règlements : les compagnons de métier

Les règlements des poêles et des confréries de compagnons de métier dans les villes du Rhin supérieur au XVe siècle précisent les conditions dans lesquelles les compagnons peuvent s’adonner au jeu et les amendes en cas d’infraction. Ainsi, en 1437, la confrérie des compagnons boulangers de Colmar (AMC 55/18) interdit les jeux à son trésorier et aux débiteurs de la caisse sous peine d’une amende de 5 ß ; celle des compagnons meuniers et charrons de Sélestat, en 1472, agit de même en ce qui concerne le trésorier (AMSél. HH 66). Le règlement des compagnons tanneurs de Colmar, en 1470, interdit de jouer sur l’aire de jeu du bourreau (située au marché aux grains), dans les auberges ou ailleurs, sous peine d’une amende de 5 ß et interdit également d’organiser des jeux et de prélever une part des gains (StA Freiburg-im-Breis. A1/VI) avec la même amende à la clé. La confrérie des compagnons tisserands de lin de Strasbourg interdit à ses membres de jouer sur l’aire de jeu du bourreau ; la punition prévue est une amende de 5 ß (1479, AMS, CH 6580). À Bâle, Spire, Fribourg ou Schaffhouse, les interdictions sont analogues. En revanche, à Sélestat, le règlement de la confrérie des compagnons tailleurs précise en 1498 que tous les jeux sont permis dans le poêle (AMSél. HH 13) (Debus Kehr). Les jeux sont réglementés afin de préserver le bon comportement social et convivial qui est requis des compagnons. La tranche d’âge dont ils font partie les expose à des emportements, bagarres et autres excès, même si certains d’entre eux sont des adultes qui n’ont pu accéder au statut de maître. Que les trésoriers et les débiteurs de la caisse soient interdits de jeu atteste que l’enjeu était financier et pouvait déboucher sur des pertes d’argent et des dettes. Les situations qui en découlaient étaient souvent inextricables, car les compagnons avaient des revenus modestes.

La répression des jeux à l’exemple des règlements strasbourgeois

Les interdictions prononcées par les autorités, en particulier les Magistrats successifs de Strasbourg, constituent un corpus qui permet au mieux d’appréhender le phénomène des jeux.

En 1382, il est question des jeux et d’une première réglementation : il y est dit que cette année, les jeux de cartes ont fait leur apparition à Strasbourg et à la campagne et que les nobles y jouent nuit et jour dans leurs poêles. Auparavant, on jouait aux échecs et sur un damier et l’on considérait les jeux de cartes comme très kunstreich (soit savants, soit risqués). Ils sont donc rapidement interdits, sauf aux nobles et aux bourgeois. Il est ajouté que les peintres avaient suffisamment d’ouvrage, rien qu’en peignant des cartes (Specklin, Collectanées, p. 310). Transgresser l’interdiction était sévèrement puni : la même année, un fürsprecher (sorte d’avocat), nommé Gudo, qui avait proféré des blasphèmes (unchristliche schwüre) en jouant, avait été condamné au bûcher et mis ainsi au ban de la ville à perpétuité (Dacheux, Annales, p. 211). L’on peut cependant admettre que les blasphèmes ont pesé davantage dans la balance que les jeux, qui n’ont été qu’une circonstance aggravante.

Règlements du XVe siècle concernant tout un chacun

Entre 1447 et 1493, le Magistrat et le Conseil des XXI strasbourgeois, avec l’accord des échevins (une occurrence) légifèrent à dix-sept reprises pour encadrer les jeux de hasard (lüstelinsspiele) ou les interdire, totalement, partiellement, à certaines heures ou pendant certains jours ou une période de l’année. Dans leur ensemble, ces règlements reprennent des dispositions antérieures, parfois en les modifiant, d’autres fois en y ajoutant des données. Un règlement concernant une maison spécialement dédiée aux jeux, sorte d’ancêtre du casino (Spielhaus-Ordnung) s’y ajoute au XVe siècle (s. d.) (Brucker, p. 470-484).

