Noblesse alsacienne (1648 à 1789) : Différence entre versions

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On pourrait y adjoindre les familles émargeant à la ''Reichskirche'', c’est-à-dire celles qui constituent le vivier des princes régnant sur les principautés ecclésiastiques, des prélats et chanoines, qui se sont appropriées le [[Chapitre_de_la_cathédrale,_Grand_chapitre|grand chapitre de Strasbourg]], grâce à un mode d’agrégation si sélectif – car limité aux princes et comtes d’[[Empire|Empire]] (Hohenlohe, Königsegg, Löwenstein, Manderscheidt, Salm Truchsess von Waldburg…) –, qui ne permet plus aux familles de la noblesse alsacienne de pouvoir prétendre aux canonicats qu’il offre. Cette institution constitue en quelque sorte un corps nobiliaire étranger qui n’en joue pas moins un rôle important dans la région, du fait de l’ampleur des possessions sur lesquelles le [[Chapitre|chapitre]] exerce son autorité seigneuriale. Si elle est exclusivement exogène, cette haute noblesse n’est cependant pas totalement absente de l’Alsace : les [[Chanoine|chanoines]] résident épisodiquement à Strasbourg, comme les princes souverains qui y font construire des demeures somptueuses, à l’image des résidences d’une autre [[Famille|famille]] aristocratique, les Rohan, qui fournissent quatre princes-évêques à Strasbourg, à la suite des Fürstenberg, et stimule une vie mondaine saisonnière entre Strasbourg et Saverne.  
 
On pourrait y adjoindre les familles émargeant à la ''Reichskirche'', c’est-à-dire celles qui constituent le vivier des princes régnant sur les principautés ecclésiastiques, des prélats et chanoines, qui se sont appropriées le [[Chapitre_de_la_cathédrale,_Grand_chapitre|grand chapitre de Strasbourg]], grâce à un mode d’agrégation si sélectif – car limité aux princes et comtes d’[[Empire|Empire]] (Hohenlohe, Königsegg, Löwenstein, Manderscheidt, Salm Truchsess von Waldburg…) –, qui ne permet plus aux familles de la noblesse alsacienne de pouvoir prétendre aux canonicats qu’il offre. Cette institution constitue en quelque sorte un corps nobiliaire étranger qui n’en joue pas moins un rôle important dans la région, du fait de l’ampleur des possessions sur lesquelles le [[Chapitre|chapitre]] exerce son autorité seigneuriale. Si elle est exclusivement exogène, cette haute noblesse n’est cependant pas totalement absente de l’Alsace : les [[Chanoine|chanoines]] résident épisodiquement à Strasbourg, comme les princes souverains qui y font construire des demeures somptueuses, à l’image des résidences d’une autre [[Famille|famille]] aristocratique, les Rohan, qui fournissent quatre princes-évêques à Strasbourg, à la suite des Fürstenberg, et stimule une vie mondaine saisonnière entre Strasbourg et Saverne.  
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== La noblesse immédiate de Basse-Alsace ==
 
== La noblesse immédiate de Basse-Alsace ==
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La noblesse immédiate de Basse-Alsace participe des cercles de chevalerie (voir&nbsp;:&nbsp;[[Chevalerie|Chevalerie]], [[Empire|Empire]], [[États_provinciaux_de_Haute_Alsace|États provinciaux]]-''[[Landstände|Landstände]]'', ''[[Ritterkreisen|Ritterkreisen]]'') bénéficiant collectivement de l’immédiateté impériale (voir&nbsp;:&nbsp;[[Immédiateté|Immédiateté]]) qui se sont structurés au cours du XVI<sup>e</sup>&nbsp;siècle (constitution du cercle en&nbsp;1547, statuts en&nbsp;1651). Elle a collectivement le droit de tenir des assemblées et de se faire représenter par un Directoire permanent qui siège à partir de 1685 place Saint-Étienne, dans la ''Ritterhaus'', considéré plus spacieux que la maison «&nbsp;Zum Hohen Steg&nbsp;» (voir&nbsp;:&nbsp;[[Directoire|Directoire]]). &nbsp;
 
La noblesse immédiate de Basse-Alsace participe des cercles de chevalerie (voir&nbsp;:&nbsp;[[Chevalerie|Chevalerie]], [[Empire|Empire]], [[États_provinciaux_de_Haute_Alsace|États provinciaux]]-''[[Landstände|Landstände]]'', ''[[Ritterkreisen|Ritterkreisen]]'') bénéficiant collectivement de l’immédiateté impériale (voir&nbsp;:&nbsp;[[Immédiateté|Immédiateté]]) qui se sont structurés au cours du XVI<sup>e</sup>&nbsp;siècle (constitution du cercle en&nbsp;1547, statuts en&nbsp;1651). Elle a collectivement le droit de tenir des assemblées et de se faire représenter par un Directoire permanent qui siège à partir de 1685 place Saint-Étienne, dans la ''Ritterhaus'', considéré plus spacieux que la maison «&nbsp;Zum Hohen Steg&nbsp;» (voir&nbsp;:&nbsp;[[Directoire|Directoire]]). &nbsp;
  
