Femme (droit de la -)
Le statut juridique de la femme et son évolution
Le statut de la femme se définissait en général par référence à sa situation familiale ou matrimoniale : fille, femme mariée, veuve, religieuse.
Sommaire
- 1 A. La femme dans le droit civil
- 2 B. La femme, « marchande publique »
- 3 C. La femme dans le droit pénal
- 4 D. Droit de la femme religieuse
- 4.1 Les traits communs de l’organisation monastique féminine
- 4.2 L’extension du monachisme féminin
- 4.3 L’institutio sanctimonalium (Aix-la-Chapelle 816)
- 4.4 La structure patrimoniale des établissements religieux : menses, prébendes et bénéfices
- 4.5 L’essor des fondations de monastères et couvents
- 4.6 L’admission dans les établissements religieux
- 4.7 Les vœux de la religieuse
- 4.8 Le droit des religieuses sous la monarchie française
- 4.9 La Révolution et l’Empire
- 4.10 Congrégations autorisées et congrégations non-autorisées
- 5 Notices connexes
A. La femme dans le droit civil
Au Moyen Âge et à l’époque moderne, le statut de la femme est défini par un certain nombre de droits issus des codes germaniques, codifiés dans les statuts urbains, les coutumiers, et la jurisprudence des tribunaux et cours. Selon les localités ou les régions, il peut présenter des variantes, quelquefois importantes, par exemple sur le régime matrimonial ou celui de la succession. Le Schwabenspiegel (Miroir des Souabes), rédigé à Augsbourg à la fin du XIIIe siècle, est contemporain de nombre de statuts urbains de l’Alsace et y a été fort diffusé. Il constitue une référence commune des droits de l’Allemagne du Sud-Ouest, codes urbains ou coutumiers. Ceux-ci peuvent cependant reprendre des dispositions juridiques bien plus anciennes. En règle générale, la femme est sous tutelle permanente : fille, épouse ou veuve, elle ne contracte et ne plaide valablement qu’avec le concours d’un tuteur, son père, mari, ses fils ou un tuteur choisi ou désigné.
Âge de la majorité
On distingue la majorité matrimoniale et la majorité civile. Dans le Schwabenspiegel, l’âge de la majorité matrimoniale des filles est fixé à 12 ans et celle des garçons à 14 ans (v. Enfants). À cet âge, le mariage consommé et présumé fécond, est réputé valide. Mais la majorité civile de la fille, comme celle du garçon, est fixée à 25 ans. À cet âge, la fille peut disposer de ses biens (Schwabenspiegel, Landrecht I, art. 59). Si elle mène une vie dissolue, elle perd son honneur, mais pas son héritage (Schwabenspiegel, Landrecht I, art. 15). Le VIe statut de Strasbourg fixe cette majorité à 20 ans (UBS, Statut de Strasbourg, VI, art. 294). Cependant, la capacité juridique de la femme célibataire n’est que partielle ; elle est pourvue d’un tuteur lorsqu’elle este en justice (Kriegsvogtei).
Capacité juridique
La règle est générale : la femme n’a pas de capacité juridique autonome. Elle est placée sous la tutelle d’un homme de par son sexe (Geschlechtsvormundschaft, cura sexus). Elle ne peut ester en justice (Schwabenspiegel, Landrecht I, art. 13) et sa parole ne sera pas admise en témoignage (Schwabenspiegel, Landrecht I, art. 75). Par contre, elle peut se plaindre auprès du juge, d’un tuteur indélicat, mais sera pourvue par le Magistrat ou le tribunal d’un tuteur qui se porte garant pour elle (Schwabenspiegel, Landrecht I, art. 75). Dans le statut de Colmar, de 1293, il est expressément prévu que la fille de bourgeois ne peut pas témoigner en justice. La réception du droit romain au XVIe siècle aurait pu entraîner une certaine libéralisation. Le droit canonique traite la femme sur le même pied que l’homme pour les sacrements : baptême, confirmation, confession et extrême-onction, mais elle est toujours exclue des fonctions ecclésiales majeures (v. Femme religieuse). Cependant, alors que nombre d’États de l’Empire semblent connaître une évolution libérale qui va même jusqu’à l’égalité des statuts dans la gestion des biens et devant les tribunaux, dans le sud-ouest de l’Empire, c’est la réaction qui s’impose, qui rejette la liberté de gestion des femmes célibataires. D’après le Schwabenspiegel (Landrecht, art. 74, fin XIIIe siècle), les filles et femmes qui n’ont pas de mari peuvent aliéner leur bien sans leur tuteur, quand elles sont majeures (25 ans), sauf si elles ont des héritiers qui peuvent faire valoir leurs droits. Pourtant, à Strasbourg une ordonnance de 1433 prescrit que « toute jeune fille ou veuve qui a du bien doit être pourvue d’un tuteur qui ne soit pas son héritier et s’il ne s’en trouve pas parmi leurs amis, alors Magistrat et conseil doivent en choisir un parmi les XXI, qui prêtera le serment de gérer en bon tuteur, fidèle conformément aux dispositions du livre des tutelles ». La disposition est rappelée par une thèse de Jean Fischer, De Tutela Materna, soutenue à Strasbourg en 1754. Des dispositions analogues figurent dans les statuts de Mulhouse (1740), de Fribourg-en-Brisgau (1541), Lucerne, Zurich, Bâle, Saint-Gall et Ulm (1579 et 1616), ainsi que dans le Landrecht wurtembergeois de 1555 et celui du Margraviat de Bade, de 1619. Se forme ainsi une aire d’inégalité maximale de tutelle du sexe faible et de tutelle maritale (cura sexus et cura maritalis), dans le sud de l’Empire. Les trois grands codes de la fin du XVIIIe et du début du XIXe (Allgemeines bürgerliches Gesetzbuch autrichien, le plus libéral), Allgemeines Landrecht prussien et Code Napoléon adoptent tous trois le principe de la capacité juridique de la femme, mais imposent la tutelle de la femme mariée. L’extension du Code civil à une grande partie de l’Europe impose donc dans les territoires de droit limité le principe de l’autonomie de la femme célibataire (et de la veuve). En 1815, l’Europe est répartie en trois grandes aires de droit de la femme : la France avec les anciens départements de la rive gauche est dans une aire d’égalité de principe pour la femme non mariée, mais de tutelle pour la femme mariée, tout comme la Prusse ; en second lieu, les États du Nord-Est de l’Empire, la Bavière et l’Autriche, où la tutelle de la femme mariée par le mari est limitée, et enfin, paradoxalement, car ce sont aussi les premières principautés constitutionnelles allemandes, le Bade et le Wurtemberg, ont réintroduit les anciens codes avec leurs tutelles intégrales, tout comme les cantons suisses (Holthöfer, Die Geschlechtsvormundschaft).
La femme mariée
Le mari est le maître et le tuteur de la femme mariée. Der Mann ist der Vogt des Weibes und ihr Meister (Schwabenspiegel, Landrecht I, art. 9). C’est la condition de son mari noble, libre ou serf qui s’impose à la femme. Si elle a été libre, elle perd cette liberté le temps du mariage et ne peut la recouvrer qu’à la dissolution du mariage (Schwabenspiegel, Landrecht I, art. 67). Mais les enfants du couple prennent la condition la plus avantageuse (Schwabenspiegel, Landrecht I, art. 68).
Le régime des biens en régime matrimonial – la part inégale de la femme
Quel que soit le régime matrimonial, la femme reçoit au lendemain de ses noces une Morgengabe qu’elle conservera en cas de prédécès de son mari et qui ne peut être jointe à la communauté pour le paiement des dettes. À la femme également, et à ses filles si elle disparaît, la Heimsteuer (qu’elle ait été apportée, cas le plus fréquent, ou donnée par le mari) : basse-cour, linge, vaisselle, literie et draps, bijoux et vêtements (Spindeltheil, par opposition au Schwerttheil du père et des garçons). Les régimes matrimoniaux dominants de l’Alsace (v. Coutume) sont : - Le régime strasbourgeois où la communauté est réduite aux acquêts qui sont partagés aux 2/3-1/3. - La dévolution du Centre-Alsace, avec communauté universelle et sa transmission intégrale (Verfangenschaft) aux enfants avec usufruit au survivant jusqu’à son décès. - Le régime de Ferrette, appliqué dans le Sud de l’Alsace et un grand nombre de communautés alsaciennes, avec selon les cas, communauté universelle ou d’acquêts et meubles répartis aux 2/3 et 1/3. Mais, dans la plupart des régimes, le partage se fait aux 2/3 pour le mari – 1/3 pour la femme, puisqu’on considère que, dans un ménage, c’est le mari qui acquiert et la femme qui conserve.
