Karcher, Karrer

De DHIALSACE
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Charretier, Roulier, Transporteur.

Au Moyen Âge

Les charretiers des villes médiévales, qui font souvent partie d’une corporation (Karcherzunft) ou d’une confrérie (Karcherbruderschaft), prennent en charge les transports de matériaux. Engagés par journées ou demi-journées et rémunérés (Karcherlohn) par les autorités municipales, devant lesquelles ils sont tenus de prêter serment, ils s’engagent à transporter du bois, des fagots ou des pierres par leurs propres moyens (« mit Pferden und Karchen ») au service de la communauté. À Strasbourg, les charretiers ou Karcher jouent un rôle particulièrement important pour le fonctionnement des chantiers des bâtiments et travaux publics, en particulier en ce qui concerne le transport de bois (sous l’autorité du Holtzherr), l’entretien et le pavage des rues (dirigés par l’Oestrichmeister), la propreté des voies et de l’enlèvement des ordures (sous la responsabilité du Horbmeister). Le règlement pour les Oestrichmeister (ou Estrichmeister de l’Estrichamt) et Horbmeister (Horbamt) du XVe siècle précise qu’il appartient au Horbmeister d’embaucher le nombre de journaliers (Knechte) et de charretiers (Karcher) nécessaires. Il veille à ce qu’ils respectent leurs horaires de travail et, s’ils ont fini, les confie aux chantiers de l’Oestrichmeister pour l’entretien des rues. Il communique au directeur des travaux, le Lonmeister, les registres de paie avec les durées effectuées pour le samedi. Les charrettes des Karcher, chargées de l’enlèvement des ordures, sont munies de clochettes pour avertir les habitants d’avoir à balayer et à mettre leurs ordures en tas : les Knechte enlèvent les ordures après les avoir chargées à la pelle sur les charrettes. Les Karcher doivent tout particulièrement veiller à la propreté des rues les samedis et veilles de jours fériés (Ordnung fur den Estrich und Horb-Lohnmeister, XVe siècle, Eheberg, p. 470 ; Horbmeistersordnung, p. 472). En 1640 encore, une ordonnance rappelle aux Karcher l’importance des tournées de leurs charrettes à sonnailles pour l’enlèvement des ordures, particulièrement les samedis (Ordnung des Horblohners 1640, Eheberg. p. 706). Les Karcher sont chargés du transport des provisions de bois et des fagots qui leur sont remis par les bûcherons (Ordnung des Holzknechts 1571, Eheberg, p. 572).

Sélestat impose un serment aux Karcher de la Ville : ils doivent jurer d’être disponibles avec leurs chevaux et charrettes, en particulier pour le directeur des travaux (Baumeister). Ils doivent exiger des rémunérations justes pour des durées de travail exactes. Ils ne doivent détourner ni bois, ni matériaux ni outils de la ville (Gény, Schlettstadter Stadtrechte, Karchereid, 1598, p. 788-789).

Bibliographie

DRW, Karcher.

BRUCKER (Johann Karl), Strassburger Zunft-und Polizeiordnungen des 14. und 15. Jahrhunderts, Strasbourg, 1889, p. 148.

EHEBERG (Karl-Theodor), Verfassung, Verwaltung und Wirtschaftsgeschichte Strassburgs bis 1681, Strasbourg, 1899, p. 470-472, 572 et 706.

GENY (Joseph), Schlettstadter Stadtrechte, Heidelberg 1902, t. I, p. 728, 788-789 et 1037.

PETRAZOLLER (François), L’urbanisme à Strasbourg, Strasbourg, 2002, p. 99-106.

