Coutume

De DHIALSACE
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Consuetudo, Freiheit, Gebrauch, Gewohnheitsrecht, Weistum

Définition en droit positif

A l’article « coutume » rédigé en 1787, – il fait partie du manuscrit de sa lettre C qui ne sera pas publiée (ABR 34 J 31) –, Horrer cite le « Code municipal d’Alsace ou recueil des statuts des villes, us et coutumes locales des différents lieux de cette province » établi par l’enquête du Président du Conseil souverain Corberon. La version manuscrite de ce Code était donc connue et accessible à l’érudit : elle était déjà précédée de la lettre sur les coutumes de l’Alsace, d’avril 1738, due à l’avocat au Conseil souverain Bruges. Avocat au Conseil souverain lui-même, puis bailli, Horrer définit les coutumes alsaciennes comme suit :

« L’Alsace, quoique pays de droit écrit, a ses coutumes particulières dans lesquelles elle a été maintenue jusqu’à présent. Ses coutumes sont fondées sur l’usage ou établies par des statuts municipaux ; il n’est point de ville impériale en cette province qui ne se soit dotée de statuts lorsqu’ils étaient Etats d’Empire, mais ces statuts sont peu connus n’ayant jamais été imprimés, à l’exception de ceux de Landau et de Colmar, et d’un grand nombre de règlements et d’ordonnances du magistrat de Strasbourg… Les coutumes qui régissent les différentes parties de l’Alsace, quoique non écrites, n’en sont pas moins consacrées par la tradition et perpétuées par une constante observance. Elles sont devenues des lois auxquelles les habitants portent un respect qui procède plus de l’idée qu’ils se forment de la sagesse de leurs ancêtres, dont ils les tiennent, que de l’habitude qu’ils ont contractée de s’y conformer ; telle est par exemple la coutume de Ferrette si inviolablement observée quoiqu’il n’en existe d’autres traces que l’uniformité constante des jugements rendus dans les matières qu’elle est en possession de régler ».

Cette définition, formulée à l’époque où les coutumes relevaient encore du droit positif, nous met en présence de ces caractéristiques essentielles : 1) ce sont des droits territoriaux, même si leurs dispositions peuvent, par extension, s’appliquer à de nombreux territoires. On notera que le juriste met sur le même plan la coutume « communautaire » et les « statuts urbains ». 2) Ce sont majoritairement des droits non imprimés, ce qui ne veut pas dire « non écrits ». 3) Ce sont des droits consacrés à la fois par leur ancienneté et par leur application contemporaine, conforme à une jurisprudence constante reprise par des instances judiciaires locales, et admise par les instances judiciaires d’appel. Enfin, dernier trait qui n’est pas moins important : conformément à la hiérarchie judiciaire de l’Ancien régime, les dispositions civiles, en particulier celles qui sont relatives au droit de la personne et de la famille (état-civil, mariage, successions), paraissent être celles dont tient prioritairement compte le juge d’appel ; les dispositions pénales restent, pour l’essentiel, cantonnées au territoire où elles sont applicables. C’est enfin un droit partiel, car « au surplus, [au civil] le droit romain est suivi en Alsace, en tant qu’il n’est pas contraire aux statuts et usages locaux » (Bruges, lettre au Premier président Corberon). Il en allait de même pour Goezman, qui écrit dans son « mémoire sur l’Alsace », que l’on y n’avait recours au droit romain que « subsidiairement à la coutume, à l’usage et au statut ».

 

Les coutumiers ou Weistümer, approches nationales ?

Les « coutumiers » ou Weistümer sont une redécouverte du XIXe siècle : c’est à cette époque qu’elles ont été recherchées dans les archives, recopiées, éditées, analysées, commentées. Après Herder, qui pense que « l’âme du peuple » s’exprime dans sa langue, Savigny qui étudie les rapports entre droits germaniques et droit romain (Geschichte des römischen Rechts im Mittelalter 1815), Jacob Grimm collectionne, avec les contes et les contines, les coutumiers. Il trouve de nombreux correspondants en Alsace. L’avocat au Conseil souverain Raspieler a, dès le XVIIIe siècle, réuni une collection qu’on lui transmet ; l’abbé Hanauer, le percepteur Stoffel lui fournissent des copies de coutumiers alsaciens qui sont imprimés dans les tomes I, IV, et V des Weisthümer. Se fondant sur sa collecte de « rotules colongères », Hanauer étudie « la colonge » ou « Dinghoff ». Le conseiller à la Cour Bonvalot fait la première analyse juridique approfondie de coutumiers territoriaux : la coutume de Rosemont, celle d’Orbey et surtout la coutume de Ferrette. Charles Schmidt analyse à son tour les « rotules colongères-Dinghofsrodel ». De nombreux auteurs y ajoutent les découvertes faites dans les archives de l’époque. Enfin, un chercheur de « l’Institut des Alsaciens-Lorrains dans le Reich », Kollnig, fait en 1941 un inventaire des « coutumiers » ou Weistümer, qu’il analyse. Son corpus comprend alors près de 600 « coutumiers », déposés dans les archives de l’Institut de Francfort, mais qui, à ce jour, n’ont jamais été retrouvés. Les lacunes volontaires de cet ouvrage mettent bien en relief les approches différentes des définitions françaises et allemandes. Pour Kollnig, le Weistum est un droit formé exclusivement par la tradition de la communauté paysanne et il se cantonne exclusivement à la vie de la communauté paysanne. Et d’une communauté paysanne germanique, non contaminée par le droit romain (on ne s’explique pas les exclusives opérées par Kollnig à l’égard des « coutumes welches »). Cette définition aura donc tendance à n’admettre comme « coutume » que la rotule colongère ou Dingrodel, et à exclure la définition française de « la coutume ». Celle-ci procède certes de la tradition des communautés – forcément majoritairement rurales –, mais a connu à un moment ou à un autre une sanction jurisprudentielle, consacrée soit par sa codification soit par « un acte de notoriété » c’est-à-dire par une définition donnée par un juge à la demande d’autorités supérieures ou de parties à un procès. Cette opposition semble aujourd’hui dépassée. Après D. Anex-Cabanis (LMA, art. Coutume), Schildt, (LMA, art. Weistümer), et l’étude fondamentale de Dieter Werkmüller (Werkmüller Dieter, Über Aufkommen und Verbreitung der Weistümer, Berlin, 1972) qui font le point sur les Weistümer, la recherche contemporaine, sans trancher expressément, a tendance à considérer comme admises les deux conceptions de la coutume, d’autant plus qu’il faut bien admettre que nombre de Weistümer au sens étroit ont souvent été repris et codifiés par les seigneurs, après la guerre des Paysans, selon une procédure analogue à celle des codifications des coutumes françaises. Pour Werckmüller, les Weistümer ont leur intérêt à quatre titres : l’histoire sociale et économique, l’histoire du droit et la sociologie juridique, enfin l’histoire linguistique. Werckmüller dissipe en particulier tout malentendu sur leur qualité de conservatoire d’un droit germanique primitif : la mémoire judiciaire ne pouvant s’étendre sur un laps de temps aussi long.

