Hebamme

De DHIALSACE
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Matrone, Sage-femme.

Dans les pays germanophones, Hebamme désigne les femmes qui procèdent aux accouchements ou qui assistent les femmes en couches. Il n’est pas surprenant que l’un des plus vieux métiers féminins au monde donne lieu à différentes appellations selon les époques ; différentes étymologies sont évoquées. La plus ancienne dénomination connue semble remonter à la fin du VIIIe siècle sous la forme de « hefianna, hefhanna ». Le vocable Hebamme trouve son origine dans Hevan venant de « heben » porter et Ana signifiant « Ahnin », la grand’mère, die Grossmutter. Cette étymologie fait allusion à une tradition selon laquelle c’est la grand’mère, femme âgée et d’expérience, qui porte le nouveau-né au père. En Italie, on la nomme « levatrice » ou « comarre » ; en France, le terme de « leveuse » est occasionnellement usité. Parallèlement sont également utilisés les termes de Wehemutter, celle qui assiste la femme lors des douleurs de l’accouchement, ou de Bademutter, celle qui donne le premier bain à l’enfant et de Kindermutter. Au XIIe siècle apparaît la forme « hevamme » et « obstetrix » (1356) du latin obstare, se tenir devant, assister.

Au XIIIe siècle, en France, apparaît le mot saige, saive puis sage signifiant savante, avisée, du latin sapiens, connaissance, expérience, source de sagesse et le mot femme fait référence à la femme qui a pour métier d’aider les femmes à accoucher, car elle détient un savoir pragmatique, au service de la communauté. Son action relève de la solidarité.

L’appellation « sage-femme » revêt tout son sens à partir du moment où les matrones, choisies sur des critères religieux et des qualités morales, sont instruites.

Mentionnons encore le terme allemand entbindung, souvent associé à l’activité des sages-femmes, qui désigne l’accouchement. Selon d’anciennes traditions populaires, nouer (binden) c’est rendre enceinte, dénouer (entbinden), c’est délivrer.

Jusqu’à une époque somme toute récente, l’accouchement reste un acte mettant en péril la vie de la mère et de l’enfant malgré l’assistance de la sage-femme. En 1483, Johann Widmann, médecin de la ville de Strasbourg, constate les fréquentes maladresses des sages-femmes, mais aussi leur manque de serviabilité, notamment envers les accouchées pauvres. Il va même plus loin en accusant certaines d’être des sorcières et des magiciennes (hechtzen und zoberin). Encore en 1621 Barbel, Hebamm zu Ergersheim en est un exemple ; elle fut pincée avec des tenailles rougies au feu avant son exécution, brûlée vive (L. Schlaefli). Toute l’ambiguïté de la sage-femme tient au fait que, familière de la vie et de la mort, elle peut donner l’une ou l’autre, passant pour une fée si tout se passe bien et une sorcière si l’accouchement tourne mal.

Widmann suggère donc au Magistrat l’instauration de sages-femmes assermentées. De telles dispositions avaient déjà été prises à Ratisbonne dès 1452 et à Ulm dès 1491. Strasbourg a suivi avec son ordonnance de 1500. L’original de ce règlement a disparu, mais un fac-similé est conservé dans les archives de la ville de Fribourg-en-Brisgau qui avait demandé à Strasbourg une copie de ce règlement de 1500 pour améliorer le leur déjà en vigueur depuis 1510. Cette copie a été envoyée le 30 décembre 1556 (Charles Wittmer).

Cette ordonnance s’inscrit sans doute dans un mouvement plus général. À partir du XVIe siècle, le Magistrat émet des ordonnances tendant à réglementer l’art médical à Strasbourg, tant pour les médecins et chirurgiens que pour les pharmaciens et les sages-femmes. Leur savoir-faire, transmis de génération en génération et fondé sur l’expérience, n’était pas toujours suffisant pour faire face aux situations difficiles. Cependant Crämer (p. 163) pense qu’une réglementation des sages-femmes devait exister dès le Moyen Âge. D’après le règlement de 1635, les sages-femmes assermentées de la Ville de Strasbourg sont au nombre de six. Leurs connaissances sont contrôlées par les deux médecins de la ville (Statt Physici) et par des sagesfemmes confirmées (etliche verständige Frauen) qui, le plus souvent, les ont formées. Chaque sage-femme pouvait avoir une ou deux apprenties (Lehrtöchter) qu’elle formerait pendant une année. Les plus capables des élèves, après un examen, accédaient alors au rang de Vortäufferin (Anwärterin, Gehilfin), également au nombre de six pour l’ensemble de la ville. Celles-là étaient autorisées à former les sages-femmes des campagnes mais, contrairement à la pratique urbaine, la durée de la formation n’était que de six mois.