François Igersheim

À l’époque moderne

Urbain à l’origine, le vocable change de sens à l’époque moderne. Dès lors qu’il s’applique à la campagne, ce mot désigne, aux XVIIe et XVIIIe siècles, de petits paysans à attelage unique (d’où les noms d’Einspänige ou d’Einspänler qu’on leur attribue parfois). Avant de se trouver transposé dans le domaine socio-économique, le terme revêt, dans son acception première, une signification fiscale : il désigne, en effet, ceux qui sont susceptibles d’effectuer la corvée au moyen d’une simple charrette à deux roues (Karch, Karich en dialecte) qui nécessite un attelage unique ou mixte, composé, en général, d’un ou de deux bœufs ou encore d’un cheval associé à un bœuf.

Sans tomber dans le piège d’une catégorisation sociale abusive, l’analyse des dénombrements ou des listes fiscales autorise une interprétation sociologique : on classe les Karcher dans une « classe moyenne » qui se situe entre celle des laboureurs (Bauer, Ackerleute, Fuhrleute) et celle des journaliers (brassiers ou Handfröhner). Ils partagent, en effet, avec ces derniers qui, disposant de leurs seuls bras, sont dépourvus de bêtes de trait au point de mettre à contribution l’unique vache ou un couple de vaches leur appartenant, le fait de tomber, le cas échéant, dans la dépendance des fournisseurs d’attelage, que sont souvent les laboureurs. À Fegersheim, en 1720 (ABR E 1360-1374), les 8% de paysans qui attellent un cheval unique pourraient bien être des Karcher, tandis que les 10% qui en entretiennent deux, et dont certains sont qualifiés de « pauvres laboureurs », se situent à la limite de la catégorie des Ackerleute.

Constituant apparemment des catégories cloisonnées et relativement étanches, les registres fiscaux trahissent néanmoins la diversité des situations. Sur la quarantaine de feux que compte le village d’Ostheim en 1694 (AHR 18 J 857), ceux des Karcher pourraient bien correspondre aux 7 « Mittelhöfe » (21%) qu’on distingue à la fois des « Bauernhöfe » (62%) et des « Taglöhnerhöfe » (17%). Dans les territoires relevant de la noblesse de Basse-Alsace, et plus spécialement dans la plaine d’Erstein, entre 1683 et 1784 (ABR E 1360-1384), les Karcher représentent, au contraire, entre les deux tiers et les trois quarts des chefs de ménage. En 1789, dans une vingtaine de villages du bailliage de Benfeld (ABR E 3656) et, sur 1 615 chefs de ménage, ils arrivent cependant loin derrière les journaliers (68,3%) et à égalité (15,3%) avec les laboureurs qualifiés à l’occasion de « gute Bauern » (16,4%). Leur exploitation, qui n’excède pas la superficie de quelques hectares, suffit à l’entretien de leur famille sans autoriser, en général, la commercialisation des produits. En effet, le caractère intensif de la culture en plaine d’Alsace rend compte d’un « seuil d’indépendance » relativement bas, autour d’un ou de deux hectares, en dessous duquel on serait obligé d’emprunter des bêtes de trait ou de labour.

Faut-il voir dans les Karcher d’anciens journaliers qui se sont élevés socialement ou des laboureurs qui auraient régressé ? En fait, les situations sont contrastées dans le temps et dans l’espace. Il n’en reste pas moins que leur fréquente augmentation à la veille de la Révolution, au même titre que celle des journaliers, reflète la surcharge démographique de la campagne alsacienne ainsi que la difficulté croissante à constituer des fermes suffisamment importantes pour être autonomes et enfin, l’émiettement en petites exploitations nécessitant, dans un système de dépendance accru, une aide en labour ou en traction de la part des laboureurs.

Bibliographie

JUILLARD (Etienne), La vie rurale dans la plaine de Basse-Alsace. Essai de géographie sociale, Paris, 1953, p. 89-90.

BOEHLER (Jean-Michel), Paysannerie, 1993, t. I, p. 950 ; t. II, p. 1029-1031 et 1099-1100.

Notices connexes

Brassiers

Fuhrleute

Karch

Laboureurs

Wagen

Jean-Michel Boehler