Marché : Différence entre versions
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+ | Lieu de rencontre entre vendeurs et acheteurs de denrées, institué selon un droit ou un privilège accordé par un détenteur de l’autorité, qui se tient toutes les semaines à jour fixe. La sécurité des marchands et des acheteurs et le marché lui-même est assurée par une paix spéciale. | ||
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+ | Le marché est un élément constitutif d’une ville, avec d’autres infrastructures, comme un mur d’enceinte de pierre, une [[Franchises|franchise]] accordée par un seigneur, une paroisse, la présence d’un ordre mendiant ou d’un prieuré, un sceau, un château, etc. Ces critères, parmi d’autres, ont été retenus pour caractériser une ville : ''civitas'', ''urbs'', ''stadt'' (Metz, ''Essai sur la hiérarchie''). Cependant, des communes plus modestes disposent d’un marché, sans que sa présence ne leur confère le statut de ville. | ||
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+ | == Droit de marché et création de marché == | ||
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+ | Le marché est souvent concédé, puis éventuellement confirmé ultérieurement par un empereur, un [[Comte|comte]], un duc, par charte ou par privilège (''Marktprivileg''). Cependant, ce privilège n’est pas obligatoire pour la création d’un marché, il lui confère seulement une sécurité juridique plus étendue. Ce privilège peut d’ailleurs être accordé à posteriori (Volk, p. 667). | ||
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+ | Les marchés sont d’habitude hebdomadaires (''wochenmarkt'') : ils se tiennent à jour fixe. À ces marchés s’ajoutent des [[Foires|foires]] annuelles (''[[Jahrmarkt|jahrmarkt]]''), qui ne sont pas prises en compte dans la présente notice, mais qui y sont parfois mentionnées. Les marchés dont il est question ici existent depuis le Moyen Âge pour la plupart, d’autres sont mentionnés à partir du XVI<sup>e</sup> siècle, ce qui ne signifie pas qu’ils n’aient pas existé auparavant. C’est donc la date de leur création, éventuellement leur tenue (si aucune date de création n’est indiquée) qui importe ici. Hormis la date de création, l’existence d’un marché transparaît par le biais de questions financières, comme la levée d’un ''zoll'' (taxe sur les ventes), de précisions quant aux poids et mesures, de la présence d’une balance publique (''wag'') (à partir du XV<sup>e</sup> siècle), des règlements ou encore de l’existence d’une maison ou d’un autre espace à proximité du marché, toutes ces indications étant datées. Certains marchés perdurent à travers les siècles, d’autres périclitent pendant des décennies pour reprendre ultérieurement. Initialement, ils se tiennent surtout à proximité des [[Abbaye|abbayes]]. Les villes se développant au XIII<sup>e</sup> siècle surtout, les marchés se créent pour assurer l’approvisionnement en marchandises de la population, mais sont eux-mêmes des facteurs de développement. Au XV<sup>e</sup> siècle, les diplômes accordant l’instauration d’un marché se multiplient. | ||
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+ | Il est parfois malaisé de faire la différence entre un marché hebdomadaire et une foire, qui peut être annuelle, trimestrielle (aux Quatre-Temps) ou mensuelle, lorsqu’aucune précision n’est donnée quant au jour où se tient le marché. En effet, le même terme, ''markt'', désigne l’un et l’autre, sauf quand est utilisé le mot ''messe'', foire ou ''Jahrmarkt'', marché annuel. Seule une spécialisation peut alors servir d’indication : un marché au bétail ou aux chevaux ne se tenant généralement pas toutes les semaines, sauf, par exemple, à Villé, où se tenait un marché au bétail hebdomadaire, ou à Cernay, où le marché aux bestiaux se tenait toutes les semaines sur l’Ochsenfeld, à l’écart de la ville (voir : [[Bétail_(commerce_et_marchands_de)|Bétail]]). | ||
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+ | == Nécessité et caractéristiques == | ||