Les raisons des interdictions avancées par les autorités sont multiples. Ainsi, les jeux de hasard et autres mettent en danger les femmes, les enfants, les personnes honorables et les jeunes gens (1447, 1448, 1462, XVe siècle s. d.) qui courent le risque d’être grugés. Les jeux favorisent les jurons (1447) et les proférer entache l’honneur de Dieu, de la Vierge et des saints (1447, 1448, 1488) ; il est nécessaire de les prohiber en interdisant les conditions propices à leur survenue, afin de garantir la louange aux divinités (1463). Malgré les interdictions, les habitants continuent de jouer (1463, 1493), les jeux sont même pratiqués secrètement (XVe siècle s. d.) et de nouveaux noms ont été trouvés pour les désigner et contourner ainsi les interdictions (1462). Par ailleurs, certains métiers louent leur poêle à des échansons qui le transforment en auberges, y donnant à manger et à boire et y permettant les jeux (XVe siècle s. d.).

Les lieux dans lesquels les jeux sont interdits sont les poêles des artisans (1447, 1448, 1462, 1475, 1488, XVsiècle s. d.) et des constofler (1447, 1448), ceux des compagnons (1463), puis les poêles après la cloche de 9 h (XVe siècle s. d.), les bains (schererhüser) (XVe siècle s. d.), les auberges et autres lieux (1463, 1475, après 9 h, XVe siècle s. d.), dans la ville et son ban (1462, 1463, 1468, 1488, 1493, XVe siècle s. d.), à l’extérieur de la ville (1488), sous la Pfalz, am Holwige, sous la Laube (XVe siècle s. d.). En revanche, les jeux sont autorisés sur l’aire de jeu du bourreau (« près de la porte ») (1447, 1448, 1463), dans les poêles « honorables » (XVe siècle s. d.), dans le poêle de l’ammeister (cartes et dés, à condition que le responsable ne prélève par une part du gain, XVe siècle s. d.). En 1452, les dés, damiers et cartes sont interdits dans les auberges et les tavernes nuit et jour ; il est prévu une amende de 30 ß pour les tenanciers et les joueurs qui contreviendraient à cette interdiction. S’ils ne pouvaient régler l’amende, ils seraient mis en prison, à l’eau et au pain sec (1452).

Couvre-feu et fêtes religieuses

Les jeux sont interdits certains jours : le soir et la nuit de Noël jusqu’à la Saint-Étienne (1443, 1462), pendant certaines périodes de l’année : au cours de la semaine sainte et 15 jours après Pâques (pour de l’argent) (1475) et à certains moments de la journée : après la cloche de 9 h (sinon amende de 30 ß, 1493) et après minuit (amende de 5 £, XVe siècle s. d.).

Les jeux, considérés comme des jeux de hasard, sont interdits : ce sont les jeux de dés, de cartes (jouer aux cartes se dit bocken), ceux se pratiquant avec un damier ou autres jeux (pour de l’argent, ou non) (1447, 1448, 1462, 1463, 1468, 1472, 1488, XVe siècle s. d.). De même, sont interdits les jeux qui consistent à tirer au-dessus d’une barre ou d’une trompe de berger, et toute une série de jeux perdus aujourd’hui, comme tirer dans un verre à travers un cerceau ou avec des zinsbriefen, des jeux dont le sens nous échappe, comme eim lorchen in ein schantz slahen, comme est interdit le jeu de dés qui réclame qu’on fasse apparaître le plus points possible (mit den meisten ougen werfen), et dont l’enjeu sont des vêtements, des chausses, des sous-vêtements ou autres, et pour de l’argent (1468). Les pièces vestimentaires constituaient des enjeux, ce qui n’a rien d’étonnant si on sait que les habits coûtaient cher et constituaient souvent la seule fortune des joueurs (compagnons de métier, par exemple).

Limitation des enjeux

Il existe néanmoins des autorisations de jouer, assorties de conditions. Ainsi, les échecs, les jeux se jouant sur un damier et les jeux de cartes sont autorisés avec une mise d’1 ß au plus (1447, 1448), les quilles et le jeu appelé küwell sont autorisés si l’enjeu ne dépasse pas 4 deniers (1468, 1472) et les jeux dans leur ensemble sont autorisés sur l’aire du bourreau (1488). D’autres ajouts concernent ces jeux : ainsi, les jeux de cartes sont autorisés au poêle si l’on consomme du vin (1463) et que l’enjeu ne dépasse pas 4 deniers (1493). Tirer avec une arbalète ou une arquebuse est autorisé (1468), de même que les jeux de cartes, mais il est interdit aux dépositaires de demander plus de 4 deniers pour la mise à disposition des cartes et de réclamer plus d’un denier pour deux luminaires, et les dés sont autorisés à condition que le responsable ne prélève pas sa part du gain (XVe siècle s. d.).

