Ferme (des impôts)

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Ferme générale, Ferme (générale) des domaines – Verpachtung der Steuer

La perception des impôts par un État, une seigneurie ou une ville peut :

1) se faire en régie directe, c’est-à-dire par des officiers et leurs commis, rémunérés par un traitement ou par un pourcentage des sommes collectées, lesquelles sont remises aux services financiers de la collectivité ;

2) être amodiée à un fermier, qui verse à la collectivité la somme qu’elle lui demande, puis collecte pour lui-même, avec l’aide de ses commis, les impôts affermés, en réalisant des bénéfices substantiels.

Il faut distinguer la ferme, bail conclu pour une durée déterminée et reconductible, qui est un mode de gestion de la fiscalité, de l’engagement, contrat de créance dont l’échéance est le remboursement de la somme due, qui est employé par des princes et seigneurs en besoin urgent d’importantes sommes d’argent (v. Engagement).

L’affermage des impôts est une pratique courante dans les villes médiévales, le collecteur pouvant conserver un pourcentage des rentrées (par exemple un Drittes Pfennig) ou encore, remettre à la caisse centrale une somme forfaitaire en contre-partie de la collecte opérée sur la recette spécifique affermée (par exemple la collecte d’une accise sur la viande) (v. Fiscalité, Finances des villes).

Les impôts directs (v. Bede) et indirects (v. Accise, Maspfennig, Péage, Sel) étaient perçus, soit en nature, soit en argent, directement par les officiers seigneuriaux (v. Bailli, Receveur bailliager) et municipaux (alors que l’affermage était employé par certaines villes du Rhin, comme Cologne ou Mayence, notamment pour les péages de douanes), en collaboration avec les corps constitués, comme le montre l’exemple de la Régence d’Ensisheim au XVIe siècle (Bischoff, p. 205). Les rentes, droits et revenus seigneuriaux étaient perçus de la même manière (La Grange, cité dans Reuss, p. 295, à propos de la Régence d’Ensisheim), tout comme les impôts impériaux, levés exceptionnellement, répartis par la matricule d’Empire et que les princes ecclésiastiques et laïcs et les villes d’Alsace répartissaient ensuite eux-mêmes, à la manière d’un « pays d’États ».

Le système de la ferme des impôts est introduit en Alsace à la suite de son annexion à la France, où les impôts royaux indirects sont régulièrement affermés depuis le Moyen Âge. Sous Henri IV, Sully a réuni les fermes particulières des impôts de même nature en un seul bail pour toute la France, créant ainsi la ferme générale des gabelles (1598), la ferme générale des traites (1598, réunion de cinq fermes sur les droits de douane, appelées « les cinq grosses fermes ») et la ferme générale des aides (1604, impôts sur les boissons). Une quatrième ferme générale existe pour les domaines et droits domaniaux. « Le domaine de la couronne consiste en terres, seigneuries et autres bien fonds et héritages, dans les cens et rentes, dans les lods et ventes et autres droits casuels, utiles et accessoires de la mouvance et de la directe, dans les bois et forêts, fleuves et rivières navigables, îles et îlots, […] dans les péages, halages, passages, pêcheries, les tabellionnages, sergenteries fieffées, greffes et autres
choses semblables, procédant, tant des fiefs et seigneuries que des droits de justice et de police » et dans les divers droits qui composent le domaine incorporel, c’est-à-dire, d’une part, les droits qui proviennent de l’exercice de la souveraineté, tels « le droit de rendre la justice et ceux qui y sont accessoires, celui de directe universelle, celui de faire des lois, celui de battre monnaie et d’en régler le titre et le prix, les droits sur les mines et minières, le droit de régale sur les archevêchés et évêchés vacants, ceux de franc-fief, d’amortissement et de nouveaux acquêts, ceux d’anoblissement, légitimation, bâtardise et aubaine, ceux de poids et mesures, ceux de créer des offices et d’accorder des concessions de foires et marchés et autres privilèges quelconques […], les droits de contrôle des exploits, ceux de contrôle des actes des notaires et sous-signatures privées, ceux d’insinuation et de centième denier et ceux de petit-sel […], les droits d’imposition, établis de temps immémorial », et, d’autre part, « les droits seigneuriaux et féodaux casuels » qui reviennent au roi « en qualité de seigneur des terres et seigneuries dépendantes du domaine de la couronne » : n’est affermé que le domaine muable, « dont le produit peut varier, en augmentant ou en diminuant, relativement aux circonstances, comme sont les greffes, sceaux, tabellionages, péages » (Bosquet).

