Musique en Alsace (XVIe-XVIIIe siècles)

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L’action des clercs, relayés au XVIe siècle par les humanistes

Au départ : le rôle des monastères et des clercs de la cathédrale

Au Moyen Âge, musique religieuse et musique profane se confondent. L’école monastique est le lieu où le chant est enseigné, fixé par écrit dans les scriptoria, puis diffusé de monastère en monastère. L’un des plus anciens documents est l’Harmonie des Evangiles ou Krist, du moine bénédictin Otfrid de Wissembourg terminé vers 870 et dédié à l’archevêque de Mayence et à Louis II le Germanique. Cette imposante vulgarisation de l’Évangile, somme la plus ancienne d’un ensemble complet de cantiques allemands (Kirchenlieder), connut une diffusion rapide. À la même époque, on connaît à l’abbaye de Murbach des hymnes en latin, avec traduction allemande entre les lignes, contenant 967 pièces (voir : Kirchengesang, Culte catholique). À la cathédrale de Strasbourg, l’évêque Heddo, moine bénédictin, fonde au milieu du VIIIe siècle une communauté de religieux, les Frères de Marie, qui doivent jour et nuit se consacrer au culte de Dieu et de la Vierge. Un peu plus tard, la Chorale (Chorsänger), une communauté formée de jeunes garçons et de clercs, se met au service de la liturgie. Elle est un lieu d’éclosion et de rayonnement de la musique religieuse. Mais bientôt, à partir du XIIIe siècle, la musique sort de la cathédrale. Les jeux liturgiques (Krippenspiele, Osterspiele) qui avaient lieu à l’intérieur de l’édifice sont donnés sur le parvis. D’abord rédigés en latin, puis à partir du XIVe siècle en allemand, ils rencontrent rapidement un grand succès. Ils connaissent leur apogée à la fin du XVe siècle. Ils sont assurés par les clercs de la Confrérie de la Passion et par les corporations des chantres. Leur dernière représentation a lieu à Strasbourg en 1518 au Marché-aux-Chevaux. Le clergé voyait d’un mauvais œil les bouffonneries qui accompagnaient leurs représentations et dont il réprouvait les excès.  

Le XVIe siècle : les conséquences de la révolution de l’imprimerie

L’esprit de curiosité et la soif de connaissances, l’une des caractéristiques de l’humanisme, trouvèrent en Alsace une remarquable terre d’éclosion. Grâce aux progrès de l’imprimerie, Strasbourg va devenir par sa situation exceptionnelle une plaque tournante de l’expansion des idées nouvelles, en particulier dans le domaine de la musique. L’installation en 1526 de Peter Schœffer, à la fois fondeur de caractères et imprimeur, originaire de Mayence où il avait reçu une solide formation musicale, fut ainsi déterminante. Après un séjour à Worms (1512/18-1526), il s’établit à Strasbourg où il obtint rapidement ledroit de bourgeoisie (F. J. Fuchs). Son séjour dans la cité rhénane s’étend sur une durée d’environ quinze ans, avec une brève interruption pour un voyage à Venise. Il consacra son activité principale à l’impression d’œuvres musicales avec son associé Mathias Biener, appelé Apiarius. En 1535, il publia son Rerum musicarum opusculum rarum ac insigne, totius ejus negoti rationem mira industria, une œuvre destinée à l’enseignement des jeunes élèves, digne par la qualité de l’impression, selon Vogeleis, de l’imprimeur vénitien Ottaviano Petrucci (Vogeleis, p. 225-226). Cette publication fut suivie d’un recueil en allemand de 65 chants à cinq voix, ainsi que du Wittenbergische Gesangbüchlein de Johann Walter, un ouvrage plus savant.  

Musique allemande et musique française au XVIIe siècle

Quelques caractéristiques de la vie musicale à Strasbourg aux XVIIe-XVIIIe siècles

L’histoire de la musique en Alsace est caractérisée par l’absence de grandes dynasties ou de cours princières ayant la volonté, le goût ou les moyens d’engager des dépenses pour la musique de prestige. Peu de musiciens doués ont pu s’offrir une formation en entreprenant un séjour dans une ville d’Allemagne ou d’Italie, à l’exception notoire de Walliser (bien qu’on mette en doute le fait qu’il ait pu bénéficier d’une bourse accordée par les autorités municipales pour se rendre à Bologne). Ce fait a pu nuire à la création d’œuvres musicales.  

