Kaufhaus
Koifhüs, Douane, Halle aux marchandises.
Un Kaufhaus est une halle où, du Moyen Âge tardif à l’époque moderne, les marchandises produites ou introduites en ville étaient entreposées, taxées et offertes à la vente. Leur fonction était, d’une part, d’assurer aux marchands étrangers un lieu où leurs biens seraient gardés en toute sécurité. Mais comme l’entreposage au kaufhaus était obligatoire, il s’agissait, d’autre part, d’assurer des conditions de vente justes et transparentes aux autochtones comme aux étrangers ; cette obligation faisait du kaufhaus, toujours situé soit sur un axe de communication majeur, cours d’eau ou route (Strasbourg, Colmar, Haguenau), soit sur la place centrale de la ville (Mulhouse, Munster), un outil très important du développement de la fiscalité urbaine et du contrôle du commerce au profit des autorités.
Pourtant, le manque de sources mais aussi la terminologie très variée empêchent souvent de s’accorder sur la date d’apparition d’un Kaufhaus dans telle ou telle ville. En effet, si koufhus, koifhüs sont bien employés, d’autres substantifs sont usités qui désignent des halles tels que laube/loube (halle, arcades, ainsi kornlaube, halle aux grains) ou, en Haute-Alsace, schale (la watschale ou halle aux tissus à Mulhouse, tandis que les sources françaises, l’administration royale française puis les archivistes francophones hésitent entre « douane » et « halle »). Comme tous ces termes peuvent s’appliquer à des institutions qui ne sont pas des lieux de conservation, commerce et taxation de marchandises – une laube peut également être un tribunal sans fonction économique –, sans doute faut-il par prudence ne retenir que les halles appelées kaufhaus dans les sources : Strasbourg (1358), Haguenau (1364), puis Colmar (1370) et Sélestat (vers 1390) apparaissent alors comme les premières. Au XVe siècle, des villes plus modestes se dotent d’un kaufhaus, ainsi Cernay au plus tard en 1423 (METZ Bernhard, « Essai sur la hiérarchie des villes d’Alsace », partie 1, RA, 2002, p. 68), Munster dont la laube est citée vers 1456 (ibid., partie 2, RA, p. 134), Saverne en 1466 (AM Saverne n°4), puis d’autres encore au XVIe siècle (Kaysersberg, Ammerschwihr). Les dates, souvent rapprochées, suggèrent un phénomène d’émulation ou imitation d’une ville à l’autre, Strasbourg ayant notoirement suivi le modèle de Bâle (kaufhaus dès 1336) et Haguenau pris explicitement exemple sur Strasbourg.
En effet, l’importance des halles aux marchandises fait d’elles des symboles de la puissance communale. Le kaufhaus, lieu central du pouvoir économique urbain, était également un nœud de l’espace public urbain, où marchands étrangers et locaux, bourgeois et valets, officiers urbains se rendaient forcément régulièrement et échangeaient biens mais aussi informations ; on affichait sur ses portes des nouvelles ou des annonces. Ce rôle éminent et cette publicité expliquent la monumentalisation croissante des halles : souvent, elles sont des bâtiments majestueux, comme le second kaufhaus de Colmar, construit vers 1480 et orné de l’aigle de l’Empire, ou celui de Strasbourg, plusieurs fois remanié.
Pour toutes ces raisons, auxquelles il faut ajouter les dimensions de ces bâtiments, il n’est pas étonnant que les halles aient bientôt revêtu une fonction politique. À Colmar, le second koïfhus sert également d’hôtel de ville (comme, pendant quelques décennies, ce fut le cas à Mulhouse au XVIe siècle), à Sélestat ou à Munster, c’est au kaufhaus que, lors du Schwörtag, les membres du Conseil ou les bourgeois prêtaient serment. La signification politique du kaufhaus était tellement évidente aux yeux de l’abbé de Munster qu’il n’autorisa la ville à en construire un nouveau, en 1502, qu’après avoir conclu avec elle un traité, où il avait fait inscrire expressément que le nouveau bâtiment n’abriterait pas une salle du Conseil, ni un poêle (trinkstube) sans son accord (AM Munster DD 43).
Enfin, le kaufhaus est un haut lieu de l’administration par l’écrit des villes. Il a, en effet, son personnel dédié, apparemment d’assez haut niveau : un kaufhausherr ou kaufhausmeister pour le diriger, souvent issu des bonnes familles de la cité, assisté d’un scribe et de valets. Tous sont des officiers municipaux, au service de la ville (contrairement, par exemple, à ce qui se passait en Flandre), dont les formules d’assermentations se retrouvent dans les Eidbücher urbains. S’y ajoutent les Unterkäufer, agents de vente jurés, qui étaient des intermédiaires obligés entre les vendeurs et les acheteurs, sans lesquels aucune transaction ne pouvait se faire. Les receveurs des impôts de la ville, voire le receveur royal (Colmar) s’y retrouvent pour percevoir leurs taxes ou faire des contrôles. À partir du XVIe siècle, des Kaufhausbücher apparaissent (les volumes de ce nom, conservés à partir de 1392 à Colmar, sont en fait des livres de comptes de la ville, nommés aussi parce qu’ils étaient conservés au koïfhus) ; à Sélestat depuis les années 1520 (GÉNY Joseph, Schlettstadter Stadtrechte, vol. 1, p. XV), à Colmar à partir de 1533 (AM Colmar CC 197), on y consigne les transactions opérées, jusqu’au XVIIIe siècle.
Bibliographie
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SITTLER (Lucien), « Das Hagenauer Kaufhaus », Études haguenoviennes, Haguenau, 1948, p. 205-225.
SITTLER (Lucien), « L’organisation de la « Douane » (Koifhus) jusqu’à la Guerre de Trente Ans », Annuaire de la société d’histoire et d’archéologie de Colmar, Colmar, 1956, p. 13-26.
WILL (Robert), « L’ancienne douane de Strasbourg. Construction primitive et transformations successives 1358-1897 », Cahiers alsaciens d’archéologie, d’art et d’histoire, Strasbourg, 1967, p. 341-356.
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BRUNEL (Pierre)/LARRIÈRE (Thierry), « Une œuvre contemporaine de Schongauer : le Koïfhus de Colmar », Annuaire de la société d’histoire et d’archéologie de Colmar, Colmar, Munich, Zurich, 1991-1992, p. 17-30.
HECKL (Christoph), Das Straßburger Kaufhaus im Mittelalter. Entstehung, Verwaltung, wirtschaftspolitische Funktion, Hambourg, 2015.
RICHARD (Olivier), « Zur Multifunktionalität der Kaufhäuser im spätmittelalterlichen Elsass », OCHS (Heidrun), ZEILINGER (Gabriel), dir., Kaufhäuser an Mittel- und Oberrhein im Spätmittelalter, à paraître.
Notices connexes
Comptes (Kaufhausbücher)
Finances des villes (Kaufhaus, Kaufhausbücher)
Gant (Ganthaus, Ganthausordung)
Olivier Richard