 

Les Coutumiers d’Alsace : une typologie

Marcel Thomann a fait, en 1999, un « bilan de 200 ans d’historiographie du droit en Alsace », à une date où l’entreprise qu’il avait projetée : le Dictionnaire Historique des Institutions de l’Alsace semblait définitivement abandonnée : il n’est pas étonnant que ses propos qui portent aussi sur l’histoire des coutumes aient été fort pessimistes.

Pourtant, dans un article fondamental de la Revue d’Alsace 39/1956, p. 18-30, F.-J. Himly et C. Wilsdorf adoptent sciemment une définition large de la coutume et proposent une typologie des coutumiers alsaciens qui s’avère indispensable. Ils distinguent les coutumiers territoriaux, les coutumiers urbains, les coutumiers villageois, et enfin les coutumes des Dinghöfe ou coutumes colongères.

 

Les coutumiers territoriaux

Ils apparaissent vers le milieu du XIVe siècle. Le plus ancien paraît être celui du val de Rosemont, rédigé en 1365 et 1386 (Grimm V 377 à 382, Bonvalot). Il s’applique à vingt-cinq villages de l’actuel Territoire de Belfort. Le Val d’Orbey ou seigneurie de Hohenack fait partie de la seigneurie de Ribeaupierre au Moyen Age. Son coutumier a connu quatre codifications, trois en moyen haut-allemand (1441, 1513, 1536, juste après la guerre des Paysans) et une en français en 1564) (Grimm, V 357 à 360 ; Bonvalot). La coutume de Ferrette est la plus connue ; ses dispositions civiles ont même été qualifiées de « droit provincial ». La grande mairie de l’Assise a également son coutumier, rédigé en 1596, renouvelé en 1641 et en 1678 (Grimm V, 359 à 401 ; Bonvalot). Le coutumier du Val de Lièpvre, fortement inspiré des coutumes lorraines, a été fixé en 1586, et publié en 1761. Parmi les coutumiers de Basse-Alsace, celui du Hattgau de 1490, huit villages autour de Hatten (Hanauer), et ceux d’Uffried (1528), onze villages au sud de Seltz (Grimm, Hanauer), un coutumier de la marche de Marmoutier date du XVIIe siècle. Trois coutumiers sont restés manuscrits : celui du comté de Hanau-Lichtenberg, celui du comté de la Petite-Pierre (analysé par Heck et Thomann, RA, 1986), celui du Mundat de Wissembourg.

 

Les coutumiers urbains ou Stadtrechte

Ils sont plus nombreux : Ammerschwihr (1561-1563), Belfort (1472), Colmar (1593), Dambach (XVIe siècle), Haguenau, Landau (1660), Mulhouse (XVIIIe), Riquewihr, Rouffach, Saverne, (tous trois du XVe siècle), Strasbourg (XIIe-XVIe siècles), Wangen (XVIe siècle), Bergheim, Guebwiller, Kaysersberg, Kientzheim, Munster, Thann, Turckheim.

V. Droits urbains, Stadtrechte.

 

Les coutumiers villageois ou Dorfordnungen

Il s’agit de statuts réglementant l’organisation et le fonctionnement des communutés villageoises. Kollnig en avait recensé 26. Mais il faut y ajouter les règlements des juridictions inférieures (Gericht).

V. Dorfordnung.

 

Les coutumes des « Dinghöfe » ou « colonges »

La cour domaniale, Dinghoff ou colonge est l’institution qui a provoqué les débats les plus ardents entre historiens du droit. Un village peut en compter plusieurs. Kollnig a répertorié 428 coutumiers « colongers ».

