Munster

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Seigneurie abbatiale

Origine d’un patrimoine

Première abbaye du versant alsacien des Vosges, fondée vers  660 au confluent de la grande et de la petite vallée de la Fecht, d’où son premier nom de Confluens, sa désignation éponyme de Monasterium ou Moutier (en français dans les documents lorrains) et son vocable précoce de Saint-Grégoire, Munster perdure jusqu’à la Révolution française en illustrant toutes les grandes phases de l’histoire monastique de l’Alsace : une tradition irlandaise revendiquée, le passage à la règle bénédictine, une richesse temporelle convoitée par les laïcs, l’émancipation de ses sujets, les tensions de la Réforme, plusieurs phases de déclin et de relèvement pour finir par un dernier apogée sous la tutelle de la congrégation lorraine de Saint-Vanne et Saint-Hydulphe.  

Situé presque exclusivement en moyenne Alsace, son patrimoine a été constitué au haut Moyen Âge, avec l’appui des ducs d’Alsace, Boniface d’abord, puis la famille des Etichonides, comme Bodal, petit-fils d’Adalric, qui lui fait don du domaine d’Heidolsheim en 748. Ses points forts sont des cours seigneuriales, notamment les dinghöfe de Munster et de Turckheim et la propriété de la vallée environnante. Louis le Pieux et ses successeurs directs lui accordent l’immunité (826).  

Une avouerie impériale

Au XIIe siècle et au XIIIe siècle, le contrôle de ces richesses stimule les appétits des principales puissances de la région, les Hohenstaufen et l’évêque de Bâle. Les droits d’avouerie des premiers se traduisent par la mainmise d’Otton de Bourgogne, fils cadet de Frédéric Barberousse (1192), puis par l’intervention de Frédéric II, qui se réserve la haute justice et confirme la protection de l’Empire (1235).  

Le Grand Interrègne réveille brièvement les prétentions de l’évêque, fort d’une bulle de 1146 lui reconnaissant la juridiction de l’abbaye, au moment même où son homologue strasbourgeois Walter de Geroldseck échoue à lui imposer sa domination en construisant le château de la Schwartzenbourg (1261).  

La charte de franchise de 1287

Le statu quo rétabli par le roi Rodolphe Ier profite aux bourgeois de la ville et du val qui obtiennent leurs franchises en 1287 tout en garantissant les prérogatives de l’abbaye (« in aller der friheit, rehte unde gewonheit »). Il s’ensuit une coexistence difficile avec les habitants, qui considèrent l’Empereur comme leur Landesfürst et se prévalent de leur appartenance à la Décapole. La chronologie de leurs rapports donne lieu à une douzaine de longs procès entre la fin du Moyen Âge et la Révolution française, malgré (ou à cause de) l’accommodement du « Traité de Marquart » conclu en 1339 avec l’abbé de ce nom.  

Et les droits de l’abbé

Le chef de maison religieuse conserve sa tutelle sur l’église paroissiale, a accès au conseil de la communauté, continue à désigner le schultheiss dont il perçoit les deux-tiers des amendes, les sergents et le responsable des poids et mesures, et se voit confirmer son autorité sur le ban dans les limites du bassin de la Fecht : il reste maître de la forêt, d’une partie des eaux courantes, de la chasse, ordonne des corvées et nomme les agents chargés de faire respecter ses droits. Réparti en trois grands moments (Noël, Pâques et la Pentecôte), son banvin lui permet d’écouler le produit de ses caves.  

Fronhof de Munster et Dinghof de Turckheim

L’abbé demeure seigneur foncier : son fronhof de Munster continue à fonctionner de la même manière que le dinghof de Turckheim (dont le Weistum est consigné en 1422). Il exerce une juridiction spéciale sur un groupe de dépendants appelés les « hommes francs ou les censitaires de l’abbaye » (des gotzhuses frige lüte, des gotzhuses zinsgeltige lüte) qui suivent la condition de leur mère, n’ont pas le droit de déménager sans l’autorisation de leur seigneur et sont astreints à la mainmorte : cet archaïsme subsiste jusqu’au début du XVIIe siècle.  