La gestion des biens du couple marié
L’épouse ne dispose plus de ses biens, propres, apports ou Morgengabe : ils sont gérés par le mari. « La femme vivant avec son mari ne peut disposer de ses biens, ne peut les engager. La femme ou les enfants sont sous puissance paternelle et elle ne peut disposer de son bien sans accord du mari » (vente, don, gage) (Statuts de Colmar, texte de 1593). La redécouverte du droit romain (XIIIe-XIVe siècle) et des lois romaines qui prohibent l’aliénation des biens dotaux (Loi Julia De Fundo Dotali) ou interdisent aux femmes de s’engager pour autrui (Senatus Consulte Velleien), entraînent l’insertion par les tabellions et notaires de formules de renonciation à ces dispositions pour mettre les créanciers du mari à l’abri. Interdites en France par Henri IV, ces formules n’ont donc pas été introduites en Alsace par le Conseil_souverain, mais on les rencontre dans le Saint-Empire, particulièrement dans les villes où elles s’appliquent aux ménages de commerçants. La coopération de l’épouse est pourtant nécessaire pour nombre d’actes de la gestion de la communauté. Le mari doit recueillir l’avis de l’épouse (et de celui d’un tuteur issu de sa lignée) s’il veut disposer des biens propres de sa femme ou de sa Morgengabe (Schwabenspiegel, Landrecht I, art. 23 et coutumes d’Alsace). Il est vrai que le Conseil souverain « attaché à assimiler le mari ferrettain au mari parisien » (Bonvalot) a restreint les droits de la femme. Il arrête que la coutume ferrettaine entraîne communauté universelle des apports et des acquêts assimilés à des meubles comme dans la coutume de Paris. D’après Bonvalot, si la coutume de Ferrette condamne les actes passés à l’auberge par le mari, ce n’est pas tellement par méfiance contre les effets de l’alcool, mais parce que la femme n’a pas participé à la conclusion de l’acte et donné son accord (Bonvalot, La Coutume de Ferrette, p. 201).
La succession
Devant l’héritage, les filles sont à égalité avec les garçons. Elles héritent donc à parts égales de leur père (les 2/3) comme de leur mère (le 1/3). À l’instar de leurs frères, les filles, dotées avant la mort de leurs parents, voient leurs parts rapportées à la succession et déduite. Par contre, dans la majorité des coutumes, la fille cède la place à son frère puîné pour l’héritage du domaine paternel (juveigneurie) et n’y a droit que s’il n’y a pas de garçons, sauf à être dédommagée par soulte.
La veuve
Dans le royaume de France, à partir du XVIe siècle, certaines coutumes, principalement la coutume parisienne (car d’autres ne le prévoient pas) admettent que la veuve retrouve une pleine capacité juridique de gestion et de disposition. Mais, en Alsace, la veuve passe de la tutelle de son mari à celle d’un tuteur, un proche-parent issu de sa lignée. Le Schwabenspiegel prévoit que le fils majeur, qui doit avoir plus de 25 ans, assume la tutelle de ses frères et sœurs mineurs et de sa mère, si toutefois elle en est d’accord (Schwabenspiegel, Landrecht I. art. 26). La veuve jouit donc d’une autonomie fort limitée, sauf sans doute sur sa Morgengabe ou son Wittum. Pour toutes démarches judiciaires, la femme a besoin d’un tuteur qui se porte garant pour elle. C’est le cas aussi pour ses biens propres sur lesquels son lignage exerce encore un droit de contrôle.
Si elle n’en a pas l’usufruit, la veuve peut rester dans le domaine de son mari pendant 30 jours (Schwabenspiegel, art. 25) ou jusqu’à la naissance de l’enfant si elle est enceinte. Puis, sous le contrôle du tuteur, l’on procède au partage : elle prend sa Morgengabe, son trousseau (Spindeltheil) et sa part des meubles partagés en deux avec les enfants (Schwabenspiegel, Landrecht, art. 147). Il est donc prévu un inventaire qui détermine ces parts et les remet aux ayant droits. Par contre, la coutume de Ferrette (et la plupart des coutumes communautaires) ne prévoit pas que la veuve puisse renoncer à l’héritage pour ne pas avoir à assumer un passif plus grand que l’actif. Par contre, les arrêts du Conseil souverain, de 1723 et de 1725, introduisent sur ce point les dispositions des ordonnances et arrêts français sur l’acceptation des successions sous bénéfice d’inventaire, et la veuve est protégée (Bonvalot, p. 205 et s.). À partir de 1804 s’appliquent les dispositions du Code Napoléon qui prévoit que la veuve a trois mois pour faire une renonciation auprès du greffe du juge de paix (CC. 1453 et s.).
La tutelle des orphelins
Il est rare que le père survivant soit chargé de la tutelle de ses enfants mineurs, la mère ne l’est jamais. Voilà la règle générale des statuts et coutumiers alsaciens telle qu’elle est affirmée par le statutaire d’Alsace publié par d’Agon de la Contrie. Au décès de l’un des deux conjoints, leurs plus proches parents ou amis se rassemblent devant le bailli ou le commissaire du Magistrat des villes et quelquefois devant le prévôt du village et établissent ordinairement le plus proche parent tuteur des mineurs. Celui-ci accepte la tutelle data manu loco juramenti. Le commissaire du bailli que, pour cette raison, on appelle commissaire aux tutelles faisait de temps en temps rendre les comptes de leur gestion. Les procureurs fiscaux devaient veiller à ce qu’ils fussent rendus. Les villes veillent à assurer la tutelle des orphelins avec, à Strasbourg, un Vogteigericht, à Colmar les Weysenvögte et à Mulhouse un Waisengericht, choisis dans le Magistrat. Ce sont les corporations qui régissent la tutelle des orphelins d’artisans.
Pourtant, le droit romain prévoit que la tutelle, dite légitime, incombe au parent survivant ; la mère pouvait donc être tutrice de ses enfants. Le Conseil souverain a reconnu la qualité de tutrice légitime aux princesses, veuves et tutrices de leurs enfants, la duchesse de Deux-Ponts (1736) ou la marquise de Rosen (1751). Les arrêts de l’affaire qui opposent deux curés à la veuve Caroline Waldner de Freundstein (1756) ou celle de la Dame Ferrier, qui avait fait procéder à un inventaire de la succession de son mari, avocat au Conseil souverain, par un conseiller, éclairent quelque peu la terminologie. Elles sont qualifiées de « tutrices naturelles », non pas de « tutrices légales ». Le droit germanique ne connaît pas la différence entre le tuteur, chargé de l’éducation des enfants (et de la gestion de leurs affaires) et la curatelle, qui se borne à la seule gestion des biens des mineurs. Dans l’affaire Catherine Kopp contre le Magistrat de Colmar (de Boug II, 1764, p. 658 et s.), où la Ville ne veut pas reconnaître à son petit-fils, considéré comme étranger, sa part d’un héritage colmarien, Catherine Kopp, qualifiée de « tutrice naturelle », prend un curateur et gagne son procès (v. Étranger). Mais dès 1674, le Conseil alors encore Provincial et siégeant à Ensisheim avait rappelé aux officiers leurs devoirs de protection des mineurs en les dotant de tuteurs (de Boug, 16 février 1674). Dans son commentaire de la coutume d’Orbey (p. 41), Bonvalot relève que cette règle paraissait négligée au milieu du XVIIe siècle ; le tuteur était souvent le conjoint survivant – soit également la mère – et il avait fallu la rappeler sous peine d’amende. Ganghoffer estime que, dans le cours du XVIIe et XVIIIe siècle, dans le centre de l’Alsace, la tutelle s’était rapprochée de celle qui existait dans le droit coutumier de l’ancienne France (Ganghoffer, tutelle, p. 325).
Avec le Code Napoléon, le principe de la coutume de Paris, qui donne à la mère la tutelle légale, s’impose dans le droit français. L’article CC. 390 confère la tutelle à l’époux survivant, père ou mère. C’est le seul cas où la femme peut être tutrice. En cas de remariage, elle doit consulter un conseil de famille, faute de quoi la tutelle passe à son second mari, qui sera solidairement responsable de la gestion. La jurisprudence de la Cour de Colmar abonde en procès où comparaissent en tant que plaignantes ou intimées des veuves, qualifiées désormais de « tutrices légales » de leurs enfants mineurs. L’arrêt Kühwart contre Recht de Hochfelden, du 25 juillet 1812, illustre à la fois la pratique de l’ancienne tutelle et les règles qu’on entend désormais faire respecter. Dès la mort de son fils, le grand-père prend la tutelle de ses petits-enfants et fait approuver ce choix par le juge de paix de Truchtersheim qui avait réuni un conseil de famille. Mais la bru, Catherine Recht, se remarie tout de suite et se fait nommer tutrice, avec, pour cotuteur, son second mari, conformément à la loi, mais par-devant le juge de paix du domicile des mineurs (et le sien) à Hochfelden. La cour arrête que la première nomination est nulle et valide la seconde (Jurisprudence de la Cour de Colmar 1812, p. 315-319).
V. Coutume, Dévolution, Donations_nuptiales, Droit de l’Alsace, Kriegsvogtei, Mariage, Orphelin, Succession, Tutelle, Veuve.
