Forêt

De DHIALSACE
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Foresta, Forst, sylva, Wald

Ecosystème dans lequel les arbres occupent une place prépondérante, sur une vaste surface, habituellement de plus de 4 ha ; on parle sinon de boqueteau ou de bosquet, « Gehöltz ».

Au Moyen Âge, on distingue la forêt primaire, terrain boisé sans exploitation humaine ou « sylva », des espaces protégés et réservés au seigneur ou au souverain, « foresta ». Les besoins des particuliers sont couverts par l’exploitation de la forêt commune ou « sylva communis ». En français, le terme de forêt finit par s’imposer pour toute surface boisée. En langue allemande, l’espace boisé non anthropisé correspond à « Wald », tandis que le mot « Forst » est réservé aux forêts exploitées par l’homme.

En Alsace, la forêt présente des aspects différents en fonction de son altitude, de son exposition, des précipitations et de la nature du sol. Elle couvre de vastes surfaces, aussi bien en zone montagneuse (Vosges, Jura) que sur les collines sous-vosgiennes, le plateau lorrain et du Sundgau ou dans la plaine (Hardt, Forêts de Haguenau et de Brumath, forêts alluviales ou ripuaires le long de l’Ill et du Rhin). Les surfaces boisées ont été progressivement réduites sous l’action de la hache des bûcherons et de la pioche des agriculteurs, tant il est vrai que le développement démographique et économique s’est réalisé au détriment des forêts, de la préhistoire jusqu’au XIXe siècle (Boehler, p. 645-655). En effet, l’économie médiévale et moderne d’Europe occidentale repose d’abord sur les exploitations multiformes de la forêt qui fournit le matériau, le combustible et, dans une certaine mesure, la nourriture des troupeaux et des hommes. Le système agro-sylvo-pastoral du monde rural, mais aussi l’économie urbaine dépendent étroitement de la forêt, au point que villes et villages possèdent généralement des forêts qu’ils exploitent.

La forêt approvisionne les foyers ruraux et urbains en bois de chauffage ainsi que les proto-industries (verrerie, forges, métallurgie, tuileries, fours à chaux...) en charbon de bois (v. Charbon). Elle fournit également l’indispensable bois d’oeuvre pour la charpente, la menuiserie, les mines et différents métiers de l’artisanat (tonnellerie, boissellerie…). La Forêt de Haguenau, puis les Vosges du Nord approvisionnent aux XVIIe et XVIIIe siècles les arsenaux hollandais, puis français en bois de marine (v. Bois flotté). Les armées consomment aussi du bois pour les fortifications, les fascines, les affûts de canon et n’hésitent pas à réaliser des abattis pour bloquer les routes en cas d’invasion. La forêt apparaît aussi indispensable à l’agriculture, pour la confection des palissades et des échalas du vignoble. Des parcelles forestières peuvent être mises en culture de façon provisoire (v. Essartage) tout en maintenant un certain couvert forestier. À une période où l’Alsace manque cruellement de prairies, la forêt représente un espace consacré à la pâture des troupeaux (bovins, chevaux, voire ovins, tandis que les caprins en sont normalement exclus) auxquels succèdent les porcins à l’automne durant la période de la grasse pâture. Pour pallier l’insuffisance de fourrage ou de paille, les paysans pratiquent le soutrage en prélevant dans les forêts des feuilles pour le fourrage, les litières ou les fumures des potagers. Il n’est pas jusqu’aux hommes qui tirent des forêts une partie de leur alimentation par la cueillette de baies (fraises dans la forêt de Lichtenberg en 1741 (A. Spire C 20 484), fruits, champignons) ou par la pratique de la chasse licite ou illicite (Jéhin, Nous n’irons plus au bois).

Enfin, la forêt peut aussi constituer un refuge pour les ermites, comme saint Colomban ou saint Dié dans les Vosges, saint Arbogast dans la Forêt de Haguenau, des « déserts » où se retirent les premières communautés monastiques, comme les disciples de saint Benoît (Munster au fond de la vallée de la Fecht…), puis ceux de saint Bernard (Lucelle, Pairis…). La forêt devient aussi un asile pour les populations rurales lors des invasions ou des passages de troupes armées (Guerre de Trente Ans), mais également un repaire pour les brigands et tous les individus en marge de la société (charbonniers, tsiganes…).

