Mense

De DHIALSACE
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Mensa, Tafel

En français, table, du latin mensa, subsistance.
En allemand, Gut ; Bischofsgut, Tafelgut, Kapitelgut ou Tisch, Capiteltisch.

1. Ensemble des biens et revenus d’un établissement public, principalement ecclésiastique.

2. Portion d’une mense réservée aux parties prenantes dans les revenus d’un établissement ecclésiastique (mense épiscopale et mense capitulaire), évêché, chapitre, abbaye, couvent, mense abbatiale (part de l’abbé) et mense conventuelle (part des moines), et mense monacale (part de chacun des moines, qui sera appelée de préférence prébende). À partir de 1813, mense curiale.

3. En droit canonique, part des biens et revenus d’un établissement ecclésiastique affecté à subvenir aux besoins du culte : subsistance des ministres, bâtiments et entretien, mobiliers et vaisselle, vêtements, assistance aux pauvres et malades dans le besoin.

4. Le mot Tafel est utilisé par les juristes allemands au XIXe siècle pour traduire « mense » et en particulier « mense épiscopale ». Tafelgut, composé à partir de Gut, un bien, et de Tafel, traduction du latin mensa, a une acception plus générale et recouvre en fait le patrimoine ou les revenus d’un prince, d’un roi, le domaine de la couronne. On utilise plus volontiers Kammergut, le domaine du prince, de la couronne. Pour un évêque, on rencontre également Bischofsgut, Kapitelgut, Kapiteltisch ou encore Mensalgüter.

Les menses sous l’Ancien Régime

Menses épiscopales, capitulaires, canoniales

À la fin du Bas-Empire, les biens de l’Église sont propriété des églises épiscopales ou cathédrales et c’est l’évêque qui les gère. La réglementation impose un partage en quatre parts, celle de l’évêque, du clergé, de l’église proprement dite (entretien, culte) et des pauvres.

L’expansion de l’Église chrétienne et la multiplication des institutions communautaires et des établissements ecclésiastiques entraînent le partage des biens et revenus épiscopaux, entre les évêques et les chapitres. Séparée de la mense épiscopale, la mense capitulaire de l’évêché de Strasbourg, apparait à la fin du Xe siècle. Puis un démembrement de la mense capitulaire en prébendes canoniales s’impose (Burg AEA 1975).

Menses abbatiales, menses conventuelles

Au début du IXe siècle, la donation des abbayes aux seigneurs laïcs impose la séparation entre menses abbatiales, dont les revenus vont à l’abbé laïc, et menses conventuelles, réservées aux moines, avant que celles-ci ne soient à leur tour démembrées en menses monacales, affectées à chacun des moines. La gestion de la mense conventuelle est confiée au cellérier qui tient ses livres comptables, la liève ou livre des recettes, divisé selon la provenance des fonds en autant de chapitres (voir : Cellérier).

Biens et services affectés au service des ministres du culte

Relevé dans les chroniques et les vies de Saints, le mot de mense n’apparaît que tardivement dans le droit canonique proprement dit. Au XVIIIe siècle, les juristes débattent encore de son origine : s’agit-il, comme l’écrit encore Durand de Maillane, de manse (exploitation de base d’une villa mérovingienne) ou de mense, la table de l’évêque, des chanoines, de l’abbé, etc. (patrimoine et revenus affectés au service de l’évêque de l’abbé, de l’abbaye etc.). Elles comprennent donc terres et fiefs, abbayes ou églises relevant de l’évêché, tous titres de fiscalité ecclésiastique, une part des dîmes...

Les dictionnaires de droit du XVIIe et du XVIIIe siècle (Guyot, Ferrière, Durand de Maillane, etc.) ne reprennent et ne commentent cette institution que dans deux cas principalement, celui des unions ou réunions de menses, les règles de répartition des charges de réparations d’églises.

Les réunions de menses

Ainsi, lorsque les revenus d’un monastère soumis ne sont pas suffisants pour entretenir le nombre de moines et assurer la continuité de la vie monastique, l’évêque est autorisé à réunir la mense conventuelle à la mense épiscopale. On a relevé en Alsace, au XVIe siècle, la réunion à la mense épiscopale de Strasbourg des monastères de Steigen (1512), de Ittenwiller (1525), de Hohenbourg (1547), de Niedermunster (1575) (Dubled AEA 1970),et à la mense épiscopale de Bâle de l’abbaye cistercienne de Soultz en 1600 (Bornert AEA 1982).