B. La femme, « marchande publique »
Les dispositions les plus anciennes des statuts urbains prévoyaient que la femme ne pouvait pas acheter plus de marchandises que n’en consommait son ménage. Mais femmes ou filles pouvaient être employées par leurs pères ou leurs maris artisans ou négociants dans la ville et la veuve pouvait, avec l’aide d’un compagnon, poursuivre l’activité du mari décédé (v. Femmes dans les corporations). Elles ne pouvaient agir qu’avec l’accord de leurs pères, maris, tuteurs. C’est au cours du XVIe siècle que les statuts et règlements des villes de l’Empire définissent progressivement le statut, les droits et les obligations des « marchandes publiques » (Markt und Krämerfrau). Fort novatrice, la première thèse de droit commercial soutenue à Strasbourg porte sur l’épouse marchande « Summaria delineatio quaestionis quae uxor mercatrix, Ein Kram oder Marktfrau sit et proprie dicatur », par Paul Gambs (1639), sous la direction de Johann Rebhan (NDBA), pourtant réputé fort réactionnaire. Elle nous apprend que la Ville de Strasbourg avait, dès 1552, tenté une définition de la femme marchande. « Devaient être reconnues comme telles toutes les femmes qui, pour elles seules, ou aux cotés de, et avec leur mari, pratiquent l’achat ou la vente ou le troc de nippes et autres conserves salées, boissons, dans ou en dehors de Strasbourg, pendant ou en dehors des jours de foire, en gros ou au détail et qui exercent donc un commerce public et en retirent leurs revenus. » (Reipubl. Argentorat. Constitutio, Von Ungeerbt aufgelohn, 1er octobre 1552). Gambs cite encore les règlements de Nuremberg, de Francfort-sur-le-Main. Les règlements des villes hanséatiques sont plus explicites : « eine Kauffrau ist welche aus und einkaufft, offene Laden und Fenster hält, mit Gewicht, Wage, Mass und Elen auf und einwieget und miesset », formule que l’on retrouve dans le statut de Lubeck, celui de Brème et celui de Hambourg. Mais c’est la coutume de Paris, qui met en relief le critère essentiel que n’exigent pas les statuts allemands : « Est réputée marchande publique, quand elle fait marchandise séparée ou autre, que celle de son mari. » (Gambs, § 83). Gambs conclut : faute de convention matrimoniale contraire, les gains de la femme marchande reviennent au mari. Il faut donc attendre un siècle pour que les juristes développent une doctrine plus complète. À Lübeck, la thèse de Johann Wilhelm Tested (1717) se rallie au critère de la coutume de Paris : la qualité de marchande n’est reconnue qu’à la femme qui exerce seule, sans son mari. Pour toutes les affaires de son commerce, d’après le statut de Lubeck, de Brème et de Hambourg, « elle est exempte de sa condition féminine et jouit de la condition masculine ». C’est seule qu’elle accomplit tous actes de commerce : achat, vente, paiements, endossements de lettres de change. Elle ne peut exciper du sénatus consulte Velleien (qui interdit à une femme d’engager pour autrui). Elle va seule en justice, mais uniquement pour les affaires de son commerce. Elle reste soumise à l’obligation de consulter son mari ou son tuteur pour tout le reste. La thèse de Lubeck de 1749 précise encore la doctrine désormais bien affirmée, et en particulier le principe selon lequel les gains de la femme marchande publique reviennent à la communauté et peuvent désintéresser les créanciers du mari, sauf conventions matrimoniales contraires. Le livre-journal que tiennent les femmes marchandes fait foi à l’instar de celui des autres marchands. La femme marchande n’est pas tenue aux dettes commerciales de son mari, dès lors qu’elle n’a pas part à ses affaires commerciales. À la fin du XVIe siècle, des dispositions analogues figurent dans les règlements des villes de Cologne, Francfort-sur-le-Main, Augsbourg, Munich et Fribourg-en-Brisgau, avec lesquelles Strasbourg est en relations commerciales, financières (et politiques) (Schötz).
Le Code de Commerce de 1807 étend à la France les principes de la coutume de Paris, mais il faut à la marchande publique le consentement de son mari pour s’établir.
Bibliographie
REBHAN ( Johann), GAMBS (Paul), Hypotyposis et Summaria delineatio quaestionis, quae uxor mercatrix, Ein Kram oder Markfrau sit et proprie dicatur, Strasbourg, 1639.
TELSTED ( Johann Wilhelm), De Muliere Mercatrice, thèse de l’Athénée de Brème sous la direction de Caspar von Rheden, 1717.
TONNAGEL (Auguste Christian), De Femina Mercatrice, thèse de de Rostock soutenue devant le professeur Ernet Ioh. Frid. Mantzeln, doyen de l’Université de Rostock, 1741.
FISCHER ( Johann Georg), De Tutela Materna, Strasbourg, 1754.
Droit municipal de Colmar, traduit de l’allemand par M. Ignace Chauffour, syndic du Collège des avocats au Conseil souverain d’Alsace, vers 1788 et 1789, avec un précis historique sur la législation ancienne de cette ville et des notes du traducteur sur la jurisprudence (BNUS, Réserve MS.1.187).
BONVALOT (Édouard), Les coutume du val d’Orbey publiées avec introduction et notes, Paris, 1864.
BONVALOT, Coutumes de Ferrette (1870).
UBS, IV : Statuts de Strasbourg (statut VI).
BELOW (Georg von), KEUTGEN (Friedrich), Ausgewählte Urkunden zur Deutschen Verfassungsgeschichte, I. Städtische Verfassungen, Berlin, 1899.
FINSTERWALDER (Paul Willem), Colmarer Stadtrechte, Heidelberg, 1938.
HOLTHÖFER (Ernst), « Die Geschlechtsvormundschaft. Ein Überblick von der Antike bis ins 19. Jahrhundert », GERHARD (Ute), Frauen in der Geschichte des rechts von der Frühen Neuzeit bis zur Gegenwart, Munich, 1997.
DERSCHKA (Rainer), Der Schwabenspiegel übertragen im heutigen Deutsch, Munich, 2002.
C. La femme dans le droit pénal
En droit et en procédure civile, femmes et hommes ne sont pas égaux. La procédure pénale canonique n’admet le témoignage de la femme que de manière exceptionnelle, mais, alors qu’elle ne peut tester sans tuteur devant un tribunal civil, son témoignage est admis dans les procédures criminelles civiles, à égalité avec celui des hommes. À partir de l’époque moderne, les incriminations des lois pénales concernent les hommes aussi bien que les femmes. Au XIe siècle le droit canonique donne une définition du mariage et cantonne dans ses liens la sexualité autorisée. Réglementations canoniques et civiles, pas toujours concordantes, mettront des siècles avant d’être appliquées. Les comportements déviants concernent les hommes aussi bien que les femmes, alors qu’acteurs et victimes ne sont pas égaux, ne serait-ce que parce que seule la femme peut être enceinte et apporter ainsi la preuve du délit, ce qui explique aussi la surreprésentation des femmes dans la catégorie des « crimes sexuels », notion qui n’apparaît en tant que telle qu’au XIXe siècle, où les hommes sont parties prenantes aussi. Les hommes sont plus représentés dans les catégories des crimes violents, homicides, agressions, etc. Les incriminations, définies dans des codifications, statuts, règlements permettent de diviser les actes en trois catégories : 1) violences hétérosexuelles, où l’homme est l’auteur et la femme la victime, le viol (Notzucht) ou le rapt, aggravés s’il s’agit d’une vierge ; 2) crimes intervenant à la suite de rapports sexuels où l’homme peut être auteur ou complice, comme l’avortement ou l’infanticide ; 3) rapports qui s’en prennent aux conventions religieuses ou morales. Dans cette catégorie, on trouvera le délit le plus fréquent, l’adultère (Ehebruch, v. Adultère, Divorce, Ehegericht) ou encore les rapports prénuptiaux (zu frühem Beischlaf) ou encore le concubinage (v. Concubinage), et plus généralement, une conduite immorale (Unzucht ouLeichtfertigkeit). Le statut de la prostitution entre dans ces catégories, entre tolérance réglementée et répression, qui l’emporte à partir du milieu du XVIe siècle (Reuss, p. 61) (v. Freie Frauen, Prostitution). Les crimes dits contre nature, regroupés sous l’incrimination « sodomie », concernent également les hommes et les femmes. C’est le cas aussi de la sorcellerie, où les femmes sont cependant bien plus nombreuses (v. Sorcellerie).
La femme n’est pas particulièrement épargnée dans les enquêtes criminelles ; elle est soumise à la question tout comme les hommes. Les peines d’exposition (cages d’exposition, pilori, Geige, ports de pierre – Laster, Klapperstein – conduites à travers la ville, port de clochettes, tonte de cheveux, couronne de paille) concernent femmes aussi bien qu’hommes. Un délai d’application de la peine est prévu pour la femme enceinte. Celle-ci ne doit pas subir de peine irréversible de mort ou de mutilation (Hals und Hand). L’on se contentera de châtiments corporels de flagellation ou d’exposition (Haut und Haar) qui ne doivent pas mettre en péril la vie de l’enfant (Schwabenspiegel,Landrecht II, art. 256). Un certain temps après l’accouchement, elle pourra subir la peine à laquelle elle a été condamnée. Une graduation, qu’on a du mal à comprendre, des peines entre femmes et hommes est prévue, par exemple la pendaison pour les hommes et la noyade dans un sac de cuir pour les femmes, peine prévue pour l’infanticide et commuée ultérieurement en décapitation. Au XVIIIe siècle, certains codes interdisent pour les femmes la roue ou l’écartèlement. La graduation des peines est plus évidente entre nobles, riches bourgeois et leurs femmes payant de grosses amendes et bénéficiant de peines de bannissement et les pauvres, incapables de payer les indemnités pénales et qui subissent la douleur de la punition.