 

Introduction de la ferme générale des domaines en Alsace

Le traité de Munster (1648) fait entrer dans le domaine du roi « tous les droits, propriétés, domaines, possessions et juridictions » que possédaient jusqu’alors l’Empereur et la Maison d’Autriche en Alsace. Tandis que Louis XIV fait de ses nouvelles possessions un « pays d’impositions » (Dupin) par sa déclaration du 15 juin 1661, qui instaure, pour remplacer diverses contributions ordinaires et extraordinaires, un impôt direct unique, la subvention (v. Subvention), un équivalent de la taille dont la légèreté doit faciliter l’acceptation de la souveraineté française et justifier la suppression des États de Haute-Alsace (Livet, p. 220), il récupère dans son domaine les anciens impôts indirects de la Maison d’Autriche, dont les principaux sont l’impôt sur le vin (Maspfennig), l’impôt sur le sel et les péages de douanes. Jusqu’en 1661, ils sont collectés en régie directe, à l’instar des impôts directs, sous l’autorité de l’intendant, principalement par trois commissaires établis à Sélestat, Thann et Huningue. Seuls sont concernés les territoires d’ancienne domination, c’est-à-dire les anciens territoires relevant de la Maison d’Autriche, cédés en toute souveraineté par le traité de Munster et où « il n’appartient [qu’au roi] de faire des impositions » (édit du Conseil souverain d’Ensisheim du 13 décembre 1659). C’est alors que, sur les instances de l’intendant Colbert de Croissy, la ferme des domaines est introduite en Alsace, de même que la ferme des gabelles pour l’impôt sur le sel (v. Gabelle), qui représente une ferme particulière, intégrée aux domaines ; avec la Franche-Comté et les Trois-Évêchés (et, plus tard, la Lorraine), l’Alsace fait partie des pays de gabelles de salines, c’est-à-dire exempts de gabelles et conservant leurs privilèges d’avant leur rattachement à la France : on parle par conséquent de ferme des domaines et
gabelles d’Alsace. La ferme des traites pas plus que celle des aides ne s’étendent à la province, puisque les droits de péages et le Maspfennig appartiennent à la ferme des domaines (on parle alors pour les traites de traites domaniales, comme il en existe ailleurs dans le royaume, par exemple la traite domaniale de Nantes). La ferme des domaines d’Alsace comprend encore d’autres droits : le bail de 1726
cède au fermier Carlier « le droit de protection des Juifs, d’aubaines, d’émigrations, déshérences et bâtardises, amendes édictées au conseil supérieur d’Alsace et autres justices royales, droits de défrichements et autres, ainsi qu’en ont joui ou dû jouir les précédents fermiers, en conséquence des arrêts de notre conseil et ordonnances rendues par les commissaires départis dans ladite province ». Or, si les droits de protection des Juifs sont effectivement perçus par les fermiers (v. Juifs), les droits casuels d’enregistrement (aubaine, bâtardise, etc.) sont, dans les faits, en régie directe (v. Enregistrement). Enfin, l’Alsace échappe aux droits de papier timbré, du contrôle des actes et des exploits et au privilège exclusif de la vente du tabac (Dupin), sur laquelle nous reviendrons.

Le 1er août 1662, une ordonnance du roi enjoint de procéder à « la publication et adjudication de la ferme générale de ses droits souverains en Alsace, entre lesquels se trouvent ceux qui se lèvent sur les péages et passages de toutes marchandises par eau et par terre ». Nicolas Fileau, dernier enchérisseur, signe en novembre 1662 un bail de neuf ans. Le 12 janvier 1663 est publié un tarif « pour la perception des droits de péage qui sont dûs pour les marchandises qui entrent et sortent de la Haute et Basse-Alsace ». Dans les premiers temps, les fermiers généraux mettent en place quatre départements : Belfort, Altkirch, Ammerschwihr et Haguenau. Chacun est dirigé par un receveur général. En 1675, L’Hermine, receveur général du département d’Altkirch (bailliages d’Altkirch, de Ferrette et de Landser), « dirige 32 commis, originaires du pays, qui perçoivent les deniers de péages dans les bourgs et villages des bords du Rhin, aux frontières du canton de Bâle et de Soleure, en Suisse et aux environs de Mulhouse, enclavée dans les terres royales. […] Tous les trois mois, les receveurs généraux font leurs comptes de recettes avec les commis des péages et vérifient en même temps ceux des crâneurs, nom de ceux qui ont le soin de marquer le vin que les cabaretiers distribuent et de lever le Maspfennig. Quant aux greniers à sel, les receveurs généraux en ont la direction ; ils distribuent le sel en gros, par tonneaux de 6 quintaux chacun, à raison de 10 l 16 s 8 d – monnaie de France – par quintal, aux communautés qui le revendent » (Livet, p. 217‑218).