Par contre, les musiciens voyagent et se déplacent dans l’espace rhénan, ne cessant d’entrecroiser leurs parcours. Philipp Fiedrich Böddecker en est une brillante illustration. Engagé comme Stiftsmusikant (instrumentiste à la Stiftskirche) à Stuttgart, il fut successivement organiste à Bouxwiller, joueur de basson à la cour de Darmstadt, organiste à Strasbourg (Saint-Nicolas) et à Francfort, puis organiste et maître de chapelle à la cathédrale de Strasbourg, avant de retourner à Stuttgart (Gester, p. 125). D’autres musiciens, parfois moins connus, sont passés ainsi d’une ville à l’autre, mais toujours à l’intérieur du même espace.  

Par contre, l’Alsace a déploré la perte d’artistes de qualité. Ainsi Johann Gumbrecht, excellent luthier, quitte Strasbourg en 1688 pour être engagé à la chapelle ducale de la cour de Wurtemberg, où il resta jusqu’en 1715. Et que penser du départ de Brossard pour Meaux, dont Bossuet était devenu l’évêque en 1681, après à peine dix ans de présence à Strasbourg?  

Le XVIIe siècle : Strasbourg, un haut lieu de collecte, d’imprimerie et de diffusion d’œuvres musicales

La période qui s’étend de 1577 à 1661 constitue la période la plus importante pour l’impression et la diffusion des œuvres musicales. Entre 1611 et 1628, paraît le premier volume du Promptuarium musicum, un ensemble de chants polyphoniques d’Abraham Schadaeus, professeur à Meissen, puis à Bautzen, ensuite cantor au Gymnase de Torgau, puis Rektor à Bautzen. Le volume sera suivi en 1627-1628 de la publication par Johann Donfried de plusieurs autres volumes sous le titre de Viridarium musico-marianum et de Corolla musica-missarum. Cette « bibliothèque musicale » publiée par des musiciens catholiques fut reçue et diffusée par des musiciens protestants auprès desquels elle rencontra un énorme succès. Il serait donc erroné d’opposer au XVIIe siècle musique catholique et musique protestante (Gester, p. 35-39).  

Les années qui vont de 1630 à environ 1650, marquées par les crises et la misère de la guerre de Trente Ans, sont peu propices à la production d’œuvres, à l’exception des trois volumes de musique profane, la Musica boscareccia de Johann Hermann Schein qui connut un grand succès, puisque les volumes furent réédités en 1632, puis en 1644 (Gester, p. 21-26). Même après la conclusion des traités de Westphalie, le contexte économique et les limitations financières empêchèrent les musiciens, même les plus doués, de publier leurs pièces.  

L’année 1660 ouvre une période faste de l’histoire de l’imprimerie strasbourgeoise avec la publication par Philipp Friederich Böddecker du Te Deum à douze voix de Johann Heinrich Mittel, qui paraît à Strasbourg sous le titre de Melosirenicum. À cette œuvre succéda l’année suivante la Sacra Partitura à 12 voix pour basse continue, puis une composition pour instruments, la Neuverstimbte Violenlust (Vogeleis, p. 506-508). Il faut noter que parmi les motets de Böddecker figurent des œuvres composées sur des textes en langue allemande.  

Depuis le début du XVIIe siècle, les œuvres des musiciens franco-flamands ont cédé la place à celles de musiciens italiens. À partir de 1622, commence avec Johann Donfried l’édition de motets pour solistes et basse continue consacrés à l’arrivée d’une esthétique marquée par le stile moderno. Parallèlement, le répertoire luthérien usuel de langue allemande suit une évolution similaire. Parti des austères psaumes à quatre voix de David Wolkenstein, il aboutit aux œuvres de Christoph Walliser caractérisées par une écriture plus savante (Vogeleis, p. 591).  

