Feux de la Saint-Jean (et autres rites du 24 juin)

De DHIALSACE
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d’sègn Tchan, Johànnisfiir, Kànztifiir, lo fey, Singechtburg

La Saint-Jean se situe le 24 juin dans le calendrier liturgique, quelques jours après le solstice d’été [pas toujours le 21 juin]. Six mois plus tard, on fête le 24 décembre, le jour d’Adam et Eve, premier couple de l’humanité, selon le récit biblique de la création. Ce jour clôturait autrefois l’année (v. Calendrier). Le 24 décembre est la veille de Noël, où l’on célèbre la naissance du Christ. Saint Jean-Baptiste, le dernier prophète, est celui qui ouvre le chemin et annonce la venue du Messie. La Saint-Jean se caractérise par divers rites et coutumes, dont les plus connus et les plus spectaculaires sont les bûchers allumés la veille du 24 juin, ou à proximité de cette date. Deux versets bibliques sont en relation étroite avec ces rites : « Pour moi, je vous baptise avec de l’eau, mais vient le plus fort que moi, lui vous baptisera dans l’esprit saint et le feu » (Luc III, 6) et « Il faut qu’il croisse et que je diminue… » (Jean III, 30). Ces jours sont également fêtés par des rites liés à l’eau et d’autres liés aux plantes ; ils sont aujourd’hui tombés dans l’oubli.

Les bûchers

Les plus anciennes mentions remontent, dans l’état actuel de nos connaissances, au XVe siècle. En 1408, il en est question dans la chronique strasbourgeoise de Wencker : les bûchers, nommés Singiht ou Johansfeuer, sont interdits par les autorités. En 1418, on rencontre une autre mention sur leur interdiction, car l’on procédait à des crémations de bûchers à l’intérieur des villes. En 1437, une mention concerne Sélestat et, entre 1450 et 1526, il est question dans le Stadtbuch (statut) de Kaysersberg de « zwei Sungichtburgen ». Konrad von Dankrotzheim y fait allusion dans son Heilige Namenbuoch, qui date de 1435 : « uff Sant Johans den batisten das ist uff den Singehtag » (le jour de la saint Jean le Baptiste, c’est le jour du solstice, de la crémation).

Les noms alsaciens

Les dénominations anciennes du bûcher et de sa crémation sont intéressantes : Sungiht fiir, Sunngicht, Sungechtburg. Auguste Stoeber a formulé l’hypothèse que ces mots dérivent de « sunn », le soleil, et « gicht » (gehen), bouger, être en mouvement. Pourtant, le terme solstice signifie que le soleil s’immobilise.

Les appellations récentes des textes et documents du XIXe siècle sont bien connues et toujours usitées, à quelques exceptions près : s’Johànnisfiir,s’Kànztifiir (Kànzti est la contraction de Sankt Johannes). À Storckensohn, le nom donné au bûcher est Sànkt Johànn Fàckel. À Huttenheim, au XIXe siècle, le bûcher est dénommé Hagelfeuer, le feu qui protège de la grêle. En parler welche, c’est « lo fey d’sègn Tchan ». La crémation a donné, çà et là, naissance à des toponymes. Ainsi, le lieu où Albert Schweitzer aimait se ressourcer et méditer est le rocher du Kanzrain, au-dessus de Gunsbach (la côte du feu de la Saint-Jean).

Le nom alsacien du bûcher est « die Fàckel », la torche. L’ancien terme deSunngichtburg nous indique que ce bûcher était construit tel un château de rondins, de forme pyramidale, avec une bonne assise au sol, afin que le tout ne s’effondre pas au moindre coup de vent.

La construction de ces bûchers n’était pas (et n’est toujours pas) une mince affaire ; cela demande patience, ingéniosité et de nombreuses heures de travail. Tout commençait par une collecte de matériaux
combustibles qui permettait aux familles de se débarrasser des objets en bois ou en rotin encombrants ou fatigués. C’est une affaire qui concerne l’ensemble de la communauté villageoise.

Les jeunes gens d’âge militaire, les conscrits, ou Melissa (d’âge militaire, miliciens – incorporés dans les milices – v. Milice) passent de maison en maison avec un charriot sur lequel ils empilent les dons qui sont « obligatoires ». Pour rythmer la quête et inviter les habitants des maisons à donner, ils chantent une ritournelle ; en voici l’exemple collecté à Gunsbach (68) : « Rawalla arüss, Unglìck drüss, gan mr àui a Schittla fér’s Johànnisfiirla, Sànkt Johànn, sànkt Johànn, s’Fiirala brennt ìm Lànd » (Sortez les fagots de sarments, dehors le malheur ; donnez-moi aussi une bûchette pour le petit feu de la Saint-Jean, Saint-Jean, Saint-Jean ; le petit feu brûle dans le pays).

Chaque village avait sa propre ritournelle. Dans certains cas, elle était amplifiée par une menace on ne peut plus claire, comme à Valff (67) : « a Schittl arüss, oder s gìbt a Loch ìn s’Hüss » (Par ici la bûchette, sinon, c’est un trou dans la maison).

Don et contre-don constituent le fonctionnement de base de la société, et, si cet échange est interrompu par l’avarice ou le manque de générosité, cela va avoir des conséquences pour toute la communauté et tout d’abord pour celui qui est concerné.

Une fois le matériau collecté (bûches, paille, foin, sarments de vignes, vieilles corbeilles, autres objets en bois, journaux…), le moment est venu de l’érection du bûcher. De nos jours, les communes mettent à disposition d’une association ou de l’équipe des jeunes qui s’en chargent, un certain nombre d’arbres qui seront découpés en rondins. Dans les Hautes Vosges, il est de coutume de brûler les genévriers (Ràckholder) qui envahissent les pâturages.