 

Restriction relative de la ferme des domaines aux territoires d’ancienne domination

Après l’annexion des villes de la Décapole, actée par le traité de Nimègue (1678), la « réunion » des domaines de l’Évêché de Strasbourg, du Grand Chapitre et des seigneurs alsaciens et princes possessionnés dans la limite de la Queich (1680) et la capitulation de Strasbourg (1681), les impositions directes du roi s’étendent sur la Basse-Alsace : la ville de Strasbourg échappe certes à la subvention, mais pas à la capitation, créée en 1695 (v. Capitation). Il s’agit là d’un des nombreux impôts directs (v. Abonnement, Abonnement des droits, Épis du Rhin, Fortification, Fourrages, Maréchaussée, Mendicité, Milice provinciale, Subvention de la construction des canaux de Picardie, Vingtièmes) et assimilés (v. Don gratuit) qui s’ajoutent jusqu’à la Révolution française à l’impôt unique établi en 1661. Ils demeurent en régie directe, répartis par l’intendant et par les baillis de département, ces derniers se chargeant également de sa collecte auprès des maires et prévôts des communautés (v. Bailli(s) de département). Les impôts indirects sur le vin et le sel et les droits de protection sur les Juifs continuent d’être levés par les seigneurs, Strasbourg et les villes de la Décapole : la distinction entre territoires d’ancienne et de nouvelle domination demeure. Mais les droits de péage du roi s’étendent désormais sur l’ensemble de la province. L’arrêt du Conseil du 3 octobre 1680 supprime les péages intérieurs, qu’il s’agisse de ceux des fermiers du roi, qui encerclaient notamment les villes, ou de ceux de ces mêmes villes (à l’exception de Strasbourg) et des seigneurs (hormis les cas de contestation de la souveraineté française), lesquels, dans les faits, s’ils renoncent aux péages politiques, conservent les autres en les légitimant par l’entretien des ponts et des chemins (Livet, p. 514).

 

Extension du système de la ferme à l’ensemble de la province

Les intendants encouragent les seigneurs et les villes à pratiquer l’affermage de leurs impôts et revenus, pour simplifier la gestion des finances, mais aussi « pour procurer des places lucratives à des protégés personnels ou du moins à des compatriotes de l’intérieur » (Reuss, p. 301). Dès la fin du XVIIe siècle, le système des fermes est adopté par la plupart des autorités du pays, tel l’évêque de Strasbourg, qui amodie la totalité de ses droits au sieur Faudel en 1682 (énumération des principaux impôts levés par l’évêché cette année-là dans Reuss, p. 391). La ferme de l’impôt est adjugée en bloc par les villes de Colmar, Landau, ou encore Wissembourg, tandis qu’elle est divisée par catégories à Strasbourg, « puisque l’ensemble eût dépassé la capacité financière d’un seul » (Reuss, p. 302). En tant que tuteur financier des communautés, l’intendant est juge pour toutes les affaires concernant la ferme de leurs revenus : « En 1702, le fermier des revenus de Colmar et ses cautions refusent d’exécuter le traité qui prévoit le paiement par quartier de la somme fixée le jour de l’adjudication. La ville porte plainte par devant l’intendant et montre qu’elle a été obligée d’emprunter pour satisfaire à ses obligations envers ses officiers et envers le roi » (Livet, p. 686‑687).

 

Organisation de la ferme générale à Paris et en Alsace

Les fermiers généraux sont rassemblés en une ferme générale unie à partir du bail de Carlier en 1726. Celui-ci est considéré comme l’acte de naissance de la Ferme générale, qui se renouvelle à la conclusion du nouveau bail tous les six ans et dure jusqu’à la Révolution. L’administration de la Ferme générale a son siège à Paris, dans l’Hôtel des Fermes, rue de Grenelle-Saint-Honoré, près de l’église Saint-Eustache. Sous le bail de Prévôt (1762), elle est composée d’une compagnie de soixante fermiers, qui se partagent en dix-sept assemblées spécialisées. Les différentes composantes de la Ferme (traites, gabelles, aides, domaines) sont également divisées en plusieurs départements, regroupant différentes directions générales, avec un ou deux fermiers préposés à chaque département. Toujours sous le bail Prévôt, l’Alsace relève du 1er département des gabelles (4e division) « pour le tabac et les gabelles » et du 2e département des aides et droits – et non pas du domaine ! – « pour les droits de domaine et de Maspheningue » (Expilly). Les fermiers font régulièrement des tournées dans le royaume.