L’importance de la forêt dans l’économie médiévale et moderne se traduit par une abondance de mentions dans les archives administratives et judiciaires, en particulier dans les séries C, E, G et H. Elles témoignent de l’enjeu que représentent les forêts pour les autorités royales ou seigneuriales, les propriétaires fonciers et les consommateurs. Les données archéologiques et les archives montrent les différentes phases de l’exploitation des forêts, leur appauvrissement et le recul des lisières en fonction de la pression anthropique. Les déboisements débutent dès l’Antiquité romaine, dans la plaine et sur les collines, puis dans les vallées vosgiennes par la colonisation, notamment d’origine monastique dès le haut Moyen Âge (VIIe-IXe siècles). Le recul de la forêt se poursuit aux XIe-XIIIe siècles par l’extension des finages, l’implantation de nouvelles communautés religieuses, comme les Cisterciens et surtout par les besoins croissants en bois des villes et villages (Angeli, 2008). Le déclin quantitatif et qualitatif de la surface forestière se poursuit jusqu’à la fin du XVIIe siècle avant un certain répit lié aux guerres qui, en diminuant la pression anthropique, permettent une reconstitution partielle du couvert forestier. Les déboisements connaissent une nette reprise au XVIIIe siècle et atteignent certainement leur paroxysme lors des débordements révolutionnaires de la fin du siècle. À partir du début du XIXe siècle, la pression sur la forêt alsacienne s’atténue, les déboisements cessent au milieu du XIXe siècle, grâce à la réorganisation administrative, mais aussi grâce aux changements économiques et sociaux avec l’apparition de nouveaux matériaux, l’utilisation de la houille comme combustible pour l’industrie et surtout le déclin de la pression agricole, accentuée par l’exode rural. Moins sollicitée, mieux protégée, la forêt se reconstitue à partir de la seconde moitié du XIXe siècle par l’application d’une politique de reboisement et d’une sylviculture productiviste.

Du XIe siècle au début du XIXe siècle, la forêt alsacienne change de physionomie sous l’effet de son exploitation croissante. Dans les forêts de la plaine, puis des vallées vosgiennes, les futaies sombres et ombragées, peuplées d’arbres vieillissants cèdent progressivement la place à de jeunes taillis exploités à intervalles réguliers et parcourus par des troupeaux qui abroutissent les arbustes et les jeunes plants. Les beaux arbres sont épars, les clairières se multiplient. Sur les sommets vosgiens, les chaumes, s’étendent au détriment du couvert forestier. Les descriptions alarmistes de forêts surexploitées, surpâturées, voire supprimées sont rédigées dans la seconde moitié du XVIIIe siècle (Wingen-sur-Moder en 1781, ABR E 188) au point que les autorités finissent par s’inquiéter d’une éventuelle pénurie de bois dans la province.

Le statut des forêts diffère en fonction de leur propriétaire. Les villes et les villages possèdent des forêts communales. Les seigneurs laïcs ou ecclésiastiques apparaissent comme les principaux propriétaires forestiers en Alsace. Les particuliers ne possèdent que très exceptionnellement un petit bois privé. Seules les forêts de la Hardt et de Haguenau appartiennent au souverain, d’abord l’Empereur, puis le roi de France. La propriété de la Forêt de Haguenau est même partagée entre la ville et le roi. Il existe, en effet, de nombreuses forêts indivises, notamment entre des seigneuries voisines ou entre plusieurs communautés villageoises. Cette situation entraîne d’inévitables litiges portés en justice parfois pendant des décennies, voire des siècles, comme pour la forêt indivise d’Ernolsheim, Saint-Jean-Saverne, Dossenheim et Steinbourg du XVe au XVIIe siècles (ABR E 1480). Pour l’exploitation de ces forêts indivises, des règlements forestiers (Waldordnungen) sont parfois négociés ou imposés ; c’est le cas pour l’Aschbruch en 1469 (Streicher, 1984 et Schmitter, 1996).