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+ | Le marché est l’un des moyens d’apporter aux habitants les produits dont ils ont besoin, qu’ils soient alimentaires, vestimentaires, ou autres. Il constitue pour les producteurs – paysans, [[Boulangers|boulangers]], [[boucher|bouchers]], artisans (du drap, du cuir, de la cordonnerie, etc.) – la possibilité d’écouler leurs marchandises, en plus de celle qui consiste à tenir boutique (''[[Laden|laden]]'') les jours de la semaine ou de les proposer lors de foires ou des petites foires locales se tenant lors des fêtes patronales (''[[Kilbe|kilbe]]''). | ||
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+ | Les mentions concernant l’existence d’un marché précisent parfois la présence d’étals ou d’une [[Halle|halle]] consacrés à un produit, par exemple ceux de [[Draperie,_drapiers|drapier]] (''watschalen''), de boulanger (''brotloube''), de tanneur (''gerberlaube''), de boucher (''fleischbank''). Cet étal de viande (''macellum'') était un indice sérieux de l’existence d’un marché (Volk, p. 664). Par ailleurs, les produits vendus et précisés dans les sources sont des poissons, des [[Grains|grains]] (''[[Korn|korn]]''), des légumes (kraut), des planches ou du [[Bois|bois]] (''bretter'', ''[[Holz|holz]]''), des toiles (''wat''), du [[Fromage|fromage]] et du beurre (''anken'') ou encore des pieux (piquets de vigne ?) (''stangen''). Dans les grandes villes en particulier, quand un seul marché devenait insuffisant ou manquait de place pour s’étendre, d’autres marchés étaient instaurés, pour le pain, les légumes, le poisson, la viande, etc. Ils prenaient alors une dénomination spécifique relative à ce qui était vendu (''kräutermarkt'', ''brotmarkt'', ''kornmarkt'', ''fleischmarkt'', ''fischmarkt'', etc.). | ||
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+ | Les endroits où se tenaient les marchés sont parfois documentés. Ainsi, il est question des halles, ''[[Laube|laube]]'' (Benfeld, Cernay, Colmar, Munster, Pfaffenhoffen), des espaces en plein air : rue (Riquewihr), place (Erstein), près d’une [[Fontaine_à_vin|fontaine]] (Selz), autour d’une [[Église|église]] (Colmar, Saint-Martin, et Strasbourg, Saint-Martin), dans le ''[[Kaufhaus|kaufhaus]]'' (Cernay). Le ''kaufhaus'' était normalement réservé au marché de gros. | ||
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+ | La question de savoir où s’approvisionnait la population en denrées alimentaires avant la création d’un marché mérite d’être posée. Les [[Jardin|jardins]] (potagers, vergers) et les basses-cours de tout un chacun existaient au cœur des villes et des bourgs, les champs étaient proches, les meuniers et les fours à pain également. Les boulangers, en particulier, élevaient des porcs en ville qu’ils pouvaient vendre (Grodwohl et Michel, p. 225-228). Cependant, une forme de vente mercantile existait, puisqu’une décision du [[Magistrat]] de Strasbourg, en 1387, interdit à quiconque de vendre quoi que ce soit sur l’''[[Allmend(e)|allmend]]'' (les communaux), soit la rue, qui n’ait été ''verzinset'' (versement d’un [[Cens|cens]] pour occupation de cet espace). En cas de contravention, l’[[Amende|amende]] se montait à 30 ß et les marchandises étaient confisquées au profit de l’hôpital (Eheberg, 3, p. 2). | ||
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+ | == Aspects financiers == | ||
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+ | L’instauration d’un marché et son fonctionnement impliquaient des données financières. Ainsi, l’octroi d’un privilège pour sa création était assorti généralement du droit de lever une taxe sur les ventes (''zoll'', ''teloneum''), parfois d’autres droits, comme le droit d’étal (''gestellgeld''), celui d’ouvrir un atelier monétaire, une taverne (''taberna''), de lever une taxe sur la pesée (''waggeld''). Cependant, l’association du marché à la monnaie et à la taverne est essentiellement préurbaine ; on la trouve entre le VIII<sup>e</sup> et le XIe siècle, puis elle disparaît quasiment. Le marché était donc une source de revenus pour les villes ou le seigneur. Le ''zoll'' était prélevé par un ''zoller''. À Strasbourg, dans la première moitié du XV<sup>e</sup> siècle, les courtiers et les femmes courtiers (''köfeler'' et ''köfelerin''), leurs enfants, domestiques, ''[[Knecht|knechte]]'' et autre personnel (''[[Gesind(e)|gesinde]]''), devaient prêter serment sur les saints de verser tous les samedis au ''zoller'' un ''zoll'' sur les marchandises qu’ils vendaient et achetaient aux étrangers et aux autochtones. Le ''zoller'' devait aussi examiner les bateaux qui se rendaient au marché (''merketschiffen''), voir ce qu’ils contenaient et prélever la taxe (Eheberg, 177, p. 405-406). De même, au XV<sup>e</sup> siècle, les ''fischzoller'' du marché aux poissons, au gibier et aux « oiseaux » sauvages devaient aller d’un marchand à l’autre et prélever le ''zoll''. Il est précisé que ce dernier devait être levé, que les poissons fussent dans des paniers ou dans des baquets remplis d’eau, ou salés, lors des deux jours par semaine où se tenait ce marché (Eheberg, 184, p. 416-417-418). | ||
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+ | Par ailleurs, les marchés permettaient la circulation d’une [[Monnaie|monnaie]], dont la frappe, pour une région donnée, n’avait de sens qu’à cette condition, au besoin par le biais d’une réglementation contraignante (Volk, p. 663) (''[[Rappenmunzbund]]''). | ||
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+ | == Paix de marché – Règlements == | ||
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+ | Les routes d’accès au marché et les marchés eux-mêmes étant peu sûrs, une protection était accordée aux personnes non armées, comme les paysans, les femmes, les [[Juifs|juifs]]. Cette protection relevait d’une paix spéciale (''marktfriede''), mise en place par les autorités ou ceux qui accordent un privilège de marché, tant sur le chemin à l’aller et au retour que sur le marché (et sur la foire). Elle était spécifiée en termes de temps et de distance. Ainsi, lors de l’octroi du marché de Turckheim, l’empereur Henri VII précise que tous ceux qui s’y rendront jouiront dans leurs personnes et leurs biens de son impériale protection (Schoepflin, AD p. 99, n°862). Les franchises de Belfort, spécifient que les exactions ou délits commis en dépit de cette paix étaient de 60 sous estevenans tout au plus, « si ce n’est de forfaict en foyere ou en marchez, où les amendes se doublent » (Bardy, p. 530-534 ; de Villèle, II, p. 91-100 ; AM Belfort, BB 16). | ||
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+ | Les marchés et les marchands étaient soumis à des règlements édictés par les autorités. De nombreuses ''marktordnungen'' figurent dans les sources, métier par métier. À Sélestat, par exemple, les marchands de poissons et les merciers (''gremper'') devaient, le soir, les premiers retirer leurs tonneaux, les seconds leurs auvents du marché et ne pas les remettre en place avant la cloche du matin (Gény, III, 8. p. 327). Les marchands de [[Grains|grain]] devaient observer un règlement d’une vingtaine d’articles, dont les sujets sont divers, comme les horaires, signalés par une cloche (''[[Kornglocke|kornglocke]]''), avant la sonnerie de laquelle les achats et les ventes étaient interdits. L’un des articles concernait les poids et mesures : tous les grains qui arrivaient au marché dans des sacs pour être vendus le mardi et le vendredi devaient obligatoirement être pesés selon les mesures de Sélestat. C’est le mesureur de grain de la place qui s’acquittait de cette tâche, d’autant plus s’il s’agissait de marchands étrangers. Des amendes étaient prévues en cas de non-respect de cette réglementation (''ibid''., 14. p. 327). De même, il était interdit de laisser divaguer les cochons, les oies et les poules sur le marché au grain les jours de marché ou de vendre des légumes et autres jardinages ailleurs que sur le ''krutmerckt'', là où se trouvent les jardiniers (''[[Gärtner|gärtner]]'') (''ibid''., 7. p. 359 et 10. a. p. 360). Par ailleurs, les marchands étrangers de tissu (soie, toile, futaine, etc.), de cuir et autres n’ont plus le droit de venir vendre leurs produits sur le marché hebdomadaire, afin de ne pas nuire aux marchands autochtones. En revanche, ils peuvent vendre lors des trois foires annuelles et des quatre foires des Quatre-Temps (''ibid'', Statuten 1555- 1789, 35. p. 401-402). | ||