Comme dans les autres provinces, ceux-ci confient, à la fin du XVIIe siècle, la direction de la ferme des domaines et gabelles d’Alsace à un fondé de pouvoir portant le titre de directeur général des domaines, placé sous la double dépendance de ses employeurs et de l’intendant. La direction générale est installée à Strasbourg (rue des Pucelles à la veille de la Révolution). Au directeur est adjoint un receveur général (également chargé de la recette particulière des péages de Strasbourg), qui remet la recette aux fermiers. Les deux fonctions supérieures de la ferme d’Alsace peuvent être exercées par le même homme (cas de François Joseph Grau). Au milieu du XVIIIe siècle, les domaines du roi sont perçus dans 123 bureaux, divisés en cinq départements : Belfort, Altkirch, Thann, Ammerschwihr et Haguenau. Hormis le nouveau département de Thann, c’est la même organisation qu’à l’époque de L’Hermine. Mais, avec l’établissement d’un receveur général à Strasbourg, les anciens receveurs généraux des départements sont devenus des receveurs principaux. Chacun reçoit les deniers provenant des bureaux subordonnés, dont le recouvrement se fait par six contrôleurs ambulants. À côté des bureaux du domaine, il y a encore sept magasins à sel, la plupart installés dans les sièges de département : Belfort, Altkirch, Thann, Ammerschwihr, Colmar, Strasbourg et Haguenau (Thann abrite l’entrepôt des magasins d’Altkirch et de Belfort). Chaque magasin, hormis Strasbourg et Colmar, qui n’ont pas de dépendance, fournit le sel aux entrepreneurs ou regrattiers des bailliages dépendants, lesquels se chargent de la distribution (Dupin). À la veille de la Révolution, il y a toujours deux employés supérieurs à Strasbourg. Ils peuvent s’appuyer sur trois inspecteurs, à Belfort, Ribeauvillé et Haguenau. Les bureaux des recettes sont plus nombreux (216) et quatre nouvelles recettes principales ont été ouvertes à Saint-Louis, Strasbourg, Saverne et Landau, soit un total de neuf receveurs principaux. Il y a douze contrôleurs ambulants et trois sédentaires (Uchida).

Les receveurs généraux des fermes ne doivent pas être confondus avec les receveurs généraux qui sont officiers du roi (v. Receveur) : deux receveurs généraux des finances (offices alternatifs) de la généralité de Metz reçoivent les deniers remis par les deux, puis (1696) six receveurs particuliers des bureaux d’Alsace (Landau, Strasbourg et Brisach, remplacé par Colmar en 1698) ; un receveur général des domaines est établi dans la même généralité par l’arrêt du conseil d’État du 9 décembre 1684 « pour compter en détail de tous les droits dépendants des dits domaines, affermés et engagés », dont l’office est rendu alternatif par l’ordonnance du 28 du même mois, qui crée également un contrôleur général pour l’intendance de Metz et un second pour l’intendance d’Alsace, chargés de la surveillance des fermiers (« En Alsace cependant, l’autorité de l’intendant reste prépondérante : fermiers et contrôleurs s’adressent à lui pour se faire obéir, et le contrôleur général lui demande toujours son avis », Livet, p. 695) ; un receveur général des domaines et bois de la province d’Alsace, établi par l’édit du roi d’avril 1685 « pour recevoir des fermiers des domaines les fonds des charges locales et autres assignées sur les domaines et en faire le paiement sur les lieux, suivant les états arrêtés au conseil ; pour recevoir aussi les deniers provenant des différents droits féodaux et casuels appartenant au Roi et réservés par les baux des fermes ; et pour faire les ensaisinements des titres de propriété » (Bosquet). Certains droits domaniaux échappent en effet à la ferme des domaines – dans laquelle n’entrent jamais « les bois de haute futaie et taillis qui sont dans l’étendue des domaines du roi », même « ceux qui seront réunis sur les engagistes, à la diligence desdits fermiers, pendant le cours de leurs baux » (Bosquet) – : droits d’aubaine, déshérence, bâtardise, confiscation, épave et autres droits domaniaux casuels (cf. ordonnance du roi du 2 décembre 1748) (v. Aubaine, Bâtardise, Confiscation, Déshérence, Enregistrement, Épave, Étranger). La famille de Salomon commence par faire la recette des droits domaniaux en régie directe, donnant trois receveurs généraux des domaines et bois (Jean de 1687 à 1739, Sébastien de 1739 à 1745, Béat Dagobert de 1745 à 1777), avant que le dernier n’abandonne son office pour passer au service des fermiers généraux comme directeur des domaines, fonction dans laquelle son fils (Louis Dagobert) lui succède en 1789.

Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la Ferme générale fait l’objet de nombreuses critiques dans le royaume. On demande sa suppression, notamment du côté des physiocrates. En 1780, Necker divise la perception en trois compagnies : la Ferme générale se voit amputée des aides et des domaines, confiés respectivement à une régie générale et à une administration des domaines et droits domaniaux. Démembrée, la Ferme générale est supprimée par la loi du 27 mars 1791.

 

Tensions dans la province autour des péages et de la vente du tabac

En 1663, alors que le bail de Fileau vient d’être signé, les commis des fermiers installent un bureau de péage sur le « Grand Chemin » reliant Strasbourg aux Pays-Bas dans le village de Mommenheim, l’un des quarante du Grand Bailliage autour de Haguenau, qui forme encore une enclave royale dans la Basse-Alsace d’avant les « réunions » ; suite à la double réclamation de la Ville de Strasbourg et du comte de Hanau-Lichtenberg, la monarchie opte pour un compromis. Strasbourg continue par ailleurs d’être encerclée par les péages de la ferme du roi jusqu’à sa capitulation en 1681. Après, les péages se maintiennent, mais Strasbourg obtient par l’arrêt du Conseil du 25 novembre 1684, malgré les doléances des fermiers, d’être déchargée de droits de péages sur « les marchandises qui sortent de la ville pour être consommées en Haute et Basse-Alsace (légumes et menues marchandises) » et de bénéficier du « transit libre à charge de prendre des acquits à caution pour les marchandises venant de l’étranger, en payant 2 sols 6 deniers pour leur entrée comme pour leur sortie » (Livet, p. 518). Si des entraves sont à nouveau mises pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg (notamment l’installation d’un bureau de péage géré par la ferme générale sur le pont de Kehl), celles-ci disparaissent à la fin du conflit (1697). Deux notions nouvelles s’imposent : celle de province à l’instar de l’étranger, c’est-à-dire avec des douanes placées entre la province et le reste du royaume et la liberté du commerce avec l’étranger (quoiqu’il existe des péages du roi sur les frontières avec la Suisse, la Lorraine et le Palatinat) ; celle de port franc, appliquée à Strasbourg, port fluvial (Livet, p. 522).