La circulation des musiciens et de leurs œuvres

Après trois quarts de siècle d’une production importante, les imprimeurs strasbourgeois ont cessé de publier de la musique religieuse. À la fin du siècle, Strasbourg, étant devenue une ville française, l’édition musicale est elle aussi soumise à la demande du privilège royal. 1690 marque un terme à la place de l’imprimerie dans le domaine de la musique religieuse. Par contre, à partir de 1690, de nombreuses publications de musique instrumentale sortent des ateliers strasbourgeois, en particulier des suites de danses. Les autres publications sont des créations d’organistes de la ville.  

Si les hommes se déplacent beaucoup, les œuvres musicales circulent également, empruntant les mêmes itinéraires. Jean-Luc Gester va même jusqu’à établir un rapprochement avec les produits ordinaires, les céréales, le vin et le bétail. Les œuvres sont vendues et échangées dans les foires, à celles de Francfort essentiellement. Cette place joue le rôle de plaque tournante dans la diffusion du répertoire italien. À cet effet, les imprimeurs établissent des catalogues et des répertoires d’œuvres qui sont mis sur le marché. Le succès des éditions est tributaire de la demande et évolue selon le goût du moment. Les rapports entre les libraires et les imprimeurs de Strasbourg avec les villes allemandes étaient nombreux. Ainsi Sébastien Brossard est-il en relations suivies avec ces maisons d’impression et de diffusion.  

Les débuts du XVIIe siècle : le rayonnement du Gymnase

Christoph Walliser, à la fois musicien, cantor, compositeur et pédagogue, illustre de façon éclatante l’intensité de la vie musicale dans le Strasbourg protestant. Après des études classiques à Strasbourg, il quitte sa ville natale pour entreprendre un long voyage qui le mène en Allemagne, en Bohême, en Hongrie et pour finir en Italie. Son périple lui donne l’occasion de rencontrer Vulpius à Spire et Tobias Kindler à Zittau. De retour à Strasbourg en 1599, il est nommé vicarius à Saint-Thomas, praeceptor classicus au Gymnase qui avait été promu au rang d’Académie en 1566, enfin musicus ordinarius dont la fonction était de diriger la musique à la cathédrale.  

La pratique musicale au sein du Gymnase était organisée pour répondre aux besoins en chantres des sept paroisses liées à l’établissement, dont celles de Saint-Thomas et de la cathédrale. Une vingtaine d’années auparavant, Thomas Specker, président du convent ecclésiastique, avait tenté de réformer l’enseignement au sein de l’Académie en initiant les élèves à la pratique instrumentale.

Déjà au XVIIe siècle, la pratique du luth et du clavier avait ouvert des possibilités en matière concertante. Les propositions de Specker traduisaient son désir d’ouverture à la musique profane. Walliser composa un nombre impressionnant d’œuvres pour instruments, des motets et des psaumes (voir :  Kirchengesang, culte protestant). Il composa également des œuvres pour les représentations scolaires et de la musique pour le théâtre. Après le rattachement de force de Strasbourg au Royaume et la promulgation de mesures vexatoires envers les protestants, puis le retour de la cathédrale aux catholiques, naquit une véritable légende autour de sa personne On la retrouve encore très présente au début du XIXe siècle lorsque se répand dans l’Alsace annexée le sentiment de nostalgie de la « petite patrie ». Mais Walliser reste surtout comme celui qui introduisit la musique polyphonique à Strasbourg.  

Le rôle de Louis XIV et de son agent Sébastien de Brossard

L’introduction du goût français

Lorsque Louis XIV voulut introduire à Strasbourg, ville luthérienne tournée vers la culture allemande, la culture et le goût français, il installa une maison de Jésuites venus de Champagne. Ceux-ci furent chargés d’assurer la formation des futurs prêtres et celle des élites de la province. Il s’agissait également de faire de la cathédrale un centre de rayonnement de la culture de l’art français. Dans ce but, Sébastien de Brossard, un descendant d’une vieille famille noble de Normandie, fut nommé en 1688 à la cathédrale, d’abord comme vicarius, puis comme cantor, puis obtint, en 1689, la charge de maître du Grand Chœur. Mais avant de lui confier la charge de la musique à la cathédrale, le Conseil du Roi l’avait chargé d’une toute autre mission, qui n’avait rien à voir avec la musique, celle de préparer la succession des deux princes de Fürstenberg qui détenaient le diocèse de Strasbourg depuis 1663. Il s’agissait de faire passer le nombre des chanoines capitulaires de 12 à 20, permettant ainsi d’introduire des représentants de la noblesse française au sein du Grand chapitre qui serait alors aux ordres du roi.  