Au milieu du bûcher se dresse un sapin dont le tronc est ébranché, avec quelques branches au sommet, c’est d’r Mäia, surmonté souvent d’un drapeau. Le bûcher peut aussi être exclusivement constitué de sarments de vignes, c’est le cas d’un des deux bûchers de Soutzbach-les-Bains, placé sous la responsabilité des jeunes filles, d’Melissamäidler (filles des conscrits). L’autre, nommé « Mäia », est constitué de rondins ; il est allumé par les Mäialäscher (ceux qui éteignent le mai !) : ce sont les garçons âgés de 17 ans. Dans la vallée de Saint-Amarin, les bûchers peuvent atteindre 12 à 14 mètres de haut.

Traditionnellement, deux bûchers étaient érigés : un grand et un plus petit, situé à quelques mètres du premier et nommé « Vorfiir » ou feu annexe. Ce dernier sera allumé en premier. À la nuit tombée, le moment est venu de la crémation. Autrefois, selon les documents, le petit bûcher était allumé avec l’étincelle provenant du choc de deux morceaux de silex. Quand le feu diminue d’intensité, la tradition voulait que les jeunes gens ainsi que les adultes sautent par-dessus les braises. Les couples le font également. À Soultzbach-les-Bains, ce sont les jeunes gens d’âge militaire qui sautent trois fois par-dessus le feu (d’Melissa), ceux de 17 ans deux fois (d’Mäialäscher) et ceux de 16 ans (d’Hìlfsmäialäscher) une seule fois. Les jeunes gens courent d’un bûcher à l’autre avec des torches dans la main (Soultzbach-les Bains).

Les documents font également mention de projection de disques enflammés (Zunrädle, Schiblé, Schiiweler) ; c’était le cas à Bernardswiller (près d’Obernai), Scharrachbergheim et, vers 1450, à Kaysersberg (v. Carnaval). Çà et là, on faisait aussi rouler une roue de chariot entourée de paille enflammée le long d’une pente ; cette roue était dénommée « Sunnigradt » (Kaysersberg, 1602-1604, Mothern). En 1650, Conrad Dannhauer, président du convent ecclésiastique de Strasbourg, vilipende du haut de la chaire de la cathédrale l’habitude païenne de fêter la Saint-Jean avec des feux, des torches et des roues enflammées.

Les rites liés à l’eau

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, on nettoyait les fontaines et la rosée du 24 juin, recueillie dans des linges étendus au point du jour, était considérée comme bénéfique pour le teint des jeunes filles. Mais il était
de coutume de se baigner le jour de la Saint-Jean à cause des vertus de purification et de guérison de l’eau qui coule ce jour-là dans les fontaines. De plus, elle est liée au baptême pratiqué par saint Jean. Le 15 juin 1584, le convent ecclésiastique de Strasbourg a demandé au Conseil de la Ville d’interdire cette coutume, considérée comme source d’immoralité et de débauche. Il n’y est pas donné suite. Melchior Sebiz, un médecin strasbourgeois, décrit en 1647 une scène à Soultz-les-Bains : « Par la plus grosse chaleur, les paysans sont assis dans l’eau, ils ont des têtes rouges comme des coqs et ils boivent un verre d’eau salée après l’autre. »

Les rites liés aux plantes

On jetait dans les flammes du bûcher les rameaux bénis de l’année précédente, ainsi que les couronnes végétales et autres objets provenant de la Fête-Dieu. Au XIXe siècle, on y jetait également des brins de pimprenelle, pimpinella saxifraga, qui était censée protéger des épidémies de choléra. À Strasbourg, au XVIe siècle, les femmes décoraient leurs cheveux avec du « Rittersporn » ou pied d’alouette, et entouraient leurs hanches avec l’armoise ; une fois la danse terminée, ces herbes étaient jetées dans les flammes. Autre tradition importante : le jour de la Saint-Jean, à midi pile, on cueille 7 ou 9 noix vertes qui sont ensuite mises à macérer dans du schnaps pour donner naissance au fameux Nùssawàsser ou Nùssawi.

Bibliographie

Enquêtes sur le terrain.

STOEBER (Auguste), « Volkstümliche Gebräuche und abergläubische Meinungen im Elsass », Alsatia, 1850, p. 148-154 ; 1852, p. 140-141.

STOEBER (Auguste), Allerlei Merkwürdiges über verschiedene Tage und Feste des Jahreskreises, 1876, Mulhouse, 1877.

VAN GENNEP (Arnold), Manuel du Folklore français contemporain, Paris, I-IV, 1949.

LEFFTZ (Joseph), Elsässische Dorfbilder, Woerth, 1960.

BLOCK (Christiane), « Les feux de la Saint-Jean en Alsace, résultats d’une enquête », Saisons d’Alsace, no 27, 1968, p. 373-390.

BARDOUT (Michèle), La paille et le feu, traditions vivantes d’Alsace, Paris, 1980.

BARDOUT (Michèle), article « Feux », Encyclopédie de l’Alsace, 5, 1983, p. 2986-2989.

DOERFLINGER (Marguerite), LESER (Gérard), À la quête de l’Alsace profonde, rites-traditions-contes et légendes, Ingersheim, 1986.

LESER (Gérard), « Souvenirs d’un habitant de Soultzbach-les-Bains, Charles Freymuth », Ann. SHVVM, 48, 1994, p. 151-166.

Notice connexe

Fêtes

Gérard Leser