Franchises

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Charte de franchises, Freiheitsbrief

Les franchises sont un ensemble de droits reconnus par un seigneur à tout ou partie de ses dépendants. À travers cette concession, ces derniers obtiennent un statut privilégié. L’octroi de franchises passe généralement par une charte de franchises. La charte de franchises peut aménager un droit nouveau et venir modifier la coutume. Elle peut aussi consacrer des dispositions anciennes jamais mises par écrit jusque-là, et n’est, dans ce cas, qu’une codification des droits seigneuriaux.

Chartes de franchises françaises et Freiheitsbriefe germaniques

Alors que l’expression « charte de franchises » est d’usage courant chez les historiens français, sa traduction littérale est beaucoup moins usitée dans d’autres cadres nationaux (il n’existe par exemple pas d’article Freiheitsbrief dans leLexikon des Mittelalters, mais seulement une entrée « Chartes de franchises », rédigée par Albert Rigaudière).

Les documents médiévaux eux-mêmes ne se désignent pas comme tels. Les chartes de franchises françaises du XIIe siècle, rédigées en latin, parlent ainsi d’institutio pacis, de chartes (cartae) énonçant des coutumes (consuetudines) ou encore de convenientiae. Dans l’espace germanique, l’expression Freiheitsbrief ne devient courante que dans la seconde moitié du XIVe siècle : elle fait alors partie du vocabulaire des chancelleries urbaines qui disent conserver ou renouveler des Freiheitsbriefe. L’analyse sémantique des documents plus anciens, ceux-là mêmes que l’on tenait pour des Freiheitsbriefe aux XIVe-XVe siècles, reste à faire : ils semblent souvent désignés en allemand comme desHandfeste, des « Brieven », ou en latin comme deslibertates ou privilegia.

Par leurs caractères diplomatiques, les chartes de franchises ne forment pas davantage un genre à part. Les diplomatistes soulignent que, par la forme, les chartes de franchises ont une parenté avec divers types documentaires, tels les chartes de peuplement, les chartes de fondation de bourgs francs, les chartes de manumission collective, les chartes de coutume, les chartes de communes, les diplômes royaux octroyant privilèges à un ensemble de sujets…

Chartes de franchises et records de coutumes

Dans le cadre des études d’histoire rurale, à la suite de Charles-Edmond Perrin, on tend, dans l’historiographie française, à opposer les chartes de franchises aux records de coutumes (les Weistümer germaniques (v. Coutume). Selon cette hypothèse, dans l’Est, à partir de la Lorraine, et dans les espaces germaniques, prévaudraient les records de coutumes. Records de coutumes et chartes de franchises correspondent à deux modalités distinctes d’expression du pouvoir seigneurial : les premiers sont des proclamations des droits seigneuriaux lors des plaids annuels ; les secondes sont l’expression parfois restée unique d’un acte de concession seigneurial. Ils diffèrent également par la forme. Les chartes de franchises ont tout de la charte, dont les signes de validation, à condition bien sûr qu’elles aient été conservées dans leur version originale et non sous forme de copies (et c’est là que le bât blesse pour les XIe-XIIIe siècles dans l’espace germanique…). Les records, eux, se présentent comme des notices, souvent annexées aux censiers. Ils n’engagent donc pas le seigneur, contrairement à la charte.

Le fait est qu’en dehors des chartes de peuplement liées à la colonisation allemande orientale, ne subsistent guère de traces en terres germaniques de chartes de franchises rurales rédigées aux mêmes époques que leurs équivalents français (fin XIe‑XIIIe siècle). S’agit-il d’une différence de recours à l’écrit dans les milieux seigneuriaux, d’une différence de conservation ou même d’un autre mode de fonctionnement de l’autorité seigneuriale ? On ne sait, et il faut pour l’heure se contenter de signaler le hiatus que les entreprises éditoriales des XIXe-XXe siècles, menées dans le cadre des États-nations, ont sans doute contribué à creuser, avec, d’un côté, la collection des Weistümer de Jacob Grimm, et de l’autre, la publication de catalogues de chartes de franchises menée par la Société française d’Histoire du Droit après 1918.

Chartes de franchises urbaines

Dans le cadre urbain ou proto-urbain, la partition géographique entre chartes de franchises et records de coutumes (Weistümer) n’est cependant pas opératoire. Un inventaire (non publié) réalisé par Lydie Boulle selon les principes mêmes de la Société française d’Histoire du Droit a conduit au repérage de 2 505 chartes de franchises urbaines pour l’Alsace (entendue dans ses limites de 1648) entre le XIIe siècle et 1789. Un tel chiffre repose néanmoins sur une acception large des chartes de franchises : sont compris les privilèges royaux et impériaux conférés à des villes dont le seigneur direct n’était pas, à l’origine, le souverain (Strasbourg, Colmar, Mulhouse…), de même que tous les renouvellements et confirmations de privilèges. Du coup, Strasbourg compte à elle seule 269 « chartes de franchises » (ou plutôt, en l’occurrence, diplômes impériaux) ; les villes impériales en rassemblent 1441. Les autres seigneurs laïcs et ecclésiastiques apparaissent comme les auteurs de 794 chartes, avec la ventilation suivante :

-- territoires des Habsbourg (392) ;

-- possessions de l’évêché de Strasbourg (204) ;

-- seigneurie de Ribeaupierre (115) ;

-- comté de Hanau-Lichtemberg (35) ;

-- autres seigneurs (48).