Deux crimes apparaissent spécifiquement liés au sexe de leurs auteurs : le viol (Notzucht) dû à l’homme et l’infanticide (Kindsmord) dû à la femme. Encore faut-il distinguer entre les définitions juridiques données par les codifications. Le droit pénal d’Ancien Régime français et celui du Saint-Empire s’accordent sur la définition du viol perpétré par un homme. L’article 109 de la Caroline précise : « Celui qui fera violence à une femme mariée, une veuve ou fille et qui malgré elle en abusera, aura mérité la mort. ».
France et Saint-Empire divergent sur la définition de l’infanticide. Pour le droit français, comme pour le droit romain, l’infanticide peut être le fait de l’homme ou de la femme ou le fait de leur complicité. La spécificité sexuelle n’intervient que dans l’avortement volontaire ou encore dans le « recèlement de grossesse », défini comme « le crime des femmes ou filles grosses qui pour cacher leur turpitude se servent de plusieurs moyens pour faire mourir le fruit qui est en leur sein soit par des breuvages soit autrement ». Sont punis d’homicide, « ceux qui aident à se procurer l’avortement en lui fournissant des breuvages, surtout si ce sont des sages-femmes (Muyart de Mouglans).
L’infanticide est défini comme un crime par Constantin dès 318, mais les codes germaniques ne le prévoient pas. En général, ils accordent des indemnités pénales supérieures pour les dommages infligés aux femmes. Le plus généreux est le Code des Alamans, qui punit aussi l’avortement, provoqué par les coups portés par autrui, ce qui pouvait être un incitatif à freiner un infanticide féminin largement pratiqué, auquel Odile la Franque semble avoir échappé à sa naissance, du fait de sa mère. L’avortement en tant que tel n’est pas reconnu par le droit romain ; c’est une construction philosophique et théologique qui repose sur une convention portant sur le statut animé du fœtus et sur son autonomie par rapport au corps de sa mère. La Bible des Septante (traduite en latin au IVe siècle) a retenu le moment où le fœtus prend figure humaine. Cette leçon, non sans hésitations et contradictions, est suivie par les Pères de l’Église. Le droit canonique à partir du IXe siècle définit plus clairement l’infanticide comme un crime et les pénitentiels en traitent comme d’un étouffement d’enfant (oppressio infantium), accidentel ou non, avec circonstances atténuantes si la mère est pauvre. Pendant toute cette période, l’infanticide semble pratiqué, avec surmortalité féminine [Coleman AESC 1974]. L’infanticide n’apparaît pas dans le Schwabenspiegel. Mais au fur et à mesure que se précisent les définitions canoniques, l’infanticide apparaît comme le crime le plus grave.
À la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle, les différents statuts pénaux et règlements aboutissent à la Peinliche Halsgerichtsordnung (PGO), la Caroline, dont les articles 131 (infanticide par la mère), 132 (exposition par la mère) et 133 (avortement) adoptent des définitions précises et indiquent des peines pour tout l’Empire. Elle est appliquée dans toute l’Alsace jusqu’en 1792 (v. Droit de l’Alsace).
Pour le Code pénal du Saint-Empire (la Caroline), l’infanticide est commis par la mère de l’enfant. L’article 131 (Straff der weiber so ihre kinder tödten) prescrit : « La femme qui aura secrètement, par mauvaise volonté et de propos délibéré tué son enfant, après qu’il aura reçu la vie et formation naturelle, sera condamnée suivant l’usage à être enterrée vive ou et à périr à coups de pieux. Si on est à portée d’eau, il sera permis de faire noyer une femme convaincue de ce crime. ». L’exposition peut être une modalité de l’infanticide par la femme et elle est traitée comme telle. Par contre, l’art. 133 (Straff der jehnen so schwangern weissbildten kinder abtreiben) traite de l’avortement d’un enfant en vie (lebendig kind), de ceux qui le provoquent, qu’ils soient hommes ou femmes : « les hommes comme homicides seront décapités, les femmes, quoiqu’elles l’eurent exercées sur elles-mêmes, seront noyées. Mais si l’enfant n’ait point encore la vie, les juges aviseront ».
Les indices du crime sont cependant bien précisés : pour qu’il y ait crime, il faut que l’acte de donner sciemment la mort ait été accompli sur un enfant né vivant, que la grossesse ait été secrète, que la femme ait accouché seule, sans le secours d’aucune autre femme, car l’excuse du mort-né doit être confirmée par des témoignages. S’il y a des doutes suffisants, l’on procédera à la question. L’art. 132 introduit l’éventuelle circonstance atténuante de l’exposition. L’on distingue deux cas. Si l’exposition a été opérée dans un endroit où l’enfant pouvait être retrouvé et alimenté, l’intention de donner la mort n’est pas établie. Le commentaire affirme même : l’exposition ne rend pas la mère, qui a procédé à l’exposition « soit pour cacher sa honte, soit en raison de son indigence extrême », criminelle au point d’être sujette à la loi. Par contre, si l’exposition a été faite dans un lieu où il ne risquait pas d’être retrouvé, et que la mort s’en est suivie, il y a lieu pour les juges d’appliquer la loi (art. 132). Les archives pénales de Strasbourg ayant disparu, Rodolphe Reuss a basé sa petite étude sur la justice criminelle de Strasbourg au XVIe siècle sur les carnets judiciaires de l’Ammeister Reisseissen. À Strasbourg, de 1600 à 1621, il y a eu 151 exécutions capitales, dont 31 femmes. En 1649, 95 hommes et 37 femmes avaient été incarcérées, dont 7 pour « accouchement prématuré », incrimination avancée par Reuss. S’agit-il d’avortements, crime prévu par l’article 132 de la Caroline, mais dont sont accusés aussi ceux qui ont entraîné l’avortement « par leurs coups, leurs opérations ou leurs médications » ?
Au XVIIe siècle, assure Reuss, le chiffre des infanticides est proportionnellement bien plus considérable qu’il ne l’est aujourd’hui – il publie en 1885 –. La peine de la décapitation remplace de plus en plus souvent celle de la noyade (dans un sac). C’est le sort que connaît l’infanticide Madeleine Hammerer en 1636, dont l’enfant plongé dans les latrines avait pourtant été sauvé. La comtesse Marie-Euphrosine Waldner de Freundstein eut plus de chance ; elle voit en 1668 sa peine commuée en bannissement pour un enfant adultérin jeté aux latrines, puis sauvé. Elle récidive en 1685, en noyant son enfant dans un broc d’eau. Au scandale des Strasbourgeois, elle fait l’objet d’une intervention de Louvois, qui lui épargne la question et commue son bannissement en assignation à résidence dans l’hôtel de son père (Reuss 185, Rudolf 284).
L’édit français de Henri II de 1556, renouvelé par Louis XIV en 1708, prescrit que le secret de la grossesse et celui de l’accouchement emportent présomption d’infanticide et fait tomber l’excuse de mortinatalité. Il est enregistré par le Conseil souverain et est appliqué dans le ressort, y compris à Strasbourg (de Boug I, 377-379 ; Véron Réville). A-t-il conduit à un durcissement effectif, alors que les Lumières vont entraîner une évolution dans la réglementation et la pratique pénales? À Strasbourg, dont la démographie se voit bouleversée par l’importance de la garnison, et l’augmentation considérable des enfants nés hors mariage, on voit croître fortement le nombre des mort-nés. Dans sa Topographie Physique, Grafenauer conclut : « Les filles-mères se permettent de mettre en usage des moyens actifs et violents pour se faire avorter. » Suzanne Dreyer-Roos observe : « La lutte contre les avortements semble une préoccupation majeure au XVIIIe siècle. » Et de citer les règlements qui interdisent toute assistance aux chirurgiens et baigneurs (1757), aux pharmaciens. Mais ce sont surtout les sages-femmes qui sont en cause. Leurs règlements rappellent constamment l’interdiction d’assistance à l’avortement par conseil, acte, saignée, purgatif ou autres médicaments (1605, 1635, 1668, puis encore en 1743, et en 1757). Les sages-femmes doivent présenter au « Hebammen-Meister » (maître-accoucheur) et au procureur le corps de l’enfant dont elles estiment la mort suspecte. Elles établissent elles-mêmes et sous leur responsabilité le certificat de décès. Bref, conclut Suzanne Dreyer-Roos, « le nombre élevé de ces cas fait naître le doute ». S’il se confirmait, on serait porté à conclure que la répression n’avait servi à rien et que les codes et édits n’étaient pas appliqués.
Les « États des crimes dignes de mort ou de peines afflictives commis en Alsace », dressés par l’Intendance, relèvent, pour 1763, 58 inculpés, 47 hommes et 11 femmes. L’état indique 16 meurtres ou homicides, pendus – en effigie quand ils sont en fuite – et 2 violeurs, l’un condamné aux galères, l’autre à être pendu. Cette année-là, le jugement de deux bandes de voleurs nous renseigne sur le traitement réservé aux hommes et aux femmes. La première bande compte 4 hommes et 5 femmes. Deux d’entre elles seront pendues (au moins en effigie) avec les 4 hommes, la seule présente est condamnée au bannissement. Même traitement pour la seconde bande de 8 hommes et 3 femmes : pendaison en effigie pour les contumaces, mais bannissement et maison de force pour les femmes qui comparaissent. En 1763, le crime d’exposition (où l’enfant a survécu) est puni de fustigation et de bannissement pendant 9 ans. En 1773, la grossesse celée et l’infanticide sont punis de la pendaison (ABR C 398).