L’intégration au royaume de France n’a pas retiré à cette noblesse équestre toutes ses prérogatives seigneuriales, délimitées et garanties par les lettres patentes du 20&nbsp; décembre&nbsp;1680, renouvelées en mai&nbsp;1779. Parmi les prérogatives conservées, citons le droit de réglementer la police de la [[Chasse|chasse]], de la pêche et des [[Eaux_et_Forêts|forêts]] dans les seigneuries, d’y débiter exclusivement le sel, de faire les statuts des corps des arts et métiers, de percevoir douze écus par réception de [[Juif|juif]], la conservation des droits dévolus aux protestants, à l’exception du divorce qui ne peut être prononcé dans le royaume, ou encore la permission d’être reçus dans les chapitres d’[[Empire|Empire]] sans consentement préalable du Roi. Le Directoire exerce une [[Justice|justice]]&nbsp;propre pour les affaires entre pairs et internes aux [[Fief|fiefs]] immédiats, mais se heurte à la juridiction supérieure du [[Conseil_souverain|Conseil souverain]]. La noblesse perd toutefois la substance de la supériorité territoriale (''[[Landeshoheit|Landeshoheit]]'') (voir&nbsp;:&nbsp;''[[Ius_supremum|Ius supremum]]'') qui fait la spécificité de corps immédiats, elle n’exerce plus aucun droit politique et ne peut s’occuper que de ses intérêts propres. Ces lettres patentes confirment également le titre de noblesse immédiate pour les individus ou fiefs réputés immédiats figurant dans la matricule de la noblesse immédiate, reconnue par la France, par l’article&nbsp;87 du traité de Munster. En&nbsp;1681, 56&nbsp;familles et 90&nbsp;[[Fief|fiefs]] d’Empire y apparaissent. Aucune nouvelle agrégation ne peut se faire sans l’assentiment du Roi qui veille à favoriser l’intégration de familles nouvelles. Le profil social de la noblesse immédiate apparaît de moins en moins endogamique (au cours du XVIII<sup>e</sup>&nbsp;siècle, sur 50&nbsp;familles immatriculées, la noblesse anciennement implantée ou «&nbsp;locale&nbsp;» ne représente plus que 34%, contre 26% pour les anoblis et 40% pour la noblesse «&nbsp;immigrée&nbsp;», y compris des familles de l’ancienne noblesse de Haute-Alsace)&nbsp;; de cette intégration plus grande d’élites exogènes découle au final la perte d’autonomie du Directoire de la noblesse de Basse-Alsace à l’égard du Conseil souverain à la faveur d’un arrêt du 18&nbsp;août&nbsp;1770 contre lequel les actions du Directoire auprès du ministre Choiseul ne peuvent rien. Cet arrêt met fin à l’enclave juridique que constituait la noblesse immédiate au sein du royaume de France. En&nbsp;1789, la [[Matricule|matricule]] compte notamment les vieilles familles d’Andlau, Berckheim, Berstett, Boecklin, Buch, Dettlingen, Eckbrecht de Dürckheim, Flachslanden, Gayling d’Altenheim, Haffner de Wasselnheim, Haendel, Ichtratzheim, Joham de Mundolsheim, Kageneck, Kirchheim, Landsperg, Mullenheim, Neuenstein, Oberkirch, Rathsamhausen, Reich de Platz, Roeder de Dirsburg, Schoenau, Wangen, Weitersheim, Wetzel de Marsili, Wurmser, Zorn de Bulach et Zorn de Plobsheim, auxquelles se sont notamment ajoutés les Birckenwald, Bodeck, Calagan, Dietrich, Falckenhayn, Forstner, Gail, Glaubitz, Guntzer, Hatzel, Klinglin, Mackau, Ocahan, Sondersleben, Schenck de Schmittburg, Spon, Streit d’Immerdingen ou Weber (voir&nbsp;:&nbsp;[[Nobles_catholiques_et_nobles_protestants|Nobles catholiques et nobles protestants]]). &nbsp;
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L’intégration au royaume de France n’a pas retiré à cette noblesse équestre toutes ses prérogatives seigneuriales, délimitées et garanties par les lettres patentes du 20&nbsp; décembre&nbsp;1680, renouvelées en mai&nbsp;1779. Parmi les prérogatives conservées, citons le droit de réglementer la police de la [[Chasse|chasse]], de la pêche et des [[Eaux_et_Forêts|forêts]] dans les seigneuries, d’y débiter exclusivement le sel, de faire les statuts des corps des arts et métiers, de percevoir douze écus par réception de [[Juif|juif]], la conservation des droits dévolus aux protestants, à l’exception du divorce qui ne peut être prononcé dans le royaume, ou encore la permission d’être reçus dans les chapitres d’[[Empire|Empire]] sans consentement préalable du Roi. Le Directoire exerce une [[Justice|justice]]&nbsp;propre pour les affaires entre pairs et internes aux [[Fief|fiefs]] immédiats, mais se heurte à la juridiction supérieure du [[Conseil_souverain|Conseil souverain]]. La noblesse perd toutefois la substance de la supériorité territoriale (''[[Landeshoheit|Landeshoheit]]'') (voir&nbsp;:&nbsp;''Ius supremum'') qui fait la spécificité de corps immédiats, elle n’exerce plus aucun droit politique et ne peut s’occuper que de ses intérêts propres. Ces lettres patentes confirment également le titre de noblesse immédiate pour les individus ou fiefs réputés immédiats figurant dans la matricule de la noblesse immédiate, reconnue par la France, par l’article&nbsp;87 du traité de Munster. En&nbsp;1681, 56&nbsp;familles et 90&nbsp;[[Fief|fiefs]] d’Empire y apparaissent. Aucune nouvelle agrégation ne peut se faire sans l’assentiment du Roi qui veille à favoriser l’intégration de familles nouvelles. Le profil social de la noblesse immédiate apparaît de moins en moins endogamique (au cours du XVIII<sup>e</sup>&nbsp;siècle, sur 50&nbsp;familles immatriculées, la noblesse anciennement implantée ou «&nbsp;locale&nbsp;» ne représente plus que 34%, contre 26% pour les anoblis et 40% pour la noblesse «&nbsp;immigrée&nbsp;», y compris des familles de l’ancienne noblesse de Haute-Alsace)&nbsp;; de cette intégration plus grande d’élites exogènes découle au final la perte d’autonomie du Directoire de la noblesse de Basse-Alsace à l’égard du Conseil souverain à la faveur d’un arrêt du 18&nbsp;août&nbsp;1770 contre lequel les actions du Directoire auprès du ministre Choiseul ne peuvent rien. Cet arrêt met fin à l’enclave juridique que constituait la noblesse immédiate au sein du royaume de France. En&nbsp;1789, la [[Matricule|matricule]] compte notamment les vieilles familles d’Andlau, Berckheim, Berstett, Boecklin, Buch, Dettlingen, Eckbrecht de Dürckheim, Flachslanden, Gayling d’Altenheim, Haffner de Wasselnheim, Haendel, Ichtratzheim, Joham de Mundolsheim, Kageneck, Kirchheim, Landsperg, Mullenheim, Neuenstein, Oberkirch, Rathsamhausen, Reich de Platz, Roeder de Dirsburg, Schoenau, Wangen, Weitersheim, Wetzel de Marsili, Wurmser, Zorn de Bulach et Zorn de Plobsheim, auxquelles se sont notamment ajoutés les Birckenwald, Bodeck, Calagan, Dietrich, Falckenhayn, Forstner, Gail, Glaubitz, Guntzer, Hatzel, Klinglin, Mackau, Ocahan, Sondersleben, Schenck de Schmittburg, Spon, Streit d’Immerdingen ou Weber (voir&nbsp;:&nbsp;[[Nobles_catholiques_et_nobles_protestants|Nobles catholiques et nobles protestants]]). &nbsp;
  
