Femme (nom de la -)
L’étude de la nomination donne des indications précieuses sur la répartition et les migrations humaines ainsi que sur les rôles assignés à chaque sexe dans une période donnée. À partir du Moyen Âge, où se produit la « révolution onomastique occidentale » et où s’impose l’usage du prénom, du nom de famille, transmis par le père, du changement de nom pour la femme mariée, le principe qui gouverne la vie de la fille et de la femme est celui du changement. Elle change de famille en cours de vie, passant de celle de son père à celle de son mari. Elle change de nom au mariage, à l’entrée en religion. La vie de la femme est ainsi faite de coupures biographiques. Le prénom féminin apparaît comme un élément stable, ce qui va la distinguer dès la naissance et lui rester tout au long de la vie.
Sommaire
A. La nomination familiale
La nomination familiale se généralise du fait de la progression de la scripturalisation administrative et fiscale. Les noms de famille, issus de toponymes, noms de fonctions (Meyer), noms de métiers (Muller, Schmitt, Schneider, Weber, Fischer), sobriquets (Klein, Gross), prénoms héréditaires (Walter, etc.) se fixent aux XIIIe-XVe siècles. Au XVIe siècle, les édits de Villers-Cotterets (1539) en France, puis le concile de Trente (1563) achèvent de généraliser la règle (v. Baptême). À partir du XVe siècle, le nom de famille qui se transmet est celui du père. Le droit français reconnaissait trois noms : le nom de baptême (prénom), le nom de famille et le nom de seigneurie (pour la noblesse). « La femme est le commencement et la fin de la famille et les enfants suivent la famille du père et non celle de la mère. » (Guyot, Répertoire, t. 143, 137, « Nom »).
B. La féminisation des noms de famille
Dans le sud-ouest du Saint-Empire et en Alsace, jusqu’au XVIIIe siècle, il est de règle de féminiser les noms de femme en ajoutant le suffixe in au nom de leur père. Christian Wolff donne quelques exemples de la féminisation et des formes quelque fois déroutantes pour le généalogiste contemporain : Roth, Rothin, Gerst, Gerstin, Wolff, Wölffin, Spenlé, Spenlin et encore Wetzler, Wetzlerin ou Kammerer, Kammerin ou Kammererin, et les noms se déclinent.
Dans son autobiographie, écrite vers 1650, qui relate des évènements qui se déroulent à Obernai et à Colmar, Augustin Güntzer cite sa mère « Anganess Groessin, weilandt Sebastian Grossen Dochter », fille de feu Sebastian Gross (p. 85), sa marraine « meine Gettel Anganessa Hessin, weilandt Lienhardt Hassen ledige Dochter […] », fille célibataire de Lienhardt (Léonard) Haas (p. 83). Guntzer se marie avec une veuve, Maria Goeckelwin (le père est Goecklin), weilandt Marttin Schicken » (Schick, feu le mari de la veuve). La première marraine de son aînée est « Cattarina Schumeyerin », fille de Georg Schuchmeyer, la deuxième marraine : « Ana Maria Santherin », fille de Hans Caspar Sandherr (Debus Kehr, Augustin Güntzer, p. 207, année 1624). À Colmar, les greffiers du Conseil souverain francisent les noms féminins des Alsaciennes qui font appel devant le Conseil_souverain, ainsi d’Agathe Pflueghaubtine, veuve d’Adam Frey (1745), de Marie-Ursule Baumeisterine, veuve de Daniel Barth (1755), Barbe Bürrine veuve de Jacques Brechbühl (1759) et de Catherine Seilerine veuve de Thomas Trenck (1767). Par contre, la veuve de Christian Waldner de Freundstein, tutrice naturelle de son fils, pour lequel elle a fait appel, garde son nom de Caroline de Rottberg (1756) (de Boug II). Il faut noter 1° que tous les noms de femme ne sont pas féminisés, 2° que le nom féminisé que porte la femme peut être celui de son père ou pour la veuve celui de son premier mari. La recherche ultérieure pourrait dégager des conclusions plus assurées.
C. Le nom de la femme mariée
Les femmes qui se marient quittent le nom de leur père pour prendre celui de leur mari, écrit Guyot, qui ajoute sans s’étendre : « l’usage où sont les femmes de porter et de conserver le nom de leurs maris remonte au XIIIe siècle, mais il paraît que cet usage n’était établi que dans les grandes maisons. » (Guyot, t. 43, 137 « Nom »). La phrase est reprise telle quelle dans le Répertoire de Merlin (1825). Dans les villes du sud-ouest du Saint-Empire, par exemple à Constance au XVe siècle, les noms de famille sont désormais fixés, ainsi que l’usage pour les épouses de changer de nom et de prendre le nom de leurs mari. Au XIVe siècle, les patriciennes gardent volontiers leur nom, qui est celui, féminisé, de leur père pour afficher leur lignage si son statut est supérieur. Elles sont ainsi désignées selon les cas et les situations par l’un ou l’autre nom (Rolker, L’homme, 20, 2009). Pourtant, les juristes rappellent que la femme ne perd pas son premier nom : dans les actes, la femme ajoute à son nom de famille originel le nom de la famille où elle est entrée. C’est dans ces termes qu’elle est désignée dans les actes judiciaires, ainsi que dans les arrêts du Conseil souverain. Les codifications établissent ce principe. Le Codex Maximilianeus Bavaricus Civilis, de 1756, réaffirme que « le mari doit être considéré comme le chef de la famille ». Et le commentaire autorisé du chancelier bavarois von Kreitmayer explique que « la femme ne conserve plus son nom de lignée, ou du moins seulement sous la forme « née NN » qu’elle place après le nom de son mari qu’elle a acquis ». Il en va de même pour l’Allgemeine Landrecht prussien, promulgué en 1794 après les premières lois révolutionnaires (Rosa und Volker Kolheim). Le 6 fructidor an II (23 août 1794), la Convention arrête : « Aucun citoyen ne pourra porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance », loi reprise dans l’article 57 du Code civil. Et le 11 germinal an II (31 mars 1794), elle prend position pour les prénoms : « À compter de la publication de la présente loi, les noms en usage dans les différents calendriers, et ceux des personnages connus de l’Ancien Régime pourront seuls être reçus comme prénoms sur les registres d’état civil destinés à constater la naissance des enfants et il est interdit aux officiers d’état civil d’en admettre aucun autre dans leurs actes. » (Merlin).
