Maire

De DHIALSACE
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Meier, Meyer, Villicus.

Représentant du seigneur dans les communautés rurales et des communautés rurales auprès du seigneur.

Agent seigneurial dans les grands domaines (Moyen-Âge)

Au départ, dans la villa du haut Moyen Âge, le villicus est l’intendant du grand propriétaire foncier ; le nom meier (meyer, maiger, maire, etc.) est issu du latin major. Il conserve ces fonctions au sein du grand domaine connu sous le nom de cour (curtis, hof), qu’il s’agisse de terres exploitées en faire valoir direct (à l’instar du Biblenhof de l’Œuvre Notre-Dame) ou de l’institution seigneuriale appelée dinghof, constituée par un centre administratif autour duquel gravitent des tenures confiées à des tenanciers (huber). Il est – rarement – qualifié de hofmeier (à Buethwiller en 1420), jamais de dinghofmeier, un terme d’historien, mais il arrive qu’on distingue un obermeier et un unter/niedermeier (à Hengwiller, au XVe siècle). Cet agent seigneurial est logé sur place, au meierhof, et tenu d’en entretenir les bâtiments – maison, cave, grenier, étable, écurie, etc., en s’assurant de leur sécurité. Il exploite une des tenures et, en cas de défection d’un tenancier, doit le remplacer jusqu’à l’attribution de ses terres à un autre paysan. Il est nommé par le seigneur, choisi généralement sur place, au sein de la cour, mais, tout en étant révocable, peut transmettre son office à son fils.

Ses obligations sont codifiées dans les coutumiers mis par écrits à partir de la seconde moitié du XIIIe siècle. Il est à la fois le représentant du seigneur et celui des tenanciers et le garant du bon fonctionnement de la cour.

Parfois assisté d’un appariteur (büttel, bote) voire d’un cellérier (keller), il est chargé de convoquer l’assemblée générale (ding, plaid) aux dates prévues – entre une et trois fois par an –, de rassembler les redevances et de diriger les travaux collectifs (corvées, battage du grain, vendange). Il lui arrive de présider les séances au cours desquelles sont examinées les affaires communes, mutation et dévolution des tenures dont il donne l’investiture (satz), contentieux entre tenanciers, délits au sein du domaine. Il désigne les membres du dinghofgericht, perçoit les amendes infligées aux contrevenants et peut interjeter appel auprès d’une autre cour ou d’une autre juridiction. Il tient le registre (meierbuch) portant les noms des tenanciers et de leurs redevances. Il recueille le serment et proclame les droits de la cour, transmis par la mémoire ou consignés dans le weistum.

Du fait de sa charge, il bénéficie d’avantages en nature (quatre aunes de drap à Hengwiller, une pelisse en peau d’agneau destinée à sa femme à Sigolsheim, du bois de construction à Rittershofen) et en argent (une part des amendes et d’exemptions). À Soultzmatt, lors du banquet de la cour, le maire et sa femme ont des rations plus grandes que le contenu normal de leur assiette, à Saint-Hippolyte, le mari reçoit une peau de bélier destinée à faire des bottes.

La dimension symbolique des attributions du maire donne lieu à de nombreux développements dans les dinghofrödel (Coutume). Elle répercute des usages jugés archaïques et lui confère un incontestable prestige. Quand le seigneur ou son lieutenant, l’avoué pour les grands domaines de l’Église, paraît à la cour, il lui fournit un gîte confortable, à lui et sa suite (par exemple à Illfurth, en 1346, des draps blancs, un lit bien sec, des repas préparés par un cuisinier, la nourriture de sa monture, de ses chiens et de son épervier). Les coutumiers signalent de nombreux détails relatifs à ces prestations (vaisselle et éclairage à Neuwiller). Il fait préparer les repas qui émaillent les différentes sessions de la cour et en avance les fais, pris en charge par les tenanciers.

À Rosheim, le maire de Hohenbourg accompagne l’abbesse dans ses déplacements officiels à la cour du roi ou même à Rome. Cette relation privilégiée avec le seigneur donne lieu à des cadeaux de sa part : ainsi, le maire de Spechbach paye annuellement 2 sous au prévôt de Saint Morand pour des gants, tandis que les maires de Marmoutier lui offrent du vin et des victuailles à l’occasion de Noël. S’il peut arriver qu’un même village ait plusieurs cours, on désigne les différents maires en fonction du propriétaire (par exemple à Kogenheim en 1286, der abtissin meier, pour l’abbaye de Niedermunster). À Illfurth, en 1346, le maire de la cour domaniale a été supplanté par celui du seigneur du village, comte de Ferrette, puis duc d’Autriche : la curtis citée en 1271 est doublée d’un meiertum en 1278, ce qui s’applique à un village de plein exercice, et plus seulement à un domaine. Qualifié de Petrus dictus Meiger en 1323, le maire villageois s’appelle Peter Meyer vingt-trois ans plus tard, en adoptant définitivement un patronyme issu de sa fonction.