 
== La noblesse de Haute-Alsace ==
 
== La noblesse de Haute-Alsace ==

Version actuelle datée du 19 novembre 2022 à 08:39

La noblesse alsacienne après 1648

Le déplacement de la frontière entre 1648 et 1681 est à l'origine du basculement d’un système juridique dans un autre qui présente des normes juridiques, politiques, sociales et culturelles qui diffèrent et induisent la nécessité, théorique, d’un ajustement de la part de la noblesse, au-delà des concessions accordées par le nouveau souverain. La noblesse alsacienne s’inscrit alors collectivement en tension entre une conception germanique de la noblesse qu’elle prétend conserver et sur laquelle elle entend fonder sa différence et une adhésion aux pratiques sociales et culturelles des élites nobiliaires du royaume de France, tension encore palpable à la fin de l’Ancien Régime lorsque la noblesse de Haute-Alsace réclame la reconnaissance d’un statut juridique singulier au regard de son appartenance antérieure aux États de l’Autriche_antérieure, voire au début de la Révolution lorsque la noblesse de Basse-Alsace argumente contre la suppression des privilèges en faisant valoir la perpétuation de son statut immédiat.  

Noblesse alsacienne et féodalité : les réunions et les incorporations de fiefs

Les conflits qui ont émaillé la première partie du XVIIe siècle ont généré d’importants bouleversements politiques et sociaux qui ont frappé de plein fouet la noblesse installée en Alsace. Bon nombre de nobles avaient fui pour des raisons politiques ou confessionnelles. Les occupants successifs, en particulier les Suédois puis les Français, avaient procédé à des confiscations et des redistributions de biens et droits à leurs clientèles qui avaient profondément modifié la carte nobiliaire alsacienne. En 1645, les spoliations s’arrêtent et un décret royal du 19 juillet 1646 ordonne un état des lieux des « donations » dans l’objectif de rallier les anciens lignages alsaciens à l’idée d’un déplacement de la frontière sur le Rhin. Les Andlau, Reinach ou Flachslanden sont parmi les premiers à se manifester pour récupérer leurs terres (p. ex. ADHR C 957 n°66, lettre d’Andlau qui assure le Roi de sa fidélité si ses terres lui sont rendues). Les tractations entre les bénéficiaires des spoliations et les anciens bénéficiaires sont parfois longues et coûteuses : les Rosen qui avaient récupéré les fiefs possédés par les comtes Fugger dans le sud de l’Alsace se voient contraints de les dédommager à hauteur de 100 000  livres. L’installation de cette nouvelle noblesse militaire répond au vœu de Louis XIV d’ancrer en Alsace une dizaine de familles, dont il serait plus assuré de la fidélité que de celle des familles alsaciennes. D’autre part, le Roi veut s’assurer le contrôle du sud de la région, conservant la main sur le comté de Ferrette et les seigneuries de Belfort, Delle, Thann, Altkirch et Issenheim qui sont octroyées à Mazarin en 1658-59, malgré les protestations.  

Conformément au traité de Münster d’octobre  1648, le droit germanique continue à s’appliquer à la noblesse en dépit du changement de suzeraineté : le fief ne peut se transmettre par les femmes et revient au seigneur direct en cas d’extinction de la ligne masculine ; la transmission des fiefs propres se fait indifféremment à tous les descendants masculins, sans droit d’aînesse ; le fief demeure inaliénable, si bien qu’il se trouve maintenuad aeternam dans le lignage, sous réserve de perpétuation masculine, et permet de maintenir au lignage les revenus de son usufruit. Le fief n’est pas en soit un critère de noblesse dans la mesure où il peut également être détenu par des non-nobles, mais avec une capacité féodale seulement passive.  

Signe particulier de la noblesse alsacienne : elle peut détenir des fiefs immédiats à l’égard du Saint Empire, mais qui relèvent également de la suprême seigneurie du roi de France (art. 87 du traité de Münster). Le Roi impose à la noblesse alsacienne, la réunion, l’hommage pour leurs fiefs et le serment de fidélité (1680).  