Le canoniste – anonyme – de l’Encyclopédie de Diderot donne une définition précise et complète du terme mense, qui synthétise la jurisprudence commentée par leDictionnaire des arrests, ou Jurisprudence universelle des Parlemens de France, et autres tribunaux, de Brillon ...(1711) et le répertoire de L. Bochel ou Bouchel (Bochelus) (1559-1629),Decretorum ecclesiae gallicanae Libri VIII (1609).

Les menses des abbés commendataires

Depuis le Concordat de Bologne, et la multiplication des nominations d’abbés commendataires absents, les Parlements français (Paris, Rouen, Bretagne) mais aussi le Conseil du Roi établissent par une abondante jurisprudence, des règles communes pour la structure patrimoniale et la gestion des menses abbatiales et conventuelles. Elle fait partie de l’effort de contrôle sur les finances ecclésiastiques, dont témoignent aussi les rapports des visiteurs des congrégations, comme ceux de la congrégation de Saint-Maur et leurs tableaux sur l’État du temporel de la congrégation de Saint-Maur (Dom Charvin 1955).

Les menses abbatiales sont, en règle générale, réparties en trois lots : une chacune pour l’abbé et le couvent et le tiers lot destiné aux réparations de l’église et des lieux réguliers.

La mense abbatiale puis collégiale de Murbach

Les Lettres patentes et bulle papale relative à la sécularisation de l’abbaye bénédictine de Murbach et à la description de la mense capitulaire du nouveau chapitre équestre de Guebwiller nous donnent un aperçu sur la composition d’une mense abbatiale, et c’est une des rares occurrences de ce terme dans la jurisprudence publiée du Conseil souverain d’Alsace. Elle est conforme aux règles dégagées par la jurisprudence et appliquées dans l’Église de France.

En 1739, les moines de Murbach décident de s’installer à Guebwiller, où réside déjà Dom Léger (Casimir de Rathsamhausen), coadjuteur de l’abbé commendataire et évêque de Strasbourg, le cardinal de Rohan.

L’église abbatiale de Murbach tombe en ruines, elle est en partie démolie et sert de carrière. Seul subsiste le transept. En 1758, à la demande de Casimir de Rathsamhausen, devenu abbé en 1756, l’abbaye à l’autorisation officielle de déménager de Murbach à Guebwiller. En 1759, abbé et moines demandent la sécularisation de l’abbaye bénédictine en chapitre noble ou équestre. La procédure, qui doit passer par l’évêché de Bâle, car contrairement à l’abbaye, le chapitre ne dépendra plus directement du Saint-Siège s’étend sur 5 années, jusqu’à la promulgation de la bulle papale, dûment revêtue de la lettre patente confirmative du roi du 17 avril 1764, enregistrées par le Conseil souverain le 21 septembre 1764 (Gatrio, II, 640-656). La détermination de la structure de la mense procède de longues transactions et de frais de procédure et d’intermédiaires énormes. La mense conventuelle de l’abbaye est transférée en toute propriété à la mense du nouveau chapitre de l’église collégiale équestrale, qui, quoique transférée, garde le nom de Murbach.