Pourtant, la législation répressive est de plus en plus contestée, mais sans être remise en cause dans son principe. L’Encyclopédie dénonce la « négligence des gouvernements à prendre les précautions nécessaires pour prévenir le crime et former dans ce but des établissements proposés par quelques amis de l’humanité » et « on ne peut appeler justice et nécessaire la punition d’un crime tant que la loi n’a pas employé pour le prévenir les meilleurs moyens possibles » (Encyclopédie, supplément. art. infanticide). Après la parution du « Des Délits et des Peines » de Beccaria (publié en français en 1765, en allemand en 1766), nombre de professeurs de droit allemands se rallient à ces doctrines, rejetant et la question (Folter) comme moyen de preuve et la noyade et la peine de mort, comme sanction de l’infanticide. Ce n’est pas le cas des professeurs strasbourgeois fort conservateurs sur ce point. On trouve la même prudence et ambiguïté dans les thèses de licence que soutient Goethe en août 1771. A-t-il plaidé pour la décapitation plutôt que la noyade pour les infanticides ou pour l’abolition de la peine de mort? Pourtant, son Urfaust, lu en 1775 à Weimar, où la fille-mère infanticide n’est pas une pauvre servante, ainsi que les œuvres de ses amis Lenz (Zerbin) et Wagner (die Kindermörderin) rendent compte du vif débat qui agite l’Allemagne dans les années 1770 à 1780 autour des malheureuses filles-mères séduites et abandonnées. Supprimée déjà en Prusse en 1755, la question comme moyen de recherche de preuve criminelle est abolie par la monarchie française en 1780 et en 1788.
Le code pénal de la Révolution (1791) punit l’avortement de vingt années de fers (art. 17), la castration de mort (art. 28) et le viol – difficile à prouver – de six années de fer (art. 29). Il reste silencieux sur « l’infanticide ». Le Code criminel de Napoléon (1810) revient aux définitions de l’Ancien Régime. « Est qualifié infanticide le meurtre d’un enfant nouveau-né » (art. 300). « Tout coupable d’assassinat, de parricide, d’infanticide et d’empoisonnement, sera puni de mort » (art. 302). L’avortement, qui peut être pratiqué par autrui, par la femme enceinte, et faire l’objet d’une assistance des officiers de santé, est puni de réclusion, c’est-à-dire laissé à l’appréciation des tribunaux (art. 317), qui se référeront aux critères de la jurisprudence d’Ancien Régime. 264 inculpés comparaissent devant la Cour criminelle du Bas-Rhin de 1811 à 1815 : 224 hommes (85%) et 40 femmes (15%). 75% des inculpés hommes (200) le sont de vol et 92% des femmes (37). 13 hommes ont été inculpés de meurtre, 2 d’entre eux ont été condamnés à mort, 5 aux travaux forcés à perpétuité, les autres bénéficient de peines moindres pour circonstances atténuantes ou défaut d’intention. 4 violeurs ont comparu pour des faits qualifiés le plus souvent d’attentat à la pudeur avec violence, dont deux sur « enfants de moins de 15 ans ». Ils ont été condamnés à 20, 15 et 8 ans de travaux forcés, le dernier à 3 mois. Chez les femmes, où 27 comparaissent pour vol simple, surtout des domestiques ayant dérobé leur employeur et 10 pour vol avec escalade et effraction, le vol est en général puni de 5 ans de maison de force, plus s’il y a récidive, ou pour les vols avec effraction. Sur les 3 infanticides commis dans le Bas-Rhin, le jury a jugé deux d’entre eux commis par « maladresse, imprudence ou négligence » sanctionné par deux ans de prison, le dernier commis volontairement est puni de mort par décapitation (guillotine). Les peines des hommes comme des femmes sont pratiquement toujours assorties d’exposition au carcan.
Sources - Bibliographie
ABR C 398 : État des crimes dignes de mort ou de peines afflictives.
AHR 2U 173 : Cour de justice criminelle du Bas-Rhin.
Schwabenspiegel.
Code Criminel de l’Empereur Charles contenant les lois qui sont suivies dans les juridictions criminelles de l’Empire, trad. française de 1742.
Ordonnances de la Ville de Strasbourg (collection Heitz) : Vermehrte und Verbesserte Ordnung des Hebammenmeisters und sämmtliche Hebammen der Stadt Strassburg, 1752.
De BOUG,Recueil (1775).
MUYART DE VOUGLANS (Pierre François), Les Lois criminelles de France dans leur ordre naturel, Neufchâtel, 1781.
UBS, IV.
EHEBERG, Verfassung (1899).
GRAFFENAUER ( Jean-Philippe), Topographie physique et médicale de la ville de Strasbourg. Avec des tableaux statistiques, une vue et le plan de la ville, Strasbourg, 1816.
VERON REVILLE (Antoine Armand), « Coup d’œil sur l’ancien droit pénal alsacien », RA, 1857, p. 224-231.
REUSS (Rodolphe), La Justice criminelle et la police des mœurs, Strasbourg, 1885.
REUSS, L’Alsace au XVIIe siècle (1898).
SCHUBART-FIKENTSCHER (Gertrud), Goethes Strassburger Thesen, Weimar, 1949.
GANSHOF (François Louis), « Le statut de la femme dans la monarchie franque », Recueils de la Société Jean Bodin, XII, 2. La Femme, Bruxelles, 1962.
DREYER-ROOS (Suzanne),La population strasbourgeoise sous l’Ancien Régime, Strasbourg, 1969.
GENTON (Élisabeth), Goethes Strassburger Promotion, Strasbourg, 1971.
GANGHOFFER (Roland), Droit savant et droit pénal à l’époque de Charles-Quint, Charles-Quint, le Rhin et la France, Strasbourg, 1973.
RUDOLF (Émile), La femme dans le droit pénal alsacien, thèse d’histoire du Droit, Strasbourg, 1993 (tapuscrit).
GERHARD (Ute), Frauen in die Geschichte des Rechts, von der Frühen Neuzeit bis zur Gegenwart, Munich, 1997 :
- DILCHER (Gerhard), « Die Ordnung der Ungleichheit, Haus, Stand und Geschlecht » ;
- SCHNABEL-SCHULE (Helga), « Frauen im Strafrecht vom 16ten bis zum 18ten Jhdt » ;
- HULL (Isabel), « Sexualstrafrecht und geschlechtsspe�zifische Normen in den deutschen Staaten des 17. et 18. Jahrhunderts » ;
- ULBRICHT (Otto), « Kindsmord in der Frühen Neuzeit » ;
- JEROUSCHEK (Günter), « Die juristische Konstruktion des Abtreibungsverbots ».
DERSCHKA (Harald), Schwabenspiegel im heutigen Deutsch, Munich, 2002.
V. Barbier/Scherer/Artzt, Concubinage, Droit de l’Alsace, Hals und Haupt, Hebamme/Sage-femme, Médecin, Notzucht/viol, Pharmacien, Prostitution, Question, Sorcellerie.
François Igersheim
D. Droit de la femme religieuse
Statut de la femme qui embrasse la vie religieuse et s’engage dans une communauté religieuse dans laquelle elle a fait profession.
A l’instar des hommes – souvent leurs propres frères – des femmes ont voulu, dès les premiers siècles de la chrétienté, se consacrer à la prière et aux œuvres charitables. À l’origine, les formes de leur vie sont diverses : dans leurs propres maisons, en ermites, dans des églises ou en cellules de monastères.
Les traits communs de l’organisation monastique féminine
L’organisation monastique, fondée sur des règles assez floues, présente cependant plusieurs caractéristiques dès les débuts. La première, trait commun qui vaut aussi pour les ermites, est la renonciation au mariage, comme le célibat s’impose aux moines, la virginité est exigée des femmes consacrées (sanctimonialis) comme voie de sanctification. « La femme veut échapper au mariage pour être libre par la consécration monastique. » (Michel Rouche). Les autres exigences portent sur la clôture, qui soustrait la femme au monde extérieur pour lui permettre la prière et le service liturgique. La troisième : la vie en communauté de femmes, avec une distribution des fonctions de direction opérée entre femmes et l’organisation de la vie en commun et de la répartition des ressources matérielles. Enfin, une dernière caractéristique : l’appartenance à l’Église chrétienne se manifeste par le costume et le voile et par la nécessité de la reconnaissance par les évêques du diocèse. Les femmes ont une position fort différente de celle des hommes. Le monastère d’hommes est un monde exclusivement masculin, mais le monastère de femmes a besoin d’hommes pour l’administration des sacrements dont les femmes sont exclues, comme elles le sont souvent du chœur de leur monastère. De là, la constitution de monastères doubles, d’hommes et de femmes, quelquefois sous l’autorité des abbesses, mais qui disparaissent assez vite. Mais tout établissement féminin doit comporter dans sa maison ou plus souvent dans les environs, un petit groupe de moines prêtres pour les nécessités du culte sacramentel que ne peuvent assurer que des hommes qui ont reçu l’ordination sacerdotale.