Dès son arrivée à Strasbourg, il commença à réunir les œuvres de sa future bibliothèque, bien qu’il ne fût pas le seul bibliophile alors présent à Strasbourg. Elle renfermait essentiellement des œuvres de musiques italiennes et allemandes. Son catalogue est un aperçu des œuvres musicales qui circulaient alors en Europe, dans lequel Brossard manifestait sa prédilection pour la musique de la Renaissance italienne et de la première génération du baroque, alors que la musique luthérienne ne retenait pas son attention. En 1726, il légua tous les ouvrages de sa bibliothèque à la Bibliothèque du Roi, où elle fut conservée dans le « Cabinet Brossard » (aujourd’hui à la Bibliothèque Nationale).  

Brossard, qui est considéré comme une figure marquante de la réception de la musique italienne en France, a grandement profité de ses dix années de présence à Strasbourg pour améliorer sa connaissance des musiciens italiens en puisant dans le répertoire de ses collègues tant catholiques que protestants.  

Pour le Grand Chœur de la cathédrale, il composa de nombreuses cantates, motets, élévations et psaumes. À l’occasion des festivités marquant la signature du traité de Ryswick en 1697, il donna une messe du Génois Freschi et composa un morceau de circonstance, l’Oratorio pro rege à six voix. Pour mieux mettre en valeur l’orchestre et les chœurs, le Chapitre fit construire en 1689, l’année de son départ pour Meaux, deux tribunes qui se faisaient face dans le chœur (Grandidier).  

L’année suivante, à l’occasion d’un grand rassemblement de Jésuites à l’église Saint-Louis, il donna son Canticum eucharisticum pro pace facta, une œuvre pour orchestre et solistes. La musique de Brossard se caractérise par son goût pour la musique italienne et les concerts spirituels à basse continue. Ayant ainsi bien servi le roi Louis XIV, Brossard aurait aimé obtenir le poste de maître de chapelle à la Sainte-Chapelle. Le poste fut attribué à Marc-Antoine Charpentier. Il dut se contenter de celui de la cathédrale de Meaux.  

Le goût français a marqué la musique profane au cours du XVIIe siècle, mais a aussi été partagé par l’ensemble des cours princières de l’Empire. Par contre, en Alsace, il n’a guère imprégné la musique religieuse avant 1700, essentiellement pour des raisons politiques. L’attitude brutale de la monarchie à l’égard des villes protestantes ne suscita aucune envie d’adhérer au goût français. Les nombreux écrits de Brossard, fin observateur de la sensibilité du milieu strasbourgeois où il baigne, en sont le témoignage.  

L’Académie de musique

Elle voit le jour de façon fortuite en 1688/89 avec l’arrivée de Brossard à Strasbourg. Lorsque celui-ci reçut sa nomination de Kapellmeister am Münster, le Grand Chœur traversait une période difficile. L’évêque Guillaume Egon de Fürstenberg s’était engagé dans la guerre de succession du princeévêque de Cologne. Cette entreprise avait ruiné ses finances et provoqué la suppression du poste de Kapellmeister. Empêché de diriger le chœur, Brossard eut l’idée de fonder une société de musique (Musikgesellschaft), qui devint l’Académie de musique. C’est ainsi qu’entre 1688 et 1694, Brossard composa pour celle-ci plusieurs pièces de musique profane. À la tête de cette formation, il dirigea plusieurs morceaux d’œuvres de compositeurs français, comme Le Triomphe d’Alcide de Lully, qui avait été donné à Versailles en 1674, ainsi que l’opérette Céphale et Procris d’Elisabeth Jacquet de la Guerre. Il rédigea entre 1691 et 1698 pour l’Académie et pour les cercles strasbourgeois avisés une série de chansons éditée ensuite sous le titre de Recueil d’airs sérieux et à boire. Autodidacte, Brossard profita de ses loisirs forcés pour étudier les œuvres de Marc Antoine Charpentier et de Lalande (Vogeleis, p. 562-567).  

