Maître d'école

De DHIALSACE
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Maître ou régent d’école, instituteur, Ludimagister, Ludimoderator, Schuldiener, Schuler, Schulmeister, Lehrer.

Il exerce sa fonction dans des écoles qui ne sont ni monastiques, ni canoniales, ni cathédrales, mais dans les « petites écoles », qui touchent donc, y compris dans la campagne alsacienne entre le XIIIe et le XIXe siècle (Turckheim et Hochfelden dès le XIIIe ; Obernai et Rosheim au XVe siècle), un nombre plus important d’élèves. Contrairement aux « écoles latines », que l’on trouve, dès le XVe siècle, à Mulhouse par exemple, elles font partie de ce qu’on continuera à appeler les « deutsche Schulen » dans les années 1680 puis, au XVIIIe siècle, les « écoles françaises », ces dernières étant consacrées par la Révolution (« écoles françaises républicaines », loi Lakanal du 18 novembre 1794). Mais, du fait de leur faible fréquentation, on aurait tort de les assimiler aux « Volksschulen » que les autorités allemandes institueront en Alsace à l’époque du Reichsland, au lendemain des lois scolaires des années 1870, qui précèdent celles de Jules Ferry en France (1880-1881).

Le maître d’école aura donc affaire à une partie seulement des enfants en âge d’être scolarisés (en moyenne, à la campagne au XVIIIe siècle, 60% des garçons et 40% des filles), autant pour des raisons culturelles que pour des motifs économiques ou financiers, la scolarité n’étant, sous l’Ancien Régime, ni obligatoire (jusqu’en 1794) ni gratuite (jusqu’en 1874). En effet, les mentalités ne sont pas prêtes à reconnaître l’intérêt de l’instruction pour une société qui, dans ses couches inférieures, ne s’engage que timidement dans une économie marchande et pour laquelle le « voir faire » et le « savoir faire » ont plus d’importance que le « savoir ». Du reste, l’école est à la fois un investissement-argent (contribution scolaire et écolage), ce qui introduit dans sa fréquentation un critère économique sélectif, et un investissement-temps qui induit pour les parents un manque à gagner sur le plan de la main-d’œuvre disponible, y compris pour les petits qui sont engagés, dans l’artisanat comme dans l’agriculture, dès l’âge de 10 ans. On comprend dès lors la banalisation de l’absentéisme, à la campagne, en période estivale : il touche entre 15 à 30% des effectifs présents en hiver et conduit bien des écoles à fermer leurs portes entre Pâques et la Toussaint. C’est pourtant au XVIIIe siècle que des effectifs plus nourris qu’au siècle précédent imposent, surtout dans les bourgs et les villages importants, la démultiplication des salles de classe et le recrutement d’un « sous-maître », qu’on appellera par la suite l’« adjunctus » ou le « Profiser » et dont la mission consistera à seconder l’« ordinarius », maître d’école vieillissant, à la fois son supérieur hiérarchique et son conseiller pédagogique, en prenant en charge les élèves les plus jeunes.

Or, à cette demande relativement faible répond une offre insuffisante en qualité et en quantité. L’école étant avant tout, en particulier depuis la Réforme et la Contre-Réforme, puis lors de la reconquête au lendemain de la guerre de Trente Ans, le support de l’éducation morale et de l’orthodoxie religieuse, le recrutement des maîtres se fait dans cette optique. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle encore, il arrive encore que ce soient les clercs eux-mêmes qui fassent fonction de maîtres d’école, surtout en milieu protestant (exemples de Hurtigheim, Quatzenheim, Printzheim, Geudertheim, Hoerdt, Hunspach) : avant d’être « communale », l’école primaire aura donc été « paroissiale ». L’installation, d’abord en ville puis à la campagne, des Frères des Ecoles chrétiennes à la fin du XVIIe siècle, puis, au début du XIXe siècle, celle des sœurs enseignantes de la Providence, s’inscrit dans le droit fil de cette logique. D’une façon générale, le recrutement du maître « à la pluralité des voix » par le corps des échevins, qui représente en théorie la communauté d’habitants mais se compose en réalité des chefs de ménage les plus éminents, ne peut se faire sans l’aval, si ce n’est du Specialis pour les luthériens ou du Vicaire général du diocèse pour les catholiques, du moins du curé ou du pasteur en exercice : ces derniers confirment le choix des habitants en attendant d’inspecter les nouveaux titulaires du poste (De Boug, t. II, 4, arrêt du 6 juillet 1726 et 779, arrêt du 12 février 1768), voire de leur faire passer un examen centré sur les valeurs chrétiennes et, au besoin, de les révoquer. Il faut attendre l’ordonnance de Blair en 1774 pour que soit interdit aux préposés de la communauté de révoquer le maître d’école sans l’autorisation de l’intendant (ADBR C 608). Lors du recrutement, on leur demande certes de savoir de préférence lire, écrire et éventuellement compter, comme le montre l’exemple de ce maître ambulant qui se fait embaucher à Altkirch, lors du Michelsmarik, et dont le chapeau est orné d’une, de deux ou de trois plumes symbolisant ses éventuelles compétences en lecture, écriture et calcul qui constituent ce qu’on appellera plus tard les « rudiments ». D’autres candidats profitent des circonstances sans avoir forcément les qualités requises : tel vétéran de l’armée, tel peintre ambulant (Ichtratzheim, 1719), tel joueur de violon professionnel (Walbach, 1790)… Ce qui prime souvent, ce sont les aptitudes vocales et musicales des candidats : il est en effet important de savoir toucher les orgues et d’entonner le plainchant à l’église. En vertu de contrats allant de un à trois ans, mais souvent tacitement renouvelés, le maître se place donc d’emblée sous l’autorité ecclésiastique et l’école reste, sous l’Ancien Régime, l’un des supports de l’instruction religieuse.