Les grands propriétaires forestiers emploient une administration spécifique chargée de la gestion et de la juridiction de leurs forêts. L’évêché de Strasbourg, comme beaucoup de grandes seigneuries laïques, possède un personnel forestier nombreux et hiérarchisé chargé de la surveillance des forêts, leur gestion et la répression des délits forestiers, les mésus (v. Forestier). La Régence d’Ensisheim, puis les maîtrises royales des Eaux et Forêts de Haguenau et d’Ensisheim administrent les forêts royales à partir du XVIe siècle (AHR 2B). À partir du XVe siècle, les autorités seigneuriales édictent des règlements pour l’exploitation des forêts et l’application des droits d’usage. Le comté de La Petite-Pierre promulgue ainsi plusieurs règlements à partir de 1592 (A. Spire B 2 397/3).

Avec l’intensification des délits et dégâts forestiers, notamment au XVIIIe siècle, l’appareil juridique se renforce à l’encontre des délinquants. Les réglementations seigneuriales et royales se multiplient pour tenter de limiter le phénomène, comme le règlement contre les « délits forestaux » dans les bois seigneuriaux du comté de Hanau-Lichtenberg en 1775 (A. Spire C 20 470). Avec l’accroissement de la demande et l’augmentation du prix du bois, la forêt devient un véritable enjeu, non seulement entre les usagers et les propriétaires, mais aussi entre les différentes autorités. Les communautés rurales s’opposent aux seigneurs qui tentent de définir plus étroitement les droits d’usage ou d’abandonner une portion des forêts aux usagers en échange de la pleine propriété du reste de la forêt dans le cadre d’un cantonnement (Jéhin, 1993, p. 151‑187). De même, le pouvoir royal impose sa réglementation forestière et sa tutelle aux communautés religieuses, puis aux communautés rurales (Thomann, 1959). En 1742, le roi place ces dernières sous l’autorité de l’intendant qui promulgue de nombreux règlements forestiers dans la seconde moitié du siècle (ABR C 352, Jéhin, 2005, p. 268-277). En revanche, la tentative de mainmise royale sur les forêts des seigneuries laïques se heurte à une vive opposition de la noblesse alsacienne qui entend bien continuer à gérer ses propres forêts (Hoffmann, I, p. 634-653).

La crise forestière s’intensifie à la fin du XVIIIe siècle et les revendications forestières des communautés rurales transparaissent largement dans les cahiers de doléances de 1789. Dans les campagnes, les problèmes forestiers sont souvent à l’origine des débordements révolutionnaires, comme dans la vallée de Saint-Amarin (Hoffmann, I, p. 718-738) ou à Saint-Jean-Saverne (Ring, 1989). La réglementation est bafouée, les forêts sont dévastées, les gardes sont molestés : on veut jouir de la forêt sans entrave. « La canaille s’est jetée dans la forêt, on les a dévastées uniquement pour le plaisir de faire du mal » déplore un rapport en 1789 (ABR C 753). Le libre accès à la forêt constitue une revendication essentielle dans les campagnes où l’on veut couper des arbres à sa guise (Rieger, 1950). En 1790, la nationalisation des biens du clergé permet une redistribution des terres, mais l’essentiel des forêts ecclésiastiques et seigneuriales revient à l’État pour constituer les forêts domaniales. Seuls les bois de moindre importance, sans grand intérêt économique et difficiles à surveiller, car trop isolés ou morcelés, sont vendus comme biens nationaux.

Toutes les institutions forestières sont supprimées à la Révolution. Une nouvelle administration chargée des forêts est mise en place à partir de 1801, mais sans l’aspect judiciaire ; elle est uniquement chargée de la surveillance et de la gestion des forêts. Il faut attendre la Restauration pour voir une solide reprise en main par l’État des affaires forestières par la définition d’une nouvelle politique forestière avec la création de l’École forestière de Nancy en 1824 et la promulgation du Code forestier en 1827 (Huffel).

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Notices connexes

Bois

Déboisement

Défends

Défensable

Défrichement

Eaux et Forêts

Essartage

Forestier (garde)

Forestier (inspecteur -)

Gruerie

Maîtrise des Eaux et Forêts

Scierie

Sylviculture

Philippe Jéhin