L’extension du monachisme féminin
Au Ve siècle, se répandent en Gaule les monastères urbains de type méditerranéen, qui suivent la règle rédigée par Césaire pour sa sœur Césarie à Arles, imposant aux moniales la clôture. Saint Benoit ne rédige pas de règle pour les femmes, alors que sa sœur Scholastique a joué un rôle important auprès de lui et la règle bénédictine doit être féminisée pour s’appliquer aux femmes. Du VIe au VIIIe siècle se répandent dans le nord de la Gaule et en Germanie les monastères de règle irlandaise. Moines ou moniales sont de condition libre. La loi des Alamans édicte la liberté de fondation des monastères et punit d’une amende double le meurtre ou l’enlèvement d’un moine ou d’une religieuse. Les monastères sont fondés souvent par les rois et princes mérovingiens, ou par des reines, veuves ou abandonnées ou, plus rarement, par les princesses de leurs familles. C’est le cas des monastères fondés par les Etichonides : Hohenbourg, Saint-Étienne à Strasbourg, Niedermunster. La majorité des monastères est construite dans les forêts ou les campagnes, au cœur de grands domaines qui assurent leurs ressources, constitués des dons et legs des fondateurs et des moniales. Les évêques encouragent la fondation d’un certain nombre de monastères féminins urbains. À Metz, l’évêque Chrodegang écrit, vers 750, une règle destinée aux hommes, les chanoines. Sa version féminisée date de 813 (Alain Dubreucq) ; les chanoinesses doivent vivre comme des moniales et respecter la clôture.
L’institutio sanctimonalium (Aix-la-Chapelle 816)
Une réorganisation de la vie monastique a lieu sous Louis le Pieux. Le concile d’Aix-la-Chapelle adopte deux « institutions », l’une pour les chanoines et l’autre pour les moniales, l’institutio sanctimonialium qui comprend aussi des prescriptions pour les chanoinesses (canonice viventes). L’institution résume le statut des religieuses au début du IXe siècle. Les filles, qui peuvent être non-nobles, ne peuvent être reçues qu’après examen de leurs capacités. Elles s’engagent à la chasteté. Elles devront respecter la clôture, dans un établissement pourvu de murs, avec église, réfectoire, dortoirs, cellules. La vie commune ou en communauté s’impose ; elles mangent au réfectoire et dorment au dortoir, mais vivent dans une habitation individuelle, où elles peuvent avoir des servantes et où elles ne peuvent recevoir d’hommes que devant témoins. Elles disposent de leurs biens, qu’elles peuvent donner au monastère, en en gardant l’usufruit, mais il est recommandé de prendre un procureur chargé de leur gestion. Elles ont droit à la nourriture (abondante), au chauffage et à la vêture. Elles doivent porter un habit noir. Elles sont gouvernées par une abbesse. L’institutio ne se prononce pas sur le mode de désignation de l’abbesse, mais les capitulaires antérieurs ont déjà prescrit l’élection par la communauté des religieuses, avec confirmation par l’évêque du lieu, règle qui ne s’applique pas aux fondatrices ni à leurs protecteurs ou protectrices (Hefelé, Histoire des Conciles). Les impératrices fondatrices se retirent dans les monastères qu’elles ont fondés (Adelaïde à Seltz, Irmingarde à Erstein, Richarde à Andlau). L’institution est faite sur mesure pour les monastères nobles et nombre des anciens monastères féminins alsaciens adoptent le statut canonial à la fin du VIIIe siècle (Hohenbourg, Niedermunster, Saint-Étienne, Eschau, Sainte-Cécile d’Erstein) (v. Abbayes, Chanoines, Chanoinesses, Couvents, Prieurés).
La structure patrimoniale des établissements religieux : menses, prébendes et bénéfices
Le patrimoine des monastères et collégiales, qui a poursuivi son accroissement, par dons et legs, se voit démembré et redistribué entre menses abbatiales et mense des moines ou moniales, à son tour partagé entre prébendes individuelles (Thomassin III). L’Église a édicté l’inaliénabilité de ce patrimoine et, sauf usurpation, l’on ne peut jouir que de l’usufruit de son patrimoine, et la vie religieuse peut, à cet égard, présenter quelques attraits.
L’essor des fondations de monastères et couvents
Au XIIe et XIIIe siècles, la succession des conciles, en particulier Latran (1215) et la codification du droit canonique précisent les statuts des religieux et des religieuses. L’évolution s’achève avec le concile de Trente, dont les canons sur les religieux et religieuses prennent leur place dans le Corpus Iuris canonici de 1592. Plusieurs étapes en marquent le cheminement, avec les mouvements de réforme clunisienne, cistercienne et l’implantation des prémontrés (v. Abbaye, Couvent, Prieuré). Une étape majeure est le nouvel essor des établissements religieux urbains avec les couvents des ordres mendiants, Franciscains et Dominicains et de leurs branches féminines (v. Clarisses, Cordeliers, Dominicains, Franciscains). Strasbourg compte près de 200 religieuses au début du XIVe siècle (Rapp), et plusieurs centaines de béguines (J.-C. Schmitt) ; cet afflux finira par mettre en danger la survie de certains établissements moins bien dotés. Le droit canonique prévoit d’ailleurs le regroupement des monastères trop pauvres et un système de pensions accordé aux « translatés ».
L’admission dans les établissements religieux
Le concile de Trente achève de formaliser les règles adoptées jusque là. L’âge d’admission avait été au haut Moyen Âge de 12 ans pour les filles et de 14 ans pour les garçons, soit l’âge de la majorité « matrimoniale ». Le Schwabenspiegel (Landrecht I, art. 27) précise que si, à l’âge de 12 ans, la fille placée dans un monastère n’en revenait pas ou encore un an après y avoir été placée, son héritage passe à ses héritiers. Cette disposition était-elle appliquée ? En tout cas, elle fixe l’âge auquel les filles sont considérées comme définitivement admises au couvent. L’admission des postulantes est décidée par l’abbesse ou la supérieure, mais les religieuses donnent leur avis, ne serait-ce qu’en lui imposant une sorte de capitulation électorale et elles imposent un recrutement fort sélectif. Les chapitres sont désormais nobiliaires, les couvents strasbourgeois nobiliaires et patriciens, tout comme les béguines (Schmitt. Contra F. Rapp pour qui elles sont d’origine populaire), qui ne sont pas d’Église (v. Béguines). La période du noviciat permet à la communauté, par l’intermédiaire de la maîtresse des novices, d’informer la postulante sur la règle, mais surtout de l’ouvrir à la vie spirituelle et à la doctrine proprement dite de la communauté. Au bout d’une année de probation, au terme de laquelle l’évêque ou la personne qu’il a commise a vérifié que la postulante n’agissait pas sous la contrainte et qu’elle remplissait les conditions, elle peut accéder à la profession, prononcer ses vœux, au cours d’une cérémonie dite de prise d’habit. L’évêque ou la personne par lui commise lui remet son voile. Elle n’a désormais plus le droit de quitter cet habit qui lui confère sa qualité.
Les vœux de la religieuse
L’obéissance
Ce n’est pas seulement l’obéissance à l’abbesse ou à la supérieure qui est ici en cause, c’est l’appartenance à la communauté et l’adhésion à ses règles, manifestée par ce quasi-contrat qui est conclu par la religieuse qui fait ses vœux, l’abbesse et l’Église qui l’a admise. Elle doit ainsi se soumettre à la vie commune et à la clôture, qui s’exprime dans les obligations de dortoir et de réfectoire, ainsi qu’au régime des visites et des contacts avec les personnes extérieures. Elle ne pourra plus sortir du monastère, sauf dispense.
La chasteté
La valorisation de la virginité comme voie vers la perfection chrétienne avait toujours figuré dans la théologie et la doctrine des Pères de l’Église. Elle se voit renouvelée par le culte marial et par la pensée mystique de la bénédictine Hildegarde de Bingen, puis par celle des Dominicaines et les adeptes de la Devotio moderna. La chasteté ou l’abstinence sexuelle est une vertu exigée des religieux et des religieuses comme une des ascèses nécessaires et comme l’expression du don à Dieu.
La pauvreté
C’est probablement l’obligation la plus contestée. Religieux et religieuses peuvent hériter, mais ne peuvent tester. Un certain nombre de coutumes de France introduisent vers les XIIe et XIIIe siècles le principe suivant : une fois les vœux prononcés, moine ou moniale n’héritent pas. Le coutumier de Charles VII adopte l’adage : « religieux quelconque ne succèdent point ». Dès ce moment-là apparaissent les plaintes sur l’attitude des parents, « qui jettent leurs enfants dans les monastères pour les priver de leurs héritages et avantager les autres enfants » (Thomassin, III). Rois, princes, seigneurs, villes souveraines voient d’un mauvais œil les immunités des monastères dont les patri�moines s’accroissent sans qu’ils puissent y redire (gens de mainmorte). Comme nombre de princes et de villes qui les taxent (lois d’amortissement), le Magistrat de Strasbourg limite fortement le montant des dons et legs aux établissements reli�gieux en 1300, puis en 1471, et suscite la colère de Geiler de Kaysersberg : « la prostituée hérite sans entraves, mais pas la nonne » ! (Rapp, Histoire de Strasbourg, II, 196). Dans les Cent Remontrances (Gravamina) de la nation allemande (de la Diète de Nuremberg de 1521, avec la participation du député de Strasbourg), l’article 98 se plaint : « les moines et moniales d’Allemagne peuvent hériter, mais les familles ne peuvent pas hériter des moines et moniales » et exigent de remplacer ce système par la dotation à un tarif garanti par le Magistrat. Le contrôle, la limitation ou la saisie des patri�moines monastiques seront l’un des ressorts de la politique de Réforme des villes et princes des XVe et XVIe siè cles.