À Murbach aussi, il y a trois lots, les deux premiers, ceux de l’abbé et des chanoines, et un tiers lot destiné aux bâtiments, fabriques et lieux à entretenir. Division toute formelle, soit qu’on ait voulu adapter des statuts anciens aux réglementations françaises, soit qu’on ait fait subir à la part de l’abbé bénédictin devenu abbé du chapitre noble une réduction de près de la moitié. Car les deux premiers lots sont partagés en 17 « portions » : 5 à l’abbé, 2 au doyen, une et demie au chantre, quatre à chacun des chanoines. Il en reste 5, laissés vacants. Le troisième lot est partagé en deux, la première moitié à nouveau affectée au chanoines, qui seront présents aux offices, et l’autre moitié à la fabrique, aux ornements et à la sacristie. Les chanoines doivent faire état de 16 quartiers de noblesse. Ils doivent assister aux offices quotidiens, mais la règle est adoucie – ce sont tous de vieux messieurs –. Quant aux canonicats laissés vacants, leurs revenus sont affectés à la construction de la nouvelle église capitulaire de Guebwiller, sous l’invocation de Saint-Léger et de Saint-Louis, et de douze maisons canoniales, et ce, pendant une durée de dix ans. En 1774, ce délai est prolongé de six ans. L’église Notre-Dame a été achevée en 1785 (voir : Murbach). D’après les indications données par Gatrio, la vacance des 4 canonicats rapportait 67700 livres par an au chapitre (Gatrio, II, 666). Il n’est pas étonnant que la noblesse de Haute-Alsace ait protesté contre cette vacance et demandé qu’ils soient pourvus (Legin, AEA 1983, 353-355).

Le 25 juillet 1789, les émeutes secouent la vallée de Saint-Amarin et celle de Guebwiller : la foule se porte sur l’hôtel du Prince-abbé et les maisons canoniales et les dévastent.

De la constitution civile du clergé au Concordat

En avril 1790, les biens du clergé sont nationalisés pour être vendus. Votée le 12 juillet 1790, la constitution civile du clergé prescrit la fourniture [par le trésorier du District] à « chaque évêque, à chaque curé et aux desservants des annexes et suc- cursales, un logement convenable, à la charge par eux d’y faire toute les réparations locatives ».

Le palais épiscopal de Strasbourg est expressément affecté à la vente par l’Assemblée nationale : par décret du 26 août 1791, elle autorise le département du Bas-Rhin à « lui substituer une maison du grand chapitre de la cathédrale ... l’étendue et la somptuosité [du Palais épiscopal] étaient peu convenables pour l’évêque actuel et aurait exigé un entretien annuel trop considérable et dès lors disproportionné avec ses revenus » (Prompsault, Dictionnaire, p. 13-14).

Le Palais épiscopal ou Palais des Rohan avait été vendu à la ville de Strasbourg dès 1790, qui en fait sa maison commune. Lorsque les commissaires veulent faire l’inventaire du mobilier, le conseiller à la Chambre des comptes épiscopale et fait valoir que les mobiliers sont la propriété privée de l’évêque. Le conseiller à la Chambre des comptes renouvellera la protestation à Mutzig et à Saverne (Muller, Le siècle des Rohan, p. 416-417). La Ville protestera de même quand les commissaires voudront en saisir les glaces pour les revendre.

District et Ville semblent avoir déployé dans les années qui suivent une interprétation fort restrictive du terme « convenable ». Le premier évêque constitutionnel, ancien professeur de droit canon au Grand séminaire, Brendel, élu dans la salle des fêtes du Palais Rohan, désormais Hôtel de Ville, semble avoir gardé son logement au Collège royal devenu collègue national, place du Château, y compris après sa renonciation à l’évêché, et jusqu’à sa mort comme archiviste départemental en 1798.

Dix années plus tard, le Concordat et les articles organiques reprennent cette réglementation : « Les Conseils généraux des départements sont autorisés à procurer aux archevêques et évêques un logement convenable » (Loi du 18 germinal an X, Art. 71).

À son arrivée à Strasbourg, Saurine loge dans une maison privée sise au 6 rue de la Toussaint (Sœur Marie Chauvin, Annuaire des Amis du Vieux Strasbourg, 1987).

Préfet et ville vont désormais se hâter lentement pour trouver « une maison convenable pour servir de palais épiscopal » (ABR, cité par Maisons de Strasbourg, J.-M. Wendling).

En attendant, le siège officiel de l’évêque est fixé au Grand Séminaire, où il cohabite avec la Faculté de médecine.

