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Sommaire
L’essor de la dévotion de la Passion
À la fin du Moyen Âge, une forme particulière de piété connut un grand essor : il s’agit de la compassion envers le Christ souffrant. Cette dévotion ne naît pas à cette période, puisque sa présence est attestée dans les textes patristiques, mais elle connut un regain important sous l’impulsion des Cisterciens puis, et surtout, celle des Franciscains. Dès le XIIIe siècle, la dévotion pour la Passion est fermement implantée dans les esprits, et, à la fin du Moyen Âge, elle est mise au premier plan. Cela s’explique tout d’abord par les fléaux qui touchèrent l’Europe au XIVe siècle, et notamment les épidémies de peste noire, qui peuvent en partie expliquer l’angoisse des contemporains et leur volonté de se tourner vers la Passion du Christ, de diverses manières. On peut ici évoquer les femmes dévouant leur vie à la piété, méditant les souffrances endurées par le Christ, ou encore les hommes, nommés Viri Dei, qui cherchaient à revivre la Passion du Christ dans leur chair en s’astreignant à une vie vertueuse à l’image du Christ (imitatio Christi) par l’ascèse et la pauvreté. Cela peut aller encore plus loin puisque certains n’hésitaient pas à s’infliger des mortifications afin de revivre dans leur chair les souffrances endurées par le Christ. Cela s’exprima par l’essor du mouvement des pénitents, dont la forme la plus ostentatoire connue est celle des Flagellants. Parallèlement à cette angoisse, se développe l’idée que la Passion du Christ est la représentation la plus flagrante de l’amour du Christ pour les hommes, et son sacrifice devait les rendre conscients et reconnaissants envers Dieu, car il fut fait dans le but d’obtenir le salut des hommes. Ainsi, ressentir la douleur du Christ lors de sa Passion est la preuve que l’on appartient au christianisme. Pour illustrer cette idée, il était souvent fait appel aux propos de Bernard de Clairvaux qui disait qu’« un membre qui ne ressent aucune douleur quand le chef est atteint est un membre gangrené, [et donc] qu’un chrétien insensible au récit de la Passion n’est sauvé par aucune vertu ». La Passion marquait un temps fort dans le calendrier religieux et tous se sentaient impliqués, allant même jusqu’à refuser de dormir lors du moment de l’Agonie du Christ. La Passion représentait donc à la fois un exutoire à l’angoisse des fidèles sur la question de la mort mais également l’espoir du salut et le triomphe du Christ, que le symbole de la croix leur rappelait continuellement. Bien qu’ayant ses racines dans le Moyen Âge, la dévotion en lien avec la Passion se perpétua au fil des siècles suivants.
Les jeux de la Passion
Dans le cadre de l’expression de la dévotion envers la Passion, des mystères (pièces de théâtre dont le thème est religieux) et des jeux de la Passion furent organisés dès le Moyen Âge et perdurèrent durant les siècles suivants. De nos jours, en Alsace, à Masevaux plus précisément, des jeux de la Passion sont organisés chaque année depuis 80 ans. Dans certains cas, ce sont des confréries qui furent à l’origine de ces jeux de la Passion, s’érigeant alors en actrices culturelles et religieuses dans les villes. Les jeux de la Passion font partie de ces mystères et autres jeux liturgiques. Ils rencontrent au Moyen Âge un grand succès et ils mêlent à la fois des chants, des lectures et des décors. Nés en premier lieu dans les églises, la multiplication de ces jeux liturgiques en ville a conduit la représentation des Écritures à sortir de l’espace strict de l’église pour s’étendre dans l’espace urbain, des représentations ayant lieu sur certaines des grandes places urbaines, accueillant de nombreux spectateurs.
Les jeux de la Passion ne se limitaient pas forcément à la seule Passion du Christ. En effet, ils pouvaient débuter dès la chute d’Adam et Ève, au début de l’Ancien Testament, pour s’achever avec la résurrection du Christ.