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+ | À Strasbourg, une dizaine de règlements sont émis par le Magistrat entre 1429 et 1495. Ils donnent des informations sur les lieux où se tenaient les marchés et les denrées vendues, ainsi que sur le montant des amendes en cas de contravention, sur la surveillance par un personnel assermenté ou encore sur les discriminations vis-à-vis des vendeurs et marchands étrangers à la ville (Ces règlements ne sont pas présentés in extenso). | ||
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+ | En 1427, il est précisé qu’il est interdit d’apporter les marchandises au marché devant les ''Barfůssen'' ([[Franciscains]]) avant la cloche du matin de la [[Cathédrale_(de_Strasbourg)|cathédrale]] (prime) et que la vente ne peut commencer qu’après cette sonnerie (Brucker, p. 329) [Le couvent des Franciscains se trouvait sur l’actuelle place Kleber]. Au XV<sup>e</sup> siècle, le marché d’occasion (''gimpelmarkt'') qui se tenait le dimanche et aux Quatre-Temps dans le ''fronhof'' (''by der Steinhütten'') est à présent interdit et doit se tenir derrière les ''Barfůssen'' [''Steinhütte'' : loge des tailleurs de pierre, située côté sud de la cathédrale, ''fronhof '': à l’emplacement du palais Rohan]. On y vendait entre autres les vêtements et les ustensiles de [[Lépreux_(statut_juridique)|lépreux]] défunts (''güten lüte'') (''ibid''., p. 329). En 1469, le règlement du marché aux poissons prévoit que les poissons vivants placés dans des baquets peuvent être vendus lors des marchés du matin et du soir pendant deux jours. Les poissons morts ne peuvent plus être vendus au bout d’un jour (marché du matin et du soir) et doivent être examinés par les [[Échevin|échevins]] (''schöffel'') (''ibid''., p. 330-331). En 1491, une réglementation générale sur le marché hebdomadaire concerne le grain, le vin, les chevaux. Il est surtout précisé l’interdiction de spéculer sur les produits de première nécessité par l’achat de denrées tôt le matin aux producteurs et la revente plus tard et plus cher sur le même marché, ce qui permettait à ces spéculateurs de se rendre à leur travail la journée (''ibid''. p. 332). Au XV<sup>e</sup> siècle, la réglementation du marché au grain prévoit l’interdiction pour tout [[Bourgeois,_bourgeoisie|bourgeois]] ou tout [[Étranger|étranger]] à la ville d’acheter, les jours de marché, plus de dix ''viertel'' de seigle ou de blé (''rogen und weissen'') pour éviter que les boulangers ne manquent de farine. Les mesures doivent être celles de Strasbourg et effectuées par le ''[[Kornmeister|kornmeister]]'' assermenté. Les femmes n’ont le droit de ne mesurer que les noix (''ibid''., p. 335). En 1493, interdiction est faite aux acheteurs de grain de créer des embouteillages avec leurs charettes (''wagen und karchen'') (ibid., p. 336). En 1426, la vente de lait, de fromage et autres denrées doit se faire sur les bords du marché aux poissons [rue du Vieux marché aux poissons, entre le pont du Corbeau et la rue Mercière], de sorte à ménager le passage (''ibid''., p. 337). En 1495, un grand désordre régnant sur le marché aux poissons à cause des marchands de légumes, ces marchands ne peuvent vendre à cet endroit que le lait et ce qu’ils peuvent porter dans un panier. Ils doivent tenir marché sur le ''fronhof'', la place, à proximité des ''gärtner'', et attendre que sonne la cloche de l’Ave Maria de la cathédrale (le matin). Par ailleurs, interdiction leur est faite de vendre sur leurs charrettes, qu’ils doivent décharger. Ils peuvent vendre sur leurs charrettes sur la place près de la fontaine Saint-Ulrich ou sur le marché aux légumes (''ibid''., p. 337). | ||
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+ | == Des marchés à la création documentée == | ||
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+ | N. B. : les entrées suivies d’une * se fondent sur un fichier inédit de B. Metz qui l’a aimablement mis à disposition. Qu’il en soit remercié. | ||
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+ | === Altorf === | ||
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+ | Otton III accorde à Altorf | ||
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Version du 15 octobre 2021 à 11:42
Markt, Merck(e)t, forum, mercatum.