Peu de données nous sont parvenues sur l’activité de l’Académie après le passage de Brossard. En 1727, Johann Christoph Frauenholz fut nommé Konzert Direktor und Kapellmeister an der NeueKirche. C’est à lui que revint l’honneur de diriger la musique lors des obsèques du maréchal Maurice de Saxe qui eurent lieu au Temple-Neuf le 8 février 1751. Frauenholz joua un rôle déterminant dans la vie musicale à Strasbourg au XVIIIe siècle (Vogeleis, p. 622-625).  

En 1631, le Magistrat dota l’institution d’un statut. Elle devait s’engager à donner 30 concerts annuels, étalés d’octobre à juin. Compte tenu de l’importance de la garnison française présente à Strasbourg, elle devait fournir un certain nombre de billets aux officiers des différents régiments. L’Académie était placée sous la protection du gouverneur, de l’intendant et du préteur royal. À partir de 1733, elle recevra une dotation annuelle de 1 500 livres. Les concerts avaient lieu dans la salle du Poêle de la tribu de La Mauresse (auf die Möhrin). L’orchestre était composé vers 1740 d’environ 20 musiciens qui recevaient une rétribution annuelle de 150 florins et des appointements en nature (bois, fagots, blé et vin). Les membres les plus talentueux étaient tenus de jouer les dimanches et fêtes à 8 heures au Temple-Neuf, à 9 heures à la cathédrale. Vers 1750, l’Académie de musique fut dissoute, ses membres indemnisés.  

La musique et le chant à la cathédrale au XVIIIe siècle

Le triomphe de la musique française

Après le départ de Brossard pour Meaux en 1698, le poste de maître de chapelle fut tenu jusqu’à la nomination de F. X. Richter en 1769, successivement par sept titulaires, dont les plus marquants furent les frères Jean-Georges et Michel Rauch, qui cumulaient le poste de maître de chapelle et d’organiste. Dans la première moitié du XVIIe siècle, on pratiquait à la cathédrale les musiques de H. Du Mont, André Campra, François Couperin et Francesco Bazzani. Lors de la réorganisation de la musique à la cathédrale qui suivit le départ de Brossard, on essaya de s’aligner sur la musique de la chapelle de la cour royale de Versailles et de celle de la cour impériale de Vienne. Louis XIV qui suivait de près « les affaires d’Alsace » instaura même, en 1681, une commission spéciale pour rehausser son niveau, mais celle-ci, privée de moyens à la suite des guerres incessantes, ne produisit aucun travail.  

F. X. Richter, un brillant représentant de l’école de Mannheim

L’arrivée en 1769 de François-Xavier Richter, originaire de Graz, au poste de maître de chapelle, marqua une date importante pour Strasbourg. Passé par l’orchestre de la cour du Grand Électeur du Palatinat, alors l’ensemble le plus prestigieux de l’Europe du Nord, il avait été l’élève du grand violoniste Johann Stamitz. Il apportait un riche savoir et arrivait à Strasbourg avec trois élèves de ce maître renommé. L’orchestre de Mannheim, où brillaient de nombreuses individualités, était célèbre dans toute l’Europe du Nord par son style caractérisé par ses effets symphoniques et ses crescendo.  