Les confréries de la Passion
En lien avec le développement de la popularité de la Passion, des confréries placées sous ce vocable apparurent. Une confrérie est une association de prières et de secours mutuel qui décide de se placer sous la protection d’un ou de plusieurs saints. Il existait deux types de confrérie : les confréries de métier et les confréries de pure dévotion. Les confréries de pure dévotion pouvaient être fondées à l’initiative de clercs mais elles étaient souvent l’initiative de laïcs. Adhérer à une confrérie permettait d’établir un lien avec une communauté. Ce lien repose avant tout sur une fraternité spirituelle, en donnant accès à chaque membre aux bienfaits des prières du groupe et à la prise en charge des funérailles lors du décès, mais cela peut également avoir des effets physiques concrets, comme l’aide apportée par le prêt d’argent au confrère malade ou son placement dans un hôpital. La confrérie est une association à visée avant tout religieuse et l’étude des pratiques et des choix religieux pris par elle permet de comprendre la dévotion, telle qu’elle était vécue par les contemporains. Ainsi, le patronage que les confréries choisissaient dévoile les dévotions qui étaient au cœur des préoccupations des confrères et des évolutions des mentalités de la société chrétienne.
Les confréries de la Passion n’apparaissent qu’à partir du XVIe siècle en Alsace, la plus ancienne étant celle de Haguenau dont l’existence est antérieure à 1505. D’autres confréries, dont le vocable se réfère à des insignia particuliers de la Passion, comme la Sainte-Croix ou le Saint-Sépulcre, existèrent également. Dans cette optique, une confrérie de l’Agonie existait à Schnersheim à la fin du Moyen Âge (aucune date précise n’est connue pour cette confrérie) et à Sarre-Union, une confrérie portait également le vocable d’« Agonie » dans sa titulature.
Il est également fréquent, et cela se voit dans l’exemple alsacien, que la Passion du Christ soit associée à la douleur de sa mère, la Vierge Marie. En effet, dans de nombreux cas, la Passion du Christ est accompagnée de la Compassion de la Vierge. Cela va de pair avec le développement de l’image de la Pietà dolorosa, cette mère emplie de douleur face aux souffrances subies par son fils, qui gagne en popularité à la fin du Moyen Âge.
Parmi toutes les confréries qui ont pu exister en Alsace, seules quatre d’entre elles étaient placées sous le vocable de la Passion. Elles étaient implantées à Haguenau, Hombourg, Sarre-Union et à Strasbourg.
Haguenau
La confrérie de Haguenau a été fondée avant 1505, bien que cette date soit la première trace de son existence. Son siège se trouvait au sein de la chapelle de l’hôpital neuf de Saint-Martin, lui-même fondé en 1328 (v. Hôpitaux d’Alsace). Malheureusement, comme pour bon nombre de confréries, ses archives ont disparu, ce qui ne permet pas d’avoir davantage d’informations sur cette confrérie particulière.
Strasbourg
À Strasbourg, une confrérie de la Passion a été fondée vers 1517 sous l’intitulé allemand de « Bruderschaft der Strassburger Passionsspieler ». Elle implanta son siège dans le couvent des Dominicains et ses statuts furent approuvés par le pape dès 1517. Une copie de la bulle d’érection de 1517 est conservée aux archives départementales du Bas-Rhin (ABR G 1690/9).
La question du lien entre cette confrérie strasbourgeoise des Passionnistes et le théâtre par la représentation des Mystères de la Passion se pose. Il semblerait que la confrérie strasbourgeoise ait bel et bien organisé des jeux de la Passion entre 1512 et 1518 grâce au soutien de Sébastien Brant qui y prit une part active. Ce dernier rédigea lui-même une pièce de la Passion mais cette version ne nous est pas parvenue, même s’il est possible d’imaginer qu’elle ressemblait certainement aux autres pièces contemporaines portant sur le même sujet. Les archives de Strasbourg conservent des mandats de la main de Brant qui donnent à la confrérie des Passionnistes le droit de donner des représentations le jour de Pâques et durant les trois jours suivants sur la place du Marché aux Chevaux (alors appelée Rossmarkt et correspondant aujourd’hui à la place Broglie) en 1512 et en 1514 (Wilhelmi, p. 78-82). L’implication et les mesures prises par Brant pour aider à la production des jeux de la Passion strasbourgeois, dont la confrérie était l’instigatrice, et encadrer les représentations montrent l’importance que ces dernières ont pris dans la société. La confrérie a par ce biais réussi à jouer un rôle prépondérant dans la vie culturelle et dévotionnelle de la ville. De plus, la reconduction des jeux sur plusieurs années démontre leur popularité.
