Garde nationale

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Institution de maintien de l’ordre, la garde nationale est née, sous diverses dénominations (garde civique, milice bourgeoise, armée patriotique, etc.), de la nécessité de faire face aux troubles et émeutes de l’été 1789 dans le royaume. Force municipale destinée à assurer la police intérieure de la ville, au fil des évolutions politiques, elle subit diverses modifications, aussi bien de son organisation que de ses missions.

I. Garde nationale (Nationalgarde)

« La garde nationale s’est formée d’elle-même dans toute la France par une sorte de mouvement électrique… et le législateur n’a eu à s’occuper que du soin de l’organiser, d’en déterminer le devoir, d’en régler le service. » (Merlin, Répertoire, 8, p. 508). En Alsace, note Véron-Réville, elle remplaçait les anciennes milices bourgeoises, qui ne lui cédaient le terrain qu’avec répugnance, et dans certaines localités du Haut-Rhin, il y eut des affrontements entre anciennes gardes bourgeoises et nouvelles gardes nationales (v. Garde bourgeoise). Les soulèvements des campagnes de l’été 1789, avec le refus de payer cens, dîmes et autres impôts, la ruée sur les forêts en défense dans les vallées vosgiennes et les régions forestières, le pillage des châteaux, abbayes, la mise à sac de maisons juives imposent la création d’une organisation armée, maréchaussée et ligne ne suffisant pas à la tâche. Les villes y procèdent et dotent leurs milices de règlements provisoires, comme ceux que le Magistrat et les échevins donnent à la garde nationale strasbourgeoise (Documents imprimés sur les Gardes nationales, Strasbourg). Formation issue de la volonté politique de rétablir l’ordre et de défendre les droits nouveaux de la Nation, la garde nationale est d’abord un phénomène urbain. À Strasbourg, comme dans de nombreuses autres villes du Royaume, elle exprime l’adhésion de la bourgeoisie éclairée et de la jeunesse au nouveau régime, qui se manifeste sur le plan national par la Fête de la Fédération du 14 juin.

À Colmar aussi, la garde nationale succède à la garde bourgeoise et ses compagnies sont commandées par les conseillers du Conseil souverain qui se rallient à l’ordre nouveau. L’une d’entre elles, celle des chasseurs, est composée d’avocats et de greffiers. À Haguenau, la milice bourgeoise est dissoute et sommée d’entrer dans la garde nationale constituée par la municipalité, dont elle conteste les officiers (Code des gardes nationales, 3-7 juillet 1790). Le 30 avril 1790, l’Assemblée nationale décide de maintenir en vigueur les règlements provisoires des gardes nationales, en attendant l’adoption d’un règlement national. Après avoir imposé le 16 mars le serment de Fidélité à la Nation, à la Loi, au Roi, et l’engagement de défendre la constitution, elle en arrête les principes le 12 juin. La garde nationale est réservée aux « citoyens actifs » qui paient un cens et doivent se faire inscrire sur ses rôles, sous peine de perdre leurs droits. La garde en Alsace, c’est le parti révolutionnaire modéré en armes, celui que l’historien orléaniste puis bleu de quarante-huit, Engelhardt, va appeler « le parti de la classe moyenne » : il puise sa force dans la garde nationale strasbourgeoise. Toutes les milices sont supprimées et leurs membres doivent être incorporés dans la garde nationale, « sous l’uniforme de la nation, sous le même drapeau, le même régime, les mêmes officiers, le même état-major. Tout uniforme différent, toute cocarde autre que la cocarde nationale demeurent réformés… Les drapeaux des anciens corps et compagnies seront déposés à la voûte de l’église principale pour y demeurer consacrés à l’union, à la concorde et à la paix ». Le 13 juin, la Fête de la Fédération du Rhin des gardes nationales réunit sur la Plaine des bouchers les gardes nationales de l’Alsace aux côtés de celles des départements voisins. Témoins de l’extension de l’institution, sont présentes les délégations des gardes des communes d’Alsace suivantes : Thann, Neuf-Brisach, Huningue, Bergheim, Beblenheim, Hunawihr, Altkirch, Belfort, Colmar, Cernay, Ensisheim, Ferrette, Guebwiller, Giromagny, Habsheim, Issenheim, Kaysersberg, Landser, Masevaux, Munster, Pfaffenheim, Riquewihr, Ribeauvillé, Rouffach, Réguisheim, Sondernach, Saint-Amarin (le haut), Saint-Amarin (le bas), Oderen, Bitschwiller, Sainte-Marie-aux-Mines, Soultzmatt, Soultz (Haut-Rhin), Wihr-au-Val, Fort-Louis, Landau, Wissembourg, Haguenau, Brumath, Reichshoffen, Barr, Bouxwiller, Lauterbourg, Mittelbergheim, Marmoutier Ingwiller, Pfaffenhoffen, Epfig, Langen-Candel, Marckolsheim, Wasselonne, Bischwiller, Seltz, Surbourg, Villé, La Petite-Pierre, Rosheim, Molsheim, Dettwiller, Bischoffsheim, Geispolsheim, Dorlisheim, Altorf, Westhoffen, Marlenheim, Bischheim, Benfeld, Rhinau, Chatenois, Andlau, Obernai, Entzheim, Rothau et Le Ban de la Roche, La Wantzenau, Weyersheim, Saverne, Quatzenheim, Cosswiller, Oberbronn, Sand, Matzenheim, Ittenheim, Hurtigheim, Romanswiller, Oberhausbergen, Sélestat, Dambach, Eschbourg et Graufthal, Ostwald, Olwisheim, Mundolsheim, Lampertheim, Illkirch, Vendenheim, Furdenheim, Eckwersheim, Eckbolsheim, Blaesheim, Birckenwald, Berstett, Schiltigheim, Mutzig. Sont absents près de la moitié des futurs chefs-lieux de canton du Haut‑Rhin et près d’un tiers de ceux du Bas‑Rhin. La fête qui réunit autour du maire Dietrich les gardes nationales de l’Alsace est celle du parti révolutionnaire modéré alsacien, celui de Dietrich, parti qui, jusqu’à sa chute, va faire la loi dans le Bas-Rhin. Mais on est surpris de la présence de gardes de petites agglomérations, où, selon Veron- Réville, la garde « ne servit au parti dominant dans chaque commune qu’à opprimer le parti vaincu » (Véron-Réville, p. 23).