Dans la pratique, la situation est souvent plus complexe, notamment sur les zones frontalières où demeurent enclaves et exclaves qui bénéficient d’incertitudes juridiques ou de statuts de coseigneuries. C’est le cas de certaines possessions des comtes de Birkenfels qui mettent à leur profit l’articulation ambiguë entre souveraineté française et suzeraineté de l’électeur palatin (S. Lazer).  

Les contraintes de la pureté du lignage

Parmi les permanences remarquables de la noblesse alsacienne après l’incorporation au royaume de France demeurent également les enjeux de l’appartenance à un lignage réputé noble, capable de prouver l’ancienneté de sa noblesse sur une plus ou moins longue durée selon un système de preuves commun à la noblesse germanique, à savoir le service du prince, la détention d’armoiries, la participation aux tournois, l’intégration dans des institutions canoniales, l’appartenance à une parentèle strictement noble, telle qu’elle doit apparaître dans les arbres généalogiques démontrant la pureté du lignage par addition des quartiers de noblesse du côté maternel comme paternel.  

En découle un régime démographique singulier. Selon Erich Pelzer, la noblesse alsacienne se caractérise par un relatif maintien démographique au cours du XVIIIe siècle, autour de 250 familles dans les années 1730 ; au printemps 1789, elle compte 456 familles, soit environ 2 000 à 2 500 personnes, ce qui représente 0,4% de la population alsacienne (Pelzer, p. 10) et constitue une densité nobiliaire très faible au regard d’autres provinces françaises. Ces estimations ne doivent cependant pas occulter des processus de renouvellement important puisque 70% des anciennes familles immatriculées aux États de Haute-Alsace disparaissent au cours du XVIIe siècle et, dans une moindre mesure, du siècle suivant. La noblesse de Basse-Alsace connaît une évolution assez similaire puisque 59  familles s’éteignent dans le même temps. D’autres familles s’y substituent, qu’il s’agisse de nobles venus d’ailleurs (des familles françaises ou limitrophes qui bénéficient des vacances de fiefs…) ou qui bénéficient de procédures d’anoblissement liées à leur fonction, en particulier au Conseil_souverain d’Alsace qui sécrète une noblesse de robe nouvelle dans la région, ou à leur mérite (de Dietrich). L’ampleur des familles est assez variable, certaines présentant des ramifications complexes, à la fois source de dispersion du patrimoine en l’absence de droit d’aînesse et de capacité à multiplier les ancrages territoriaux et parentélaires. Les Reich von Reichenstein comptent ainsi cinq branches, les Andlau sept branches, les Reinach huit, dont la solidarité est maintenue par des mariages interbranches qui permettent également de conserver les patrimoines dans le giron familial et un contrôle des politiques matrimoniales, savamment élaborées afin de maintenir la qualité lignagère qui caractérise l’ancienne noblesse alsacienne au dire des descriptions et mémoires rédigés par les contemporains et la distingue du reste de la noblesse du royaume de France.  

La question confessionnelle

À la conversion massive de la noblesse alsacienne des années 1580 – sans du reste qu’elle soit nécessairement suivie par celle des sujets, ce qui entraine la création de simultaneums après 1685 –, succède une situation plus contrastée du point de vue confessionnel dans la seconde moitié du XVIIe siècle. L’arrivée de lignages qui, du fait de leur fidélité au roi de France ou de leur appartenance à la robe, sont de facto catholiques, mais aussi le retour au catholicisme d’une partie des anciennes familles alsaciennes, sous l’effet de la politique de recatholicisation menée par la Maison d’Autriche, par opportunisme politique ou encore par conviction, brouille considérablement la carte confessionnelle. Si l’Alsace demeure une terre de tolérance confessionnelle, même après l’édit de Fontainebleau, les mesures de restriction à l’égard des protestants sont bien réelles. Alors que le Directoire de la noblesse immédiate de Basse-Alsace conserve une parité confessionnelle dans les juges adjoints lors des affaires graves, l’agrégation à la noblesse immédiate ne peut plus se faire qu’en faveur de catholiques. Les mariages interconfessionnels sont théoriquement proscrits et des restrictions juridiques sont imposées aux lignages protestants, en particulier en matière de droit successoral. En revanche, les familles protestantes conservent quelques institutions propres, par exemple certains chapitres passés à la Réforme, comme le chapitre de femmes de Saint-Étienne à Strasbourg. Leur nombre très restreint n’offre cependant pas les mêmes possibilités aux fils des lignages protestants qu’aux catholiques et les oblige à se tourner davantage vers le métier des armes.  

Dans la pratique, plusieurs familles se signalent par un multiconfessionnalisme interne en fonction des diverses branches, par exemple les Berckheim (branche de Jebsheim évangéliste ; branche de Ribeauvillé catholique). Les Waldner de Freundstein, lignage majoritairement protestant, comprend également des membres catholiques, qui émargent à l’Ordre teutonique (NEDOPIL Leopold, Deutsche Adelsproben aus dem Deutschen Ordens-Central-Archive, Vienne, 1868). L’adhésion à la Réforme n’empêche pas certains membres de la branche protestante de bénéficier de la faveur royale, Christian-Frédéric-Dagobert de Waldner de Freundstein obtient ainsi les honneurs de la cour et un titre comtal en 1764, sa fille, la baronne d’Oberkirch, est admise à la cour de France. Et de fait, la frontière confessionnelle ne semble pas traverser la sociabilité nobiliaire qui se développe au cours du XVIIIe siècle, en particulier à Strasbourg.  

La stratification sociale de la noblesse alsacienne et ses évolutions

Les conflits du XVIIe siècle, puis le processus d’intégration au royaume de France à partir du milieu du XVIIe siècle ont complexifié la stratification de la noblesse alsacienne : confiscations de fiefs par les occupants successifs qui se sont installés ou les ont dominés à distance, transfert de la souveraineté française qui favorise l’arrivée de nouvelles familles, mais pose aussi la question de la rétrocession des fiefs confisqués pendant la guerre de Trente Ans, gestion complexe des coutumes anciennes, du maintien de l’immédiateté pour la noblesse de Basse-Alsace et des revendications afférentes de la noblesse de Haute-Alsace.  