V. Dinghof.

 

Coutumes et droit positif de l’Ancien régime : « l’ancien statutaire d’Alsace »

Le Conseil souverain tient compte dans ses arrêts des coutumes en vigueur. Il s’efforce d’en faire un inventaire en 1738, à l’initiative du président de Corberon, en procédant à une enquête auprès des magistrats et des baillis. Ces réponses formulées en 1738 et 1739, constituent donc autant d’actes de notoriété. Ils figurent, on l’a vu, dans un « Code municipal d’Alsace » qui était resté à l’état de manuscrit, mais était à la disposition des juristes. Ce que le petit-neveu de Corberon, d’Agon de la Contrie, alors avocat au barreau de Sélestat publie en 1825, sous le titre « Ancien Statutaire d’Alsace » reproduit les pièces de cette enquête. Elle est incomplète : d’Agon n’a pas publié nombre de pièces, statutaires et règlements, qui semblent être parvenus au XIXe siècle dans les mains d’autres conseillers à la Cour d’Appel de Colmar, comme Neyremand ou Rencker (Bonvalot).

L’enquête du Président du Conseil souverain Corberon visait donc à établir un « Statutaire de l’Alsace » c’est-à-dire à fixer le droit appliqué aux différents échelons de la hiérarchie judiciaire civile de la province. Sa circulaire demande des renseignements sur les dispositions des « statuts » ou des « us et coutumes » qui dérogent par rapport au droit de l’Alsace, soit le droit romain. L’enquête vise donc essentiellement à déterminer les coutumes « dérogatoires ». Ce faisant, elle va mettre en relief ce que les baillis ou magistrats appellent le « Landrecht » ou la coutume de l’Alsace et qu’on appelle déjà fort couramment « la coutume de Ferrette ».

 

Statuts et actes de notoriété

L’enquête est conduite de façon fort diverse. Dans de nombreux cas, les baillis, sans chercher plus loin, se contentent de citer les deux ou trois dispositions dérogatoires au « droit écrit ». Ils excipent parfois de leur méconnaissance de l’allemand pour avouer leur ignorance, offrant cependant par politesse de faire traduire les vieux grimoires si d’aventure le Président tenait à voir satisfaite sa curiosité. C’est le cas du bailli de La Petite-Pierre. Dans d’autres cas, ils réunissent de véritables « plaids villageois » pour établir des actes de notoriété. Le bailli de Boersch réunit systématiquement « prévot, bourgmestres, greffiers et jurés » dans les villages de son bailliage pour déterminer les coutumes qui y sont en vigueur et en envoie les conclusions au Président. Le bailli de Bollwiller fait une dissertation sur les « us et coutumes de la localité » qui applique « la coutume de Ferrette ». Pour lui, le partage des acquets de la communauté aux deux tiers pour le mari et au tiers pour la femme, s’explique : « les auteurs de cet adage ont sans doute cru que comme c’est le mari qui ordinairement acquiert avec plus de peine que la femme, dont l’unique soin se réduit à conserver ce que le mari gagne, il était juste de proportionner la récompense, joint à cela sa qualité de chef, il méritait cette distinction et cet avantage… ». Il s’étend aussi sur le « douaire » consistant soit en Morgengabe, qui est donnée aux femmes le lendemain du mariage. Le Wittumb, ou dotatium ou douaire proprement dit, est donné à la femme en compensation de la dot. Morgengabe ou Wittumb retournent au mari en cas de prédécès de l’épouse, mais lui restent en biens propres dans le cas contraire. Le bailli de la prévôté de Traubach commente également les us et coutumes de la localité, qui suit la coutume de Ferrette, par un « Etat ou Mémoire ». Il critique tout particulièrement le privilège des cadets, souvent encore en bas-âge et incapables de gérer l’exploitation héritée, ou qui doivent s’endetter et se ruiner pour payer leurs aînés, ou alors les faire attendre beaucoup trop longtemps dans la pauvreté avant de se voir remettre leur soulte. Dans sa lettre de 1738 sur la législation de l’Alsace, l’avocat au Conseil souverain Bruges insiste sur les deux points saillants de la « coutume de Ferrette » qui s’appliquait aux mariés sans contrat : le régime matrimonial de la communauté universelle et son partage en cas de prédécès au mari pour les deux tiers et à la femme pour le tiers restant, et le privilège du fils cadet pour la maison et l’exploitation (ou juveigneurie). Mais plus exorbitante encore lui paraissait la possibilité ouverte aux conjoints de faire un contrat de mariage, même après le mariage, ou encore d’en changer les dispositions. Bruges avait été l’un des rédacteurs de la courte lettre datant de 1733 des avocats du Conseil souverain à M. Boucher d’Argis, qui enquêtait sur « les gains nuptiaux » : les avocats avaient insisté sur une coutume qu’il convient de relever, celle du partage entre les meubles masculins, armes ou outils, qui reviennent au mari et à ses héritiers, et féminins : habits (ou trousseau), qui reviennent à la femme et à ses héritiers, reproduisant aussi les apports meubles de l’un et de l’autre conjoint.

 

La géographie des coutumes alsaciennes

Tout comme on s’est efforcé de dresser leur généalogie : la répartition tripartite de la communauté, avec ses deux tiers au mari (Schwertteil) et le tiers restant à la femme (Spindel ou Kunkelteil) remonterait au droit franc, alors que la coutume de la Morgengabe relèverait du droit alémanique qui s’exprimerait dans le Schwabenspiegel, on a tenté de dresser une cartographie des coutumes que reflète l’enquête de Corberon. Les historiens du droit voient volontiers l’Alsace divisée en trois grandes aires. Le nord serait celui de la « coutume de Strasbourg », avec, à l’Ouest, une « coutume de La Petite-Pierre » inspirée du droit lorrain.