L’abbé co-seigneur de Turckheim

À Turckheim, le passage de la communauté d’habitants sous la houlette de l’Empire s’effectue d’une manière différente : le diplôme d’Henri VII qui lui donne les mêmes privilèges que les bourgeois de Colmar (1312) porte une clause préservant les intérêts de l’abbaye. L’arbitrage qui le suit en 1315 consolide la seigneurie foncière de l’abbé et lui laisse une certaine prééminence sur la cité, dans des modalités qui annoncent le traité de Marquart mais ne suscitent pas les mêmes conflits. «  Coseigneur » de Turckheim, le prélat y joue davantage un rôle de protecteur ou de médiateur, comme c’est le cas lors de la guerre qui oppose la Décapole et le comte de Lupfen en 1465.  

Les prétentions d’une abbaye immédiate

À Munster même, que l’abbé Burcard Nagel décrit, vers 1535 comme un « hospice de la noblesse », la cohabitation s’avère d’autant plus rude que les moines, peu nombreux – une douzaine au XIVe siècle –, cultivent une idée surdimensionnée de la grandeur de leur monastère. L’immédiateté de ce dernier se déduit de sa présence sur la matricule d’Empire de 1521, pour la contribution modeste d’un cavalier et de quatre fantassins, bien que l’abbé n’ait jamais pris part au Reichstag et ne porte pas le titre de prince. Elle se situe dans une zone grise, puisqu’elle relève de la compétence de la Chambre impériale de justice, qu’elle se réclame, furtivement, de ses regalia pour concéder des filons miniers et qu’elle s’inscrit dans l’organisation féodale en donnant des fiefs à des familles de vassaux. Les traités de Munster en Westphalie (1648) et de Nimègue (1680) la mentionnent comme une entité territoriale, à même enseigne que Murbach et Andlau. La fiction est entretenue par une tradition inventée ou réactivée à la fin du XVe siècle selon laquelle le roi Dagobert aurait légué sa couronne à l’abbaye : on possède un dessin du gisant de l’abbé Christophe de Montjustin († 1514) coiffé de ce couvre-chef décrit au milieu du XVIIe siècle et conservé jusqu’au XVIIIe siècle. Il est possible que cette mise en scène infondée et anachronique ait servi à étayer les revendications de l’abbaye face à la communauté de la Ville et du Val – et qu’elle ait pu encourager l’adoption de la réforme protestante par les Munstériens. Ce bras de fer politique s’achève par l’émancipation définitive de ces derniers lors du traité de Kientzheim, le 19 mai 1575.  

Bibliographie

BISCHOFF (Georges), « Autorité seigneuriale et liberté à Munster au Moyen Âge : le Traité de Marquard (1339) », Annuaire de la Société d’Histoire du Val et de la Ville de Munster, 2006, p. 21-61, 2008, p. 13-56, 2011, p. 13-20. 

BORNERT, Monastères (2009).  

L’abbaye bénédictine Saint Grégoire de Munster, sous la dir. de MULLER (Claude), Eckbolsheim, 2012.

Georges Bischoff

Munster Ville et Val

Ville impériale depuis la fin du XIIIe siècle, Munster dispose d’un statut original qui préserve les prérogatives de l’abbaye éponyme et s’étend aux neuf villages du Val qui lui sont associés sous l’appellation Münster, stadt und thal : dans la Grande Vallée, Sondernach, Metzeral, Muhlbach et Breitenbach ; dans la petite vallée, Soultzeren et Stosswihr et, à proximité de la ville, Luttenbach, Hohrod et Eschbach. Cette situation procède de l’avouerie exercée par les Hohenstaufen depuis la fin du XIIe siècle, et particulièrement du diplôme par lequel Frédéric II s’accapare les deux tiers de la justice en 1235. L’autonomie des bourgeois est reconnue par Rodolphe Ier en 1287 : le représentant du souverain est le vogt, généralement traduit par prévôt, ultérieurement (1348) choisi parmi les bourgeois, en tant que lieutenant (untervogt) du reichsvogt (ou reichsschultheis) de Kaysersberg.  