Le 14 juillet passé, les lois de l’Assemblée nationale visent à mettre un peu d’ordre dans la diversité. La première loi du 19 juillet impose un uniforme national commun, habit bleu de roi, doublure blanche, passepoil écarlate, parement et collet écarlate, passepoil blanc, veste et culotte blanches. Les crises que provoquent à l’automne 1790 la nouvelle organisation judiciaire et la suppression des anciens tribunaux entraînent, à Colmar, la dissolution de la compagnie des gens de justice colmariens – les chasseurs – coupables d’une tentative de soulèvement avec une « fédération colmarienne ». Au printemps 1791, les lois sur la nationalisation des biens du clergé, leur saisie et leur séquestre, l’élection des évêques et des curés et leur installation imposent, avec l’intervention des commissaires du roi, la mise au pas des gardes. Les gardes nationales voisines (Erstein, Barr, Wasselonne, Westhoffen) ont prêté main-forte aux opérations de séquestre des églises de Strasbourg. Les gardes nationales refusent parfois de prêter main-forte à l’installation des curés assermentés : en juin 1791, la garde nationale de Strasbourg a dû marcher sur Obernai, qui refuse de procéder à l’expulsion des Capucins. La garde est dissoute et le maire révoqué. La garde nationale de Soufflenheim marche contre celle de Sessenheim qui a incarcéré 6 prêtres réfractaires. Guerre encore entre gardes nationaux de Geispolsheim et ceux de Fegersheim aidées par leurs voisins d’Illkirch. L’organisation parachevée par la loi du 14 octobre 1791 s’est mise en place progressivement au cours de l’année, à partir de la loi du 6 décembre 1790 « de la force publique en général » que prolongent les formulations très ambiguës de la constitution du 3 septembre 1791, faisant de la garde nationale, à la fois une composante de la « force publique » et assurant qu’elle n’est pas « un corps militaire ni une institution dans l’État mais les citoyens eux-mêmes au service de la force publique ». Pourtant, la loi du 28 janvier 1791 inscrivait la garde nationale dans la géographie militaire de la France, puisque, pour répartir les fusils de la garde entre départements, elle les divisait en trois parties, ceux de la première ligne (frontière et maritime), de la seconde ligne et de l’intérieur. L’Alsace fait naturellement partie des départements de la frontière. À ce titre, la garde nationale bas-rhinoise a droit à 5 142 fusils (qu’elle a déjà reçus à cette date), le Haut-Rhin à 4 224 fusils, dont on doit encore lui livrer l’essentiel.

La loi du 14 octobre 1791 organise définitivement la garde. Elle constitue le socle de l’organisation de cette milice citoyenne dont l’existence, la réforme ou la suppression, rythment désormais la vie politique des régimes de la France. Aux termes de la loi, la garde est la force armée des citoyens actifs, qui ne peuvent exercer leurs droits que s’ils en font partie, mais peuvent s’en dispenser par un remplaçant de leur famille ou le versement d’une taxe.