Personnes touchées par les interdictions

Selon les années prises en considération (1447- 1493) à Strasbourg, les personnes concernées par les interdictions sont : les bourgeois, les manants ou d’autres habitants (1447, 1448), les autochtones et les étrangers (1488), les apprentis et les jeunes compagnons (1458), ou encore, est-il précisé, « tout le monde » (1462), ou « les nobles et les non-nobles » (1463). Cependant, les règlements énoncent aussi les personnes ayant le droit de jouer en respectant certaines conditions : hommes libres, compagnons et domestiques (1447, 1448), gens honorables (erber lüte), nobles et bourgeois, avec interdiction cependant de prélever une part des gains, sous peine d’une amende de 5 £ (XVe siècle s. d.).

Peines encourues

Les peines encourues sont multiples : elles concernent tant les joueurs que les aubergistes, les échansons ou les responsables, préposés et le personnel des poêles. Ainsi, les tenanciers d’auberge qui permettent les jeux et les joueurs délinquants sont soumis à une amende de 3 £ pour les premiers (1447), de 30 ß pour les seconds, et s’ils n’ont pas l’argent nécessaire, ils sont mis en prison pour un mois à l’eau et au pain sec (1458, 1462, 1475) ou pour 15 jours (1488). Il est aussi précisé que la peine de prison est assortie de la confiscation de l’argent gagné (XVe siècle s. d.), que l’amende de 30 ß est irrémissible (1463, 1468). Par ailleurs, si un échanson ou une autre personne au poêle met à disposition des hôtes des jeux pour un prix supérieur à 4 deniers, plus 2 luminaires pour plus d’1 denier et prélèvent leur part du gain, ils sont punis d’une amende de 5 £ (1493). Jouer après la cloche de 9 h est puni d’une amende de 30 ß, échansons et préposés ne devant plus mettre à disposition des cartes, des dés et des luminaires après la cloche de 9 h, sous peine d’une amende de 3 £ et de 5 £ après minuit (1493, XVe siècle s. d.), sans rémission. Par ailleurs, si un valet employé par la ville (stadtknecht) frappe à la porte du poêle après 9 h pour contrôle et qu’on ne lui ouvre pas, l’amende est de 10 £ (1493, XVe siècle s. d.). Les mêmes échansons, valets et responsables de poêle sont tenus de prévenir les joueurs que la cloche de 9 heures tinte et d’interdire les jeux, sous peine d’une amende de 3 £ pour eux et de 30 ß pour les joueurs (XVe siècle s. d.). Jouer pendant la période de Noël est puni d’une amende de 30 ß et, en cas d’incapacité de payer, d’une peine de prison d’un mois à l’eau et au pain sec (1443).

Obligation de dénoncer les délinquants

Les règlement précisent aussi les personnes habilitées (voire obligées par serment) de dénoncer les délinquants : ce sont les conseillers et leurs valets, les gardiens de prison (XVe siècle s. d.), le « personnel » municipal (1462, 1463, 1468, 1472), les valets de la ville (1488, XVe siècle s. d.). Les aubergistes, responsables de poêle et personnel municipal assermenté sont sévèrement punis s’ils ne remplissent pas leur office en la matière, car ils ont promis de le faire (1463, 1488). Par ailleurs, les échansons et les responsables de poêle sont tenus de récolter les amendes (1473).

Peines exemplaires

La répression effective des jeux existe bel et bien. Ainsi, un tailleur nommé Berthold Dold avait créé une salle de jeux secrète dans son arrière-boutique, alors que l’ammeister le lui avait interdit à deux reprises. En 1403, il est condamné à un an de bannissement et à 30 £ d’amende (Hatt, Une ville au XVe siècle, qui cite le Achtbuch, p. 28). En 1467, un hauptmann de la ville, parce qu’il avait toléré que deux de ses subordonnés jouent aux cartes pour de l’argent le jeudi saint, est condamné au carcan portant mention de son forfait (Specklin, Collectanées, p. 459 ; texte modernisé par Friese, Historische Merkwürdigkeiten).

