Geistliche Festspiele

De DHIALSACE
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Littéralement parlant, l’expression geistliche Festspiele se traduit par « jeux spirituels » ou « jeux religieux ». On parlera plutôt en français de théâtre religieux, qui désigne des représentations dont l’argument se fonde sur les récits bibliques ou les légendes médiévales (vie de Marie, des saints, etc.).

Ce type de théâtre est issu de la liturgie médiévale, qu’il s’agisse des offices ou des processions. Dans le domaine germanique, le premier dialogue (trope) consigné par écrit semble provenir du moine Tutilo de l’abbaye de Saint-Gall, au début du Xe siècle : les trois Marie arrivant au tombeau sont questionnées par l’ange : « Quem quaeritis ? » - « Jesum Nazarenum » - « Non est hic », etc. Il s’agit donc du matin de Pâques et c’est de là que vont dériver les jeux de la Passion. C’est en effet de la même époque que date la cérémonie de mise au tombeau de la croix symbolisant le Christ, le vendredi saint après l’office : la croix était enveloppée d’un drap et portée « au tombeau », sans doute derrière l’autel. Dans la nuit avant Pâques, elle était enlevée, mais le drap était laissé. Puis un prêtre ou un moine qui jouait l’ange et trois autres clercs les saintes femmes dialoguaient ; on peut remarquer à ce propos que dans les illustrations d’antiphonaires des Xe et XIe siècles reproduites par Borcherdt 1935 (ill. 3,4 et 5, p. 9-11), les personnages sont clairement de sexe masculin, malgré le style peu réaliste de l’époque.

Jeux sacrés au Moyen Âge et leurs prolongements dans les débuts de l’époque moderne

La plus ancienne mention de cette cérémonie en Alsace date de 1200 (antiphonaire au British Museum), mais elle est sans doute déjà notée dans lesConsuetudines ecclesiasticae Argentinensis Ecclesiae de Baldolf, chantre de la cathédrale, en 1040, qui sont évoquées par Closener dans son Directorium chori (1364). Déjà à l’époque de ce dernier, la croix était remplacée par le Saint-Sacrement, ce qui est évidemment à mettre en relation avec la doctrine de la transsubstantiation adoptée au 4e concile du Latran (1215). Prenant des dimensions élargies, ce rituel se situait avant la messe de Pâques, non seulement dans la cathédrale, mais aussi dans les églises du diocèse où se trouvaient suffisamment de clercs pour camper les personnages. Encore le matin de Pâques, un jeu mettait en scène le Christ aux limbes dans lequel intervenait, en vain évidemment, Satan, qui deviendra une des « vedettes » des développements ultérieurs. On sait qu’il existait d’autres fêtes liturgiques « mises en scène », comme, par exemple, le dimanche des Rameaux. Par ailleurs se mettent en place des cycles de Noël qui reprennent en partie le questionnement évoqué ci-dessus, les deux sages-femmes qui, selon un évangile apocryphe, auraient aidé Jésus à naître reprenant les paroles de l’ange et demandant aux trois bergers qui ils cherchaient dans la crèche. Une illustration de l’Hortus deliciarum nous donne une idée de cette scène. S’y ajoutait également un jeu des rois-mages, donné à Strasbourg le jour de l’Epiphanie après les vêpres, et enfin un jeu du Massacre des innocents, dont Herrade critique les débordements et le tumulte qu’il engendrait dans l’espace ecclésial, car il ne faut pas oublier que ces jeux liturgiques en latin, sans doute joués de façon régulière jusqu’à la Réforme, restaient confinés dans cet espace.

En fait, il semble qu’on ait assisté entre le XIIe et le XIIIe siècle à des transformations de lieu et de langue. En effet, on sait que l’église de Haguenau bâtie à partir de 1153 sur l’ordre de Frédéric Barberousse pour abriter de supposées reliques de la couronne, de la lance et des clous de la Passion, fut le théâtre de « Komödien » (terme qui a longtemps désigné de façon générique des représentations théâtrales) destinées à édifier le peuple. Comme elles prenaient de plus en plus d’ampleur, elles furent transférées sur la place publique et écrites en langue vernaculaire, sans doute dès le XIIIe siècle. L’évolution fut la même ailleurs. À partir de la deuxième moitié du XVe siècle, la gestuelle se libère progressivement de la rhétorique des rituels ecclésiaux et se veut plus « réaliste », les expressions corporelles devant traduire ce qui se passe dans l’esprit des personnages, même si les aspects symboliques restent importants. Si ces pièces étaient jouées en partie par des laïcs, le clergé gardait la haute main sur le texte et la mise en scène ; au XVe siècle apparaissent des acteurs professionnels, souvent regroupés en confréries, mais les amateurs restent les plus nombreux. On peut citer, par exemple, des jeux de Noël donnés à Colmar en 1462 par des habitants de Rouffach, Pfaffenheim et Eguisheim.