Représentant du seigneur dans la communauté villageoise

Le passage de la juridiction privée à l’exercice de l’autorité publique se traduit par la promotion du maire qui devient à la fois le chef de la communauté villageoise et un officier du seigneur du ban. Il peut alors se confondre avec le schultheiss à l’instar de ce qu’on observe à Eckbolsheim, dépendance de Saint-Thomas de Strasbourg.

Cette évolution aboutit à un brouillage institutionnel toujours plus sensible au cours de l’Ancien Régime qui tient aussi aux traductions opérées par les contemporains, si bien que les attributions de l’un et de l’autre peuvent se superposer, et que les termes schultheis, prévôt, meier, heimburge peuvent recouvrir les mêmes attributions, le dernier cité étant à l’origine, un agent plus spécialement chargé des poids et mesures et de la réglementation économique.

En règle générale, on emploie en Basse-Alsace, le mot de schultheiss (prévôt), et le terme de meyer en Haute-Alsace, ou maire dans les pays francophones. Il peut y avoir plusieurs prévôts, lorsque la communauté a plusieurs seigneurs, ou même un prévôt et un maire, mais ce dernier n’est que l’adjoint du prévôt (Hoffmann).

À l’échelle de la gemeinde (communauté rurale), le maire assure d’abord l’administration du quotidien : l’accueil des nouveaux habitants, la délimitation des parcelles, la distribution de bois d’œuvre ou de chauffage (à Hanofen et Bischwiller en 1458), la répartition du travail commun dans les différents secteurs du finage, les einungen, la fixation de la date des récoltes. En tant qu’agent seigneurial, il entretient le verrat, le taureau ou l’étalon (à Kiffis), met en place le banvin, lève la taille et les différentes redevances, amodie les droits d’usage, convoque les corvéables. C’est l’interlocuteur de l’autorité et le garant de la coutume.

Il dirige le village, préside son assemblée générale (annuelle ou bisannuelle, et désigne les membres du gericht (jurés ou geschworne, assesseurs, échevins, etc), qui se réunissent dans la Gemeindestub. De ce fait, il exerce un pouvoir de police et de justice et s’impose comme l’interlocuteur de l’autorité. Il reçoit une rétribution en nature (une terre liée à son office, du bois de chauffage, des volailles, etc.) ou en argent (part des amendes, casuel). Dans le comté de Ferrette, ses actes doivent être scellés par le schaffner : il n’a pas le droit d’avoir son propre sceau. Sa désignation ressortit à trois cas de figure : la cooptation par la communauté, la succession de proche en proche et la nomination par le seigneur. En  1789, les sujets du Comte-Ban contestent le fait que « les sieurs maires [ont] de tout temps la coutume de faire élire leurs amis (§ 20 des doléances de Dieffenbach au Val). Dans les terres de la maison d’Autriche, au début du XVIIe siècle, ils sont nommés par la Chambre d’Ensisheim, sur proposition du bailli qui les choisit parmi des candidats sachant lire et écrire, en excluant les bâtards et en donnant la préférence à des hommes d’expérience déjà membres du gericht.

Assisté de deux sergents (weibel), le maire de Hundsbach tient le wochengericht d’Altkirch en l’absence du schaffner et préside le maletfitzgericht du bailliage chargé de juger les affaires criminelles.

Notable parmi les notables coq de village, et figure de l’« aristocratie paysanne » (ce qui lui vaut le qualificatif de herrabür), le maire est l’incarnation du village. Il illustre l’évolution décrite par J.-M. Boehler sous la formule suivante : « Peu à peu, le gericht devient communal ; le tribunal de simple police se mue en conseil municipal : les officiers du seigneur, maître en titre, deviennent les officiers de la communauté, maîtresse de fait » (La Paysannerie…, p. 1286).