En résulte une typologie juridique dans la réalité très artificielle dans la mesure où les catégories se superposent.  

Les princes possessionnés

Au sommet de la pyramide sociale, les dynasties régnantes, parfois qualifiés de « princes possessionnés », jouissent de la plupart des droits régaliens dans leurs seigneuries alsaciennes (voir : Fürsten, princes possessionnés). Il s’agit essentiellement des princes-évêques de Strasbourg et de Spire, du landgrave de Hesse-Darmstadt (qui a notamment hérité des comtes de Hanau-Lichtenberg) (voir : Hanau-Lichtenberg), du duc de Deux-Ponts (héritage des Ribeaupierre) (voir : Deux-Ponts), du duc de Wurtemberg et Montbéliard (voir : Montbéliard) ou de la maison de Mazarin-Monaco pour le comté de Ferrette (voir : Ferrette). S’ils perdent le droit de guerre et d’alliance, le droit de grâce, la capacité à frapper monnaie, à produire une législation et à imposer les sujets, mais conservent les droits régaliens compatibles avec la souveraineté du roi de France, confirmés par lettres patentes, renouvelées à plusieurs reprises. Ils demeurent exemptés de toute imposition, conservent le droit de haute, moyenne et basse justice, la capacité de nommer baillis, officiers de justice et prévôts ; une administration centralisée et des juridictions d’appel (voir : Régences) sont conservées dans la principauté épiscopale de Strasbourg et le comté de Hanau, avec possibilité de lever sur leurs sujets droits pour leur fonctionnement ; sont également maintenus le droit de faire prêter foi et hommage à leurs vassaux, ceux de réunir à leurs domaines les fiefs aliénés par leurs prédécesseurs quand ils vaquent, d’avoir des cours féodales pour juger des différents entre leurs vassaux, de recevoir ou congédier les Juifs ou encore de produire des règlements.  

On pourrait y adjoindre les familles émargeant à la Reichskirche, c’est-à-dire celles qui constituent le vivier des princes régnant sur les principautés ecclésiastiques, des prélats et chanoines, qui se sont appropriées le grand chapitre de Strasbourg, grâce à un mode d’agrégation si sélectif – car limité aux princes et comtes d’Empire (Hohenlohe, Königsegg, Löwenstein, Manderscheidt, Salm Truchsess von Waldburg…) –, qui ne permet plus aux familles de la noblesse alsacienne de pouvoir prétendre aux canonicats qu’il offre. Cette institution constitue en quelque sorte un corps nobiliaire étranger qui n’en joue pas moins un rôle important dans la région, du fait de l’ampleur des possessions sur lesquelles le chapitre exerce son autorité seigneuriale. Si elle est exclusivement exogène, cette haute noblesse n’est cependant pas totalement absente de l’Alsace : les chanoines résident épisodiquement à Strasbourg, comme les princes souverains qui y font construire des demeures somptueuses, à l’image des résidences d’une autre famille aristocratique, les Rohan, qui fournissent quatre princes-évêques à Strasbourg, à la suite des Fürstenberg, et stimule une vie mondaine saisonnière entre Strasbourg et Saverne.  


La noblesse immédiate de Basse-Alsace

La noblesse immédiate de Basse-Alsace participe des cercles de chevalerie (voir : Chevalerie, Empire, États provinciaux-Landstände, Ritterkreisen) bénéficiant collectivement de l’immédiateté impériale (voir : Immédiateté) qui se sont structurés au cours du XVIe siècle (constitution du cercle en 1547, statuts en 1651). Elle a collectivement le droit de tenir des assemblées et de se faire représenter par un Directoire permanent qui siège à partir de 1685 place Saint-Étienne, dans la Ritterhaus, considéré plus spacieux que la maison « Zum Hohen Steg » (voir : Directoire).  

L’intégration au royaume de France n’a pas retiré à cette noblesse équestre toutes ses prérogatives seigneuriales, délimitées et garanties par les lettres patentes du 20  décembre 1680, renouvelées en mai 1779. Parmi les prérogatives conservées, citons le droit de réglementer la police de la chasse, de la pêche et des forêts dans les seigneuries, d’y débiter exclusivement le sel, de faire les statuts des corps des arts et métiers, de percevoir douze écus par réception de juif, la conservation des droits dévolus aux protestants, à l’exception du divorce qui ne peut être prononcé dans le royaume, ou encore la permission d’être reçus dans les chapitres d’Empire sans consentement préalable du Roi. Le Directoire exerce une justice propre pour les affaires entre pairs et internes aux fiefs immédiats, mais se heurte à la juridiction supérieure du Conseil souverain. La noblesse perd toutefois la substance de la supériorité territoriale (Landeshoheit) (voir : Ius supremum) qui fait la spécificité de corps immédiats, elle n’exerce plus aucun droit politique et ne peut s’occuper que de ses intérêts propres. Ces lettres patentes confirment également le titre de noblesse immédiate pour les individus ou fiefs réputés immédiats figurant dans la matricule de la noblesse immédiate, reconnue par la France, par l’article 87 du traité de Munster. En 1681, 56 familles et 90 fiefs d’Empire y apparaissent. Aucune nouvelle agrégation ne peut se faire sans l’assentiment du Roi qui veille à favoriser l’intégration de familles nouvelles. Le profil social de la noblesse immédiate apparaît de moins en moins endogamique (au cours du XVIIIe siècle, sur 50 familles immatriculées, la noblesse anciennement implantée ou « locale » ne représente plus que 34%, contre 26% pour les anoblis et 40% pour la noblesse « immigrée », y compris des familles de l’ancienne noblesse de Haute-Alsace) ; de cette intégration plus grande d’élites exogènes découle au final la perte d’autonomie du Directoire de la noblesse de Basse-Alsace à l’égard du Conseil souverain à la faveur d’un arrêt du 18 août 1770 contre lequel les actions du Directoire auprès du ministre Choiseul ne peuvent rien. Cet arrêt met fin à l’enclave juridique que constituait la noblesse immédiate au sein du royaume de France. En 1789, la matricule compte notamment les vieilles familles d’Andlau, Berckheim, Berstett, Boecklin, Buch, Dettlingen, Eckbrecht de Dürckheim, Flachslanden, Gayling d’Altenheim, Haffner de Wasselnheim, Haendel, Ichtratzheim, Joham de Mundolsheim, Kageneck, Kirchheim, Landsperg, Mullenheim, Neuenstein, Oberkirch, Rathsamhausen, Reich de Platz, Roeder de Dirsburg, Schoenau, Wangen, Weitersheim, Wetzel de Marsili, Wurmser, Zorn de Bulach et Zorn de Plobsheim, auxquelles se sont notamment ajoutés les Birckenwald, Bodeck, Calagan, Dietrich, Falckenhayn, Forstner, Gail, Glaubitz, Guntzer, Hatzel, Klinglin, Mackau, Ocahan, Sondersleben, Schenck de Schmittburg, Spon, Streit d’Immerdingen ou Weber (voir : Nobles catholiques et nobles protestants).  