Les sages-femmes devaient être disponibles jour et nuit et ne pouvaient quitter une parturiente en travail pour en secourir une autre, plus fortunée. En aucun cas elles n’étaient autorisées à déclencher l’accouchement (Kindts-Arbeit) avant d’en avoir observé avec certitude les signes avant-coureurs. Cette disposition du règlement a été dictée pour combattre les manœuvres abortives. La lutte contre les avortements était un souci permanent. Sous peine de châtiments corporels, il était strictement interdit aux sages-femmes d’avoir recours à des saignées, des purgatifs ou autres médicaments pour expulser le fœtus (Aderlassen und purgatzen oder andere Artzeneyen). Un enfant mort-né devait obligatoirement être présenté à un médecin compétent.

Dans le cas d’accouchements laborieux et selon les souhaits des parturientes, les sages-femmes avaient l’obligation de demander conseil à d’autres femmes, sages-femmes et médecins. En tous cas elles n’avaient pas le droit d’interrompre la grossesse, que l’enfant soit vivant ou mort, sans l’avis des médecins. Après leur accord, elles pouvaient alors intervenir, éventuellement en utilisant précautionneusement des instruments autorisés à l’exclusion de tout autre cruel et horrible tels que pinces ou crochets en fer (grausamb und abscheulich intrument als zang, eisenhacken oder dergleichen).

Pendant la durée des couches (Wochenbett), les sages-femmes devaient visiter les accouchées, leur prodiguer des conseils et soigner les nouveau-nés. Ces tâches pouvaient aussi être confiées à une Kindbetterwarterin.

D’après le règlement ecclésiastique, les sages-femmes étaient autorisées à ondoyer, malgré quelques réticences des autorités religieuses, quitte à faire confirmer l’ondoiement d’urgence par un baptême officiel subséquent au cas où l’enfant survivait, si l’on en croit les registres paroissiaux ultérieurs. D’ailleurs, le règlement de 1635 leur faisait obligation de connaître les dispositions réglementaires de la grande ordonnance ecclésiastique de 1598 (f°151, 153) sur l’ondoiement. Lors des cas d’accouchements hautement dystociques laissant présager la mort du fœtus avant sa naissance, il était courant d’ondoyer l’enfant in utero. Jusqu’au XVIIIe siècle, il n’était pas rare de découvrir, dans la trousse des sages-femmes, une seringue à ondoyer, une sorte de clystère à irrigations vaginales. L’eau bénite injectée par cette seringue atteignait l’enfantin utero et permettait ainsi de l’ondoyer.

En ville, les sages-femmes prêtaient serment à l’autorité locale (Hebammeneid). Elles juraient d’accoucher indifféremment les riches et les pauvres, de s’entraider mutuellement et de solliciter l’avis de médecins dans le cas d’accouchements difficiles. Elles s’engageaient aussi à ne pas médire les unes des autres sous peine de châtiment corporel. Un exemple de serment est conservé aux Archives municipales de Colmar, Eidbuch 2 : 1545-1563. À la campagne, la matrone est généralement placée sous le contrôle du curé comme à Mittelbergheim (ADBR 3 E 295/2). Elle n’était pas nommée directement par le seigneur territorial, mais élue par la communauté d’habitants, tantôt sur proposition, tantôt avant approbation de ce dernier. Son statut, qui dépassait sa fonction d’accoucheuse, lui conférait, à défaut de richesse matérielle, une certaine honorabilité dans la hiérarchie sociale.