Le centre de l’Alsace serait celui de la coutume de Colmar, ou droit de la « dévolution », et le sud, comté de Belfort compris, celui de la Coutume de Ferrette.

La réalité telle qu’elle ressort de l’enquête de Corberon s’avère plus complexe.

La coutume de Landau était imprimée et d’Agon se contente de la citer tout comme la coutume de Meinfeld (Guttenberg dans le Palatinat) qui applique le statut donné par l’Electeur palatin en 1541. La coutume de Wissembourg (Us et coutumes collationnés par le greffier de la ville en 1733 et traduits en 1736) prescrit une communauté universelle transmise aux enfants, et en cas de prédécès de l’un des enfants, son héritage est transmis aux collatéraux et non aux ascendants. En cas d’absence d’enfants, elle prescrit le retour des acquêts aux lignages respectifs du mari et de la femme, selon la proportion deux tiers, un tiers. Mais le survivant a droit d’usufruit de la communauté jusqu’à sa mort. La « coutume de Fleckenstein », qui s’applique dans la seigneurie de Fleckenstein, et aussi à Beinheim et Trimbach, s’inspire du droit romain : communauté réduite aux acquêts, régime dotal, et partage égal entre enfants conformément à la Novelle 118 du Code Justinien (rapport du bailli de la baronnie). Bischwiller rappelle qu’elle a appliqué un Jahrbuch ou registre des délibérations des Assemblées de bourgeois, puis l’ordonnance des Deux-Ponts de 1620. La Petite-Pierre applique l’ordonnance du comte Jerrihans de Veldenz (v. 1570), que le bailli se contente d’envoyer au Président et qui est résumée par d’Agon. Elle prévoit la communauté réduite aux acquêts, mais avec Morgengabe ou Widthuum réservé aux veuves, l’usufruit de la communauté au survivant, et la protection des droits des enfants du premier mariage sur les biens de la première communauté. A Haguenau, la coutume prévoit une communauté réduite aux acquêts et son partage aux deux tiers un tiers, tout comme à Reichshoffen, Fort-Louis, Marmoutier où les coutumes ne mentionnent pas de privilège aux cadets. Par contre, les échevins de Wittersheim citent expressément cette coutume en se référant à la « coutume de Haguenau », ce qui permet de conclure que cette disposition de la « coutume de Ferrette » s’applique aussi dans les villages de la préfecture impériale. Reichstett et Weyersheim, relevant du bailli de la Wantzenau, appliquent également ce système, mais non pas Souffelweyersheim, La Wantzenau, Gambsheim, Kilstett, où la communauté est universelle, et comprend également les apports. L’ensemble des ces coutumes prévoit un droit de retrait lignager après transactions portant sur les apports ou les successions, dans un délai de quinze jours, pour la plupart des cas, d’un an et un jour pour d’autres. L’enquête Corberon n’analyse pas la coutume de Strasbourg – la ville continue d’appliquer sa propre législation civile et criminelle – et elle doit être reconstituée par les historiens ultérieurs qui publient et commentent le statut de 1455 (Mone, ZGO, XIX, p. 88, Arnold, Wendel, Ganghoffer). La communauté de droit commun est, elle aussi, réduite aux acquêts, et les héritages reçus au cours du mariage restent biens propres ; par contre, les biens acquis avec le prix d’un propre (verändertes gut) entrent dans les acquêts à condition que l’acquisition soit définitive (gewinniges gut). Le partage au prédécès applique également la proportion deux tiers au mari, un tiers à l’épouse. Mais ne figurent pas, dans le statut de 1455, les douaires. C’est dans les contrats que l’on rencontre la pratique de la Morgengabe, tout comme celle de la dot ou douaire appelé dos ou Heimsteuer (ou encore esteuer, ehesteur). C’est le mari qui constitue ce douaire, mais l’on peut rencontrer des cas où ce sont les parents de l’un ou de l’autre conjoint qui constituent cette ehesteuer. Au XVIe siècle, la Morgengabe semble disparaître dans les contrats, mais non pas le douaire. Au milieu du XVIe siècle, un nombre non négligeable de contrats prévoient la communauté universelle avec partage par moitié, puis cette pratique disparaît et l’on en revient au droit commun. Il est vrai que le nombre de contrats par rapport aux mariages est faible (Wendel).