Lieu de rencontre entre vendeurs et acheteurs de denrées, institué selon un droit ou un privilège accordé par un détenteur de l’autorité, qui se tient toutes les semaines à jour fixe. La sécurité des marchands et des acheteurs et le marché lui-même est assurée par une paix spéciale.
Le marché est un élément constitutif d’une ville, avec d’autres infrastructures, comme un mur d’enceinte de pierre, une franchise accordée par un seigneur, une paroisse, la présence d’un ordre mendiant ou d’un prieuré, un sceau, un château, etc. Ces critères, parmi d’autres, ont été retenus pour caractériser une ville : civitas, urbs, stadt (Metz, Essai sur la hiérarchie). Cependant, des communes plus modestes disposent d’un marché, sans que sa présence ne leur confère le statut de ville.
Sommaire
Droit de marché et création de marché
Le marché est souvent concédé, puis éventuellement confirmé ultérieurement par un empereur, un comte, un duc, par charte ou par privilège (Marktprivileg). Cependant, ce privilège n’est pas obligatoire pour la création d’un marché, il lui confère seulement une sécurité juridique plus étendue. Ce privilège peut d’ailleurs être accordé à posteriori (Volk, p. 667).
Les marchés sont d’habitude hebdomadaires (wochenmarkt) : ils se tiennent à jour fixe. À ces marchés s’ajoutent des foires annuelles (jahrmarkt), qui ne sont pas prises en compte dans la présente notice, mais qui y sont parfois mentionnées. Les marchés dont il est question ici existent depuis le Moyen Âge pour la plupart, d’autres sont mentionnés à partir du XVIe siècle, ce qui ne signifie pas qu’ils n’aient pas existé auparavant. C’est donc la date de leur création, éventuellement leur tenue (si aucune date de création n’est indiquée) qui importe ici. Hormis la date de création, l’existence d’un marché transparaît par le biais de questions financières, comme la levée d’un zoll (taxe sur les ventes), de précisions quant aux poids et mesures, de la présence d’une balance publique (wag) (à partir du XVe siècle), des règlements ou encore de l’existence d’une maison ou d’un autre espace à proximité du marché, toutes ces indications étant datées. Certains marchés perdurent à travers les siècles, d’autres périclitent pendant des décennies pour reprendre ultérieurement. Initialement, ils se tiennent surtout à proximité des abbayes. Les villes se développant au XIIIe siècle surtout, les marchés se créent pour assurer l’approvisionnement en marchandises de la population, mais sont eux-mêmes des facteurs de développement. Au XVe siècle, les diplômes accordant l’instauration d’un marché se multiplient.