En conclusion de ces règlements strasbourgeois

L’éventail des jeux, qualifiés souvent de jeux de hasard, est donc vaste, comme sont nombreux des jeux qui relèvent de l’adresse. Les interdictions concernent toutes les couches de la population, avec des exceptions, à certains moments, pour les gens « honorables » ou les patriciens. Cependant, tout un chacun peut jouer, à d’autres moments, en certains endroits, à certains jeux, pour de l’argent (peu) ou non. Les lieux où ne doivent pas se pratiquer les jeux sont toujours les mêmes (poêles, auberges…), avec des exceptions, là aussi, comme le poêle de l’ammeister fréquenté par ceux qui tiennent le haut du pavé à Strasbourg. Apparaît ici une discrimination fondée sur le rang social. Même le clergé n’échappe pas aux interdictions. Force est de constater que les règlements n’étaient pas appliqués, malgré les amendes d’un montant dissuasif, dont les rédacteurs rappellent toujours et encore qu’elles sont sans rémission. Finalement, tout semble reposer sur un fragile équilibre : on autorise certains jeux, à certains, parfois, là ou ailleurs, à condition que… Il est fort probable que les interdictions réitérées soient consécutives à des plaintes et à des débordements répétés et d’ampleur, comme le précise le texte suivant, relatif au Spielhaus, la maison des jeux.

Création d’un Spielhaus, casino municipal

Dans son introduction, le règlement du Spielhaus du XVe siècle expose les raisons qui ont conduit le Magistrat et le Conseil des XXI à créer une maison dédiée aux jeux et à en préciser le mode de fonctionnement : troubles dans la ville et jurons mettant en danger les honnêtes gens et les enfants, non-respect des dispositions prises de longue date. Dorénavant, il sera interdit de jouer dans les poêles, les sociétés, les jardins, les maisons et autres lieux dans la ville et son ban, à l’exclusion de l’aire de jeux du bourreau en plein air située près de la porte de la ville. Tout contrevenant, bourgeois, manant ou homme de la campagne sera soumis à une amende irrémissible de 5 £ ; si l’argent nécessaire fait défaut, le délinquant subira une contrainte par corps. Si des ecclésiastiques (geistliche oder der pfaffheit) étaient pris sur le fait, ils ne bénéficieront d’aucune aide de la part du Magistrat. Ceux qui organisent des jeux (homme ou femme) dans leur maison, cour, jardin ou autre lieu sont soumis à la même amende. Dans le Spielhaus, on pourra jouer aux dés et aux jeux de hasard (cartes). Le Magistrat prend à sa charge les frais de fonctionnement de cette maison. Ses tenanciers jurent sur les saints qu’ils ne proposeront que des jeux autorisés, sans tricherie, et, dans le cas contraire, ils seront punis. Par ailleurs, ils ne doivent pas tolérer les jurons et sont obligés de dénoncer les délinquants au Magistrat. Les jeux ne peuvent y être pratiqués aux Quatre-Temps, aux fêtes de la Vierge, le jour des Rameaux, lors de la semaine sainte et à Pâques (Brucker, p. 482-484).

Aux XVIIe et XVIIIe siècles : les règlements perdurent

Après 1648, l’Alsace se voit appliquer la réglementation des jeux du royaume. Les ordonnances du Conseil souverain indiquent que les jeux français sont répandus en Alsace. Ainsi, le 15 janvier 1691, un arrêt du Conseil d’État défend les jeux de hasard nommés Hora ou Pharaon, Barcade & Bassette ou Pour & Contre. Plusieurs interdictions avaient été émises précédemment, concernant les troupes et « autres personnes ». Tout contrevenant s’expose à une amende de 1000 livres et à une amende de 6000 livres pour ceux « qui auront donné à jouer chez eux ou souffert qu’on y ait joué ». Si les délinquants ne peuvent payer leur amende, les 1000 livres sont remplacés par quatre mois de prison, les 6000 livres par un an de prison. Cet arrêt est signé du conseiller du roi, Jacques de La Grange. Comme, apparemment, ces jeux interdits sont toujours pratiqués, en plus de celui de Banque faillite, l’interdiction est réitérée le 30 décembre 1695 (Ordonnances d’Alsace, tome premier, p. 189). Un autre arrêt du Conseil souverain du 6 mai 1765 interdit les jeux de hasard. Il est dit : « … défense sous des peines sévères de jouer et donner à jouer à des jeux de hasard, le goût décidé pour ces sortes de jeux prenoit à un tel point en cette province… ». Les contrevenants s’exposent à une amende de 3000 livres s’ils pratiquent les jeux suivants : le Pharaon, le Lansquenet, la Dupe, le Passe-dix, le Quinze,le Trente & Quarante (Ordonnances d’Alsace, tome second, p. 699).