La noblesse de Haute-Alsace

La noblesse médiate consistant en la noblesse sise en Haute-Alsace, dont la suzeraineté est passée de la Maison d’Autriche (régence d’Ensisheim) à la couronne française, mais aussi dans la noblesse de Basse-Alsace non immatriculée ou appartenant aux cours féodales de dynasties princières « possessionnées » en Alsace, fieffée dans les principautés épiscopales de Strasbourg et Bâle ou encore de Murbach. Parmi les lignages de Haute-Alsace, on citera les Barenfels, Eptingen, Frohberg / Montjoie, Kempf d’Angrett, Landenberg, Ferrette, Reich de Reichenstein, Reinach, Schauenburg, Truchsess de Rheinfelden, Waldner de Freundstein, Wessenberg ou Zu Rhein (parmi les listes établies, p. ex. BNUS Ms 1227, État de la répartition de la noblesse de Haute-Alsace, 1742). La politique royale d’ouverture de la noblesse d’Alsace par intégration et anoblissement a favorisé l’arrivée de nouvelles familles, tels les Anthès, Barbeau de Florimont, Bergeret, Boesenwald, Clebsattel, Cointet de Filain, Fériet, Gohr, Höhn de Dillenburg, Kloeckler de Munchenstein, de la Touche, Vignacourt… La noblesse médiate bénéficie des privilèges afférents à son statut juridique, en particulier les droits seigneuriaux (justice, corvée seigneuriale, dîme, lods et ventes, mainmorte (Todtfall), émigration (Abzug), Umgeld, banvin, accise sur le fer et autres marchandises, débit de sel, alimentation (Atzung), droit de chasse et pêche, déshérence, libre cueillette…) et dépend du Conseil souverain.  

La noblesse de robe

La noblesse de robe, essentiellement générée par la création du Conseil souverain constitue une autre catégorie, relativement bien distincte des précédentes, du fait du mode d’anoblissement et d’une endogamie savamment cultivée qui l’isolent quelque peu du reste des élites nobiliaires alsaciennes, même si ces robins aspirent à intégrer à la société nobiliaire par l’achat de seigneuries ou la quête de titres. Les procès-verbaux des électeurs nobles aux États généraux de 1789 relèvent les noms des familles de présidents ou conseillers au Conseil souverain d’Alsace suivants : D’Anthès, Boisgautier, Boug, Demougé, Golbéry, Klinglin, de Müller, Poirot, Salomon, de Spon, Zaiguelius (Catalogue des gentilshommes d’Alsace, Corse, Comtat-Venaissin qui ont pris part ou envoyé leur procuration aux assemblées de la noblesse, pour l’élection des députés aux États généraux de 1789 / publ. d’après les procès-verbaux officiels, par MM. Louis de La Roque et Edouard de Barthélémy, Paris, 1865).  

Entre ouverture et résistance : le positionnement de la noblesse ancienne face au royaume de France

Du fait de la situation frontalière de la région, ceux qui aspirent à la noblesse ou à s’élever dans la hiérarchie nobiliaire peuvent aussi bien requérir la faveur royale qu’impériale, le roi de France et l’Empereur produisant des lettres (ou diplômes) de noblesse chacun de leur côté. Jean de Dietrich est ainsi anobli par Louis XV en 1761 et élevé à la dignité de baron du Saint Empire par l’empereur François-Étienne de Lorraine, l’année suivante avec son père, Jean-Nicolas, lequel ne sera anobli par Louis XV qu’en 1768. Si le roi de France se contente d’anoblir des individualités jusqu’à l’ordonnance de Compiègne de 1783 qui octroie à toutes les familles qui peuvent prouver le port d’un titre (Herr, Freyherr ou Baron) en 1680 la capacité à utiliser le titre baronnial (voir : Baron-Freiherr), l’Empereur procède également à des vagues d’élévation de familles anciennes qui lui permettent de les maintenir dans l’orbite germanique et habsbourgeoise – à l’exception de l’intermède bavarois de 1741-1745.  