La garde nationale est organisée en bataillons et compagnies, par districts et par cantons. En aucun cas par commune, précise le texte ! Le bataillon est divisé en quatre compagnies de 80 hommes, plus une compagnie de grenadiers (de plus d’ 1,68 m) et celles-ci en pelotons. Les compagnies sont formées par les administrations des communes réunies au chef-lieu de canton sur la base des registres des citoyens par répartition et agglomération des contingents des communes ou sections de communes.

C’est le principe électif qui gouverne le choix de l’encadrement. Les gardes d’une compagnie, réunis (sans uniforme !) avec les maires au chef-lieu de canton procèdent à l’élection à la majorité absolue des officiers des compagnies, capitaine, lieutenants, sous-lieutenants. Puis ils élisent les sergents et caporaux. Cela fait, le capitaine procède à la répartition des hommes en pelotons en réunissant dans cette formation les citoyens des mêmes communes ou quartiers dans les villes. Les officiers se réunissent alors au chef-lieu de canton et sous la présidence du capitaine le plus âgé, répartissent les compagnies en bataillons, à raison de cinq compagnies par bataillon. Ils placent dans un même bataillon les compagnies des communes voisines. Il pourra se trouver jusqu’à 8 bataillons dans un district (arrondissement). Cette unité prendra le nom de légion et sera commandée par un colonel, élu par la réunion des officiers au chef-lieu de district, sous la présidence d’un commissaire du district. Les officiers n’exercent que pendant un an, puis redeviennent simples soldats avant de pouvoir être réélus. Ces élections sont suspendues en temps de guerre. L’uniforme est le même dans toute la France. Le drapeau aux trois couleurs porte les mots : « Le Peuple français » et « La liberté ou la mort ». Les cantons sont autorisés à former des compagnies de jeunes garçons de moins de dix-huit ans, commandés par l’un d’entre eux. Les districts peuvent mettre sur pied deux compagnies de cavalerie, dont les gardes devront fournir le cheval pour le service. Dans les villes, il pourra être formé des compagnies d’artillerie. Enfin, les fonctions des citoyens servant en qualité de gardes nationales sont de rétablir l’ordre et de maintenir l’obéissance aux lois. La loi prévoit donc que les gardes pourront être requis pour « réprimer les incursions extraordinaires de brigandage ou les attroupements séditieux contre la sûreté des biens et des propriétés, la perception des contributions ou la circulation des subsistances. Les chefs pourront ordonner des détachements tirés des compagnies… qui dissiperont toutes émeutes populaires et attroupements séditieux, saisiront et livreront à la justice les coupables d’excès et de violences pris en flagrant délit ».

L’arrêté du 17 floréal an IV (6 mai 1796) précise ultérieurement : « Dans chaque canton de la République, il y aura un détachement de la garde nationale sédentaire appelé colonne mobile, qui devra toujours être prête à marcher. » L’arrêté indique le mode de sa formation, le nombre d’hommes dont il sera composé et le genre de service auquel il est destiné. Les administrations et, en général, les fonctionnaires publics à qui la loi accorde la faculté de requérir la force armée auront dans les colonnes mobiles une force toujours prête à voler partout où la tranquillité publique sera compromise. Et les gardes (pas plus que les citoyens) ne peuvent se soustraire à cette réquisition. Dans la pratique, la colonne mobile est formée d’unités de gendarmerie, de la ligne et de la garde nationale. Parmi les méthodes utilisées, celles de l’Ancien Régime, comme le placement de garnisaires (v. Garnisaire). Le décret du 10 vendémiaire an IV (2 octobre 1795) édicte en outre le principe de la responsabilité collective des communes dans lesquelles se seraient produits des délits à force ouverte ou des attroupements armés ou non.

Dès la proclamation de la patrie en danger, la fonction de troupe de réserve militaire de la garde nationale l’a emporté : levée de volontaires nationaux politiquement bien engagés, puis levée en masse. On distingue désormais la garde nationale sédentaire et la garde mobile ou mobilisée, remplissant aux côtés et sous les ordres de la Ligne des services militaires, particulièrement de garnisons de villes fortes. Les « volontaires nationaux » sont organisés en troupe armée, sans que la garde nationale soit démobilisée. Dans le Bas‑Rhin comme dans le Haut‑Rhin, elle participe à la défense des place fortes, aux opérations de garde sur le Rhin, ainsi qu’aux colonnes mobiles à la recherche des nombreux réfractaires à la levée en masse.

L’Empire traduit dans sa réglementation cette militarisation de la garde nationale avec le décret du 8 vendémiaire an XIV (30 septembre 1805), qui réforme l’organisation de la garde nationale sédentaire.