Il est parfois malaisé de faire la différence entre un marché hebdomadaire et une foire, qui peut être annuelle, trimestrielle (aux Quatre-Temps) ou mensuelle, lorsqu’aucune précision n’est donnée quant au jour où se tient le marché. En effet, le même terme, markt, désigne l’un et l’autre, sauf quand est utilisé le mot messe, foire ou Jahrmarkt, marché annuel. Seule une spécialisation peut alors servir d’indication : un marché au bétail ou aux chevaux ne se tenant généralement pas toutes les semaines, sauf, par exemple, à Villé, où se tenait un marché au bétail hebdomadaire, ou à Cernay, où le marché aux bestiaux se tenait toutes les semaines sur l’Ochsenfeld, à l’écart de la ville (voir : Bétail).
Nécessité et caractéristiques
Le marché est l’un des moyens d’apporter aux habitants les produits dont ils ont besoin, qu’ils soient alimentaires, vestimentaires, ou autres. Il constitue pour les producteurs – paysans, boulangers, bouchers, artisans (du drap, du cuir, de la cordonnerie, etc.) – la possibilité d’écouler leurs marchandises, en plus de celle qui consiste à tenir boutique (laden) les jours de la semaine ou de les proposer lors de foires ou des petites foires locales se tenant lors des fêtes patronales (kilbe).
Les mentions concernant l’existence d’un marché précisent parfois la présence d’étals ou d’une halle consacrés à un produit, par exemple ceux de drapier (watschalen), de boulanger (brotloube), de tanneur (gerberlaube), de boucher (fleischbank). Cet étal de viande (macellum) était un indice sérieux de l’existence d’un marché (Volk, p. 664). Par ailleurs, les produits vendus et précisés dans les sources sont des poissons, des grains (korn), des légumes (kraut), des planches ou du bois (bretter, holz), des toiles (wat), du fromage et du beurre (anken) ou encore des pieux (piquets de vigne ?) (stangen). Dans les grandes villes en particulier, quand un seul marché devenait insuffisant ou manquait de place pour s’étendre, d’autres marchés étaient instaurés, pour le pain, les légumes, le poisson, la viande, etc. Ils prenaient alors une dénomination spécifique relative à ce qui était vendu (kräutermarkt, brotmarkt, kornmarkt, fleischmarkt, fischmarkt, etc.).
Les endroits où se tenaient les marchés sont parfois documentés. Ainsi, il est question des halles, laube (Benfeld, Cernay, Colmar, Munster, Pfaffenhoffen), des espaces en plein air : rue (Riquewihr), place (Erstein), près d’une fontaine (Selz), autour d’une église (Colmar, Saint-Martin, et Strasbourg, Saint-Martin), dans le kaufhaus (Cernay). Le kaufhaus était normalement réservé au marché de gros.
La question de savoir où s’approvisionnait la population en denrées alimentaires avant la création d’un marché mérite d’être posée. Les jardins (potagers, vergers) et les basses-cours de tout un chacun existaient au cœur des villes et des bourgs, les champs étaient proches, les meuniers et les fours à pain également. Les boulangers, en particulier, élevaient des porcs en ville qu’ils pouvaient vendre (Grodwohl et Michel, p. 225-228). Cependant, une forme de vente mercantile existait, puisqu’une décision du Magistrat de Strasbourg, en 1387, interdit à quiconque de vendre quoi que ce soit sur l’allmend (les communaux), soit la rue, qui n’ait été verzinset (versement d’un cens pour occupation de cet espace). En cas de contravention, l’amende se montait à 30 ß et les marchandises étaient confisquées au profit de l’hôpital (Eheberg, 3, p. 2).