Aux fonctions d’enseignement et d’éducation, les maîtres sont d’ailleurs tenus d’ajouter, dans les paroisses catholiques, en tant qu’acolytes et auxiliaires du curé, des responsabilités ecclésiales (Marguillier) qui risquent d’en faire des « valets de presbytère » (ADHR 10 J 1/19, rapport de la préfecture du Haut-Rhin du 5 fructidor an VIII) et de transformer l’école en « succursale de la sacristie » (Rodolphe Reuss). Or il arrive que l’on passe progressivement des fonctions ecclésiales à des attributions profanes, les deux pouvant être cumulées : celles de bedeau ou de sacristain, celles de sergent de la communauté (Weibel) et, étant parfois l’un des seuls du village à savoir écrire couramment, il est normal qu’il soit appelé à tenir les registres de la communauté (Biltzheim, 1790), charge qui préfigure celle de secrétaire de mairie. Il faut reconnaître cependant qu’il accède plus exceptionnellement à la fonction de prévôt (Algolsheim, 1769).

La progressive laïcisation du métier de maître s’inscrit dans le passage, en ce qui les concerne, de l’autorité de l’Église à celle de l’État qui confirmera sa mainmise sur l’enseignement lors de la Révolution et la formation de « missionnaires de la République ». On passe ainsi de l’idéal de l’éducation chrétienne à celui de « l’instruction publique », suite logique du mouvement des Lumières qui a inspiré ses promoteurs, le but de ce service public étant de faire reculer l’ignorance. Cette promotion de l’« instruction » se lit dans le titre d’« instituteur  », terme chargé de savante latinité, dans la mesure où il s’agit avant tout, d’après le Plan d’éducation de Condorcet, d’instruire, « instituere », et pas uniquement d’éduquer. Le mot allemand de « Lehrer » n’est pas aussi lourd de signification.

La préoccupation de former les maîtres remonte certes au XVIIe et circule à Strasbourg fin XVIIIe siècle (Jean-Frédéric Simon) avant de resurgir dans les cahiers de doléances. Mais la réalisation des « Écoles normales primaires » ne verra le jour qu’au XIXe siècle (Strasbourg 1811, Colmar 1833, Sélestat 1870). En attendant, le futur maître se forme sur le tas, ce qui explique la fréquente continuité dynastique d’un métier qui ne s’apprend pas ou, du moins, qui se transmet de père en fils comme cela se fait couramment chez les artisans : en témoignent, parmi d’autres, les dynasties d’écolâtres des Gottsmann à Weitbruch (1676-1774), des Jérôme à Wingersheim (1768-1844), des Michel autour de Haguenau et des Schmitt à Kuttolsheim (1710-1820) qui assument la formation de plusieurs générations de villageois. Au moins jusque dans les années 1760, les maîtres ruraux enseignent dans la langue populaire, à savoir l’allemand, la seule maîtrisée par leurs élèves, la langue française pouvant éventuellement être acquise, par la suite et pour une minorité d’entre eux, dans les collèges. Seules les places fortes, les villes de quelque importance et les zones de forte immigration picarde constituent des exceptions à la règle.