Tous les Français valides de vingt à soixante ans sont appelés à en faire partie. Les bataillons de la garde prennent le nom de cohortes, divisées en dix compagnies (de 100 hommes), dont une de grenadiers, une de chasseurs et huit de fusiliers. Les officiers sont nommés (par l’Empereur), les sous-officiers par les chefs de cohorte, sur présentation du capitaine. Le 8 octobre 1805 sont formées onze cohortes de gardes nationaux dans le Bas-Rhin (6) et le Haut-Rhin (5). La ville de Strasbourg fournira deux cohortes, les arrondissements de Strasbourg, Barr, Saverne et Wissembourg en fourniront chacun une. Les cinq cohortes du département du Haut-Rhin sont réparties de la manière suivante : la ville de Colmar, une, l’arrondissement de Colmar, une, l’arrondissement d’Altkirch, une, l’arrondissement de Belfort, une, l’arrondissement de Porrentruy et Delémont, une. Et l’arrêté assure : « les citoyens qui les composeront ne seront point déplacés, et ne seront employés que pour le service de la police intérieure de leurs communes ; par conséquent ces cohortes représentent essentiellement par leurs fonctions et attributions la garde nationale sédentaire dont l’institution a toujours été maintenue dans le département du Haut-Rhin » (AHR). Mais ultérieurement, la préoccupation des autorités militaires est de ponctionner au maximum les gardes nationales. Certains gardes, affectés à la garnison de Mayence – alors chef-lieu d’un département frontière français en 1807 – désertent, ce qui donne lieu à toute une réglementation sur la sanction des maires qui n’ont pas signalé un déserteur passé dans leurs communes, sur le remboursement par la famille du déserteur des équipements et armes perdues, et […] sur les modalités du remplacement de jeunes non appelés dont la liste doit être dressée (AHR). En mars 1813, un nouveau décret lève deux cohortes dans la cinquième division militaire, une dans le Bas-Rhin et une dans le Haut-Rhin. Ces unités sont intégrées dans les grandes unités
de l’armée d’active. Le décret du 3 avril 1813 prévoit l’organisation de la garde nationale dans les arrondissements, formée de cohortes susceptibles d’être mobilisées pour se rendre dans tous les points de l’arrondissement. Avec l’approche des armées alliées des frontières de la France, le décret du 11 octobre 1813, signé Marie-Louise, crée un certain nombre de cohortes urbaines destinées à servir dans les places fortes, une à Belfort, une à Neuf-Brisach, une demie à Huningue, ainsi qu’une légion de six à huit cohortes, chaque cohorte comprenant 4 compagnies de 150 hommes, destinée à concourir dans le département avec les troupes de ligne à surveiller la frontière sur la ligne du Rhin. La circulaire préfectorale poursuit : « dans la campagne de 1744, les habitants du Haut‑Rhin ont su plusieurs fois s’armer spontanément pour repousser l’ennemi de leur territoire, et sont parvenus, avec leurs seules forces et leur courage, à le rejeter sur la rive droite, leurs braves descendants vont déployer la même énergie au moment où la voix du Prince, de l’honneur et de la patrie les appelle à la défense de leurs foyers » (AHR). Des arrêtés ultérieurs créent des cohortes à Sélestat et Landau (Leuilliot). Ces légions participeront à la défense des villes-fortes alsaciennes en 1814, Belfort, Huningue, Sélestat, Strasbourg (Leuilliot, p. 17‑33). À Strasbourg, le maire Brackenhoffer avait le pouvoir réglementaire sur la garde. Le 19 juillet, il avait publié le règlement de service d’une légion affectée au service intérieur de la place, de sa citadelle et de ses forts. « Au moment où la générale sera battue les citoyens inscrits sur les contrôles de la garde nationale se réuniront dans leurs compagnies respectives, soit la première cohorte la place du Vieux Marché aux Vins, la deuxième cohorte la place de Saint-Pierre-le-Jeune, la troisième cohorte, la place de Saint-Thomas, et la quatrième la rue de la Krutenau et y attendent les ordres. » Des patrouilles se mettent en route. Il est interdit à tout autre de circuler dans la rue. Si c’est la nuit, les propriétaires doivent mettre des lanternes aux fenêtres. La garde assure un service intérieur. Ainsi, elle veille à l’observation du règlement du 15 janvier imposant dans tous les établissements publics (écoles, pensions, tribunaux, casernes, théâtres, cafés, casinos, brasseries), des postes de fumigation à base d’acide sulfureux pour la désinfection des capotes ou celui du 15 février 1814 qui impose à chaque propriétaire d’entretenir surtout dans les greniers des seaux et cuves d’eau et linges imprégnés d’eau, de disposer de petites pompes dans les rues. Mais elle assure aussi le service actif sur les remparts de Strasbourg ou des postes avancés de Kehl. Au début de janvier, les Alliés ont occupé Schiltigheim et encerclé complètement la ville : il n’y a plus de marché à Strasbourg et les prix des denrées augmentent. Le commandement abaisse puis supprime la perception des impôts indirects sur les denrées alimentaires (droits réunis) et baisse les prix du tabac. Le 12 janvier, sur la Place d’armes a lieu une grande revue de la garde nationale commandée désormais par le général Schramm. Le recours aux remplaçants par les bourgeois qui en avaient les moyens (négociants, artisans) est pourtant très important, puisque, lorsque le remplacement est supprimé le 25 février, l’on distribue 1 600 fusils et gibernes pour compléter l’équipement des cohortes. Le 29 mars, la garde nationale se distingue en repoussant une attaque sur les forts avancés de Kehl. Le 13 avril, le préfet Lezay-Marnésia fait savoir : « Strasbourgeois vous avez un Roi, dans quelques jours vous aurez la paix. » Le 15 avril, les hostilités cessent et toutes les troupes restent aux postes qu’elles occupent. Le général Schramm prévient la garde nationale de ne pas quitter son service comme elle commence à le faire et lui demande de déployer, pour conserver la place forte au service du Roi, le même zèle que pour la défendre pour l’ancien gouvernement. La cocarde blanche est autorisée et le 19 avril, le drapeau blanc est hissé sur la cathédrale puis retiré devant les protestations. Le 2 mai, le maire de Strasbourg rend hommage à la Garde nationale : « elle a mérité les plus grands éloges… ayant partagé avec la brave garnison le service de la défense de la place et assuré dans l’intérieur, la tranquillité et le bon ordre ». Pourtant le 11 mai, le maire s’indigne des cris qui ont été poussés lors de la revue de la garde du 8 mai qui a mêlé des cris « À bas les droits réunis » aux cris d’amour et de joie de « Vive le Roi ». Ces cris déplacés ressemblaient beaucoup à un mouvement révolutionnaire. Et pourtant, assure le maire : « Il n’y a pas de citoyen d’un État, quelle que soit sa forme de Gouvernement, qui ne sache qu’il a des impôts à payer, et les impôts sont ou directs ou indirects. Les impôts directs ne suffisent pas aux besoins de l’État. Il a fallu créer des impôts indirects pour […] payer la « dette publique, pour cicatriser et guérir les plaies frappées par un conquérant guidé par l’orgueil, la fureur et la démence, qui ont fait tomber la couronne de sa tête. » Les baïonnettes de la garde nationale strasbourgeoise n’avaient pas cessé d’être « intelligentes ». Lorsqu’après les Cent-Jours, où elle avait repris sa place sur les remparts et dans les rues de la ville, le maire se plaindra à nouveau des difficultés que feront certains de ses membres pour remplacer leur cocarde tricolore par la cocarde blanche (avis de la mairie du 2 août 1815). Cela contribuera à la réputation « bonapartiste » de la garde nationale strasbourgeoise.