Cette politique n’est peut-être pas totalement étrangère à une certaine homogénéisation de l’ancienne noblesse alsacienne au cours de la seconde modernité, la noblesse immédiate de Basse-Alsace acquérant des terres en Haute-Alsace dont les familles cherchent à intégrer la noblesse impériale, le renforcement des alliances matrimoniales favorisant l’élaboration d’une noblesse « intégrée » à l’échelle de la région (voire au-delà) d’une trentaine de lignages au XVIIIe siècle.  

Ce noyau dur de familles d’origine féodale se considère au fil du temps comme une sorte de conservatoire nobiliaire identifié par plusieurs observateurs français comme jaloux d’une pureté de sang toute germanique qui s’exprime par exemple dans les libelles produits au début des années 1770 pour réclamer la reconnaissance dans le royaume de France de leur statut de noblesse titrée en Empire et ainsi se distinguer d’une noblesse d’extraction plus récente.  

Le besoin de reconnaissance passe également par la sollicitation des honneurs de la cour, dont bénéficient plusieurs familles alsaciennes (Andlau, Flachslanden, Lutzelbourg, Oberkirch, Waldner, Wurmser) à plusieurs reprises et essentiellement dans la seconde moitié du XVIIIe siècle (voir : liste dans François Bluche, Les honneurs de la cour, Paris, 1957).  

Une noblesse très attachée aux institutions nobiliaires du Saint Empire : ordres militaires, chapitres canoniaux

Malgré cette ouverture vers la cour de France, également matérialisée par le service militaire du roi de France dans l’un des multiples régiments locaux (voir : Alsace-Infanterie, Infanterie, Louis (Saint Louis, Ordre royal et militaire de, Ordre du Mérite militaire), l’économie symbolique des lignages anciens, en particulier catholiques, reste essentiellement tournée vers l’Empire, au travers d’une volonté ferme de maintien dans les institutions chapitrales et abbatiales comme les ordres chevaleresques (voir : Accès, Vorzugsgerechtigkeit) en particulier l’ordre teutonique et l’ordre de Malte (voir : Commanderie, Hochmeister).  

Leur recrutement très sélectif, fondé sur l’examen de l’ascendance cognatique du candidat, offre la garantie d’une noblesse irréprochable aux familles chapitrables. Si le grand chapitre de la cathédrale de Strasbourg leur est inaccessible, les anciens lignages alsaciens affirment, et renforcent, leur présence dans les chapitres abbatiaux d’Ottmarsheim, Andlau, de Masevaux pour les filles, ou Murbach et Lure pour les hommes, mais aussi dans les chapitres limitrophes de Bâle (Arlesheim) où les lignages alsaciens (essentiellement de Haute-Alsace, Reinach, Rinck, Monjoie ou Zu Rhein) occupent près de la moitié des canonicats, beaucoup plus marginalement Wurtzbourg, Constance ou Eichstätt. À Remiremont, considéré comme le chapitre féminin le plus sélectif du royaume de France, près de la moitié des prébendes sont occupées par des dames alsaciennes au XVIIIe siècle, essentiellement issues de six familles. Enfin, il ne faut pas négliger les débouchés offerts par les ordres religieux militaires, essentiellement les ordres Teutonique et de Malte.  

Les prébendes que ces derniers peuvent accorder deviennent un enjeu non seulement économique pour soulager la famille de progénitures pléthoriques (sachant qu’au XVIIIe siècle la limitation des naissances est attestée dans la noblesse), mais aussi symbolique puisque certains vont jusqu’à y placer dans la seconde moitié du XVIIIe siècle entre 50 et 80% d’une génération, à commencer par les aînés. Les chapitres féminins permettent en outre d’éduquer les filles et de leur offrir la garantie d’un « pedigree » sans reproche en vue de leur mariage. Un arrêt du Conseil souverain du 28 septembre 1737, confirmé en 1742, use de l’argument du maintien de la Stiftsfähigkeit des lignages alsaciens pour justifier l’exemption du droit d’aubaine pour les fiefs possédés en Alsace par la noblesse germanique au motif qu’il aurait mis un terme aux alliances matrimoniales de part et d’autre du Rhin, garantes de la capacité de la noblesse équestre alsacienne à prétendre aux canonicats impériaux. Cet argument est repris dans un mémoire de la députation noble alsacienne aux Etats généraux pour dénoncer la décision de retirer aux princes étrangers leurs possessions cis-rhénanes. Il convient cependant de faire la part entre ce qui relève du plaidoyer pour la spécificité de la noblesse alsacienne des années 1789-90 au sein du royaume de France, de la réalité de la capacité de la noblesse alsacienne à intégrer les chapitres cathédraux impériaux qui demeure très faible, à l’exception du chapitre de Bâle-Arlesheim.  

La nécessité de préserver l’accès à ces institutions ségrégatives, garantes de la pureté du sang noble, selon les termes du temps, limite considérablement la capacité d’ouverture matrimoniale des lignages anciens/équestres vers le reste de la noblesse alsacienne, comme plus largement vers la France. Les occurrences restent réduites (contrairement à ce qu’écrit E. Pelzer) et la très forte endogamie pratiquée, conjuguée avec la prépondérance de la solution canoniale, peut expliquer le rétrécissement démographique du groupe au cours du XVIIIe siècle. Quelques lignages s’ouvrent malgré tout, tels les Andlau ou les Reinach dont les branches « émancipées » peuvent envisager l’alliance avec la noblesse française, voire faire carrière à la cour au-delà des seules charges militaires. Le comte François Éleonor d’Andlau épouse ainsi une fille de la vieille noblesse du sud-ouest du royaume, Marie-Henriette de Polastron. Gouvernante de la maison de Madame Adélaïde, elle sera toutefois exilée de la cour pour avoir mis entre les mains de la fille de Louis XV de mauvaises lectures. Cela n’empêche pas sa fille, Jeanne-Françoise-Aglaé d’Andlau, comtesse de Châlons, cousine de la duchesse de Polignac, d’être admise par l’entremise de cette dernière dans l’intimité de la reine Marie-Antoinette. Émigrée, elle épousera en secondes noces le duc de Coigny de Franquetot à Lisbonne en 1795. Quant à son frère, Frédéric-Marc-Antoine, il épouse en 1772 l’une des filles du philosophe Helvétius.  

