Conseil souverain

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aussi appelé Conseil supérieur d’Alsace

Le Conseil souverain d’Alsace

La plus importante institution judiciaire de l’Alsace, à la fois chambre d’enregistrement des édits royaux et tribunal suprême de la province. Créé en 1657, le Conseil s’établit d’abord à Ensisheim de 1661 à 1681, puis dans la Ville de Paille surgie ex nihilo sur une île du Rhin près de Brisach de 1681 à 1698, enfin à Colmar de 1698 à 1790. Tous ses fonctionnaires sont obligatoirement catholiques selon l’adage « un roi, une loi, une foi ».

Le Conseil est présidé par un Premier Président (Claude Le Laboureur : 1682-1700 ; Nicolas Corberon père : 1700-1723 ; Nicolas Corberon fils : 1723-1747 ; Christophe de Klinglin : 1747-1768 ; François Henri de Boug : 1768-1776 et François Nicolas de Spon : 1776-1790). Il comprend deux chambres, la première présidée par le Premier Président et la seconde par le Second Président, vingt-deux conseillers, dont deux conseillers clercs habilités à juger en matière ecclésiastique, six conseillers d’honneur (v. Chevalier d’honneur) dont quatre d’épée et deux d’Eglise, deux greffiers en chef, un procureur général et deux avocats généraux, deux substituts, enfin près d’une soixantaine d’officiers subalternes allant des procureurs aux sergents.

Disons d’emblée que le Conseil souverain d’Alsace poursuit d’abord par le droit ce que le sabre n’apporte pas toujours, à savoir l’expansion de la monarchie française vers l’Est et l’intégration des nouvelles régions. Le cadre n’est pas simple, comme le relève François Burckard. Une Alsace morcelée à l’extrême devenue tout à coup province. Un ressort d’une grande complexité où les justices seigneuriales fonctionnent avec des usages et des régimes juridiques différents, des franges contestées surtout dans la partie septentrionale, un territoire où protestants et juifs, sans statut, constituent un tiers de justiciables.

Tout est ici plus compliqué qu’ailleurs parce que la monarchie française suit d’abord la politique formulée par Louvois : « Ne pas toucher aux usages de l’Alsace », alors que dans le même temps elle cherche à imposer ses usages. Il faut d’abord trouver des juristes. Ce sont des « Français de l’intérieur », dans l’ensemble Lorrains, vite confrontés à des difficultés quasi insurmontables. Il leur faut connaître les multiples usages locaux, le droit romain, les ordonnances et la jurisprudence françaises, juger à partir des procédures faites en allemand et prononcer des arrêts français. Cette barrière linguistique explique la présence intemporelle des secrétaires-interprètes et le recours à des magistrats locaux, Alsaciens ayant fait le choix du français et du droit pour s’élever socialement. Remarquons aussi l’impossibilité de recourir à la noblesse aux multiples quartiers par manque d’effectifs. Le Conseil souverain dispose par ailleurs d’une vaste compétence. Il homologue les règlements faits par les seigneurs et les statuts des corps d’arts et métiers. Il reçoit au nom du roi les devoirs féodaux des seigneurs possessionnés en Alsace. Il constitue parfois un tribunal en appel. La liste n’est pas close. Il joue encore le rôle de chambre des comptes, de table de marbre pour les affaires forestières, de présidiaux, bailliages, sénéchaussées royaux.

La création, puis l’installation du Conseil souverain d’Alsace à Colmar provoquent des conséquences multiples. Tout d’abord, insistons sur l’émergence d’une bourgeoisie catholique qui investit autant dans la robe que dans l’aube. Ces familles essaiment à Colmar et environs, mais aussi dans toute l’Alsace. Ensuite Colmar même se transforme. La ville luthérienne voit le catholicisme minoritaire devenir majoritaire et le français supplanter doucement l’allemand. Surtout Colmar devient l’épicentre de la région, plus que Strasbourg où réside rarement l’intendant et, bien sûr, plus que Mulhouse encore indépendante jusqu’en 1798.