Les villages proches de Strasbourg relevant du bailli de Boersch (Lampertheim, Geispolsheim, Mollkirch, Muhlbach, Saint-Nabor) semblent reproduire le régime strasbourgeois de la communauté (aux acquêts à Geispolsheim et Saint-Nabor, universelle à Lampertheim et à Boersch, ainsi qu’à Mollkirch et Muhlbach), mais avec constitution de douaire réservée pour l’épouse à Lampertheim, Geispolsheim, Boersch. Le partage au prédécès va partout au mari pour les deux tiers et à la femme pour le tiers, et le retrait lignager sur héritage mentionné là où la communauté est universelle. Seul Geispolsheim mentionne le privilège de la maison paternelle au cadet, mais il est vraisemblable qu’il se soit appliqué partout. Communauté réduite aux acquêts aussi à Molsheim, dont les « us et coutumes » sont établis par le prévôt et le Magistrat, avec la proportion coutumière pour le partage au prédécès. Il en va de même pour Obernai, où nous rencontrons l’expression « Rotes Buch » terme générique qui désigne les registres où sont consignés les « statuts » des villes et territoires : celui d’Obernai date de 1569. Comme à Molsheim, les apports retournent aux ayants droit de chacun des conjoints, les acquêts aux héritiers du mari pour les deux tiers et de la femme pour un tiers. Mais à Obernai, les améliorations intervenues sur les biens propres de l’un ou l’autre conjoint sont partagées par moitié. Si le bailliage de Benfeld applique le principe de la communauté réduite aux acquêts, Sélestat applique le principe « colmarien » de la communauté universelle avec dévolution, c’est-à-dire transmission immédiate de la communauté aux enfants, mais usufruit au conjoint survivant, et donc protection des droits des enfants d’un premier mariage aux biens de la première communauté. Il en va de même à Artolsheim qui applique la communauté universelle et mentionne en outre le privilège de la maison paternelle : elle va au cadet et, en l’absence de garçons, à l’aînée des filles. A Ebersheim, c’est la cadette des filles qui hérite en l’absence de garçons. Le bailliage de Châtenois, et son comté-ban (Neubois, Dieffenbach, Hachbach-Albé, Saint-Maurice, Neuve-Eglise, Fouchy) ainsi que le bailliage de Villé appliquent tous la communauté réduite aux acquêts, le partage aux deux tiers un tiers, et la préférence au cadet pour la maison paternelle.

On l’a rencontré déjà à Sélestat, mais à Colmar, nous entrons dans le coeur du pays de la « dévolution », c’est-à-dire de la communauté universelle avec dévolution aux héritiers dès prédécès d’un conjoint, sous réserve de l’usufruit pour le conjoint survivant (Colmar, Statut de 1595, titre XXV). Le partage entre enfants se fait à part égales. Il en va de même à Munster, Kaysersberg et Turckheim. R. Ganghoffer a analysé les contrats de mariage de Colmar aux XVIe et XVIIe siècles. Quelle est leur proportion par rapport aux mariages sans contrat ? Comme Wendel à Strasbourg, il relève à Colmar l’importance des Morgengabe, dont la pratique se prolonge au XVIIIe siècle. De même, il note qu’un certain nombre de contrats prévoient la communauté universelle, mais partageable par moitié. Enfin, il rencontre des contrats qui dérogent à la règle du partage égal, par le recours au principe des deux tiers un tiers.

A Neuf-Brisach, le Conseil souverain a enregistré le Statut du Magistrat adopté en 1709 : il ne voulait pas déroger au « statut de la province » : la communauté y est universelle et sa dissolution par prédécès entraîne le partage aux deux tiers un tiers. Il en va de même à Widensolen. A Ribeauvillé (bailliage et ville), Herlisheim, Hattstatt, Voegtlinshofsfen, Husseren et Soultzbach, on revient au régime de la communauté réduite aux acquêts partagés aux deux tiers un tiers, avec retour des apports aux héritiers de l’un et l’autre conjoint, et priorité au cadet pour la maison. A Eguisheim, Bergheim, Roderen, Rohrschwihr, Rouffach, il en va de même. Plus de précisions de la part du bailli de Bollwiller (Jungholtz, Rimbach, Hésingue), qui ajoute que la femme peut, en cours d’union, imposer la séparation de biens. La distinction souvent faite par les coutumiers entre le sort des biens meubles et immeubles est ici bien précisée : la communauté aux acquêts s’étend à tous les meubles, partagés avec les acquêts, aux deux-tiers, un tiers, à l’exception de la Morgengabe considérée comme un bien propre de la femme, alors que les immeubles apportés vont aux héritiers de l’un ou l’autre conjoint.

A Cernay, on entre dans le pays où la coutume provinciale est appelée sans détour « coutume de Ferrette ». C’est là aussi que l’on rencontre, pour la première fois, l’institution « bâloise » du douaire de 25 livres de Bâle ou 33 livres tournois qui tempère le régime commun de la communauté réduite aux acquêts, avec partage aux deux tiers un tiers. Ce régime est mentionné expressément pour Eschentzwiller, Seppois, Landser, Lautenbach, Schweighouse, Staffelfelden, Traubach, avec la préférence au cadet pour la maison paternelle, mais ne l’est pas à Wittelsheim, Brunstatt, Sierentz. Mulhouse ne fait pas partie du royaume et sa coutume n’a donc pas fait l’objet d’un rapport de son Magistrat. Après celle de Strasbourg, son régime matrimonial de droit commun qui repose sur un statut de 1293, repris en 1740, a fait l’objet d’une étude par Hermann Arnold. On ne s’étonnera pas d’y voir appliquée la communauté aux acquêts et meubles, avec partage aux deux tiers un tiers et droit de reprise des propres. On relève que la Morgengabe y est répandue et son montant fixé. Le droit mulhousien ne déroge donc pas par rapport à celui des territoires voisins. Par contre, à Hirsingue, Montjoie, Emericourt (Heimersdorf), Ruderbach, Bisch et Bruebach, ainsi qu’à Bartenheim, la communauté est universelle. Il en va de même à Ferrette, à ceci près que l’on y précise bien que la communauté n’y est universelle que s’il y a des enfants ; en l’absence d’enfants, la communauté est d’acquêts et de meubles : les apports du prédécédé reviennent à ses héritiers ; la communauté est dans tous les cas partagée aux deux tiers un tiers. Mais dans toute cette aire, la maison paternelle est réservée au cadet. A Masevaux, Foussemagne et Fontaine, de même qu’à Grandvillars, l’on suit « la coutume de Ferrette », avec communauté universelle et partage aux deux tiers un tiers. A Banvillars, l’on suit la coutume de Belfort, dont la coutume ne figure pas dans le « statutaire » de d’Agon. Là encore, il faut recourir à un historien ultérieur pour la connaître. Mais la coutume de Belfort, telle qu’elle est reproduite par un acte de notoriété analysé par Storti, ne reprend pas les nuances de celle de Ferrette, telles que la commente Bonvalot : la communauté est universelle et comprend donc les apports, qu’il y ait ou non des enfants, et le partage au prédécès est de deux-tiers, un tiers (Storti, Revue d’Alsace, 2006, p. 212). Certes, tout comme à Strasbourg, les contrats de mariage peuvent déroger au droit commun, mais les baillis soulignent que les contrats sont rares, du fait de la faiblesse des patrimoines en cause. Storti relève qu’à Belfort, ville pourtant influencée par les pratiques « bourguignonnes » proches, 25 % à 33 % seulement des mariages font l’objet d’un contrat, plus égalitaire que les dispositions de la coutume de Ferrette (Storti, RA, p. 221). François Wendel avait déjà insisté sur « la diversité infinie des régimes des biens du droit germanique ». Il soulignait l’ancienneté des dispositions des régimes alsaciens. Ainsi du partage par tiers, qui se développa spécialement dans la vallée du Rhin et ne se maintint qu’en Alsace (Wendel, Mariage 166-169).