Sources - Bibliographie

ABR, 1L 172-182 : Pièces concernant la force publique (armée, gendarmerie, garde nationale) (1790 - prairial an II).

AHR, Codes des Gardes nationales ou Recueil complet et méthodique des décrets des Assemblées... depuis le mois de Juillet 1789, jusques et compris le mois de décembre 1792, Paris, 1893 (Gallica).

Aktenmässige Beschreibung des Rheinischen Bundes, Strasbourg, 1790 (Google Books).

MERLIN, Répertoire (1812-1825), t. 8 : garde nationale.

ENGELHARDT, 1851 (Google Books).

HEITZ (Frédéric Charles), Strasbourg pendant les deux blocus et les cent jours. Recueil de pièces officielles, accompagné d’une relation succincte des faits, arrivés pendant les années 1813, 1814 et 1815, Strasbourg, 1861.

VÉRON-RÉVILLE (Armand Antoine), Histoire de la Révolution Française dans le Haut-Rhin, Colmar, 1865 (Google Books).

Archives départementales du Bas-Rhin (éd.), Documents imprimés sur les Gardes nationales, Strasbourg, 1789 – an II, Recueil des pièces relatives à la garde nationale pendant la Révolution [28 juin 1789 – 19 juillet 1793] (Gallica).

LEUILLIOT (Paul), La première Restauration et les Cent Jours en Alsace, Paris, 1958.

GIRARD (Louis), La Garde Nationale, Paris, 1964.

DUPUY (Roger), La Garde nationale, 1789-1872, Paris, 2010.