L’observance
Or, un grand nombre d’établissements religieux n’observaient plus ou très incomplètement les règles. Saint-Étienne, Eschau, le Hohenbourg même étaient des pensions pour filles nobles qui ne prononçaient pas de vœux (sauf l’abbesse). Ils sont pourtant contrôlés par les évêques qui tentent parfois de les réformer. La pauvreté n’y avait jamais eu cours. La clôture n’y était pas observée et l’on y menait une vie fort dissolue. À Eschau, l’évêque demande d’éloigner du village les enfants des moniales. Lorsque Saint-Étienne passa à la Réforme, ses quelques chanoinesses restantes devenues protestantes ne changèrent guère de genre de vie (v. Chanoinesses protestantes). Seuls les couvents observants, à la spiritualité fort affirmée, avaient encore des novices en nombre suffisant. Lorsque le Magistrat de Strasbourg décida la sécularisation des couvents et le retour des religieuses dans leurs familles, seuls ces couvents refusèrent (Sainte-Marguerite et Sainte-Agnès, Sainte-Madeleine et Saint-Nicolas-aux-Ondes, dont une partie des sœurs avait rejoint Sainte-Marguerite en 1592, tout comme plus tard les Pénitentes de Sainte-Madeleine). Les communautés dominicaines des Catherinettes et Unterlinden à Colmar, Schœnensteinbach et Sélestat poursuivirent également leur activité religieuse. La recherche anglo-saxonne et allemande récente sur l’histoire des femmes a insisté sur cette résistance des femmes des couvents d’Allemagne contre la volonté de hommes, princes, Magistrats, prédicants. On a parfois souligné que l’hostilité des réformateurs à l’égard de la vie et des vœux monastiques des hommes et des femmes et, en particulier, leur insistance sur le mariage et la famille (dominés par l’homme) a limité les rôles féminins à ceux d’épouse et de mère et cantonné les femmes dans la sphère privée en excluant un des genres de vie alternatifs possibles (Sauerbrey).
Le droit des religieuses sous la monarchie française
Avec l’annexion à la France, le droit français fait son introduction dans la province d’Alsace. Pourtant, l’édit de Blois de 1579 avait repris les dispositions adoptées en dernier lieu par le concile de Trente sur la vie monastique (admission, vœux, observance), mais il n’est que très partiellement appliqué en Alsace (v. Baptême, Calendrier, Droit de l’Alsace). C’est le droit français qui régit l’état civil des religieux et religieuses. Les abbés, abbesses, supérieurs des abbayes ou monastères doivent être sujets du roi. Cela vaut aussi pour les novices, dont les effectifs régnicoles dépasseront peu à peu ceux des anciens mis en extinction. Une exception est faite pour les sujets de Bâle, Spire et de la rive droite du diocèse de Strasbourg (édit de janvier 1681). De même, les sujets d’origine étrangère pourront se faire naturaliser. Cependant, comme les Jésuites, et sous réserve de permission, les congrégations pourront employer des étrangers maîtres des deux langues pour assurer leurs services et œuvres (de Boug, II, 14, lettre du secrétaire d’État le Blanc au Maréchal de Boug contenant règlement général au sujet de la religion en Alsace, 1er mars 1727). Embrasser la vie religieuse a des conséquences importantes dans la vie publique et privée. Le vœu intéresse autant l’État que l’Église. Le juge ecclésiastique est compétent dans la plupart des cas, mais le juge laïc intervient pour les successions et les autres effets civils (Merlin, t. XII qui cite l’Édit de 1694, art. 24). L’entrée au noviciat, la vêture, la prise d’habit, qui entraînent un changement d’état civil, doivent être dûment portés sur un registre dont un exemplaire est remis au greffe du tribunal royal (9 avril 1736, de Boug II, 137). L’édit de 1693 (de Boug I, 213) interdisant aux congrégations, sauf exceptions, de recevoir des dons et fixant une limite aux dots ou dotations versées par les parents ou tuteurs des jeunes filles qui entrent en religion, est publié par le Conseil souverain, mais n’est pas enregistré. Le droit français définit la dot comme : « ce que la femme apporte en mariage et ce qu’une religieuse donne à son couvent lors de sa profession » (Ferrière I). Les dispositions du droit canonique qui font de son versement une obligation et les statuts des congrégations sur la dot des religieuses sont donc applicables. Son tarif maximum est fixé à 500 livres et est donc assez élevé ; il pouvait inciter les établissements à être sélectifs.
Le droit français excluait depuis le XVe siècle les religieux-ses du droit à hériter et leur imposait un statut de mort civile (une peine de droit pénal) : « entièrement voués à Dieu, ils ont renoncé aux biens temporels, au mariage et à leur liberté, sont réputés morts au monde, en sorte que la profession religieuse est une espèce de mort civile. Ils ne succèdent pas à leurs parents et leurs monastères pas pour eux. Ils sont incapables de toutes sortes de donations et legs » (Ferrière, dotation ou dot, et religieuse). D’autres dispositions restreignent les dons des veuves qui prennent pension dans les monastères et couvents pour y finir leur vie ; elles sont astreintes aussi au respect de la clôture. Mais en Alsace, ces dispositions ne sont pas appliquées (Burkard 205 citant Pagny le Ber).
L’édit de 1698 qui interdisait les legs et dons aux monastères en exceptait les « Ursulines, Carmélites, et autres autorisées par lettres patentes à recevoir pensions viagères ou immeubles ». Il engageait toutes les autres congrégations à présenter leurs comptes à l’évêque – dans une démarche différente de celle de la visite ou inspection quinquennale – pour solliciter un statut analogue à celui des Ursulines. Il faisait donc de l’évêque l’arbitre des comptes des monastères et couvents. Et le grand édit de mars 1768 sur les ordres religieux, dûment enregistré (de Boug II, 791) prescrit aux Ordres et congrégations de renouveler leurs déclarations, assorties de leurs statuts et règles, auprès de l’ordinaire et des Parlements. Il porte à dix-huit ans l’âge de la profession de foi des religieuses, renouvelle l’interdiction faite aux congrégations de recevoir des étrangers non naturalisés. Enfin, il fixe à 15 le nombre minimum de l’effectif des établissements monastiques ; les procédures de fusion des établissements trop petits avec leurs voisins du même ordre doivent être engagées. C’est que les effectifs de trop nombreux monastères, y compris ceux qu’en Alsace on reconstruit à grands frais, sont à nouveau fort réduits.
En 1721, l’Alsace comptait 493 religieuses dont 400 contemplatives, dont 211 dominicaines, des couvents de Colmar et Schœnensteinbach. Les religieux étaient 998 (Scherer, cité par C. Muller). Les séculiers sont 478 dans le diocèse de Strasbourg seul, soit 1 400 hommes d’Église. Les hommes sont donc largement majoritaires. Au nombre de soixante, les sœurs des congrégations religieuses féminines nouvelles, installées par le Roi (et les cardinaux) à Strasbourg et Saverne (Visitandines, Congrégation de Notre-Dame, Sœurs de la Charité, Sœurs de la Providence) relèvent de congrégations actives ou séculières, à clôture ouverte ou sans clôture, dont les vœux sont simples. Leur influence est multipliée par les confréries qu’elles animent et qui, pour une bonne part, supposent la maîtrise de la langue allemande. Comme les congrégations s’occupent d’enseignement, de charité et d’hôpitaux, la Révolution les épargnera. Elles connaîtront un étonnant essor.
La Révolution et l’Empire
En 1790, l’Alsace comptait 1 065 religieux et 653 religieuses. Le décret des 13-18 février 1790 affirme « ne plus reconnaître les vœux monastiques solennels de personnes de l’un ou l’autre sexe et déclare que les ordres et congrégations dans lesquels on fait de pareils vœux sont supprimés en France ». Sont donc supprimés mort civile et sujétion perpétuelle. De ce fait, religieux et religieuses qui voudront sortir de leurs établissements pourront le faire, moyennant une déclaration à la mairie du lieu, qui prendra à sa charge une « pension convenable ». Le décret des 9 et 20 février fixait le tarif des pensions accordées aux religieux [lois et actes du gouvernement août 1789 à prai�rial an II]. Aux religieux qui ne voudront pas sortir des établissements, on indiquera la maison où ils pourront se retirer. Les religieuses pourront rester dans leurs couvents jusqu’à nouvel ordre. La loi du 18 août 1792 supprime « toutes les congrégations religieuses » et fait « disparaître à tout jamais tous les costumes qui leur étaient propres », tout en engageant les hospitalières et les enseignantes à ne « pas discontinuer leur service sous peine de se voir priver de la moitié de la pension prévue pour elles ». Les biens des congrégations sont nationalisés et vendus comme biens nationaux. Il était précisé que les dots acquittées ne seraient pas rendues.
Les sœurs expulsées de leurs couvents (et que l’on encourage à se marier) se retirent dans leurs familles ou se regroupent en petit nombre dans des maisons qui ne pourront être considérées comme corporations monastiques ou continuations de communauté (décret du 20 prairial an X). Un petit nombre de sœurs demandent à être accueillies dans les maisons de leur ordre des États voisins (où la sécularisation de 1803 entraînera la fermeture des monastères). Des hospitalières, mais elles étaient fort peu nombreuses, n’ont jamais cessé de servir. Les enseignantes de la Providence – elles sont 18 – ont refusé de prêter le serment et ont apparemment renoncé à l’enseignement.