Ces coutumes alsaciennes placent l’Alsace dans l’aire européenne de la famille souche que délimite Frédéric Le Play, et après lui, le curé alsacien Cetty, caractérisée par l’importance de la famille, fondée sur l’autorité du chef de famille et le souci de ne pas morceler l’exploitation avec le privilège donné au cadet. Ces caractères vont être fort critiqués par les juristes du XIXe siècle. La dévolution porte préjudice aux époux et aux enfants. L’usufruitier ne peut plus ni vendre, ni hypothéquer, mais les enfants doivent attendre son décès pour accéder à leur héritage dont ils n’ont que la nue-propriété. Quant à la communauté universelle de la coutume de Ferrette, elle « expropriait le conjoint riche en apports au profit du conjoint pauvre et l’inégalité entre époux dans le partage paraissait blessante pour la femme ». Seule la coutume de Strasbourg, avec la reprise des apports, paraissait équitable (Bonvalot). Il est vrai que nombre de ces coutumes avaient, pour une grande part, depuis 1791, cessé de s’appliquer. Celle de Strasbourg était la plus proche du nouveau droit civil.

 

Fin et persistance des coutumes d’Alsace : le Code civil

L’article 7 de la loi d’introduction du Code Civil du 30 ventôse an XII (contenant la réunion des lois civiles en un seul corps de loi, sous le titre de Code civil des Français), abroge expressément tout l’ancien droit : « à compter du jour où ces lois sont exécutoires, les lois romaines, les ordonnances, les coutumes générales ou locales, les statuts, les règlements, cessent d’avoir force de loi générale ou particulière dans les matières qui sont l’objet desdites lois composant le présent code ».

Nombre de dispositions des coutumes alsaciennes avaient déjà été abrogées par la législation révolutionnaire dite transitoire. Inspirée des coutumes de l’Ouest (pays de famille nucléaire), la loi du 17 nivôse an II (6 janvier 1794) imposant l’égalité entre enfants dans les successions voulait mettre fin au droit d’aînesse ; elle mettait fin en Alsace à la « juveigneurie ». On la voulait même rétroactive au 14 juillet 1789 : on dut renoncer à la rétroactivité après Thermidor. Le divorce, admis pour les seuls protestants, mais interdit depuis Louis XIV en Alsace, était désormais pour tous, par la loi du 20 septembre 1792, une cause de dissolution de la communauté.

Le Code civil de 1804 prescrit qu’en l’absence de contrat, le régime matrimonial est celui de la communauté de meubles et d’acquêts. Certes, les mariages contractés avant cette date continuent à être régis par les coutumes antérieures. Mais tous ceux qui sont contractés après cette date ne peuvent se réclamer d’une coutume antérieure. La communauté se compose de tous les biens mobiliers possédés par les conjoints et de toutes les acquisitions, immobilières ou mobilières, opérées pendant le mariage. En ce qui concerne les apports immobiliers, ils restent la propriété de chacun des conjoints, s’il est prouvé qu’ils ont été leur propriété avant le mariage. Il en va de même pour les héritages d’immeubles faits par chacun des conjoints pendant le mariage. Le mari administre seul les biens de la communauté, y compris les apports propres de sa femme, mais ne peut les aliéner sans son consentement et les époux ne peuvent changer de régime matrimonial après le mariage.

La communauté est dissoute par la mort, le divorce, la séparation de corps, la séparation de biens. Cette dernière action est ouverte à la femme dans le cas de désordre notoire des biens de son mari. La femme séparée de biens reprend la gestion de ses biens, mais doit continuer à subvenir aux besoins du ménage. Elle ne peut aliéner ses immeubles sans le consentement de son mari, ou en cas de refus de l’autorisation de la justice.

Le Code civil constitue le droit commun de la France : il est donc celui de l’Alsace.

La communauté de meubles et d’acquêts était celle de la majorité des coutumes alsaciennes : elle ne pouvait guère choquer. Le partage de la communauté aux deux-tiers et un tiers apparaissait inéquitable, et compensé par la Morgengabe ou le douaire. A condition de tenir compte des dispositions sur les réserves héréditaires et quotités disponibles, des clauses préciputaires pour la femme survivante, ainsi que la possibilité d’un usufruit prévu par le Code civil permettent de pérenniser ces coutumes, de même que celle de la juveigneurie. Voilà qui implique le recours aux contrats et aux testaments.