On a malheureusement assez peu d’archives à ce sujet en Alsace, mais la première mention d’un jeu de la Passion donné le jour de Pâques et les trois jours suivants à Strasbourg sur une scène en bois érigée sur le Rossmarkt (actuelle Place Broglie), devant une foule nombreuse, date de 1488. Les mêmes représentations, mais dans une version remaniée par Sebastian Brant, ont eu lieu en 1512 et ensuite probablement tous les ans jusqu’en 1518 inclus. La durée de ces représentations impliquait, d’une part, un nombre très important de participants, uniquement masculins, les rôles féminins étant tenus par des jeunes gens, et, d’autre part, une action certes centrée sur le sacrifice du Christ, mais qui s’étendait généralement du péché originel au Jugement dernier. Des intermèdes comiques mettaient en scène les « méchants », Satan évidemment, mais aussi les juifs, « coupables » de n’avoir pas reconnu le Sauveur ; en cela, ces jeux étaient aussi des facteurs de haine et d’exclusion. Ces jeux de la Passion, comme ceux liés à Noël, étaient évidemment donnés dans diverses autres villes ; on peut citer, par exemple, une représentation du jeu de la Passion à Guebwiller en 1520, à Colmar en 1515, en 1531, et encore en 1534 des bourgeois de la même ville demandent au Magistrat l’autorisation de le jouer. On peut penser aussi que l’existence d’une confrérie de la Passion attestée depuis 1505 à Haguenau signifie qu’elle mettait aussi ce genre de jeux en scène. Des tableaux et surtout des gravures nous donnent une idée de la mise en place et des décors de ces pièces ; ainsi Borcherdt (1935, p. 19), rapproche-t-il judicieusement une gravure, due à Heinrich Vogtherr l’Ancien, dans le Nouveau Testament édité à Strasbourg par Grüninger en 1527 et représentant des scènes de la Passion, du plan de la passion de Donaueschingen, du début du XVIe siècle (ibid. p. 17).

Signalons encore d’autres représentations du même type sur des sujets religieux : à Strasbourg, la confrérie de la Passion donne une Suzanne et une Jérusalem dans les premières années du XVIe siècle, sans qu’on ait de détails à ce sujet ; en 1507, un groupe de bourgeois présente un Saint Georges sur le Kornmarkt. Mais ces jeux sacrés ont visiblement été également pratiqués par des villageois : des habitants d’Eguisheim donnent une représentation d’une pièce non précisée à Colmar en 1503 et ceux de Guémar jouent un Fils prodigue dans la même ville en 1519 ; il y a certainement eu bien plus de ces jeux que ne le relatent les sources.

En ce qui concerne maintenant les processions, on sait que celle de la Fête-Dieu à Strasbourg en 1517 et 1520 comportait des interludes dramatiques ; là encore, la pratique devait être assez courante. Si elles disparaissent entièrement en pays protestant, ces processions-spectacles continuent à prospérer dans les régions catholiques. Il n’est pas étonnant que ce soient les jésuites, par ailleurs promoteurs du théâtre religieux scolaire, qui aient été les animateurs de deux grandes processions qui attirèrent jusqu’au XVIIIe siècle de nombreux spectateurs, y compris des protestants, celles du vendredi saint à Molsheim et du dimanche des Rameaux à Sélestat. Ce n’est que le rituel du cardinal de Rohan de 1772 qui mit fin à ces « jeux processionnaires » qui n’étaient plus dans l’air du temps.

Les drames bibliques du XVIe siècle

À la fin du XVe et au début du XVIe siècle, sous l’influence de l’humanisme, les pièces de Térence et de Plaute sont éditées à Strasbourg et certains auteurs contemporains (Reuchlin, Wimpheling, Brant avec un Hercules am Scheideweg (Hercule à la croisée des chemins) écrivent des pièces en latin pour un public lettré, sans que l’on ait beaucoup d’indications sur d’éventuelles mises en scène. Ce nouveau genre s’adressait évidemment à un public lettré, peu nombreux, ce qui explique la survie du théâtre religieux traditionnel jusqu’à l’époque de la Réforme et au-delà, dans les régions restées catholiques.