Bibliographie

DE BOUG, Ordonnances d’Alsace, tome premier, 1657-1725, p. 193-194 ; tome second, 1726-1770, p. 699.

BRANT (Sébastien), Das Narrenschiff (La nef des fous), nombreuses éditions (XVe siècle).

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Monique Debus Kehr

Jeux d’enfant, Kinderspiele

Les jeux d’enfant désignent les jouets et les divertissements des enfants par le jeu. Fragilité des matériaux, manipulations régulières, usure du temps, autant de facteurs qui expliquent la rareté de jouets anciens du Moyen Âge au début du XIXe siècle encore conservés de nos jours. Néanmoins, des collections muséales, bibliothèques et fonds graphiques recèlent quelques spécimens ou documents évoquant un enfant en train de jouer, en plein air ou au domicile. Quel que soit le siècle, ces jeux se devaient d’être distrayants et éducatifs.

Sources archéologiques

Les jouets d’enfant les plus anciens d’Alsace remontent au-delà du Moyen Âge, à l’Antiquité. Des fouilles archéologiques ont permis de mettre au jour des poupées de loess (Loesspuppele, Puppelesstein) ou encore de petites statuettes de chevaux ou d’oiseaux (Achenheim, Koenigshoffen). Il s’agit là de concrétions de loess naturelles ayant pris les aspects d’une poupée ou autres ébauches d’animaux. Parfois la forme naturelle d’un objet avait aussi retenu l’attention de l’homme qui le retouche pour en accentuer la forme devinée (Forrer). Certaines sépultures d’enfant datant de l’âge du fer ont révélé des hochets en terre cuite (Marlenheim). 

Les objets en terre cuite persistent au Moyen Âge. L’archéologie a révélé de petits jouets d’enfant modelés en terre cuite datant de l’époque médiévale, en ville (Vieux-Strasbourg) ou dans des châteaux (Birkenfels, Fleckenstein, Greifenstein, Haut-Eguisheim, Rathsamhausen, pour n’en citer que quelques-uns). Il s’agit, entre autres, de figurines, hochets, sifflets ou « dinettes » (poteries en miniature). Les figurines découvertes à Strasbourg – statuettes de chevaux sellés, de cavaliers armés de leur lance et bouclier, de jeunes filles avec coiffure à nattes – remontent aux XIIe, XIIIe, XIVe et XVe siècles. Parmi elles, certaines sont creuses, notamment celles en forme de filles. Elles contiennent des boules en terre cuite, le jouet ayant en même temps servi de hochet. À côté des hochets et autres figurines en terre cuite fabriqués à Strasbourg, ont été découvertes des petites tirelires, aussi en terre cuite, probablement vendues aux foires strasbourgeoises, voire dans toute la région, d’après Robert Forrer.

Les chevaux et corps des filles en hochets étaient modelés à la main, mais le visage plus complexe était pris dans le moule. Dès les XVe et XVIe siècles, l’objet a été fabriqué d’un seul tenant. Certains moules relèvent parfois d’un vrai travail d’artiste et sont révélateurs d’une époque. Pour certains, ils reflètent par exemple des costumes strasbourgeois d’alors. Des moules de jouets d’enfant ont été mis au jour au Marché-Neuf à Strasbourg. D’autres moules en terre cuite et empreintes de moules pour jouets d’enfant fabriqués au XVIe siècle ont été découverts rue de Hannong à Strasbourg, dans les fondations de la maison Moebs. Mais aux XVIe et XVIIe siècles, la plupart des objets sont encore façonnés de manière simple, modelés et moulés grossièrement. Toutefois, la terre cuite est alors vernissée, en vert, brun ou noir. Le cavalier porte alors un casque en forme de morion comme le connaissaient les enfants strasbourgeois (Forrer).

Sources iconographiques et littéraires

Intitulée « Kinder-Spiel/oder Spiegel dieser Zeiten » (jeux d’enfants ou miroir de cette époque), cette gravure de Jakob von der Heyden, datée de 1632 immortalise les jeux d’enfants du début du XVIIe siècle à Strasbourg. Jacques Hatt (Strasbourg au XVe siècle, 1929) localise cette place près du champ de tir (Schiessrain), le Contades actuel (coll. BNU). On reconnaîtra de gauche à droite, cerceaux, saut à la corde, bilboquet, échasse, cerf-volant, cheval de bois, billes, jeu de raquette en double, poirier (gymnastique), toupie, lutte… Jakob von der Heyden (Strasbourg 1573?-Bruxelles 1645) illustre les paysages et la vie de Strasbourg dans une série d’ouvrages.