D. Prénomination
La seule chose qui ne change pas pour la femme, c’est le prénom. N’ont été transmis du haut Moyen Âge que les prénoms des princesses, femmes nobles et saintes femmes transmises par les généalogies et par les Vitae. Établir une différence entre les prénoms germaniques, avec leurs terminaisons en -ard, -berta, -berga, -bergis, -hild, -hilt, -gard, -lind, -linde, -rad, -rade, -rada, -rat, -trude, -wint, etc. et les prénoms « chrétiens » n’a peut-être pas grande signification à partir du Xe et XIIe siècle, car les « noms germaniques » sont devenus des noms chrétiens. Au haut Moyen Âge, dans les familles nobles, les prénoms que l’on donne sont ceux des princes, des seigneurs et, petit à petit seulement, celui des saints. Il se dégage des aires de prénomination : dans les domaines des ducs de Normandie, puis Plantagenêt-Anjou, on trouvera volontiers des Guillaume, des Richard, moins répandus dans les aires dominées par les Capétiens, alors que tout à l’Est domine Henri-Heinrich. Dans l’ouest et le sud-ouest, la prénomination féminine a été marquée plus tôt par le recours à des noms de saints féminisés, au premier rang desquels celui de Jeanne (féminisation de Jean-le-Baptiste), qui se répand partout en même temps que celui d’Élisabeth, mère de Jean-Baptiste. Le prénom Marie devient vite dominant dans toutes les aires. Au XIIIe siècle, la prénomination par noms de saints est majoritaire dans les villes, et elle le devient au XIVe dans les campagnes. Prenons dans le Hortus Deliciarum (fin du XIIe siècle) la liste des sœurs de Hohenbourg qui se pressent autour de Relinde et de Herrade : cinq Hedwige, trois Adelheid, Mechthild, Gertrude, deux Cunégonde, Berthe et Richinza et les solitaires Edelint, Odile, Marguerite, Anna, Clemence, Herrade, Ita, Juta, Christina, Agnes, Helwige, Sibille, Hildegonde, Emma : que de noms « germaniques » pour quelques noms bibliques ou romains, comme Anna ou Clémence. Christiane Klapisch-Zuber a décrit la procédure de prénomination et de nomination des garçons et des filles à Florence au XVe siècle : choix du prénom par le père, intervention des parrains et marraines qui donnent un second prénom au baptême. Les prénoms sont choisis dans « un stock de prénoms » dans la ligne paternelle et, moins souvent, dans la ligne maternelle. C’est le cas de la majorité des prénoms. Cependant, une petite minorité de choix, de plus en plus importante à partir de la fin du XVe siècle, qui se portent sur des noms de saints patrons de l’enfant, reflète la dévotion du père. C’est le cas pour la grande majorité du choix des seconds prénoms donnés par les parrains, qui marquent leur « parenté spirituelle ».
Au XVIIIe siècle, dans le nord de l’Alsace, à Bosselshausen, paroisse luthérienne, on a recours aussi aux prénoms de saints et de saintes pour les prénoms des enfants (Margaretha, Katharina, Barbara), mais plutôt aux prénoms bibliques (Eva, Salomé, Judith). Le prénom de Marie est encore prépondérant chez les filles. La transmission prénominale privilégie le choix de prénoms choisis dans la parenté proche. Dix prénoms sont privilé�giés pour 90% des filles, et le stock va se restreindre encore après la Révolution, sans qu’on sache si c’est un effet de la législation sur le choix des prénoms à prendre dans les calendriers. Une particularité pour les filles : plus encore que pour les garçons, les filles aînées se voient donner le nom de leur mère. À Strasbourg, de 1750 à 1850, les dix prénoms les plus répandus pour les filles (comme pour leur mère et leurs marraines) sont Marie (48%), Marguerite (28%) Salomé, Anne, Catherine, Madeleine, Barbe, Élisabeth, Dorothée, Susanne… La prénomination par noms de saints connaît une légère baisse pendant la décennie révolutionnaire, comme dans toute la France, mais au XIXe siècle, l’Alsace est l’une des provinces où se maintient le système traditionnel de nomination (Dupâquier, Le temps des Jules).
Bibliographie
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Notices connexes
François Igersheim