Gerber (gerwer)

De DHIALSACE
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Chamoiseur, Corroyeur, Mégissier, Rotgerber, Sämischgerber, Tanneur, Weissgerber

Les tanneurs, connus sous le terme générique de Gerber, sont des artisans spécialisés dans la préparation des peaux (bœuf, vache, cheval, veau, chèvre, chien, porc…) soit fraîches (grün), soit sèches (dürr). Après avoir été dépilées et écharnées sur des bancs arrondis à l’aide de racloirs, les peaux sont mises à ramollir dans plusieurs bains, puis préparées en vue de la fabrication de divers objets par d’autres artisans (cordonniers, selliers, relieurs, etc.) après leur séchage. Les corroyeurs (Rotgerber) utilisaient du tan (pulvérisé par des moulins), les mégissiers (Weissgerber) de l’alun (importé). Ces derniers préparaient des peaux fines pour la ganterie ou la cordonnerie de luxe. Le chamoisage, spécialité des chamoiseurs (Sämischgerber), consistait en une préparation complexe à l’aide de matière grasse, de foulage et de séchage, ces opérations étant répétées plusieurs fois jusqu’à obtenir des peaux très moelleuses. Les peaux à poils, préparées, elles aussi, par les tanneurs, étaient destinées aux fourreurs. Le parchemin était fabriqué à partir des peaux de veau mort-né – le vélin – de mouton ou de chèvre, dépilées et raclées, puis mises à sécher, mais non tannées. Il était produit par les parcheminiers, Birmenter, autre métier.

Les tanneurs étaient habituellement établis le long de cours d’eau, nécessaires à l’accomplissement de leurs tâches. Tant à Strasbourg qu’à Colmar, ils se concentraient sur une ou plusieurs rues, les combles de leurs hautes maisons servant de séchoirs, alors que le rez-de-chaussée était creusé de cuves de macération. Les traces de cette activité sont toujours visibles dans l’architecture de leurs anciens quartiers, dont certains ont fait l’objet de fouilles archéologiques, comme à Colmar (Meyer et Brunel). Leur confinement dans un quartier était une obligation, eu égard aux impératifs hygiénistes des municipalités (dès 1669 à Colmar, obligation réitérée par le Conseil souverain en 1716 et 1760 ; AMC, HH 33/43).

Les tanneurs des villes étaient soumis aux règlements de leur corporation respective. Cependant, au XVe siècle, les tanneurs des villes de Haguenau, Saverne, Strasbourg, Benfeld, Scherwiller (qui est un village), Sélestat, Ribeauvillé, Guebwiller, Soultz, Cernay, Mulhouse, Masevaux et Altkirch, ainsi que de Gengenbach et Offenburg (Ortenau) se réunissent à Sélestat et adoptent un règlement commun, valable dans une aire géographique appelée Bezirk. Il réglemente les rapports entre tanneurs et cordonniers (qui n’ont pas le droit de « faire du cuir », ce qui implique le monopole du tannage par les tanneurs), l’interdiction aux tanneurs de « faire des peaux » pour les cordonniers, sauf une ou deux fois par an, l’achat des peaux, Hüdt und Fell (elles ne doivent pas être achetées à l’équarrisseur), les jours de vente ou encore les conditions d’embauche des compagnons (après trois ans d’apprentissage). Ce texte est une sorte de convention destinée à uniformiser les prestations des tanneurs et à éviter les conflits avec les cordonniers (AMC, HH 33/1).

Une autre assemblée de tanneurs des villes de Saverne, Strasbourg, Offenburg, Benfeld, Sélestat, Ribeauvillé, Colmar, Cernay, auxquels s’ajoutent ceux de Molsheim, d’Erstein (village), d’Andlau, de Lahr, Kaysersberg, Fribourg, Rouffach et Thann se tient à Sélestat le 19 janvier 1513. Un nouveau règlement est émis, qui devra être soumis aux autorités corporatives concernées avant son entrée en vigueur définitive. Cette réunion confère à l’assemblée le caractère d’une association pérenne, soit d’une corporation à l’échelle régionale (les membres se définissant comme gemeine Zunftbrüder disser Verein) doublée d’une confrérie dédiée à la Vierge (AMS, III, 12/24). Les articles réglementaires concernent l’exercice du métier.