Premier officier municipal

Le terme maire est donc un terme très général employé par les historiens pour désigner Schultheiss ou Stabhalter, prévôt, meier, heimburge. C’est dans ce sens général qu’il est employé par les contemporains, par exemple dans le procès verbal des commissaires nommés par le Roi pour l’établissement du Conseil, contenant la prise de possession de la Province au nom de sa majesté (Ordonnances d’Alsace, p.  8 à 13) : Les « maires » figurent dans la procession des corps constitués réunis à la messe du Saint-Esprit du Conseil souverain dans l’église d’Ensisheim et l’édit qui s’en suit leur impose le serment de fidélité exigé de tous les prélats, gentilshommes, officiers et magistrats, maires et échevins, syndics, magistrats de villes et communautés, et autres sujets de Sa Majesté desdites Villes et Pays. La Monarchie a parfois nommé des « maires royaux », par exemple à Obernai. C’était un office vénal situé au dessus des « bourgmestres » que peut racheter la Ville, ce qu’elle fait. En 1730, à la tête de la ville, on trouve un prévôt (Gyss, Histoire d’Obernai, 1866, 284-287).

Mairie, meyerthum - une circonscription administrative

Mais après Hoffmann (Revue d’Alsace, 1899), ainsi que Reuss (L’Alsace au XVIIe siècle, 1898), dans le Sundgau (comté de Ferrette, bailliage d’Altkirch, de Thann, seigneurie de Delle, comté de Belfort, seigneurie de Rougemont, Masevaux, vallée de Saint-Amarin), la mairie, mayries, meyerthum, est une circonscription administrative, qui peut s’étendre à plusieurs bans en formant un échelon intermédiaire qui relaye l’autorité du seigneur. Il en est ainsi, dans le bailliage d’Altkirch où coexistent des entités unicellulaires, comme Illfurth, Ballersdorf et Hochstatt, et trois ensembles topographiques plus vastes, les mairies de Hunspach, Bettendorf et de la Largue, qui comprennent respectivement 14, 3 et 11 villages. La grande mairie de l’Assise, qui dépend du château de Belfort, se décompose elle-même entre la mairie de l’Assise sur l’eau, forte de 7 localités de la vallée de la Savoureuse et la mairie de Chèvremont, comptant trois villages. Le soubmaire de l’Assise « fait de la part de la seigneurie toutes défenses et ordonnances ».

Bibliographie

SCHMIDT (Charles), Les seigneurs, les paysans et la propriété rurale en Alsace au moyen âge, Nancy, 1897.

REUSS (Rodolphe), L’Alsace au XVIIe siècle, Paris, 1898.

HOFFMANN (Charles), « L’administration provinciale en Haute-Alsace », Revue d’Alsace 1899, n°113, p. 421-501.

DUBLED (Henri), « Administration et exploitation des terres de la seigneurie rurale en Alsace aux XIe et XIIe siècles », Vierteljahrschrift für Sozial- und Wirtschaftsgeschichte vol. 47, 1960, p. 433-473.

DUBLED (Henri), « La notion de ban en Alsace au Moyen Âge »,Revue historique de droit français et étranger, vol. 39, 1961, p. 30-75.

DUBLED (Henri), « La communauté de village en Alsace au XIIIe siècle », Revue d’histoire économique et sociale, vol. 41, 1963, p. 5-33.

DUBLED (Henri), « L’administration de la seigneurie rurale en Alsace du XIIIe au XVe siècle », Vierteljahrschrift für Sozial- und Wirtschaftsgeschichte, vol. 52, 1965, p. 433-484.

RAPP (Francis), « Du domaine à l’État. Les avatars de la seigneurie rurale », Histoire de l’Alsace rurale sous la dir. de J.-M. BOEHLER, D. LERCH et J. VOGT, Strasbourg, 1983, p. 83-100.

RAPP (Francis), « Une grande exploitation agricole à la fin du Moyen Age : le Biblenhof », Bulletin de la Société des Amis de la Cathédrale de Strasbourg, 1996, p. 73-84.

MOSER (Raymond), « Les droits d’usage forestier dans la Struth : le cas du Biblenhof et du Sulzbad à Soultz-les-Bains (1526-1864) », Annuaire de la société d’histoire et d’archéologie de Molsheim et environs, 2005, p. 51-62.

Notices connexes

Assise (Grande Mairie de l’)

Büttel

Communauté rurale, Coutume (coutume territoriale du bailliage de Ferrette),

Dinghof

Échevins-Schöffen

Ferrette (seigneurie de)

Gemeindestub, Gericht, Geschworene

Maire (droit français), Malefizgericht

Prévôt

Receveur

SchaffnerSchultheiss

Wochengericht

Georges Bischoff