C’est que Mgr Saurine refuse tous les arrangements qu’on lui propose et réclame qu’on lui rende le Palais Rohan vendu à la ville de Strasbourg, ce que refusent la Ville et la préfecture du Bas-Rhin, pour qui le Palais Rohan est trop lourd d’entretien et le donnent à l’État, comme résidence de l’Empereur (1805). Ils font voter un fonds pour l’acquisition d’un « Hôtel Épiscopal ». Plusieurs bâtiments sont envisagés, mais le choix se porte sur l’ancien Doyenné du Grand Chapitre, Hôtel acheté par le maréchal Luckner puis remis en vente. Les négociations traînent en longueur et n’aboutissent pas. Mgr Saurine fixe son choix sur l’Hôtel de la Prévôté du Grand chapitre ou Hôtel d’Andlau, rue de la Nuée Bleue, acquis par l’État en 1806, et que l’évêque affecte au logement des séminaristes (Avec la collaboration de C. Betzinger).

Menses curiales, menses épiscopales en régime concordataire

Entre temps, la définition de la mense aura gagné en précision.

La définition et les compétences de la fabrique paroissiale en relation avec la commune avaient été bien définies par les articles organiques et la loi de 1809 (voir : Fabrique), celles des menses – curiales et épiscopales – étaient restées fort vagues. Il faut attendre le décret du 6 novembre 1813 et la loi du 2 janvier 1817, pour voir apportées des précisions sur la compétence et la gestion des biens de la cure (mense curiale), gérée par le curé, de la mense épicopale, gérée par l’évêque, des chapitres et des séminaires, capables de recevoir des dons et legs, avec l’autorisation du Conseil d’État.

La mense épiscopale ou dotation de l’évêché se compose des biens qui lui ont été affectés par l’État, de ceux qui proviennent de legs et donations acceptés avec l’autorisation du gouvernement ou de ceux qui ont été acquis avec la même autorisation, du traitement et des indemnités attribués au titulaire sur le trésor public, de l’usufruit du palais épiscopal que l’État doit lui procurer, des subventions qui peuvent être allouées par le département (Villefroy).

En 1818, à l’arrivée de Mgr de Croÿ, le préfet se propose encore d’affecter l’Hôtel de la Prévôté au nouvel évêque, à condition de récupérer le Grand séminaire pour les séminaristes, et en attendant de le loger dans une partie de l’Hôtel du Doyenné, ou Hôtel Luckner. Les séminaristes réintégreront le séminaire en 1823, mais l’hôtel du Doyenné ne sera affecté à l’évêque qu’en 1855 (Wendling Jean-Michel, reproduction du rapport du préfet du 12 mars 1818, relative à la demeure de l’évêque, que le préfet du Bas-Rhin adresse au ministre de l’intérieur : historique et proposition. À la suite, lettre au ministre des Finances (ABR, Préfecture du Bas-Rhin, Cultes V 96).

Bibliographie

L. BOCHEL ou BOUCHEL (Bochelus) (1559-1629), Decretorum ecclesiae gallicanae Libri VIII (1609).

BRILLON, Dictionnaire des arrests, ou Jurisprudence universelle des Parlemens de France, et autres tribunaux, Paris, 1711.

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DURAND DE MAILLANE, Dictionnaire (1787), t. II, p. 214, art. Manse, art. Union.

L’Encyclopédie : Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Édition Numérique Collaborative et Critique de l’Encyclopédie, 1772, art. Mense.

De BOUG, Ordonnances d’Alsace II. 1775.Lettres patentes et bulle de sécularisation de l’abbaye princière de Murbach, au diocèse de Bâle, transférée à Guebwiller, 1764 et 1765, p. 678-689.

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PROMPSAULT, « Palais épiscopaux »,Dictionnaire raisonné de droit et de jurisprudence en matière civile ecclésiastique, Paris, 1849.

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GEIGEL (F.), Reichs und Reichländisches Kirchen und Stiftungsrecht, Diozesanbehörden und Anstalten, Strassburg, 1898, p. 327-329.

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CHAUVIN (Sœur Marie), « Une ancienne maison prébendiale strasbourgeoise, celle du Cénacle de la rue de la Toussaint », Annuaire des Amis du Vieux Strasbourg, 1982.

BORNERT (René), « Un projet, l’histoire des monastères
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WENDLING (Jean-Michel), http://maisons-de-strasbourg.fr.nf/vieille-ville/l-n/rue-de-la-nuee-bleue/25-rue-de-la-nuee-bleue/logement-de-l-eveque/, 20/02/2020.

Notices connexes

Articles organiques

Concordat

Fabrique

Fondation

François Igersheim