Le Conseil souverain et le droit appliqué en Alsace

Les instructions de Colbert prescrivaient au Conseil « de suivre ce qui s’est pratiqué jusqu’à présent, c’est-à-dire le droit escrit, les coutumes locales aux lieux qui en ont des particulières et les ordonnances des archiducs prédécesseurs de SM ». Il reprenait, ce faisant, les formules de l’édit de création du Conseil. Cet édit faisait du Conseil l’instance d’appel de tous les tribunaux d’Alsace avec « le pouvoir de juger souverainement et en dernier ressort de toutes causes, civiles et criminelles audit pays de la haute et Basse-Alsace, Sundgau, préfecture des dix villes, Brisack » (édit de septembre 1657).

Le Conseil est juge de première instance pour la noblesse à l’exception de la noblesse de Basse-Alsace, et instance d’appel de tous tribunaux pour toutes causes dépassant une certaine somme (de 500 à 2 000 livres). Il contribue ainsi à unifier la jurisprudence dans la province et les présidents s’emploient à publier les Recueils de ses ordonnances et arrêts (Corberon, 1738, de Boug 1775). La compétence juridictionnelle est retirée aux seigneurs qui doivent confier cet exercice à des baillis gradués assortis de procureurs fiscaux pour porter l’accusation, l’appel étant réservé au Conseil souverain, auprès duquel les baillis, souvent avocats, prêtent serment. La tutelle de l’activité juridictionnelle des magistrats des villes est confiée à des prévôts royaux : tout un personnel administratif et judiciaire territorial, qui se rattache au Conseil souverain de la province, se constitue. Il en va de même pour les villes et les régences des princes : évêque de Strasbourg (Saverne), régence des Hanau-Lichtenberg à Bouxwiller.

Mais quel est le droit qu’appliquent ces tribunaux ? Il s’agit essentiellement au civil du droit romain, c’est-à-dire du Code Justinien, intégré dans la jurisprudence de la plupart des tribunaux des territoires de l’Alsace, mais pourtant exclu pour le droit matrimonial ou successoral, où s’appliquent des coutumes territoriales. Le président de Corberon prit l’initiative d’une enquête sur ces coutumes qui donne lieu à un Statutaire, qui reste cependant manuscrit (v. Coutume). Au commercial, le Conseil souverain introduit les règles du code de commerce de 1673, qui ne lui avait cependant pas été envoyé. Au criminel, l’ordonnance criminelle de 1670 est appliquée par le Conseil, qui impose un appel pour toutes les incriminations qui comporteraient, en vertu de la Caroline, des « peines corporelles ». Si la Caroline reste en vigueur dans la plupart des villes, en particulier à Strasbourg, elle est remplacée par l’ordonnance criminelle de 1670 dans les pays relevant directement du roi, et, sauf à Strasbourg, le Conseil fait appliquer l’ordonnance de 1667 sur la procédure civile.

Enfin, le Conseil souverain enregistre les édits et actes royaux pour les rendre exécutoires dans son ressort, pas tous cependant. L’édit portant révocation de l’édit de Nantes ne fut pas enregistré. D’autres édits sont appliqués sans être enregistrés, et pourtant publiés dans les Recueils des Ordonnances.

Enfin, développant sa doctrine de la souveraineté désormais limitée des princes, seigneurs et villes d’Alsace, le Conseil exige d’enregistrer les statuts et réglements édictés par eux. C’est le cas des règlements de corporations. Le droit seigneurial des corvées a également fait l’objet d’un important corps de réglementation, dans lequel le Conseil tient compte des droits acquis, tout en refusant la corvée illimitée, réservée au roi (v. Corvée).

Ainsi, le Conseil souverain assure, en respectant la coutume, quand elle n’était pas en contradiction avec l’autorité royale, l’unité d’une province conquise où se rencontrent deux cultures et plusieurs confessions.

Bibliographie

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Claude Muller, François Igersheim