Le maintien des liens avec la ville

Bien qu’essentiellement terriennes, les grandes familles se partagent entre leurs résidences seigneuriales, descendues des sommets vosgiens pour investir le piémont et la plaine, et les hôtels urbains, en particulier à Strasbourg, laquelle connaît au XVIIIe siècle le développement d’une sociabilité qui permet aux différentes noblesses, équestre, de robe, patriciat de se fréquenter et de nouer des relations étroites. Si le règlement du directoire de la noblesse de Basse-Alsace interdit le cumul des fonctions directoriales et municipales, certaines vieilles familles, les Zorn von Bulach, Andlau ou Berckheim, occupent la charge de stettmeister : soit en 1789, aux termes de l’alternative deux nobles catholiques Philippe Léopold André de Neuenstein et François Materne Louis Zorn de Bulach, et deux nobles protestants, C. Haffner de Wasselnheim et Frédéric Louis René Wurmser de Vendenheim. Les hôtels des princes allemands qui résident plus ou moins fréquemment en ville, les Hesse-Darmstadt, les Deux-Pont, mais aussi le palais épiscopal reconstruit par les cardinaux de Rohan ou l’hôtel de l’intendance constituent des espaces de sociabilité fréquentés par le beau monde, les chanoines issus des grandes familles d’Empire, des princes ou des intellectuels de passage. Deux filles du préteur royal Jean-Baptiste de Klinglin, les comtesses de Lutzelbourg et d’Andlau entretiennent des salons, y reçoivent Voltaire, se lient d’amitié avec la reine de Pologne Catherine Opalinska ou la marquise de Pompadour. La baronne d’Oberkirch, née Waldner von Freundstein, constitue peut-être l’un des exemples les plus exceptionnels d’une trajectoire curiale pour la noblesse alsacienne. Ces familles importent également en Alsace le goût français comme en témoignent les inventaires de leurs demeures, pour certaines fastueuses, comme l’hôtel d’Andlau à Strasbourg ou le château du comte de Waldner à Ollwiller, même si elles ne peuvent rivaliser avec les grands hôtels des princes possessionnés ou des évêques de Strasbourg.  

Bibliographie

Voir Bibliographie de : Noblesse (Moyen Âge à 1648).  

KRUG-BASSE, L’Alsace avant 1789 (1876).  

LIVET, Intendance (1956).  

CATTIN (Rodolphe), Recherches sur la « franche et immédiate noblesse de la Basse Alsace » et son Directoire au XVIIIe siècle, mémoire de DES, dir. G. Livet et Ph. Dollinger, Université de Strasbourg, 1965.  

ANDLAU-HOMBOURG (Hubert d’), Le livre d’histoire d’une famille, Colmar, 1972.  

PELZER (Erich),Der elsässische Adel im Spätfeudalismus ': Tradition und Wandel einer regionalen Elite zwischen dem Westfälischen Frieden und der Revolution (1648-1790), Munich, Oldenbourg, 1990.  

ARETIN (Karl Otmar Freiherr von), Das alte Reich (1648- 1802), t. 2, Stuttgart, 1997.  

GLOTZ (Marc), « La noblesse alsacienne au XVIIIe siècle », CLEMENTZ (Élisabeth), MULLER (Claude), dir.,Autorité, Liberté, Contrainte en Alsace : Regards sur l’histoire d’Alsace XIe-XXIe siècle, Nancy, 2010, p. 165-173.  

HASSLER (Éric), « Frontière, identité, parenté. Le cas des chanoines « allemands » du grand-chapitre de la cathédrale de Strasbourg après l’annexion française de 1681 », Francia, 40, 2013, p. 96-112.  

ADAM-REY (Michel), « Histoire d’une famille de la Regio Basiliensis : les Reich de Reichenstein », Cercle d’histoire de Hégenheim et environs, t. 1, 2016, t. 2, 2019.  

LAZER (Stephen A.), State Formation in Early modern Alsace, 1648-1789, Rochester, 2019.  

Notices connexes

Accès-Vorzugsgerechtigkeit  ; Ahnenprobe ;  Armoiries ;  Assemblée des États-Landstände  

Bailli ;  Baptême (nom de) ;  Baron-Freiherr ;  Biens nationaux  ; Burggraf  

Château_fort ;  Chevalerie  ; Classe sociale et vêtements ;  Corvée ;  Costume  

Diète-Tag ;  Directoire (de la noblesse immédiate de Basse-Alsace) ;  Droit de l’Alsace  

Edelfrei  ; Edelknecht  ; Engagement ;  Enseignement féminin (filles de la noblesse) ;  États d’Alsace-Elsässische Landstände ;  États généraux ;  États provinciaux  

Famille ;  Femme (nom de la femme) ;  Féodalité ;  Fief  ; Fürsten-Princes possessionnés de l’Alsace  

Garde d’honneur ;  Gaugraf  ; Généalogie  

Herrenstube ;  Herrentag ;  Hochmeister ;  Héraldique  

Immédiateté (Herrenstand)  

Justice  

Landschaft  

Matricule ;  Mense ;  Ministériel  ; Murbach (abbaye et principauté abbatiale)  

Noblesse_alsacienne_(Moyen_Âge_à_1648)

Nomination  

Ordres militaires  

Sceau  

Syndic de la noblesse  

Teutonique

Éric Hassler