Sarre-Union
La confrérie implantée à Sarre-Union porte également sur la Passion du Christ et son Agonie. Elle fut fondée en 1680 et dans une bulle de 1729, la confrérie est présentée comme « Bruderschafft Unsers am H. Creutz sterbenden Heylands Jesu Christi und seiner schmerzhaften Mutter Maria ». Cette bulle permit à la confrérie d’acquérir une tombe pour les confrères décédés dans l’église des Jésuites (v. Jésuites) de Bockenheim (ville qui fusionnera en 1794 avec Neuf-Sarrewerden pour donner naissance à la ville de Sarre-Union). Ce désir de pouvoir faire enterrer ses membres au sein même de l’église ou du cimetière associé des établissements ecclésiastiques comme les couvents qui accueillent leur siège est assez caractéristique du comportement des confréries. La dénomination de la confrérie démontre l’importance accordée dans la religion chrétienne au récit de la Passion et à certains moments particuliers de celle-ci, dans le cas présent à l’Agonie du Christ.
Hombourg (Haut-Rhin)
À Hombourg, une confrérie de la Passion fut créée par le curé Joseph Witz dans son église en 1789. Le nom original de cette confrérie est la « Schmerzhafte Bruderschaft ». Les grandes lignes des statuts de cette confrérie nous sont parvenues (Stintzi, p. 130-131) et son fonctionnement est très semblable à celui de ses homologues médiévales : paiement d’un droit d’entrée dans la confrérie (d’une livre tournois), paiement d’une cotisation annuelle, dispositions pour accompagner le confrère lors de ses funérailles, organisation de la procession et des messes à faire célébrer par la confrérie pour le salut des âmes de ses membres, vivants ou défunts… L’organisation hiérarchique de la confrérie est également abordée. Les statuts précisent en effet qu’elle se doit d’être renouvelée tous les trois ans lors de l’élection des membres éminents de la confrérie qui se compose d’un préfet, d’une préfète et d’une secrétaire (« der Präfekt, die Präefektin und Sekretärin », Stintzi, p. 130). Cela ressemble fortement à l’élection du bureau qui a lieu dans les associations d’aujourd’hui. Bien que cette nouvelle confrérie s’inscrive dans un courant religieux comme l’étaient ses homologues médiévales, le vocabulaire employé est plus surprenant. En effet, la terminologie utilisée (préfet, préfète et secrétaire) semble correspondre davantage au vocabulaire administratif qu’à celui employé habituellement par les confréries. De plus, à l’inverse de ce que nous connaissons pour la plupart des confréries médiévales et modernes, des femmes sont élues à des postes hiérarchiques importants. Par ailleurs, en créant cette confrérie, le curé Witz chercha à séduire des gens d’importance puisqu’il met en avant la présence, parmi les membres, du baron d’Andlau et de son épouse. La recherche de protecteurs puissants, ou prestigieux, a eu cours tout au long de l’histoire des confréries médiévales et modernes puisque cela leur conférait une certaine protection.
Bibliographie
BARTH (Médard), « Die Bruderschaft der Strassburger Passionsspieler, ihre Bestätigung durch den Papst 1517 », AEKG, I, 1926, p. 401-402.
STINTZI (Paul), « Die Schmerzhafte Bruderschaft in Homburg », Annuaire de la Société d’histoire sundgovienne, 1963, p. 130-131.
BARTH (Médard), Handbuch der elsässischen Kirchen im Mittelalter, Bruxelles, 1980.
RAPP (Francis), L’Église et la vie religieuse en Occident à la fin du Moyen Âge, Paris, 1980.
VAUCHEZ (André), La Sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge, Paris, 1988.
VASSAS (Claudine), « Le Jeu de la Passion », L’Homme, t. 29, no 111-112, 1989, p. 131-160.
SCHLAEFLI (Louis), Les confréries religieuses en Alsace : sources et bibliographie, 2015.
WILHELMI (Thomas), « Sebastian Brant und die Straßburger Passionsspiele », RA, 141, 2015, p. 73-84.
SURGERS (Anne), « Les jeux liturgiques et dramatiques au Moyen Âge (IXe-XVIe siècles) », SURGERS (Anne), dir., Scénographies du théâtre occidental, 2017, p. 51-87.
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Cassandra Pereira