Après le passage de Strasbourg à la Réforme, Otto Brunfels, humaniste et directeur d’une école latine, faisait jouer par ses élèves des pièces en latin ouvertes au public, selon ce qu’il en écrit dans sa Catechesis puerorum in fide, in litteris et in moribus (Strasbourg, 1529). On ne sait pas s’il s’agissait d’auteurs de l’Antiquité ou de pièces bibliques. D’une façon générale, il est assez difficile de savoir quelles pièces étaient réservées au public scolaire, qui comprenait évidemment les enseignants, et celles qui étaient jouées devant un public élargi, au moins jusque dans les années 1570. En tout cas, il a pu y avoir, outre celle de Brunfels, d’autres écoles à Strasbourg ou ailleurs mettant des pièces en scène, mais on n’a de renseignements relativement précis qu’en ce qui concerne le Gymnase de Strasbourg, ouvert en 1538 et dirigée par Johann Sturm. L’inauguration fut marquée par la représentation, le 15 mai 1538, d’Anabion, sive Lazarus redivivus (on remarquera le double titre grec et latin) de Johannes Sapidus, ancien directeur de l’école humaniste de Sélestat, devenu praeceptor de la 4e classe. Le fait qu’en 1549 encore soit donnée Nabal, une pièce du théologien zurichois Rudolf Walther (ou Gwalther), gendre de Zwingli, montre que Sturm, comme la première génération des réformateurs strasbourgeois, gardait ses distances vis-à-vis de la mainmise progressive des luthériens. Plus généralement, il y a certainement eu plus souvent des représentations de pièces antiques, principalement de Térence, mais aussi d’Eschyle ou de Sophocle, que de théâtre d’inspiration biblique, même si on relève des titres tels que Suzanne, Joseph ou Samson, qui devaient être des sortes de prédications mises en scène. La volonté pédagogique et morale est évidente dans les deux cas ; toujours est-il que, dans ses Epistolae classicae de 1565, qui présentent un programme de renouvellement de l’enseignement, Sturm recommande chaudement de travailler sur des pièces antiques latines ou grecques. On note cependant la représentation, le 2 janvier 1576, d’un drame en latin, Messias in praesepi (Le Messie dans la crèche), de l’auteur silésien Georg Calaminus (i. e. Roehrig), qui sera suivi dans la dernière décade du XVIe et les deux premières du XVIIe siècle de pièces qui tirent leur argument de l’Ancien Testament (Esther, Jeremias, Simson,Conflagratio Sodomae, etc.), écrites par des auteurs luthériens.

Si ces pièces restent généralement écrites en latin, on note qu’au moins depuis les années 1560, l’habitude est prise d’ajouter des prologues, résumés, conclusions et même des interludes comiques en langue vernaculaire à destination d’un public élargi composé surtout de notables de la ville et d’invités étrangers. Pour accueillir ce public, la seconde cour du Gymnase fut appelée Theatrum (on la voit bien sur des plans contemporains) et des galeries furent aménagées. Tout cela s’arrêtera en 1621, après la représentation de Moses sive exitus Israelitarum ex Aegypto, du professeur Caspar Brulow, donnée pour l’accession du Gymnase, devenu Académie en 1566, au rang d’université. La guerre de Trente Ans débutait, l’argent manquait et on avait d’autres soucis…

Il faut cependant noter que des drames bibliques ont aussi été écrits et représentés du côté catholique, notamment à Colmar, où la Réforme n’a triomphé qu’en 1575. En 1549, des habitants d’Ingersheim y donnent un Lazare, et le poète lyrique Jörg Wickram y fait jouer en 1540 un Fils prodigue et un Tobie en 1550, rejoué d’ailleurs à Strasbourg, dans une version écourtée. Enfin l’histoire de saint Jean-Baptiste est jouée en 1573 par 150 bourgeois de la ville sur une scène érigée devant l’église Saint-Martin. À Sélestat, on donne en 1540 un Joseph, de Thiebolt Gart. Enfin à Ensisheim, le curé Johann Rasser écrivit plusieurs drames sacrés, par exemple en 1575 Vom König, der seinem Sohne Hochzeit macht, en 15 actes (sic !), joués trois jours de suite par 162 personnes et qui mêlait personnages sacrés et profanes et figures allégoriques. Là encore, la guerre a visiblement mis fin à cette effervescence populaire, même si dans les collèges jésuites, la tradition fut continuée jusqu’au XVIIIe siècle.

Bibliographie

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CRÜGER (Johannes), « Zur Strassburger Schulkomödie », Lehrerschaft des protestantischen Gymnasium (éd.), Festschrift zur Feier des 350 jährigen Bestehens des protestantischen Gymnasiums zu Strassburg, Strasbourg, 1888, p. 305-30-54.

JUNDT (August), Die dramatischen Aufführungen im Gymnasium zu Strassburg. Ein Beitrag zur Geschichte des Schuldramas im 16. und 17. Jahrhundert, Strasbourg, 1881.

LEFFTZ (Joseph), Die Gelehrten und literarischen Gesellschaften im Elssas vor 1870, Colmar, 1931.

SCHLAEFLI (Louis), «La procession du Vendredi saint à Molsheim du temps des Jésuites», SHAME, 1980, p. 55-68.

SIG (Ludwig), Das geistliche Schausspiel im Elsass. Ein Beitrag zur Geschichte des mittelalterlichen Theaters, Strasbourg, 1906.

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VOGELEIS (Martin), Quellen und Bausteine zu einer Geschichte der Musik und des Theaters im Elsass 500-1800, Strasbourg, 1911 (repr. Genève 1979).

Notices connexes

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