Les institutions et leur fondement

Le conseil est composé de 16 membres à vie, neuf pour la ville, dont trois sont désignés par l’abbé, et sept (qualifiés de schultheissen au XVIIIe siècle) pour les villages. Présidé par le prévôt, il est dirigé par deux burgermeister, renouvelés annuellement, en janvier, vingt jours après Noël, en présence du reichsvogt de Kaysersberg puis du prêteur royal. Avant la Réforme, le renouvellement de ces derniers a lieu en janvier, à l’abbaye : le burgermeister désigné par l’abbé parmi ses trois représentants étant également appelé stettmeister.  

Le serment avait lieu dans la foulée, le prévôt et l’abbé d’abord, puis le conseil, et, enfin, les bourgeois. Pendant le premier semestre, les fonctions judiciaires du conseil sont exercées par huit conseillers, quatre des villages, et quatre de Munster même, dont un pour le compte de l’abbé ; au deuxième semestre elles reviennent à leurs collègues.  

La charte de 1287 associe der rat und die gemeinde alle von dem vorgenantem tal au bailli impérial, sans distinguer la ville et les villages, comme l’indique également son sceau S[IGILLUM]. COMMVNITATIS VALLIS S[AN]C[T]I GREGORII, qui reprend les armoiries parlantes de l’abbaye, une église vue de face. En 1339, l’accord conclu avec l’abbé Marquart impose la formule der rat und die gemeinde der stat und des tals ze Münster. Ultérieurement, l’empreinte sigillaire porte les mots SIGILLUM CIVITATIS MONASTERIENSIS ou SIGILLUM IMP. CIVITATIS MONASTERIENSIS IN VALLE S. GREGORII (sur sa version datée de 1576).  

La halle de la Laube, (re)construite en 1503 et déplacée en 1867-1869 pour faire place à l’église protestante actuelle abritait les séances du tribunal jusqu’à la construction de l’hôtel de ville en 1550.  

L’appartenance à la Décapole

Bénéficiant des mêmes droits que Sélestat et Colmar, confirmés par Charles IV en 1354, Munster fait partie du domaine impérial et, à ce titre, est directement impliquée dans les événements qui le concernent, prenant vraisemblablement le parti des « rouges », favorables aux Habsbourg en lutte contre Louis de Bavière vers 1329-1330. Engagée par ce dernier au roi Jean de Bohème, en même temps de Kaysersberg et Turckheim, en 1330, elle se solidarise avec les autres villes impériales pour obtenir son retour dans le giron de l’empereur et la garantie de ne plus être hypothéquées par ce dernier. Les alliances de 1336, 1338 et 1342 préfigurent la ligue des dix richstetten connue sous le nom de Décapole, fondée en 1354. Elle participe à l’effort militaire de celles-ci (4 gleven sur 40 en 1389) et à l’impôt dû au souverain, dans les mêmes proportions. La matricule impériale de 1663 la taxe à raison de 12 piétons ou 48 florins (60 en 1521, 44 en 1532 sous la désignation inexacte de Münster inn S. Joergenthal).  

Une identité forte

L’identité de la ville et du val procède de leur situation géographique à l’intérieur du massif vosgien. Elle s’est construite contre l’autorité de l’abbé, donnant lieu à de nombreuses confrontations (1363, 1416, 1549…) et à des ajustements validés par des accords dont les plus fameux sont le Traité de Marquart (1339), conclu avec le prélat de ce nom et le Traité de Kientzheim (1575), qui reconnaît leur passage au luthéranisme, grâce à la médiation de Lazare de Schwendi.  

La comparaison avec les cantons montagnards suisses n’est pas dépourvue de fondements. À la fin du Moyen Âge, les Munstériens exercent leur hégémonie sur les hautes Chaumes des Vosges amodiées par le duc de Lorraine et l’abbesse de Remiremont. Leur indépendance s’incarne dans les murailles de la ville (démantelées sous la domination française) et dans plusieurs épisodes guerriers, comme le raid mené sur les terres de Saint-Dié en 1352, l’affaire de Turckheim (1465-1467) ou d’autres opérations militaires. À côté des trois foires annuelles qui se tiennent à Munster, les habitants se targuent du privilège, reconnu par Maximilien (1507), de ne pas accueillir de Juifs.  

Les amitiés décapolitaines de la ville et du val, et leurs affinités confessionnelles avec Strasbourg, ancrent ce particularisme dans un réseau régional.  

