Danse

De DHIALSACE
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Danz, Tanz

Etudiée par les folkloristes sous l’angle des traditions populaires, à partir d’observations de terrain, la danse échappe en grande partie aux historiens, y compris aux musicologues, parce qu’elle ne produit pas de mémoire écrite. Elle est, par excellence, une activité récréative partagée, fugace, insaisissable dans la durée, soumise aux aléas du temps et de la mode.

L’opposition entre une chorégraphie savante, réservée aux groupes dominants, et des pratiques populaires, jugées plus rustiques, mérite sans doute d’être nuancée. Les bals organisés à l‘occasion de fêtes, notamment des mariages, peuvent transcender les contrastes sociaux. Les occurrences les plus anciennes remontent au XIIe siècle, dans l’iconographie – une miniature du Hortus Deliciarum représente les Hébreux dansant autour du veau d’or – et s’exposent généralement sur le mode négatif. Le thème de la danse macabre, diffusé au XVe et au début du XVIe siècle, illustre la vanité de la chose. A l’instar de Geiler de Kaysersberg ou de Sébastien Brant, prédicateurs et moralistes en font une condamnation sans appel : le chapitre 71 de La Nef des Fous (1494) explique que « la danse est née avec le péché ».

La promiscuité des hommes et des femmes est le leitmotiv des autorités religieuses qui y voient un signe de dépravation. Cette interprétation a cours aussi bien avant qu’après la Réforme. Un rapport de 1580 décrit Strasbourg comme une « Petite Venise » virtuelle, c’est-à-dire un lieu de débauche généralisée.

En réalité, on connaît mal la nature de ces divertissements. Dans son adaptation de Gargantua (1575), Fischart évoque le Kocherspergerdantz, qui correspondrait au « ventre contre ventre » de Rabelais, sans qu’on puisse dire s’il s’agit d’une métaphore. A la même date (1568), à Masevaux, les invités d’un mariage (nobles et roturiers) passent des danses françaises aux allemandes, et inversement, ce qui suggère une assez grande variété. En 1548, Lazare de Schwendi avait mis par écrit les pas des danses appelées « fugott, pavane, bransle et pissepot », précisant, en français, en « ung sault, les dames ung sault, les hommes troy saults, les fames 3 saults et tout recommencer ». Les sources littéraires et les images (Dürer, la gravure d’illustration strasbourgeoise, etc.) suggèrent une forte présence de ces pratiques au moment de la Renaissance, puis, sous une forme renouvelée, au cours du XVIIIe siècle. L’existence de garnisons nombreuses contribue alors à leur essor, notamment à Strasbourg.

Le caractère festif de ces manifestations correspond, au départ, à un calendrier déterminé : les temps forts sont le carnaval, le printemps, après Pâques, la Pentecôte, les fêtes de dédicace des églises (Kirchweih, Kirchweihe, kerwà, kilbe, messti), parfois même à l’interface de célébrations religieuses et d’occasions profanes (solstice d’été, « mai », fête des Bergers de la Froideval, près de Belfort, assemblées de ménétriers à Ribeauvillé ou ailleurs, etc.). Les mariages (qui ont lieu en dehors du carême et des grandes fêtes religieuses) donnent lieu à ces mêmes réjouissances.

Les lieux voués à la danse peuvent être des salles de réunion : poêles de corporations, herrenstuben – il est possible que le vaste local mis au jour lors des fouilles dela Droguerie du Serpent, reconstruit après l’incendie de Strasbourg en 1298 ait servi à cet usage –, caveaux municipaux (Ratskeller), ou des espaces ouverts, en plein air, places publiques ombragées, pistes aménagées à cet effet. Le toponyme « tanzmatten », à Sélestat (tanzematte, 1362) ou à Buschwiller dans le Sundgau, peut correspondre à cela. Les auberges ou les cabarets offrent d’autres possibilités. Au XVIIIe siècle, la périphérie de Strasbourg dispose d’installations de cette nature, notamment à Schiltigheim, renommée pour ses débits de boisson (« aller à Schilken » veut dire « s’amuser ») et sur l’esplanade des arquebusiers (Contades, improprement appelé Ruprechtsau), où s’élève l’Arbre Verd, un établissement de plaisir construit autour d’un chêne gigantesque, réputé pour être le lieu de rencontre des soldats et des jeunes femmes de la ville, considéré comme l’une des grandes attractions de celle-ci (récits de M. de Pezay en 1771 : « c’est là que la saine tolérance réunit Luther et Calvin dans un même branle avec les jolies chrétiennes apostoliques », ou de l’abbé Grégoire dans son ouvrage sur les arbres de la Liberté, en 1796.)

La réglementation relative aux danses relève aussi bien des instances religieuses que du pouvoir politique. Pour les premières, il s’agit de mettre fin aux abus supposés, à l’indécence et à la distraction qu’elles suscitent pour le chrétien. Aussi, le pasteur en charge de la cathédrale de Strasbourg, qui dénonce l’influence nocive des guinguettes de Schiltigheim, considère, au début du XVIIe siècle que « sauter en dansant, c’est sauter dans les profondeurs de l’enfer ». La Kirchenordnung strasbourgeoise de 1598 recommande la proscription, par les inspecteurs ecclésiastiques, des danses inconvenantes « unzuchtiges Tantzen bei hochzeiten oder sonst an andern orthen und zeiten », et le consistoire du Hanau-Lichtenberg en fait toujours ainsi au XVIIIe siècle, notamment en 1713 et en 1733. La Sabbathordnung de ce territoire (1737) confirme l’interdiction des bals le dimanche et lors des grandes fêtes, en particulier entre le début de l’Avent et l’Epiphanie, pendant le carême, y compris le lundi de Pâques et, au-delà de cette date, celui de la Pentecôte. A Colmar, en 1668, une Hochzeitsordnung tolère les danses « honorables et décentes » jusqu’à six heures du soir entre la Saint-Michel et Pâques, c’est-à-dire quand les journées sont courtes.

Pour les autorités civiles, la discipline des âmes va de pair avec le maintien de l’ordre public et des considérations économiques. La grande ordonnance de police introduite en 1512 dans le bailliage de Schirmeck revient évidemment sur l’incompatibilité des fêtes liturgiques et des plaisirs profanes. A Sélestat, en 1521, on met fin à l’exemption de l’umgeld dont bénéficiaient les corporations de la ville quand elles organisaient des « danses de carnaval » (fassnachtdentzen). La réglementation se durcit après la guerre des Paysans : les rassemblements – kilbes, fêtes populaires diverses – sont défendus, l’usage d’instruments de musique, réglementé, et les bals interdits (avant d’être à nouveau permis quelques années plus tard). Une étude de la législation (et de ses infractions) reste à faire, notamment à l’échelle des grandes villes et des mesures prises en commun au sein des États d’Alsace (ordonnances de police, 1553).

Bibliographie

KASSEL (August), Messti und Kirwe im Elsass, Strasbourg, 1908.

WALDNER (Eugen), « Die Hochzeitsordnungen », Annuaire de la Société littéraire de Colmar, 1935, p. 95-99.

BUSENMEYER (Hertwig), Das Königreich der Spielleute. Organisation und Lebenssituation elsässischer Spielleute zwischen Spätmittelalter und Französischer Revolution, Reichelsheim, Verlag der Spielleute, 2003.  

 

Notices connexes

Carnaval

Danse de Saint-Guy

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Dimanche (Sanctification du, travail du)

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