Un autre témoignage de jeu d’enfant du Moyen Âge nous est livré par un manuscrit médiéval alsacien du XIIe siècle réalisé au couvent du Hohenbourg, l’Hortus deliciarum. L’une de ces miniatures représente en effet deux enfants en train de manipuler à l’aide de cordes deux figurines évoquant des chevaliers habillés d’une cotte de mailles, munis d’un écu et d’une épée.

L’iconographie est véritablement un témoin précieux, comme le révèlent certaines gravures sur bois du XVIe siècle. En 1508, Johann Grüninger, imprimeur et graveur strasbourgeois, reproduit sur une planche du Freydank, un enfant avec cheval de bois. Hans Weiditz, qui a travaillé à Strasbourg à partir de 1522, représente sur la gravure intitulée Ein schönes Kind, un enfant sur un cheval de bois, tenant en guise de lance un petit moulin à vent. Évoquons encore cet autre témoignage pictural de jeux pratiqués par les enfants au XVIe siècle, figuré sur un plateau de table pliant conservé au Musée de l’Œuvre Notre-Dame à Strasbourg. Daté de 1528, il est rattaché de par son style au Rhin supérieur. Ses panneaux en bois présentent un riche décor peint reproduisant en vingt saynètes les âges de la vie d’un chevalier de sa naissance à son trépas. Pour la période qui nous intéresse, l’observateur est successivement attendri par le bébé joufflu dans les bras de sa mère, faisant ses premiers pas seul dans un trotteur sur roulettes, puis amusé par le garçonnet chevauchant un cheval de bois tenant dans sa main une lance avec un petit moulin à vent, ensuite jouant avec une toupie.

Autre source, un feuillet (Einblattdruck) imprimé par Jakob von der Heyden en 1632 et cité par Heinrich Rausch. Ce document tout à fait inédit met en mots et images des jeux pratiqués par les enfants au début du XVIIe siècle à Strasbourg et les mœurs strasbourgeoises. Sont décrits et croqués entre autres, un garçon chevauchant un cheval de bois (Steckenpferd), des garçons jouant avec un cerceau (Reifen), qui font des bulles de savon (Seifenblasen) alors que d’autres essayent de les attraper avec leurs mains ou un chapeau. D’autres encore jouent aux billes (Schnellkugeln), font le poirier et se déplacent sur les mains, s’amusent sur des échasses (Stelzen). Des filles jouent à la poupée avec un berceau et à la dînette. Un garçon fait voler un cerf-volant (Drachenfliegen), d’autres enfants s’amusent avec des toupies (Brummkreisel, Kreisel), pratiquent la corde à sauter à trois (deux enfants font tourner la corde, le troisième saute), glissent sur la glace, font voler un oiseau attaché, jouent avec des raquettes (Ballsschläger) ou aux osselets. Un jeune garçon se place en haut d’un monticule les bras croisés, deux autres essayent d’accéder en haut pour l’en déloger et prendre sa place à leur tour, pour ne citer que quelques-uns des jeux de cette époque.

La littérature rhénane est de même révélatrice de jeux pratiqués, comme le « jeu du pont » (Brückenspiel), courant au XVIe siècle en Alsace, et qui d’ailleurs perdurera au-delà des siècles. Geiler de Kaysersberg l’évoque dans l’un de ses sermons prêchés à la cathédrale de Strasbourg, publié en 1518 par Johann Grüninger dans le Buch der Sünden des Munds, comme « der faulen Brucken springen ». Et Fischart en 1575 le cite dans son « Gargantua » comme « Spiel der faulen Brucken » (H. Menges).