La chronologie générale fait apparaître le caractère tardif des chartes de franchise urbaines d’Alsace. Hormis Haguenau où les habitants reçoivent une charte de leur seigneur et roi Frédéric Barberousse dès 1164, les premières chartes de franchises octroyées le sont entre la seconde moitié du XIIIe siècle et le XVIe siècle. Plusieurs d’entre elles coïncident avec des élévations au rang de ville : tel est le cas pour Turckheim ou Munster (1354). Dans certains territoires, le développement des libertés urbaines est encore plus tardif. Il se joue pour l’essentiel aux XIVe et XVe siècles pour les villes des territoires antérieurs d’Autriche (3 chartes au XIIIe siècle, 82 au XIVe siècle, 180 au XVe siècle, 73 au XVIe siècle).

Le contenu des chartes de franchises

Dès le XVe siècle, la part des simples confirmations de droits acquis augmente ; elle devient dominante au XVIe et au XVIIe siècle, siècle au cours duquel se multiplient en outre des transcriptions en langue française des anciennes chartes latines ou germaniques.

La nature des libertés octroyées variait fortement d’une charte à l’autre, de même que les chartes enserraient un nombre de dispositions très variable.

Parmi les concessions fréquentes figuraient cependant :

-- des exemptions de charges serviles : abolition de la mainmorte, des poursuites du seigneur au bout d’un an et d’un jour (ex : Ferrette, Ensisheim) ;

-- des allègements ou suppressions de taxes banales, comme la taille ;

-- des transferts de compétences seigneuriales à la communauté, à l’image de l’Umgeld souvent concédé – ou donné en gestion à la communauté

– à l’occasion de la construction de murailles ;

-- des privilèges économiques (droit de marché, de péage…) ;

-- l’exemption de toute juridiction étrangère.

Les chartes de franchises, « assurance-vie » des villes

Lors d’un changement des autorités ou en période de « réaction seigneuriale », les chartes de franchises étaient pour leurs bénéficiaires de véritables « assurances-vies » (G. Bischoff). Il s’agissait donc de prendre le plus grand soin de l’original dans les archives et de multiplier les copies authentifiées (vidimus, les ancêtres de nos copies certifiées conformes) pour parer à toute nouveauté. Forts d’une charte de franchise chèrement acquise auprès du comte Renaud de Montbéliard (1307), les Belfortains n’eurent de cesse de faire valoir leurs anciens droits face aux ducs d’Autriche. En 1472, leurs archives comptaient une quinzaine d’actes officiels qui constituaient les diverses strates de leurs libertés. En 1528, puis plusieurs fois au cours du XVIe siècle, le gouvernement urbain convoqua force notaires, greffiers et docteurs en droit afin de produire de fidèles transcriptions et traductions allemandes à partir de l’original « wallon ».

À l’inverse, les chartes de franchises restaient la marque de l’autorité seigneuriale concédante, laquelle se faisait payer au passage en bonne monnaie la concession originelle, puis les vidimus. À cet égard, le versement de 500 livres d’estrevenents « par raison de franchise », acquitté par les Belfortains, est tout à fait exemplaire.

En dépit du soin apporté à la garde des chartes de franchises au Moyen Âge, leur conservation jusqu’à nos jours est rare. Un exemple peut suffire à s’en convaincre. Ensisheim, ville médiate soumise aux Habsbourg, bénéficia à compter de 1277 de plusieurs privilèges. Un inventaire (fin XVe-début XVIe siècle ?) en donne une liste, peut-être incomplète. Mais sur les 54 chartes répertoriées par le document, ne restent aujourd’hui que deux originaux (1410, 1426) et cinq copies…

Bibliographie

FINSTERWALDER (Paul Wilhelm), « Der Freiheitsbrief König Rudolfs I von Habsburg vom 29. Dezember 1278 », Elsass- Lothringisches Jahrbuch, XIV, (1935), p. 63 et suiv.

SCHWIEN (Jean-Jacques), Ensisheim. Le lieu du glaive. Essais sur la mémoire d’une ville, thèse de 3e cycle dactylographiée, Strasbourg, 1985.

BOULLE Lydie, « Les chartes de franchises des villes alsacienne », Les pays de l’entre-deux au Moyen Âge : Questions d’histoire des territoires d’Empire entre Meuse, Rhône et Rhin (113e congrès des Sociétés savantes, Strasbourg, 1988), Paris, 1990, p. 115-121.

BISCHOFF (Georges), « La charte de franchise de Belfort (1307) et son renouvellement en 1332 », Bulletin de la société belfortaine d’émulation, 98, 2007, p. 31-46.

BISCHOFF (Georges), Pagnot (Yves), Belfort 1307-2007. Sept siècles de courage et de liberté, Strasbourg, 2007.

Notices connexes

Affranchissement

Coutume

Droits_urbains

Stadtrechte

Laurence Buchholzer