S’instaure progressivement le principe d’un salaire qui va au-delà des traditionnelles gratifications, en espèces ou en nature, laissées à la générosité soit des particuliers, soit de la communauté elle-même (droits d’affouage et de glandée par exemple) : d’abord en regard du préjudice que pouvaient générer les accouchements de femmes insolvables, les communautés étaient invitées à puiser dans les deniers patrimoniaux. Parallèlement se renforçait le contrôle sur la sage-femme : à celui des autorités religieuses (en milieu catholique où leur rôle dans la Contre-Réforme était essentiel, serment devant le curé, dénonciation de l’illégitimité, pratique de l’ondoiement) se substituait peu à peu celui des autorités civiles, la sage-femme devenant un enjeu dans le contrôle que l’intendant entendait exercer sur les communautés. Le salaire des sages-femmes était relativement modeste. Comme ordre de grandeur l’ordonnance de 1605 (AMS) est assez significative. La Ville leur verse annuellement 2 livres et 1 livre de plus si elle forme une apprentie (Lehrtöchter, Vortäufferin). À partir de 1623, elles perçoivent en plus 4 fagots de bois par an. Au début du XVIIe siècle, on leur donnait environ 2 sous par accouchement.

Étroitement encadrées, par les Obere Ammenherren, depuis 1675 ?, et par les Stattphysici, qui devaient les inspecter deux fois par an, après les foires de la Saint-Jean et de Noël, les sages-femmes strasbourgeoises avaient aussi quelques obligations à l’égard du Magistrat. Elles devaient d’abord signaler la naissance d’enfants illégitimes. D’autre part, en cas de suspicion d’un éventuel abandon de l’enfant, elles devaient également le signaler et tenter d’obtenir le nom du père ; renseignement qu’elles soutiraient le plus souvent à la parturiente dans les douleurs de l’enfantement (in doloris partibus). Enfin, au cours des cérémonies du baptême, dans lesquelles elles intervenaient symboliquement notamment dans les classes aisées, elles avaient l’obligation de vérifier le contenu des paquets cadeaux, la valeur des présents étant strictement réglementée. Toutes ces dispositions, tant pour leur formation que pour l’exercice de leur art (Hebammenkunst), ont fait la bonne réputation des sages-femmes strasbourgeoises.

À partir du XVIe siècle, les sages-femmes ont bénéficié indirectement des progrès de la médecine, notamment par l’amélioration de la formation des médecins auxquelles elles étaient tenues de demander conseil. Cet enseignement, notamment dans le domaine de l’anatomie, était assuré par des médecins de renom comme Johann Ludwig Hauenreuter ou Walther Hermann Ryff. À cela s’ajoutent des ouvrages de références de qualité (les Hebammenbüchlein) dont le plus connu, le Rosengarten d’Eucharius Roesslin, publié en 1513, fut réimprimé plusieurs fois, traduit en plusieurs langues et même contrefait. Quant aux sagesfemmes elles-mêmes, elles semblent avoir suivi ce mouvement de progrès. En 1518 elles n’hésitent pas à demander au Magistrat, qui le leur accorde, l’autorisation de procéder à des dissections de femmes décédées en couches : … die Hebammen begeren ein frau so an einem Kind gestorben, uffschniden zu besehen der bresten: zu gelassen (Wencker).

Le XVIIIe siècle constitue une époque charnière dans l’évolution de la fonction d’accoucheuse qui, de service, devient métier. Forte d’une expérience d’une ou plusieurs décennies, parfois héréditaire, la matrone, femme et souvent mère de famille, pouvait jusque-là se prévaloir d’un savoir-faire pragmatique qu’elle mettait au service des parturientes, la disponibilité générant tout naturellement la confiance, voire la considération. Sous l’impulsion des intendants successifs, la sage-femme pourra désormais recevoir une formation spécifique dispensée par l’École d’accouchement : si celle de Fried (1728) était privée et s’adressait essentiellement aux bourgeoises de Strasbourg, celle de 1779, à l’initiative de l’intendant Chaumont de la Galaizière, installée à l’Hôpital militaire, publique et gratuite, s’ouvre aux postulantes de la campagne. L’obstétrique passe ainsi à l’état de science qu’il faut enseigner. Les services hospitaliers d’accouchements ont joué à cet égard un rôle déterminant dans l’évolution de l’obstétrique et dans sa transformation en une discipline universitaire, car « fille de la science médicale ».

Bibliographie

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Notices connexes

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