Aspects financiers
L’instauration d’un marché et son fonctionnement impliquaient des données financières. Ainsi, l’octroi d’un privilège pour sa création était assorti généralement du droit de lever une taxe sur les ventes (zoll, teloneum), parfois d’autres droits, comme le droit d’étal (gestellgeld), celui d’ouvrir un atelier monétaire, une taverne (taberna), de lever une taxe sur la pesée (waggeld). Cependant, l’association du marché à la monnaie et à la taverne est essentiellement préurbaine ; on la trouve entre le VIIIe et le XIe siècle, puis elle disparaît quasiment. Le marché était donc une source de revenus pour les villes ou le seigneur. Le zoll était prélevé par un zoller. À Strasbourg, dans la première moitié du XVe siècle, les courtiers et les femmes courtiers (köfeler et köfelerin), leurs enfants, domestiques, knechte et autre personnel (gesinde), devaient prêter serment sur les saints de verser tous les samedis au zoller un zoll sur les marchandises qu’ils vendaient et achetaient aux étrangers et aux autochtones. Le zoller devait aussi examiner les bateaux qui se rendaient au marché (merketschiffen), voir ce qu’ils contenaient et prélever la taxe (Eheberg, 177, p. 405-406). De même, au XVe siècle, les fischzoller du marché aux poissons, au gibier et aux « oiseaux » sauvages devaient aller d’un marchand à l’autre et prélever le zoll. Il est précisé que ce dernier devait être levé, que les poissons fussent dans des paniers ou dans des baquets remplis d’eau, ou salés, lors des deux jours par semaine où se tenait ce marché (Eheberg, 184, p. 416-417-418).
Par ailleurs, les marchés permettaient la circulation d’une monnaie, dont la frappe, pour une région donnée, n’avait de sens qu’à cette condition, au besoin par le biais d’une réglementation contraignante (Volk, p. 663) (Rappenmunzbund).
Paix de marché – Règlements
Les routes d’accès au marché et les marchés eux-mêmes étant peu sûrs, une protection était accordée aux personnes non armées, comme les paysans, les femmes, les juifs. Cette protection relevait d’une paix spéciale (marktfriede), mise en place par les autorités ou ceux qui accordent un privilège de marché, tant sur le chemin à l’aller et au retour que sur le marché (et sur la foire). Elle était spécifiée en termes de temps et de distance. Ainsi, lors de l’octroi du marché de Turckheim, l’empereur Henri VII précise que tous ceux qui s’y rendront jouiront dans leurs personnes et leurs biens de son impériale protection (Schoepflin, AD p. 99, n°862). Les franchises de Belfort, spécifient que les exactions ou délits commis en dépit de cette paix étaient de 60 sous estevenans tout au plus, « si ce n’est de forfaict en foyere ou en marchez, où les amendes se doublent » (Bardy, p. 530-534 ; de Villèle, II, p. 91-100 ; AM Belfort, BB 16).
Les marchés et les marchands étaient soumis à des règlements édictés par les autorités. De nombreuses marktordnungen figurent dans les sources, métier par métier. À Sélestat, par exemple, les marchands de poissons et les merciers (gremper) devaient, le soir, les premiers retirer leurs tonneaux, les seconds leurs auvents du marché et ne pas les remettre en place avant la cloche du matin (Gény, III, 8. p. 327). Les marchands de grain devaient observer un règlement d’une vingtaine d’articles, dont les sujets sont divers, comme les horaires, signalés par une cloche (kornglocke), avant la sonnerie de laquelle les achats et les ventes étaient interdits. L’un des articles concernait les poids et mesures : tous les grains qui arrivaient au marché dans des sacs pour être vendus le mardi et le vendredi devaient obligatoirement être pesés selon les mesures de Sélestat. C’est le mesureur de grain de la place qui s’acquittait de cette tâche, d’autant plus s’il s’agissait de marchands étrangers. Des amendes étaient prévues en cas de non-respect de cette réglementation (ibid., 14. p. 327). De même, il était interdit de laisser divaguer les cochons, les oies et les poules sur le marché au grain les jours de marché ou de vendre des légumes et autres jardinages ailleurs que sur le krutmerckt, là où se trouvent les jardiniers (gärtner) (ibid., 7. p. 359 et 10. a. p. 360). Par ailleurs, les marchands étrangers de tissu (soie, toile, futaine, etc.), de cuir et autres n’ont plus le droit de venir vendre leurs produits sur le marché hebdomadaire, afin de ne pas nuire aux marchands autochtones. En revanche, ils peuvent vendre lors des trois foires annuelles et des quatre foires des Quatre-Temps (ibid, Statuten 1555- 1789, 35. p. 401-402).