En glanant dans les collections muséales

Dès la Renaissance, ce sont les maisons de poupées (Puppenhäuser) qui font le bonheur des petites filles. Ces maisons en miniature ouvertes sur la façade laissent apparaître l’intérieur copié sur les vraies maisons avec les divers étages, les pièces (chambres, cuisines, ateliers…) avec leurs meubles et accessoires en divers matériaux (étain, bois, bronze…), mais aussi des personnages en costumes d’époque ou typiques. Certaines maisons pouvaient atteindre un demi-mètre de longueur et un mètre de haut. Citons une maison de poupées strasbourgeoise de 1680 conservée au Musée historique de Strasbourg, avec sa cour (Hof), un salon (d’guet Stub), la cuisine (d’Kieche), au premier étage une chambre qui faisait à la fois office de salle à manger et de chambre à coucher comme il était de coutume à Strasbourg ou dans nombre de maisons paysannes alsaciennes d’alors (d’Wohnstub).

Cette maison de poupées est le reflet d’une maison bourgeoise aisée. Un tel objet devait familiariser l’enfant tout jeune avec l’art de tenir une maison : maintien d’un ordre méticuleux, apprentissage de la hiérarchie sociale (présence de domestiques), initiation à la vie familiale et connaissance de tous les accessoires domestiques en miniature… Les poupées miniatures de cette maison sont en cire. 

Toutes les maisons de poupées n’étaient pas aussi imposantes, la plupart étaient plus petites. Elles se limitaient à une chambre ou une cuisine. Le Musée alsacien à Strasbourg abrite dans ses collections une cuisine en miniature datée vers 1800, fidèle réplique probable d’une cuisine typique d’une maison strasbourgeoise. Contre ses murs sont plaqués des foyers maçonnés sous une petite hotte et sa cheminée. On y trouve aussi l’évier et tout autour une large panoplie d’ustensiles de cuisine et de vaisselle.

Mentionnons encore un ensemble particulier datant du XVIIIe siècle : un intérieur de chambre bourgeoise où l’on est en train de fêter le baptême d’un nouveau-né. Fabriqué par un pâtissier strasbourgeois, cet intérieur en miniature a été réalisé en papier et dragées. Ce type de « chambre d’accouchée » du XVIIIe siècle était le plus souvent confectionné avec une boîte en carton minutieusement meublée et décorée dans un style typiquement local (collections des musées de Wissembourg et de Strasbourg). Ces petites boîtes vitrées présentent à peu près toujours la même scène : quatre convives attablés, des poupées en cire habillées selon la mode de l’époque, probablement les parrains et marraines qui fêtent le baptême du bébé que sa mère alitée dans la même pièce tient dans ses bras. Celle conservée au Musée historique de Mulhouse diffère un peu, elle est en bois tapissé de papier gaufré et met en scène une chambre d’accouchée avec le départ pour l’église à l’occasion du baptême. À gauche se trouve l’alcôve avec la mère, et à droite, trois dames et une petite fille dont l’une porte le nouveau-né emmailloté. L’ensemble date du début du XVIIIe siècle et a appartenu à une famille mulhousienne. D’aucuns pensent que ces chambres d’accouchées avaient pour vocation d’être offertes lors d’un baptême et que probablement ensuite les petites filles les utilisaient comme maisons de poupées. Mais rien n’est moins certain, leur véritable utilisation reste à élucider. À Mulhouse est également conservée une échoppe de marchand d’étoffes en miniature datant des années 1760 ou 1770. Ces jouets révèlent leur caractère très local (L. G. Werner).

Jouets et enjeux éducatifs

Au XVIIIe siècle, le regard sur l’enfance change. L’enfant n’est dès lors plus vu comme un adulte en miniature mais au contraire est considéré comme un être en devenir, qu’il faut modeler. Se développe alors un intérêt croissant pour les problèmes d’éducation. À l’instar de Rousseau, de Pestalozzi et de Basedow, le pasteur de la communauté du Ban-de-la-Roche, Jean-Frédéric Oberlin, est persuadé de la capacité éducative du jouet (Denis et Ercker). Grâce aux jouets, l’enfant examine, expérimente, interroge. Il apprend à maîtriser son environnement et à appréhender le monde social qui l’entoure. En même temps, il développe son imagination. Oberlin doit sa célébrité à ses méthodes pédagogiques originales appliquées aux élèves des écoles des villages de sa communauté mais aussi aux adultes en cours du soir et aux tout-petits enfants des « poêles à tricoter », ancêtres de nos maternelles.