Mais l’un des maux dénoncés par d’Agon appartient désormais au passé : le malheur de l’avocat perdant une cause devant un tribunal dont il ignorait la coutume.

 

Une « coutume territoriale » : la coutume du bailliage de Ferrette

Dans la réponse à l’enquête faite par le Premier Président de Corberon en 1738, les autorités du bailliage de Ferrette affirment avoir perdu la « Coutume de Ferrette » pendant la guerre des Suédois et ne communiquent donc que les dispositions relatives au régime matrimonial et successoral, qui s’appliquaient, sous ce nom – coutume de Ferrette – ou sous le nom de « Droit provincial » bien au-delà des limites du bailliage. Le Conseil souverain n’avait-il pas admis que la Coutume de Ferrette avait été adoptée par les habitants de Neuf-Brisach (De Boug, 1, 370).

Ainsi le « coutumier » proprement dit du bailliage de Ferrette, compris comme nombre d’autres coutumiers alsaciens, dans un Rotes Buch, ne fut redécouvert qu’au XIXe siècle par le conseiller à la Cour de Colmar, Edouard Bonvalot, et publié sous le titre « Coutumes de la Haute-Alsace dites de Ferrette », en 1870. Il s’agit d’un manuscrit échappé au pillage de la maison de Gérard, bailli de Ferrette en 1793, et conservé depuis par Desgrandchamps, notaire à Ferrette. Il comprend quatre parties, une partie historique, une partie qui décrit la seigneurie de Ferrette, une partie qui renferme les « usages civils et judicaires du comté », enfin une partie sur le droit forestier du bailliage. Bonvalot a comparé ce manuscrit avec trois autres versions de la coutume, retrouvées aux Archives départementales de Colmar, dont l’un comprenait la partie « usages civils et judiciaires » et l’autre des fragments de jurisprudence. Le coutumier a été compilé entre 1592 et 1598 par deux agents du greffe de Ferrette, Rapstein et Hold, exécutant une instruction du chancelier Holtzapfel de la Régence d’Ensisheim, également bailli de Ferrette. Comme c’est le cas dans les autres coutumiers, les greffiers réunissent sans plan prédéterminé les différents éléments des règlements appliqués dans le bailliage. Bonvalot n’a pas mené d’enquête approfondie sur les sources des différentes dispositions organiques du coutumier. Ce dernier s’applique à 39 communautés du bailliage, relevant au XVIe siècle de 7 mairies (Meyerhoff) auxquelles il faut ajouter la ville de Ferrette proprement dite. Au XVIIe siècle s’ajoutera une huitième mairie, celle de Grentzingen. La géographie ecclésiastique ne recouvre pas tout à fait cette géographie administrative, puisque le bailliage compte 26 paroisses réunies en 4 décanats (Bonvalot, p. 174).

 

L’organisation judiciaire civile et financière

L’organisation judiciaire civile et financière est décrite dans les chapitres I, VIII, IX et X du coutumier. Les jugements des justices des Dinghöfe sont très rarement susceptibles d’appel. Le tribunal de Ferrette est donc le tribunal d’appel pour les justices des cinq mairies (Meyerhoff) de Liebsdorf, Riespach, Pfetterhouse, puis Feldbach et Bouxwiller qui en relèvent. Ces justices qui réunissent autour du maire, assisté de l’appariteur ou Weibel (ou Bott, ou Büttel) au minimum sept conseillers, se tiennent toutes les semaines, excepté pendant les mois de grands travaux (fenaison, moisson, semailles). Ils sont compétents pour tous les litiges agricoles, ainsi que pour les transactions (ventes, baux, etc). En cas d’appel, la cause est transférée au tribunal de Ferrette, le Wochengericht. Ce dernier est aussi tribunal de première instance pour les bourgeois de Ferrette. Il est composé, sous la présidence du bailli (Vogt ou Amtmann), désigné alors comme Richter, de douze membres relevant des différentes communautés du bailliage et de conseillers originaires de Ferrette (Urteilsprecher ou Gerichtsleute). Il ne juge que des petits délits locaux, ainsi que de l’appel des justices de mairies. Quant à l’Appelationsrat, il est composé du bailli, du receveur et de sept conseillers ou Urteilsprecher ; il juge des autres appels. Le bailli le préside et en choisit les conseillers, mais il se borne à formaliser les avis des Urteilsprecher qui sont dûment notés par le greffier ou Stadtsschreiber. Les Urteilsprecher sont désignés pour un an et leur corps renouvelé par moitié tous les ans. Une plainte est déposée les jours d’audience seulement et après instruction par enquête orale, la date de l’audience est fixée par sommation des parties (Gebot) aux audiences ultérieures, qui peut être renouvelée par trois fois. Des avocats ou Fürsprecher assurent la représentation des parties et prennent en charge la marche de la procédure. Deux d’entre eux plaident l’affaire en cours, pendant que d’autres instruisent les plaintes de nouvelles parties et font inscrire leur règlement au rôle des prochaines séances. Le ministère d’avocat est généralisé dans la hiérarchie judiciaire, à partir du Meyerhoff et le Maire ou le bailli désigne deux « Fürsprecher » pour le Meyerhoff, et quatre pour le Wochengericht et l’Appelationsrat. Les fonctions de Fürsprecher et d’Urteilsprecher sont incompatibles. La formule du serment des Fürsprecher prévue par le coutumier de Ferrette est la même que celle que nous rencontrons dans d’autres coutumiers ou statuts urbains (Strasbourg, Sélestat…). Ces tribunaux sont également compétents pour la vérification des comptes, ceux des tutelles, des églises, des villages, du bailliage proprement dit. Les jugements des tribunaux de Ferrette sont susceptibles d’appel devant le Landgericht de la Régence d’Ensisheim, où, à la procédure orale, se substitue la procédure écrite. La noblesse de la Régence porte directement ses procès devant le Landgericht.