François Igersheim

II. Garde nationale strasbourgeoise (période de la Révolution)

Dès le lendemain matin du saccage de leur hôtel de ville (21 juillet 1789), les bourgeois des vingt tribus de Strasbourg s’organisèrent en patrouilles et sillonnèrent la ville pour arrêter les individus suspects, mais aussi pour garantir la sécurité de certains édifices et personnes. La coordination de l’action fut assurée par un comité, qui en confia le commandement au baron Charles de Weittersheim, ancien colonel et membre du Magistrat (NDBA, fasc. 39, p. 4161). Cette garde bourgeoise s’organisa alors sur le modèle de la garde nationale de Paris et en adopta la dénomination. Un premier règlement provisoire, approuvé dès septembre 1789 par le Magistrat de Strasbourg, précisa, qu’à l’exclusion des domestiques, tous les hommes de 18 à 60 ans en état de porter les armes, bourgeois ou non, étaient astreints au service de garde nationale. La ville fut subdivisée en sept districts, chacun comptant entre cinq et huit compagnies formant bataillon ; quarante-deux compagnies et un peloton de cavaliers, et plus tard une compagnie de canonniers, furent ainsi formées, soit un effectif total d’environ 4 500 hommes. Les officiers étaient élus par leurs compagnies et l’état-major par les capitaines des compagnies.

Dans la plupart des villes du royaume, de telles « milices citoyennes » ou « gardes bourgeoises » s’étaient constituées, au gré de chaque municipalité ou de comités qui en avaient pris l’initiative. Pour y mettre un peu d’ordre, l’Assemblée nationale les subordonna toutes aux municipalités, puis rendit obligatoire l’inscription de tous les citoyens actifs (urbains et ruraux) et de leurs fils de 18 ans accomplis sur les rôles de la garde nationale de leur commune, sous peine de perdre leurs droits civiques (excluant de fait les citoyens passifs), en uniformisa la discipline et la tenue (12 juin 1790), et interdit toute autre formation particulière de milice.

Quand, début 1790, se répandit une vague de fédéralisation des gardes nationales du royaume, celle de Strasbourg envoya une députation à la fête fédérative de Metz (4 mai 1790) puis en organisa elle-même une grandiose, du 12 au 16 juin 1790, rassemblant 154 délégations du département et de ceux voisins, représentant près de 50 000 gardes nationaux, qui jurèrent fidélité à la nation, à la loi et au roi. Pour la grande Confédération de Paris du 14 juillet 1790, 46 délégués strasbourgeois y furent dépêchés. Cependant, l’Assemblée nationale, se défiant des ambitions prêtées à La Fayette et de son ascendant croissant sur les gardes nationales, mit fin aux fédérations (6 décembre 1790).

Ce fut l’importante loi du 14 octobre 1791 qui imposa à tout le royaume une organisation unique de la garde nationale, restée à recrutement censitaire ; le service était effectué sans rémunération et l’équipement (hors armement) était à la charge du garde, mais, à Strasbourg, la municipalité y apporta sa contribution. Les gardes nationales ne devaient pas pour autant former un corps militaire et restaient soumises à un régime de réquisition municipale.

Outre leur mission de police de la ville, de garde de ses fortifications et des îles et du pont du Rhin, les unités de la légion de Strasbourg intervinrent fréquemment dans les conflits provoqués par les difficultés d’application de la constitution civile du clergé ; c’est ainsi que, pendant plusieurs semaines, un poste de gardes nationales était présent chez le curé constitutionnel de la paroisse Saint-Louis « pour veiller à sa sécurité et pour le garantir des attaques dont il était menacé par les ennemis de la constitution ». Elle était également appelée à des missions extérieures : ainsi, le 16 juin 1791, sur demande du directoire du département, fut envoyé à Rosheim un détachement de 25 hommes pour, conjointement avec la troupe de ligne, « assurer et maintenir la tranquillité publique », ou le 5 juillet 1791, lorsque le même directoire demanda au maire de faire partir un détachement de 25 gardes nationaux à Boersch, afin de soutenir les patriotes persécutés par les « fanatiques », pareillement à Molsheim, etc.

