Noblesse immédiate de Basse-Alsace
Freie und unmittelbare Reichsritterschaft des Unter-Elsass
La noblesse immédiate relève directement de l’Empereur à l’exclusion de tout autre seigneur, auquel cas elle est qualifiée de médiate. Elle tient ses fiefs de l’Empereur, figure sur la matricule de l’Empire, peut siéger individuellement ou collectivement à la Diète d’Empire en fonction de son rang et est redevable d’impôts d’Empire. De par son statut, elle est détentrice de la supériorité territoriale, redéfinie par les traités de Westphalie, et bénéficie à cet égard d’un certain prestige au sein des élites nobiliaires européennes.
Cette définition théorique occulte cependant des réalités beaucoup moins évidentes liées à la complexité d’une notion juridique mouvante et aux tensions qu’elle génère et qui nécessitent réaffirmations et justifications constantes du statut revendiqué. Les fiefs réputés immédiats que possèdent les élites nobiliaires installées en Alsace sont de différentes natures : principautés ou comtés immédiats pour la haute noblesse (Hanau-Lichtenberg, Salm, Deux-Ponts…) et les principautés ecclésiastiques (Strasbourg, Bâle, Spire) ou fiefs relevant de la chevalerie d’Empire du cercle de Souabe qui s’est fédérée, comme ses voisines du Rhin et de Franconie (J. Morsel) vers le XVe siècle, essentiellement ici au titre du district de l’Ortenau (rive droite du Rhin) et de la noblesse immédiate de Basse-Alsace.
La chevalerie de l’Ortenau se structure à partir de 1474, à la suite d’une alliance avec le margrave de Bade. Le district est rattaché au cercle du Rhin, puis de Souabe, dépendant à certaines périodes du canton de Neckar-Schwarzwald. La chancellerie est installée à Kehl, même s’il a été question de la transférer à Strasbourg. Plusieurs nobles alsaciens ont présidé son Directoire, à l’image du baron François Louis Waldner de Freundstein en 1780. Parmi les lignages alsaciens figurant sur la matricule de la chevalerie immédiate de l’Ortenau en 1771, citons les Berckheim, Berstett, Boecklin de Boecklinsau, Rathsamhausen, Schauenbourg, Waldner de Freundstein, Wurmser de Vendenheim ou Zorn de Bulach. .
Contrairement à la chevalerie de l’Ortenau, le statut de la noblesse de Basse-Alsace reste cependant longtemps discutable dans la mesure où l’immédiateté qu’elle revendique depuis le XVe siècle n’est attestée juridiquement qu’au traité de Westphalie, puis par une reconnaissance officielle par Ferdinand III en 1651, confirmée par Léopold Ier. En effet, les privilèges impériaux accordés à partir de 1422 à l’association de nobles de la Basse-Alsace ne mentionnaient pas explicitement l’octroi de l’immédiateté des fiefs détenus par ses membres. C’est, en 1547, par le biais de la question du paiement des impôts impériaux, que cette association devient un corps d’où émane, en 1606, le Directoire de la « franche et immédiate chevalerie impériale de la Basse-Alsace » (freie und unmittelbare Reichsritterschaft des Unter-Elsass) et un principe d’agrégation sanctionné par l’inscription sur la matricule, après probation de la noblesse du candidat. Dans les faits, le Directoire est essentiellement aux mains des familles de la vieille noblesse équestre.
De ce fait, tous les détenteurs de fiefs détenus directement de l’Empereur ne sont pas nécessairement agrégés au corps de la noblesse immédiate. Cet état de fait recouvre la diversité des investitures des fiefs : si, théoriquement, le noble réputé « immédiat » doit à la fois être en possession d’un fief immédiat et avoir été intégré par diplôme impérial dans la noblesse du Saint Empire, des situations intermédiaires coexistent : certains nobles peuvent se voir attribuer un titre impérial sans posséder de fief, l’inverse étant également possible ; certains fiefs peuvent être « personnalistes », à savoir que le fief comme l’individu qui le portent sont inscrits sur la matricule, quand d’autres sont « réalistes » car portés par un individu non agrégé au corps ; enfin le titre impérial octroyé par l’Empereur ne correspond pas forcément au statut du fief détenu, en particulier lors d’une élévation au titre de Freiherr ou de comte. D’autre part, un individu ou un lignage appartenant à la noblesse immédiate peut également être médiat au titre d’autres seigneuries. C’est en particulier le cas des familles de la noblesse de Haute-Alsace, médiates de la Maison d’Autriche puis des rois de France, qui entrent en possession de fiefs immédiats et sont agrégés au corps de la noblesse de Basse-Alsace aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Outre le prestige qu’elle confère, l’immédiateté procure également un certain nombre de privilèges, régulièrement confirmés par les diplômes impériaux, puis par les lettres patentes de 1680, confirmées en 1779. Cette situation inédite place la noblesse immédiate de Basse-Alsace sous protection du roi de France qui lui confirme pourtant une bonne partie de ses prérogatives, notamment les exemptions fiscales et la capacité à intégrer les chapitres allemands, tout en les limitant dans la pratique en favorisant la juridiction du Conseil souverain d’Alsace, en particulier en matière judiciaire.
Cette configuration d’entre-deux est confirmée jusqu’à la fin de l’Ancien Régime par les élévations nobiliaires octroyées tant par le roi de France que l’Empereur, par exemple Jean de Dietrich anobli par Louis XV en 1761 et élevé à la dignité de baron du Saint-Empire par François-Étienne l’année suivante.
Déjà écornées en 1787 par la tentative de réforme des municipalités menée par J. Necker qui mettait à mal l’autonomie des princes possessionnés, les prérogatives de la noblesse immédiate sont de facto supprimées par l’abolition des privilèges (nuit du 4 août 1789) et par la décision d’enlever aux princes étrangers leurs possessions en Alsace. Les familles qui possédaient des fiefs relevant du canton de l’Ortenau, et dans l’administration duquel elles étaient très actives, conservent donc l’immédiateté pour leurs fiefs de la rive droite du Rhin, jusqu’à la disparition de l’Empire, en 1806.
Bibliographie
Voir bibliographie des deux notices précédentes.
Noblesse_alsacienne_(Moyen_Âge_à_1648)
Noblesse alsacienne (1648 à 1789)
Notices connexes
Directoire (de la noblesse immédiate de Basse-Alsace)
Immédiateté (Herrenstand)
Éric Hassler