Congrégations autorisées et congrégations non-autorisées
Le régime des congrégations qui se met alors en place est celui qui va s’épanouir tout au long du XIXe siècle : il associe la congrégation non autorisée (tolérée, ignorée, parfois interdite et réprimée) et la congrégation autorisée au titre de la loi de 1817 et surtout de la loi de 1825 sur les congrégations féminines.
On le voit au recrutement des congrégations autorisées en 1808. Sur les 12 sœurs haut-rhinoises de la congrégation de Saint-Vincent-de-Paul (autorisée en 1808 et jointe aux Sœurs de la Charité), la moitié avait pris le voile avant 1790 et l’autre à partir de 1802 (C. Muller). Non autorisée encore, cette congrégation avait donc recruté, formé des novices, organisé des prises de voile. Une bonne partie des congrégations féminines du « grand siècle des religieuses françaises » (Cholvy) suivra cette voie. Elles devront trouver des moyens pour pallier l’absence de capacité juridique, en constituant des sociétés, en se greffant sur des associations et œuvres, en mettant leurs patrimoines (y compris les dots) au nom de jeunes sœurs pour assurer l’avenir ou en recourant à des prête-noms, en s’efforçant de ne pas tomber sous les coups des articles du code pénal interdisant les associations de plus de 20. Dans les congrégations, les vœux simples sont autant de contrats privés qui engagent les sœurs les unes envers les autres et envers la congrégation. La capacité juridique des personnes est celle, commune, du droit civil. Les sœurs possèdent, mais le droit canonique leur prescrit de confier la gestion de leur patrimoine à autrui ; elles héritent, elles peuvent donner. Elles peuvent quitter leur communauté. L’appui et la protection de curés et d’évêques concordataires est précieux et nécessaire (et pas seulement pour des raisons canoniques), l’aide des communes au service de qui elles se placent indispensable ; l’adhésion des familles s’étendra et se renforcera. Le décret du 22 juin 1804 (3 messidor an XII) rappelle « Les lois qui s’opposent à l’admission de tout ordre religieux dans lequel on se lie par des vœux perpétuels, continueront d’être exécutées selon leur forme et teneur. Seules pourront exister les associations autorisées par décret, après examen de l’objet social de « l’association » ou « agrégation ». « Aucune agrégation ou association d’hommes ou de femmes ne pourra se former à l’avenir sous prétexte de religion, à moins qu’elle n’ait été formellement autorisée par un décret impérial, sur le vu des statuts et règlements selon lesquels on se proposerait de vivre dans cette agrégation ou association. » Et il ajoute : « Néanmoins les agrégations connues sous les noms de Sœurs de la Charité, de Sœurs Hospitalières, de Sœurs de Saint-Thomas, de Sœurs de Saint-Charles et de Sœurs Vatelottes, continueront d’exister. »
En 1808, l’Alsace comptait 82 religieuses, soit 63 enseignantes (Providence de Ribeauvillé) et 19 hospitalières (Sœurs de la Charité), plus 18 sœurs de Portieux et 5 sœurs de Pierre Fourier ou Vatelotes (C. Muller). Elles seront 4 500 à la fin du XIXe siècle (et 1 200 prêtres). Un supérieur de Ribeauvillé définit la sœur comme « une fille qui depuis le plus bas étage de la société monte tout à coup à la hauteur d’une sœur de la Providence, couverte d’un habit vénérable, aimée et obéie d’une troupe d’enfants, respectée de leurs parents et honorée comme personne religieuse par M. le curé (Mertian 1819, Leuilliot III, p. 99, note 3). Les domaines dans lesquels s’engagent désormais les religieuses avec leurs congrégations constituent une voie enviée de professionnalisation féminine et d’ascension sociale, dans les régions de chrétienté (Cholvy).
Bibliographie
FERRIERE, Dictionnaire (1762), art. « Dotation » ou « Dot », « Religieuse ».
De BOUG, Recueil (1775), I et II.
Hundert Beschwerden der deutschen Nation wider den Römerhof… 1522 auf dem Reichstag zu Nürnberg vorgelegt, trad. all. et éd. de 1783.
GUYOT, Répertoire (1775-1798), art. « Religieuses ».
DURAND de MAILLANE, Dictionnaire (1787), « Dot des religieuses », « Religieuses ».
Lois, et actes du gouvernement (août 1789 à 18 prairial an II).
DUPIN (André Marie Jean Jacques), Manuel du droit public ecclésiastique français, 2e éd., Paris, 1844.
HÉLYOT (Pierre), Dictionnaire des ordres religieux, ou Histoire des ordres monastiques, religieux et militaires et des congrégations séculières de l’un et de l’autre sexe, qui ont été établies jusqu’à présent, Paris, 1847-1863.
RAVELET (Armand), Traité des congrégations religieuses, commentaire des lois et de la jurisprudence, précédé d’une introduction historique et économique, Paris, 1869.
ANDRÉ (Michel), Cours alphabétique et méthodique de droit canon mis en rapport avec le droit civil ecclésiastique ancien et moderne, t. 1, Paris, 1878.
HÉRING (Frédéric), Droit canonique (trad. de l’allemand), Paris, 1879-1881.
Institutio sancti monialium Aquisgranensis (816), MGH, Concilia aevi carolini (742-842), Hanovre, 1906, p. 421-456.
SCHERER (Emil Clemens), Die Kongregation der Barmherzigen Schwestern von Strassburg, Sarralbe, 1930.
BARTH (Médard), Die heilige Odilia, Schutzherrin des Elsass. Ihr Kult in Volk und Kirche, Strasbourg, 2 vol., 1938.
BURG (André Marcel), « Quelle règle sainte Odile introduisit-elle à Hohenbourg ? », AEA, 23, 2e série, 7, 1956, p. 123-124.
LEUILLIOT (Paul), L’Alsace au début du XIXe siècle, t. III : Religion et culture, Paris, 1960.
GUILLAUME (Jean-Marie), « Les abbayes de femmes en pays francs, des origines à la fin du VIIe siècle », PARISSE (Michel) (dir.), Remiremont, l’abbaye et la ville, Nancy, 1980, p. 29-46.
CHATELLIER (Louis), Tradition chrétienne et renouveau catholique dans l’ancien diocèse de Strasbourg, Paris, 1981.
LECLERCQ ( Jean), Le mariage vu par les moines au XIIe siècle, Paris, 1983.
PARISSE (Michel), « Le « monachisme » féminin en Alsace des origines au XIIe siècle », dans WEIS (Béatrice), Le codex Guta-Sintram. Manuscrit 37 de la Bibliothèque du Grand Séminaire de Strasbourg, Lucerne-Strasbourg, 1983, t. 2, p. 31-36.
PARISSE (Michel), Les nonnes au Moyen Âge, Le Puy, 1983.
LANGLOIS (Claude), Le catholicisme au féminin, Paris, 1984.
MULLER (Claude), Le Diocèse de Strasbourg au XIXe siècle (1802-1914), thèse d’État d’histoire, Strasbourg, 1986.
OURY (Guy-Marie), Dictionnaire des ordres religieux et des familles spirituelles, Chambray-les-Tours, 1988.
ROUCHE (Michel), « Les religieuses des origines au XIIIe siècle, premières expériences », BOUTER (Nicole), Les Religieuses dans le cloître et dans le monde des origines à nos jours, Saint-Étienne, 1993, p. 15-28.
GAILLARD (Michèle), « Les origines du monachisme féminin dans le nord et l’est de la Gaule, (fin du VIe siècle - début VIIIe siècle », BOUTER (Nicole), Les Religieuses dans le cloître et dans le monde des origines à nos jours, Saint-Etienne, 1993, p. 45-55.
BURKARD (Thierry), Le Conseil souverain d’Alsace au XVIIIe siècle, Strasbourg, 1995.
SEILHAC (Lazare de), SAÏD (M. Bernard), « Dans la tradition de Benoît et Colomban. Règles monastiques au féminin », Vie monastique, 33, Bellefontaine, 1996, p. 45-95.
ROGERS (Rebecca), « Retrograde or modern? Unveiling the teaching nun in nineteenth-century France Social History », Social History, t. 23, 1998, p. 146-164.
DINET-LECOMTE (Marie-Claude), Les sœurs hospitalières en France aux XVIIe -XVIIIe siècles, la charité en action, Paris, 2005.
BORNERT (René),Les monastères d’Alsace, 7 vol., Strasbourg, 2009-2011 : t. 1, p. 85-91, 495-583 ; t. 3, p. 313- 702 ; t. 4, p. 283-315 ; t. 5, p. 442-556 ; t. 6, p. 424-558.
LANGLOIS (Claude), Catholicisme, religieuses et société, Paris, 2011.
CHOLVY (Gérard), Le XIXe, grand siècle des religieuses françaises, Perpignan, 2012.
SAUERBREY (Anna), Die Strassburger Klöster im 16ten Jahrhundert, Tübingen, 2012.
V. Abbaye, Béguine, Baptême, Calendrier, Chapitre, Chanoinesse, Chanoinesses protestantes de Saint-Étienne, Clarisses, Couvent, Droit de l’Alsace, Dominicains, Mense, Mort_civile, Prieuré, Prébende.
François Igersheim
Notices connexes