Des menaces de guerre de plus en plus précises, l’armée en crise du fait d’une émigration massive des officiers, la fuite de la famille royale, conduisirent l’Assemblée nationale à ordonner le 21 juin 1791 la mise en activité, sur la base du volontariat, de la garde nationale du royaume, plus particulièrement dans les départements-frontières, dont ceux du Rhin, pour être mise à la disposition des généraux d’armée ; ce fut ainsi que la garde nationale devint une réserve militaire. À partir de là existèrent deux formes de gardes nationales, celles sédentaires effectuant un service local gratuit et celles soldées, plus couramment appelées volontaires nationaux, mises sous les ordres des généraux. Ces bataillons temporaires de volontaires étaient organisés non plus sur un plan cantonal ou communal, mais départemental, et tous les citoyens ainsi mis en activité touchaient une solde pendant la durée de ce service extraordinaire. Un décret ultérieur fixa à 8 000 hommes le contingent à fournir par les deux départements du Rhin, ceux du Doubs, du Jura, de la Haute-Saône et des Vosges. Des volontaires strasbourgeois s’y inscrivirent, sans qu’il soit possible d’en déterminer le nombre (seule subsiste une liste partielle de 121 noms (AMS, 280 MW 32), pour faire partie des deux premiers bataillons de volontaires du Bas-Rhin constitués en octobre. La déclaration de guerre du 20 avril 1792, les premiers revers, l’émeute et l’invasion des Tuileries du 20 juin, provoquèrent un regain de tension et ravivèrent l’inquiétude ; devant le danger imminent, l’Assemblée nationale proclama le 11 juillet « la Patrie en danger » et décréta une nouvelle levée de volontaires nationaux. À Strasbourg, ils furent 718 à s’inscrire les 26, 27 et 28 juillet pour se mettre à la disposition des généraux (mais tous ne furent pas reconnus aptes) et concourir à la formation de 5 bataillons de volontaires du Bas‑Rhin. Ainsi, en décembre 1792, le 3e bataillon de Strasbourg se trouvait à Lauterbourg, puis à Frankenthal en janvier 1793. Au lendemain de la
chute de la Monarchie, l’abolition de la distinction entre citoyens actifs et passifs ouvrait à tous l’accès à la garde nationale. En août 1792, à la légion de Strasbourg (qui devint la 1ère légion du district de Strasbourg) furent adjoints un 9e bataillon composé des citoyens de Fegersheim, Ichtratzheim, Lipsheim, Eschau, Wibolsheim, Plobsheim et Illkirch et un 10e formé par ceux de Schiltigheim, Bischheim, Hoenheim et Souffelweyersheim. L’état-major de la légion fut renouvelé lors d’élections en novembre 1792.

La Convention nationale décréta la levée de 300 000 hommes le 24 février 1793. Peu de jours après, l’Ouest s’insurgea ; quelques résistances apparurent également en Alsace et la pompeuse opération d’enrôlement volontaire organisée à Strasbourg le 17 mars fut un fiasco. Cependant, sous l’impulsion des Jacobins de Strasbourg, le 17 mai, 70 Strasbourgeois, dont le maire Monet (NDBA, fasc. 27, p. 2 685), se déclarèrent volontaires (mais à peine la moitié d’entre eux partiront, et le maire resta à Strasbourg !) pour former, avec d’autres recrues des gardes nationales du département, le 8e bataillon du Bas-Rhin, plus connu sous le nom de « Bataillon de l’Union », levé pour aller combattre en Vendée. Les autres bataillons déjà mobilisés avaient été mis à la disposition du commandement de l’armée du Rhin. Le danger d’une invasion ennemie se précisant après la capitulation de Mayence et l’encerclement de Landau, la ville de Strasbourg fut déclarée en état de siège, sa garde nationale sédentaire mise en activité pour la défense de la place, et les représentants du peuple en mission Milhaud, Ruamps et Borie proclamèrent une levée en masse (autre fiasco !) pour parer le danger d’une invasion imminente. En septembre, les canonniers de la garde nationale strasbourgeoise se distinguèrent particulièrement lors du bombardement du fort de Kehl tenu par les Autrichiens.

Avec l’invasion austro-condéenne de l’Alsace septentrionale, les mesures terroristes se multiplièrent. Les représentants en mission à l’armée du Rhin, que tenaillait l’obsession de trahisons et de complots, destituèrent et firent arrêter dans la nuit du 4 au 5 novembre 1793 « par mesure de salut public » les officiers supérieurs de la garde nationale sédentaire strasbourgeoise. Déportés et emprisonnés à Dijon, sauf le commandant de légion, conduit à la prison de l’Abbaye à Paris, ils ne revinrent à Strasbourg qu’après Thermidor. Ils avaient été remplacés dès leur destitution par des officiers nommés par les mêmes représentants sur proposition du club jacobin.

La loi du 21 février 1793 sur l’amalgame, mise en application seulement en janvier 1794, institua des demi-brigades (nouvelle dénomination pour « régiments ») composées d’un bataillon de lignards et de deux bataillons de volontaires nationaux. De cette façon, les gardes nationales soldées furent intégrées à l’armée de la nation et le service de la place de Strasbourg fut confié à la garde nationale sédentaire. Le 25 floréal an III (14 mai 1795), la municipalité réorganisa la garde nationale strasbourgeoise en sept bataillons selon les dispositions de la loi du 28 germinal an III (17 avril 1795) de caractère nettement militaire, la rendant obligatoire pour tous les citoyens valides âgés de seize à soixante ans, tout en exemptant de nombreuses catégories.