Si on a tant de mal à recruter des maîtres, c’est que ces derniers sont, dans l’ensemble, mal rétribués : à la fois en nature sur les fonds communaux (logement avec grange, étable ou écurie, prestations en grains ou en vin, droit à la glandée, jouissance d’un potager mis à leur disposition, bois de chauffage le plus souvent sous forme de fagots) et en espèces, à la fois à partir des contributions de l’ensemble des particuliers et de l’écolage exigé pour les enfants réellement scolarisés, parfois complété, il est vrai, par un cadeau aux grandes fêtes, sous la forme d’œufs, de fromage ou de jambons, témoignage évident de reconnaissance. S’y ajoute le salaire d’appoint de marguillier, tantôt perçu en argent (la Kompetenz que constitue le Kilbertgeld), tantôt en nature (Kilbertbrod, Kilbertgarten) ou encore sous la forme d’une part de dîme ou de casuel, par exemple à l’occasion d’un enterrement.

Peut-on évaluer le salaire du maître d’école composé de revenus aussi divers ? Apparemment, il ne suffit pas toujours à le faire vivre, lui et sa famille, et le conduit à assumer, en dehors des fonctions de marguillier à l’église, diverses occupations annexes qui sont autant de véritables métiers : cordonnier à Goxwiller en  1663, forgeron à Handschuheim en 1681, tisserand à Eschau en 1704, cabaretier à Andolsheim auquel le Conseil souverain demande en 1736 de « choisir entre le bouchon et l’école », tricoteur de chausses (Hosenstricker) à Jebsheim en 1772… Ce sont là des métiers gagne-pain qui, sans nécessiter un équipement coûteux ou encombrant, ne laissent cependant que peu de place à la fonction enseignante qui, elle, ne paie pas : en général moins de 150 livres par an, à une époque où le vacher et le porcher gagnent 150 à 200 livres et Monsieur le curé environ 400. Aussi le Conseil général du district d’Altkirch, dans ses vœux du mois de septembre 1795 estime-t-il à 400-500 livres le salaire minimum que devrait toucher le maître d’école à la campagne.

Misère feinte ou réelle ? Modeste aisance, « mittelmässig vermögend », nous dit-on à Andolsheim en 1758. Le caractère composite et aléatoire de la rétribution des maîtres d’école interdit à l’historien de trancher et la diversité des cas ne l’autorise pas à généraliser. On doit tenir compte néanmoins non seulement des avantages en nature dont il jouit et de son aptitude à cumuler diverses activités, mais également de l’exemption d’un certain nombre de charges dont il bénéficie (dispense de logement des troupes en temps de guerre, de la milice et de la corvée) ou de l’assiette fiscale incertaine dont il profite en raison de l’absence de biens fonds tenus en toute propriété et qui expliquent qu’il échappe aux critères habituels de la hiérarchie sociale. Pourtant, entretenue par la mentalité populaire, l’image catastrophiste du « armes Schulmeisterlein », pour reprendre le titre d’une chanson populaire difficile à dater, passe de génération en génération. Sans doute, faudrait-il interroger, au cas par cas, les inventaires après décès pour pouvoir replacer les maîtres d’école, pourtant bien intégrés dans la vie des communautés d’habitants de par leurs origines et leurs activités, dans la pyramide sociale et leur rendre un peu de la considération qui leur est refusée à partir de critères exclusivement économiques : on y découvrirait ce « petit rien », élément d’un confort tout relatif – des gants en cuir, une paire de lunettes, un manchon en fourrure, des mouchoirs, une salière en verre et… quelques livres –, susceptible de distinguer le maître de la société environnante. Peut-être a-t-on eu tendance à noircir le tableau à partir de cas particulièrement désespérés comme celui du maître d’école de Salmbach, entre 1724 et 1734, qui porte le nom symptomatique de Swartzbrod (ADBR G 2828/4), alors que son collègue de Cleebourg, prétend, en 1763 (ADBR E 5800) n’avoir rien à croquer ni à grignoter (« hat nichts zu beissen und zu nagen »). On comprend, dans ces conditions, que l’instauration d’une rémunération fixe et la fonctionnarisation des instituteurs, au lendemain de la Révolution, aient été les bienvenus.

Bibliographie

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(Liste non exhaustive en ce qui concerne les monographies locales, essentiellement dans Ann. Sundgau, Bull. SHASE et Bull. CGA).


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