Parmi les jouets pédagogiques proposés par Oberlin, citons les figurines en étain, notamment une série d’animaux. Son fabricant, J. E. Fischer, fondeur et graveur à Halle aux alentours de 1800, avait intitulé cette collection « Occupation pour la jeunesse avide de connaissance, choisie parmi les quatre premières classes du règne animal ». La plupart des jouets d’Oberlin datent du XVIIIe siècle et sont de fabrication allemande. Mais les jouets en étain, comme les petits soldats, étaient aussi fabriqués à Strasbourg, par Bergmann et Woehrlin.

Les jouets d’Oberlin les plus courants sont des reproductions du monde réel sous forme de bibelots, afin que les enfants apprennent par imitation et soient préparés pour leur vie ultérieure, avec une répartition classique, sexuelle et sociale des rôles (Denis et Ercker). Pour les filles, des meubles de poupée, des tables et des chaises en étain, des dînettes, des ustensiles de cuisine en bois… Pour les garçons, par exemple, les jouets flottants en bois – canards et barques –, des soldats et chariots militaires en étain.

Nombre de jouets chez Oberlin sont liés aux sciences et techniques. Citons en premier les jouets mécaniques avec des mécaniques plus ou moins complexes, allant du simple carrosse à quatre chevaux et trois personnages que l’on peut faire rouler, au sauteur chinois dont la mécanique permet au jongleur de faire plusieurs culbutes. Mentionnons ensuite les microscopes, lanternes magiques, boîtes optiques et autres kaléidoscopes qui diffusent alors les savoirs les plus récents en optique et physique (Musée Oberlin à Waldersbach). Au XVIIIe siècle, les jouets scientifiques et techniques sont destinés aussi bien à l’éducation qu’au divertissement. Tous ces jouets étaient vendus sur catalogue. Ils étaient donc courants (Denis et Ercker). En témoignent cette boîte optique de la fin du XVIIIsiècle avec des vues d’architecture, entre autres de la cathédrale de Strasbourg, ou encore cette petite lanterne magique datée vers 1800, présentées lors de l’exposition de jouets anciens au Musée historique de Strasbourg en 1926.

Le jouet, une initiation au rôle d’adulte

La plupart des jouets préparaient à la vie d’adulte. Les fillettes sont instruites dans la bonne tenue d’un ménage et dans l’éducation des enfants. Les objets garnissant les cuisines et maisons de poupées familiarisent avec la gestion d’un intérieur. Jouer à la cliente faisant ses achats à l’échoppe en miniature peut aider à gérer un jour le budget familial. Les garçons se préparent à la vie militaire en jouant aux petits soldats avec des figurines militaires fabriquées pour la période qui nous intéresse en étain ou en papier.

Revenons un court instant à l’un des jouets de fille par excellence, la poupée. Du latin pupa, le terme poupée qualifie une figurine de forme humaine qui sert de jouet aux enfants. Le mot « poupée » n’apparaît dans les récits qu’au XVIIIe siècle, mais l’archéologie témoigne de leur existence très ancienne, comme nous l’avons vu au début de cette notice. Au fil du temps, elles pouvaient être confectionnées de manière sommaire, en terre cuite, en bois, en paille, en tissu ou au contraire avec des matériaux plus précieux, comme la cire, puis la porcelaine, voire même avec des yeux en verre. Selon le milieu d’appartenance de la fillette, la poupée était fabriquée par un parent de ses propres mains avec les moyens du bord, voire pour les plus privilégiées dès le XVIIIe siècle, par un spécialiste de jouets avec des matériaux plus précieux. Les poupées en porcelaine se développeront de manière durable surtout grâce à la bourgeoisie au début du XIXe siècle et la naissance de l’industrie du jouet.

Revenons aussi sur cet autre amusement du XVIIIe siècle, cette fois-ci réservé aux petits garçons : les petits soldats en papier. C’est en effet à Strasbourg qu’apparurent pour la première fois les planches de petits soldats imprimées en couleur à colorier, que l’on achetait pour les coller sur du carton ou les découper pour les monter sur de petits socles en bois (P.  Martin). Entre 1776 et 1779, le chevalier et graveur sur bois Pierre-François Isnard publia quatre recueils d’uniformes militaires destinés à être découpés. Un cinquième volume paraîtra en 1781, consacré à la gendarmerie de France. D’autres imprimeurs strasbourgeois, comme Johann Friedrich Striedbeck ou encore Jean-Henri Heitz, pour n’en citer que deux, l’imiteront. Rapidement, ces planches connurent un succès au-delà de la région rhénane et leur essor perdurera au XIXe siècle.

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Notice connexe

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Christine Esch