Composée d’infanterie et de cavalerie, la garde nationale strasbourgeoise fut formée en bataillons de 761 hommes chacun. Un bataillon comprenait dix compagnies (une de piquiers d’avant-garde, huit de fusiliers et une de piquiers d’arrière-garde). La compagnie était divisée en deux pelotons, le peloton en deux sections et la section en deux escouades. Un capitaine, 1 lieutenant, 2 sous-lieutenants, 4 sergents, 6 caporaux, 64 fusiliers et 2 tambours composaient chaque compagnie de fusiliers ; les compagnies de piquiers comprenaient 1 capitaine, 2 lieutenants, 2 sergents, 4 caporaux, 40 piquiers et 2 tambours. L’état-major de chaque bataillon comprenait un chef de bataillon, un adjudant de bataillon et un porte-drapeau. La garde nationale strasbourgeoise, formée de sept bataillons, était commandée par un seul chef de brigade assisté de deux adjudants généraux. Les huit compagnies de canonniers existantes furent réparties à raison d’une par bataillon. Le complet d’une compagnie de cavalerie était de : 1 capitaine, 1 lieutenant, 2 sous-lieutenants, 2 maréchaux de logis, 4 brigadiers, 89 cavaliers et 2 trompettes, soit un effectif de 100 citoyens. Les fusiliers des 1ère et 8e compagnies (compagnies d’élite remplaçant celles des grenadiers) et les canonniers devaient s’habiller et s’équiper à leurs frais et les cavaliers devaient en outre être propriétaires de leur cheval.

Pour assurer la sûreté intérieure, le Directoire institua en l’an IV (1795) des « colonnes mobiles » prises dans la garde nationale sédentaire afin de lutter, en intensifiant les patrouilles, contre les chapardages, vols, pillages et dégradations diverses, commis par des déserteurs, vagabonds, truands et autres malandrins. Or, la Terreur oubliée, le danger de guerre écarté, l’élan révolutionnaire fut brisé, et la garde nationale sédentaire devint peu à peu victime de l’indifférence, de l’absentéisme et de l’insubordination, contraignant la municipalité de Strasbourg à réagir par de vigoureuses mesures de discipline à l’égard des récalcitrants. En vain. La garde nationale sédentaire, privée de ses éléments les plus jeunes et dynamiques absorbés par l’armée de la nation, était devenue une institution vieillissante, réduite à n’être plus qu’une réserve d’auxiliaires pour l’armée et la gendarmerie.

Certes, la garde nationale strasbourgeoise orna toutes les fêtes révolutionnaires, et bien des éloges lui furent prodigués pour sa prestance et sa bonne tenue lors de ces parades, mais ces encensements cachaient une autre réalité, moins glorieuse, restée enfouie dans les archives. Tel commandant se plaignait de l’insouciance et de l’indifférence que montrait la garde nationale pour son instruction, alors que seule une poignée d’hommes en place des 700 attendus y assistaient ; ou tel autre faisant appel à la gendarmerie pour ramener au camp ceux qui l’avaient déserté pour retourner à Strasbourg, etc. Mais la vraie plaie, c’était cette kyrielle d’exemptés qui désorganisaient le service, et dont on peut distinguer deux catégories : d’une part, les nombreux « planqués » (employés du département, du district, de la municipalité, des institutions judiciaires, des hôpitaux, etc.) qui étaient dispensés d’office, et, de l’autre, les centaines de « tire-au-flanc » qui se faisaient délivrer des attestations médicales d’incapacité les plus variées.

Contrairement à la garde nationale de Paris, celle de Strasbourg n’a jamais joué qu’un rôle politique mineur pouvant se résumer à la grande manifestation de la Confédération du Rhin de 1790, dont l’objet essentiel était une démonstration de force et de cohésion nationale destinée sinon à intimider les voisins d’outre-Rhin, du moins à les impressionner.

Sources - Bibliographie

AMS, série 280 MW (garde nationale).

HEITZ (Frédéric Charles), Garde nationale de Strasbourg de 1789 à 1851, manuscrit s.d. (BNUS, ms 1508).

EHRMANN (F.), Jean-Daniel Beyckert, professeur au Gymnase de Strasbourg. Notice biographique. Relation de sa captivité à Dijon, etc. Lettres à sa femme, 1793-1794, Strasbourg- Paris, 1893.

GODECHOT (Jacques), Les institutions de la France sous la Révolution et l’Empire, 4e éd., Paris, 1989.

RITTER (Jean), « Le huitième bataillon de volontaires du Bas-Rhin, dit le bataillon de l’Union, un bataillon sans-culotte pour la Vendée », Révolution française 1988-1989 (Actes du 113e et du 114e Congrès national des Sociétés savantes, Strasbourg, 5-9 avril 1988 et Paris, 3-9 avril 1989), Paris, 1991, p. 405-424.

BETZINGER (Claude), « L’insurrection strasbourgeoise du 21 juillet 1789 », RA, 118, 1992, p. 71-98.

CARROT (Georges), La Garde Nationale (1789-1871). Une force publique ambiguë, Paris, 2001.

DUPUY (Roger), La garde nationale 1789-1872, Paris, 2010.


Notices connexes

Fédération du Rhin

Gendarmerie

Maréchaussée

Claude Betzinger