Les représentants des tanneurs des mêmes villes se réunissent le 7 mars suivant à Sélestat, excepté ceux de Colmar, Lahr et Rouffach, mais s’y adjoignent ceux de Mulhouse (ville partie au règlement du XVe siècle mais absente le 19 janvier), Bischheim (village), Ettenheim, Kenzingen et Teningen (village), (ces trois dernières situées dans le pays de Bade). Ce second règlement est composé de 13 articles issus de chartes provenant de différentes villes importantes (namhaftige), élaborés « pour les besoins et l’honneur du métier, afin que, à la campagne et dans les bourgs où il n’y a pas de corporation ni de confrérie, les tanneurs sachent se conformer aux normes, étant entendu que ces articles n’entrent pas en conflit avec les règlements existant ». Ils reprennent en les complétant de nombreux points définis dans le premier règlement et introduisent des nouveautés. Les deux métiers, de tanneur et de cordonnier, sont bien séparés, les uns ne devant pas exercer le métier des autres (art. 1 & 2). Les articles concernent l’exercice du métier (on ne peut ici entrer dans le détail) et formulent des interdictions, comme celle de fréquenter les bourreaux, les équarrisseurs et les bergers (ainsi que leurs femmes, enfants et personnel), d’embaucher leurs fils, et de faire affaires avec eux (art. 8). De même, la spéculation est interdite (acheter des peaux et les revendre avec profit, art. 5 & 7). Les fils de maître sont exemptés de prouver leur apprentissage et paient un droit de bourgeoisie réduit de moitié (art. 8), les femmes peuvent être patronnes (art. 3). La corporation régionale détient un droit de juridiction qui l’autorise à juger les délinquants du métier (art. 7 & 12). Le règlement est signé par 21 tanneurs (AM Thann, HH 3).

Hormis cette corporation régionale, il existait un groupement de mégissiers à l’échelle du Saint‑Empire, auquel les mégissiers d’Alsace étaient affiliés (depuis le début du XVIe siècle). Ils se réunissaient à Francfort au moment des foires annuelles de printemps et d’automne. Lors de ces assemblées siégeait notamment un tribunal composé de maîtres et de quatre compagnons, qui jugeait des conflits de la profession (Bücher et Schmidt).

Des conflits récurrents ont émaillé les relations entre tanneurs et cordonniers, comme l’atteste le règlement pris au XVe siècle (ci-dessus). À Colmar, les deux métiers figurent dans la même corporation, Zum Wohlleben, chacun d’eux travaillant séparément. À Strasbourg, les deux métiers se querellant violemment, le Conseil rend une décision au sujet des cierges et des enterrements de chacun des métiers (15 juin 1339). Dorénavant, chacun d’eux détiendra en propre ses quatre cierges (la corporation en fournissait 8 auparavant). Ceux des cordonniers éclaireront l’intérieur de la cathédrale, ceux des tanneurs la crypte, et chacun des métiers devra se procurer les fonds nécessaires à leur fourniture. Les morts seront enterrés séparément, les cordonniers ne se rendant plus aux enterrements des tanneurs et inversement. Par ailleurs, la part perçue par le Burggraf sur le montant de l’adhésion à la corporation lui sera versée par chacun des deux métiers et chacun d’eux conservera le surplus lui revenant. Les conflits internes à la profession continueront d’être jugés par le tribunal de la corporation, composé de huit membres (AMS, CH 1066).

Les compagnons tanneurs de Colmar, tant les Weissgerber que les Rotgerber, étaient réunis au sein d’une confrérie de piété commune. Le préambule des statuts indique qu’il s’agit de deux métiers différents et que la confrérie existait bien avant la mise par écrit de ses statuts, en 1470 (StadtA Freiburg im Breisgau, A1, VIe, Gerberzunft). Dédiée à Dieu, à sa mère Marie et aux Armées célestes, la confrérie avait son siège auprès des Franciscains de la ville, où elle possédait une sépulture pour les défunts. Les compagnons de Strasbourg disposaient également d’une confrérie établie auprès des Augustins (AMS CH 6435), dont les statuts datent de 1477.

Bibliographie

MEYER (Gilbert) et BRUNEL (Pierre), « L’archéologie médiévale à Colmar », Annuaire de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Colmar, Colmar, 1974-1975, p. 99-126.

BÜCHER (Karl), SCHMIDT (Benno), Frankfurter Amts- und Zunfturkunden bis zum Jahre 1612, t. II, (Veröffentlichungen der Historischer Kommission, 6), 1914‑1915, p. 429-432.

DEBUS KEHR (Monique), « Les tanneurs colmariens et leur quartier du Moyen Âge à nos jours »,Annuaire de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Colmar, 2011-2012, p. 75-104.

Notices connexes

Artisanat

Burggraf

Cordonniers

Corporation

Parcheminier

Pelletier

Monique Debus Kehr