Les tensions les plus vives entre la ferme générale et l’Alsace sont relatives à la ferme du tabac (v. Tabac). L’établissement d’un monopole de la fabrication et de la vente du tabac en 1674 n’avait pas touché l’Alsace. La ferme du tabac est supprimée en 1719 et remplacée par un droit d’entrée sur le tabac des colonies : « Les tabacs d’Artois, de Flandres, de Lorraine, d’Alsace et de Franche-Comté devaient payer trente livres aux entrées » (Guyot). La déclaration du roi du 1er août 1721 rétablit la ferme du tabac. À l’instar des autres provinces privilégiées (Franche-Comté, Artois, Hainaut, Cambrésis, Flandres), l’Alsace demeure hors du monopole, mais voit un renforcement du système prohibitif dans l’article XXIII : « défendons à toutes personnes de quelque état et condition qu’elles soient, tant desdites provinces que des autres où la vente exclusive du tabac n’a pas lieu, d’avoir ni de faire aucune plantation et culture, manufacture, magasin, amas ni entrepôts de tabac dans l’étendue de 3 lieues des limites de notre dite ferme du tabac, à peine de confiscation des tabacs et de 1 500 livres d’amende ». L’Alsace devient un important foyer de contrebande. La ferme du tabac s’installe dans la province à la suite de la déclaration du roi du 4 mai 1749, qui instaure une taxe sur tous les tabacs étrangers entrant dans le royaume pour une autre destination que celle de la Ferme générale. L’arrêt du 17 juin 1749 précise que tous les tabacs venant de l’étranger ne pourront entrer dans la province d’Alsace que par les bureaux de Landau, Beinheim, Fort-Louis, Saint-Louis et Strasbourg ; quelques mois plus tard, le bureau de Landau est supprimé et ceux de Beinheim et Fort-Louis sont transférés à Haguenau et Drusenheim : cela soustrait du prélèvement de la nouvelle taxe le pays entre la Queich et la Moder, où les commis du fermier des domaines n’ont aucun exercice. Le nouveau régime, qui coûte 140 000 livres par an pour la brigade des gardes placée à l’entrée de la province, s’avère toutefois inefficace, « car la facilité des passages [rend] vaines toutes les précautions contre la fraude » (Uchida). L’arrêt du Conseil d’État du roi du 23 octobre 1774 révoque la réglementation de 1749, mais donne aux fermiers généraux la police du monopole royal du tabac dans la province. Il établit une bande d’une largeur de 3 lieues dans la partie de la province limitrophe des Trois-Évêchés, de la Lorraine, de la Franche-Comté et de Montbéliard (soit 840 communautés concernées), avec les mêmes contraintes que dans la déclaration du 1er août 1721. Les fermiers ont encore la possibilité de placer des bureaux et des brigades dans une quatrième lieue. En 1775, il y a dans toute la province 334 employés de la ferme générale chargés du contrôle ou de la police sur le tabac (capitaines, commis, gardes, etc.). De nombreuses exactions furent commises.

Bibliographie

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Extrait des reglemens intervenus sur les differens droits de la ferme d’Alsace depuis la réunion de cette province à la France, Paris, 1748.

FERRIERE, Dictionnaire (1762).

BOSQUET, Dictionnaire raisonné des domaines et droits domaniaux, Rouen, 1762.

EXPILLY (Jean Joseph), Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la France, Amsterdam, vol. 3, 1764.

De BOUG, Recueil (1775).

GUYOT, Répertoire (1775-1798).

HORRER, Dictionnaire géographique (1787), notice « Alsace ».

KRUG-BASSE, L’Alsace avant 1789 (1876).

REUSS, L’Alsace au XVIIe siècle (1898).

HOFFMANN, L’Alsace au XVIIIe siècle (1906), t. 1, p. 409-428.

SCHÖNBERG (Leo), Die Technik des Finanzhaushalts der deutschen Städte im Mittelalter, I. Die Städtische Finanzverwaltung im weiteren Sinne, Stuttgart, 1910.

LIVET, Intendance (1956), voir index : « ferme générale ».

BISCHOFF (Georges), Gouvernés et gouvernants en Haute-Alsace à l’époque autrichienne, Strasbourg, 1982.

BRASME (Pierre), « L’impôt dans la généralité de Metz-Alsace (1664-1698) : de l’assimilation politique à l’assimilation fiscale », Cahiers lorrains, no 3-4, 1992, p. 265‑274.

SCHMITT (Jean-Marie), « Grau, François-Joseph », « Salomon de, Jean », « Jean Sébastien », « Béat Dagobert », « Louis Dagobert », NDBA, t. 13 (1988) et 32 (1998), p. 1273 et p. 3354‑3357.

CLINQUART (Jean),Les services extérieurs de la ferme générale à la fin de l’Ancien Régime. L’exemple de la direction des fermes du Hainaut, Paris, 1995.

DURAND (Yves), « Fermes, ferme générale », BÉLY (Lucien) (dir.), Dictionnaire de l’Ancien Régime, Paris, 1996, p. 542.

UCHIDA (Hidemi), Le tabac en Alsace aux XVIIe et XVIIIe siècles, Strasbourg, 1997.

Notices connexes

Abonnement, Abonnement des droits, Accise, Aubaine

Bailli, Bailli(s) de département, Bâtardise, Bede

Capitation, Casuel, Confiscation

Déshérence, Don gratuit

Engagement, Enregistrement, Épave, Épis du Rhin, Étranger

Fortifications, Fourrages

Gabelle

Halage (chemin de)

Juifs

Lods et ventes (droit de)

Maréchaussée, Maspfennig, Mendicité, Milice provinciale

Péage, Pêcherie

Receveur, Receveur bailliager, Régale

Sel, Sergenterie, Subvention

Tabac, Tabellionage, Traite

Vingtièmes

Eric Ettwiller