À Strasbourg, une dizaine de règlements sont émis par le Magistrat entre 1429 et 1495. Ils donnent des informations sur les lieux où se tenaient les marchés et les denrées vendues, ainsi que sur le montant des amendes en cas de contravention, sur la surveillance par un personnel assermenté ou encore sur les discriminations vis-à-vis des vendeurs et marchands étrangers à la ville (Ces règlements ne sont pas présentés in extenso).
En 1427, il est précisé qu’il est interdit d’apporter les marchandises au marché devant les Barfůssen (Franciscains) avant la cloche du matin de la cathédrale (prime) et que la vente ne peut commencer qu’après cette sonnerie (Brucker, p. 329) [Le couvent des Franciscains se trouvait sur l’actuelle place Kleber]. Au XVe siècle, le marché d’occasion (gimpelmarkt) qui se tenait le dimanche et aux Quatre-Temps dans le fronhof (by der Steinhütten) est à présent interdit et doit se tenir derrière les Barfůssen [Steinhütte : loge des tailleurs de pierre, située côté sud de la cathédrale, fronhof : à l’emplacement du palais Rohan]. On y vendait entre autres les vêtements et les ustensiles de lépreux défunts (güten lüte) (ibid., p. 329). En 1469, le règlement du marché aux poissons prévoit que les poissons vivants placés dans des baquets peuvent être vendus lors des marchés du matin et du soir pendant deux jours. Les poissons morts ne peuvent plus être vendus au bout d’un jour (marché du matin et du soir) et doivent être examinés par les échevins (schöffel) (ibid., p. 330-331). En 1491, une réglementation générale sur le marché hebdomadaire concerne le grain, le vin, les chevaux. Il est surtout précisé l’interdiction de spéculer sur les produits de première nécessité par l’achat de denrées tôt le matin aux producteurs et la revente plus tard et plus cher sur le même marché, ce qui permettait à ces spéculateurs de se rendre à leur travail la journée (ibid. p. 332). Au XVe siècle, la réglementation du marché au grain prévoit l’interdiction pour tout bourgeois ou tout étranger à la ville d’acheter, les jours de marché, plus de dix viertel de seigle ou de blé (rogen und weissen) pour éviter que les boulangers ne manquent de farine. Les mesures doivent être celles de Strasbourg et effectuées par le kornmeister assermenté. Les femmes n’ont le droit de ne mesurer que les noix (ibid., p. 335). En 1493, interdiction est faite aux acheteurs de grain de créer des embouteillages avec leurs charettes (wagen und karchen) (ibid., p. 336). En 1426, la vente de lait, de fromage et autres denrées doit se faire sur les bords du marché aux poissons [rue du Vieux marché aux poissons, entre le pont du Corbeau et la rue Mercière], de sorte à ménager le passage (ibid., p. 337). En 1495, un grand désordre régnant sur le marché aux poissons à cause des marchands de légumes, ces marchands ne peuvent vendre à cet endroit que le lait et ce qu’ils peuvent porter dans un panier. Ils doivent tenir marché sur le fronhof, la place, à proximité des gärtner, et attendre que sonne la cloche de l’Ave Maria de la cathédrale (le matin). Par ailleurs, interdiction leur est faite de vendre sur leurs charrettes, qu’ils doivent décharger. Ils peuvent vendre sur leurs charrettes sur la place près de la fontaine Saint-Ulrich ou sur le marché aux légumes (ibid., p. 337).
Des marchés à la création documentée
N. B. : les entrées suivies d’une * se fondent sur un fichier inédit de B. Metz qui l’a aimablement mis à disposition. Qu’il en soit remercié.
Altorf
Otton III accorde à Altorf