L’activité de Richter à Strasbourg est prodigieuse avec la création d’innombrables symphonies, de messes pour chœurs et orchestre, de cantates et motets composés pour les différents temps liturgiques (Vogeleis, p. 672-680). Dès son arrivée, il donna deux concerts à la Salle du Miroir, rue de Serruriers. En 1770, à l’occasion du séjour à Strasbourg de la Reine Marie-Antoinette, il dirigea les imposantes manifestations musicales données par la Ville. Le poste de maître de chapelle n’était pas de tout repos. Les Rohan – lorsqu’ils séjournaient à Strasbourg – ainsi que le Chapitre étaient très exigeants et tenaient à ce que les offices soient toujours accompagnés de chœurs et de musiciens. Tous les dimanches et jours de fête prévus par la réglementation du diocèse, la grand-messe et les vêpres devaient être célébrées avec musique et chant. La semaine sainte, la Fête-Dieu et son octave étaient fêtées avec une solennité particulière. En plus de ses fonctions à la cathédrale, Richter était tenu de diriger des concerts dans la résidence des princes-évêques.  

À certaines occasions, il lui arrivait également de diriger l’orchestre municipal. Lorsqu’il atteignit l’âge de 74 ans, en 1782, il demanda un adjoint qui fut rapidement désigné en la personne d’Ignace Pleyel, avec le titre de vice-directeur. Il lui succéda en 1789.   Richter disposait à son arrivée d’une chapelle de 24  chantres, de six à neuf garçons et de 40  instrumentistes, d’un organiste principal et d’un organiste de chœur, enfin de plusieurs chapelains, faisant fonction de professeurs pour la formation religieuse et musicale des enfants de chœur (Chorknaben). Vogeleis fournit la liste complète des chanteurs et musiciens pour les années 1769-1789. Parmi eux, on trouve un fils de Richter, simphoniste, et Charles Dumoncheau qui avait créé et dirigeait une Académie de musique pour enfants de plus de huit ans (Vogeleis, p. 665-668). Des solistes étaient invités pour compléter la formation à l’occasion de grandes solennités. Grandidier estime que le Chapitre de la cathédrale consacrait annuellement 30 000 livres à l’entretien des chanteurs et des musiciens.  

L’orchestre de la cathédrale est alors le plus important et le plus célèbre du royaume et vient tout de suite après celui de la cour de Versailles. À côté de cet ensemble musical, il y avait une seconde formation à Strasbourg, celle du Temple-Neuf et de l’Orchestre municipal qui semblent avoir constitué un seul et même ensemble. Celui-ci s’inspira également de l’héritage de la Hofkapelle de Mannheim. La qualité et les prestations de ces orchestres, à l’époque où Richter était au sommet de son art, contribuèrent grandement au rayonnement culturel de Strasbourg bien au-delà des frontières du Royaume.  

Bibliographie

LOBSTEIN (Jean Frédéric), Beiträge zu Geschichte der Musik im Elsass und besonders in Strassburg von den ältesten bis auf die neue Zeit, Strasbourg, 1840.  

VOGELEIS (Martin), Quellen und Bausteine zu einer Geschichte der Musik und des Theaters im Elsass 500-800, Strasbourg, 1911. Réimpression Minkoff reprints, Genève, 1979.  

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LIVET, RAPP, Histoire de Strasbourg (1980-82), t .2, p. 466- 472 et t. 3, p. 444-445.  

HONEGGER (Marc), Dictionnaire de la Musique. Les hommes et leurs œuvres, Paris, 1986.  

L’Alsace. Catalogue des manuscrits musicaux anciens. 2  vol., Coll. Patrimoine musical régional. Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg. Association Régionale pour le Développement de l’Action musicale, Montpellier, 1996.  

GESTER (Jean-Luc), La musique religieuse en Alsace au XVIIe siècle. Réception de la musique italienne en pays rhénans, Strasbourg, 2001.  

HONEGGER (Geneviève), GESTER (Jean-Luc), « La musique en Alsace. Une historiographie en marche », RA, n°126, 2000, p. 301-324.  

GRASSER (Gérard), « La musique », Strasbourg. La grâce d’une cathédrale (dir. Mgr Joseph Doré), Strasbourg, 2007, p. 439-458.  

Notices connexes

Bibliothèque  

Chantre  

Chœur  

École (en Alsace)  

Imprimerie  

Maître-chanteur  

Kirchengesang (culte catholique)  

Kirchengesang (culte protestant).

François Uberfill