 

L’organisation de la justice pénale

Les justices inférieures (Dinghöfe, Meyerhöfe) ne se prononcent que sur les petits délits. La police des localités est assurée par les jurés ou assermentés (Geschworene) qui veillent dans chaque localité à la collecte des cens, banvins, Umgelt, et Maaspfennig, au maintien de l’ordre et répriment les disputes, les fraudes aux péages, les chiens vagants, l’absentéisme à l’église, les contraventions rurales (communaux, forêts, champs et prés), les contraventions forestières. Ils participent à la désignation des bangards ou bannwart. Ils contrôlent également l’activité des bouchers et des boulangers. Ils doivent être attentifs à l’état d’entretien des routes et ponts et peuvent remplacer les Maires pour les abornements, mais à condition d’être au moins cinq. Ils sont chargés du contrôle de la caisse communale et doivent s’abstenir d’y puiser. Ils se voient interdits de banqueter en toute occasion aux frais de la commune, et tout particulièrement lors du règlement des contraventions, qui a lieu lors des Assemblées de la commune tenues à chacun des Quatre-temps (Carême, Pentecôte, Exaltation de la Sainte-Croix et Avent), ou encore au moment du versement des gages aux pâtres communaux.

A ces plaids communaux s’ajoutent des assises paroissiales, présidées par le curé, en tant que Richter. Outre les délits de l’ordre religieux (blasphème, inobservation des jours de fête, abstention aux sacrements), sont jugés des délits pénaux, tels que l’adultère, le concubinage, qui ne peuvent être établis que par dénonciation et non pas la confession. Tous les paroissiens sont juges (Urtheilsprecher). Les délits peuvent être déférés à l’officialité.

Les délits importants (grosse frevel) sont jugés par des tribunaux des XXIV ou Malefizgericht, sur une instruction menée par le tribunal des VII – comme le prescrit déjà le Schwabenspiegel –, sous la direction du receveur (Schaffner) qui assume les fonctions de Richter. L’huissier (Landsknecht) assume aussi les fonctions d’accusateur.

Le code pénal issu du Schwabenspiegel, puis de la Constitutio carolina et du Règlement archiducal de 1544 qui est inséré dans tous les règlements locaux des bailliages de la Régence d’Ensisheim, réprime le blasphème, l’ivresse, l’absence d’une famille à la messe, les chants ou musiques sur la voie publique, les excès de banquets lors des mariages (pas plus de 20 invités), baptêmes (seuls les sages-femmes et les parrains et marraines) ou funérailles (pas plus de 6 convives et le curé), ou lors des fêtes patronales (Kirchweyhungstage). L’aubergiste ne peut servir des journaliers les jours ouvrables, ou servir des clients déjà ivres ou le dimanche et jours de fête pendant la messe, et les contrats passés à l’auberge sont tenus pour nuls, et ils peuvent faire l’objet d’une résiliation dans les huit jours qui suivent. Les jeux de hasard y sont interdits et les dettes de jeu considérées comme nulles. L’adultère est puni de 8 jours d’emprisonnement et le concubinage, de bannissement temporaire ou définitif, en cas de récidive. Il relève par ailleurs, comme on l’a vu, de la juridiction ecclésiastique. La fréquentation des auberges est interdite aux femmes, sauf si elles sont invitées par l’aubergiste, mais les rapports illicites avec ces femmes ne sont pas réprimés. La tolérance des Alsaciens pour cette fonction de leurs auberges ne finira pas d’étonner les fonctionnaires issus d’autres provinces.

La délation est récompensée par le reversement du tiers du montant de l’amende prévue. L’instruction du délit se poursuit par l’audition des témoins et par l’interrogatoire de l’accusé. L’aveu est le moyen de preuve privilégié. L’amende d’un délit de moyenne gravité est réduite si le coupable avoue. Le Schwabenspiegel prescrit la torture pour obtenir l’aveu. Il en va de même de la Constitutio Carolina. La coutume de Ferrette ne le précise pas, mais il semble bien que cela y soit également la règle. La sentence rendue par les XXIV est exécutée immédiatement. Mais le seigneur haut-justicier peut commuer la peine et gracier le coupable par la transaction de l’Urfede (impliquant le paiement de fortes amendes ou encore la remise d’un billet de confession en cas de blasphème). En attendant cette grâce, l’accusé se précipite volontiers en un lieu d’asile.

 

La fin de la coutume pénale

En matière de haute criminalité, le coutumier cesse de s’appliquer, après le rattachement de l’Alsace à la France. Le tribunal bailliager se voit remettre cette compétence, sans appel possible. Mais on y applique désormais l’ordonnance criminelle de 1670. Il en ira de même dans les autres bailliages immédiats de Haute-Alsace : Ferrette, Thann, Altkirch, Guebwiller.

 


Sources - Bibliographie

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François Igersheim