Sous la domination française

Celui-ci est mis à mal par la domination française, qui s’appuie sur l’abbaye bénédictine et introduit la parité entre catholiques et protestants au sein du conseil (1680), désormais présidé par un prévôt royal et impose le simultaneum dans les paroisses de la vallée.  

Difficilement arbitrés par l’intendant de la Province d’Alsace, les conflits relatifs à la dîme, aux communaux et aux forêts ne seront réglés qu’à la Révolution. Les troubles avaient atteint leur paroxysme entre 1774 et 1777, à la suite d’une réorganisation institutionnelle marquée par le dédoublement des burgermeister associés à deux autres bourgeois au sein d’un nouveau magistrat et la formation de quatre tribus obligatoires (laboureurs, maréchaux, boulangers, tailleurs). Pour les contrevenants, le refus de prêter serment à ces nouvelles dispositions s’était soldé par de lourdes amendes, par la perte du droit de bourgeoisie et par le logement, à Soultzeren, Stosswihr, Luttenbach et Hohrod de deux bataillons dépêchés depuis Strasbourg.  

Fort de sa souveraineté, et tout en cherchant à soutenir l’abbé, le pouvoir royal n’avait pas donné suite aux offres de reprise des droits seigneuriaux de l’abbaye formulés en 1774.  

Bibliographie

SCHOEPFLIN (trad. RAVENEZ L-W), L’Alsace illustrée, V, Mulhoue 1852 - réimp. 1974, p. 278-289.  

METZ (Bernhard), « Essai sur la hiérarchie des villes médiévales d’Alsace (1250-1350) », RA, t. 134, 2008.  

VOGLER (Bernard) (dir.), La Décapole. Dix villes d’Alsace alliées pour leurs libertés 1354-1679, Strasbourg, La Nuée Bleue, 2009.  

MULLER (Claude) (dir.),L’abbaye bénédictine Saint Grégoire de Munster, Eckbolsheim, 2012 en part : FELLMANN (Vincent), «Le traité de Kientzheim de 1575 : l’apogée des tensions entre l’abbaye et la Communauté d’habitants de Munster », p. 91-117 ; LESER (Gérard), « L’abbaye bénedictine de Saint-Grégoire de Munster et les relations difficiles avec les Protestants de la ville et vallée du XVIe à la Révolution », p. 131-147 ; FEUERSTOSS (Valérie), «Conflits d’autorité aux XVIIe et XVIIIe siècles dans la ville et la vallée de Munster entre l’abbaye, le Magistrat, les habitants et la Monarchie », p. 159-177.  

Notices connexes

Abbaye ;  Alternative ;  Archives ;  Articles organiques des cultes protestants ;  Auberge ;  Avocat  

Ban (limites du);   Bergbau (mines) ;  Bibliothèques ;  Bois ;  Bund (alliance)  

Catéchisme (protestant) ;  Chapitre ;  Chasse ;  Chaume ;  Chaussées ;  Coutume ;  Cloches ;  Congrégation bénédictine ;  Corvées ;  Couvent  

Déboisement ;  Décapole ;  Dinghof ; Droit de l’Alsace  

Eigenleute ;  Einnehmer  ; Émigration ;  Empire (ville de) ;  États de l’Alsace-Elsässische Landstände  

Feuerordnung ;  Fischweide ;  Flottage ;  Foires (Munster)  ; Forêt ;  Formariage (statut servile Munster) ;  Franchises urbaines ;  Fromage  

Garnison française  

Hof-Cour féodale ;  Hôpital ;  Hôpital militaire  

Images-scriptoria ;  Immédiateté ;  Incendie de forêt ;  Industrie ;  Investiture de fief  

J'ude-Juif (communauté) ;  Justice et institutions judiciaires  

Kaufhaus ;  Kayersberg siège du bailliage impérial ;  Kirchengesang (Munster foyer du chant grégorien) ;  Kirchenordnung (ordonnance ecclésiastique de Munster)  

Landsrettung  ; Lorraine (congrégation de Saint-Vanne et Saint-Hydulphe) ;  Lustgarten (famille Hartmann)

Georges Bischoff