Léproserie

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Malatzhus, gutleuthaus, feldhaus, siechenhaus, leprosorium, domus leprosorum.

Institution qui accueille des lépreux. En Alsace, 118 léproseries ont été repérées dans les sources de façon sûre. Elles se répartissent en deux classes : d’une part les léproseries institutionnelles (63), d’autre part celles dont le caractère institutionnel n’est pas prouvé (55). Une léproserie est considérée comme institutionnelle si elle dispose d’un élément au moins parmi les suivants : existence de pfleger (administrateurs), d’une chapelle, d’archives ou appartenance à une confrérie de léproseries. De même, si une léproserie a pratiqué le prêt d’argent ou si ses biens et revenus sont réunis à ceux d’un hôpital aux XVIIe-XVIIIe siècles, son caractère institutionnel ne fait pas de doute. Mais elles n’ont pas toutes existé en même temps – certaines apparaissent tardivement dans les sources. Par ailleurs, il arrive qu’une léproserie périclite à un moment donné et qu’elle soit à refondée plus tard.

En Alsace, aucune date de fondation de léproserie n’est connue. Les premières mentions de léproseries apparaissent de façon purement contigente dans les sources au XIIIsiècle : Strasbourg en 1234, Colmar en 1259. Puis, entre 1273 et 1298, sept nouvelles léproseries institutionnelles sont citées (Illkirch, Wissembourg, Haguenau, Sélestat, Soultz, Guebwiller, Molsheim), trois autres apparaissent dans les sources au XIIIe siècle sans date précise (Obernai, Rosheim, Eckbolsheim), de même que six léproseries dont le caractère institutionnel n’est pas prouvé (Blotzheim, Wolfisheim, Sundheim, Châtenois, Innenheim, Dorlisheim). Comparée au Royaume de France, où les léproseries apparaissent dès le XIIe siècle, l’Alsace présente un retard d’un siècle. Il semblerait que le décollage économique plus précoce dans bon nombre de régions françaises y crée les conditions favorables à la fondation d’hôpitaux et de léproseries dès le XIIe siècle, alors qu’en Alsace elles ne sont pas réunies avant le milieu du XIIIe siècle. On retrouve dans ce domaine le retard que l’on constate en Alsace, et dans tout l’Empire, en ce qui concerne l’apparition des châteaux-forts, des enceintes urbaines, des villes, des confréries, et dans bien d’autres domaines.

Lorsque ces léproseries institutionnelles apparaissent dans les sources, elles sont presque toujours sous administration communale. Le rôle du Magistrat des villes et des villages a certainement été déterminant dans la majorité des cas, mais l’initiative individuelle n’est pas à exclure entièrement. Par ailleurs, il n’est pas impossible non plus que des abbayes soient à l’origine de la création de certaines léproseries. Pour Munster, par exemple, il est frappant que la ville et l’abbaye semblent partager la direction extérieure de l’établissement au XVe siècle encore, tout comme celle de l’hôpital. Des pfleger ne semblent pas attestés pour l’institution, ce qui est un élément en faveur d’une fondation par l’abbaye. Le doute est également permis pour la léproserie de Folgensbourg, qui semble identique à celle de Sant Apollinaris, citée au XVIe siècle. Or Saint-Apollinaire est un prieuré bénédictin, qui est rattaché à l’abbaye cistercienne de Lucelle depuis 1253. Dans ce cas aussi, un rôle éventuel des moines n’est pas à exclure. Ce rôle a peut-être existé dans d’autres villes abbatiales d’Alsace (Marmoutier, Altkirch, Wissembourg, Guebwiller, etc.), mais l’état de la documentation ne permet pas de se prononcer à ce sujet. Il existe également des léproseries créées au niveau d’une seigneurie : par exemple, celle d’Ayerbach pour la seigneurie de Ferrette ou encore celle de Beblenheim pour la seigneurie de Horbourg. Pour finir, les léproseries d’Ernolsheim et d’Odratzheim sont intercommunales et même interterritoriales. La première regroupe quatre communes, la seconde au XVIe siècle 23, qui relèvent de neuf seigneurs différents.

Répartition des léproseries

L’observation de la carte de synthèse répertoriant toutes les léproseries, institutionnelles ou non, fait clairement ressortir les éléments suivants :

  1. La Hardt, le Ried, le Kochersberg, le pays de Hanau, l’Outre-Forêt sont des régions pratiquement dépourvues de léproseries. Il y en a peu dans le Sundgau.
  2. Strasbourg et Saverne sont les deux seules villes d’Alsace à posséder deux léproseries.
  3. La densité de léproseries est très forte autour de Saverne et le long des routes, et en particulier le long de la Bergstrasse, qui longe le piémont vosgien de Cernay à Molsheim. Cette concentration est également liée à la richesse de cette région viticole, d’où découlent la densité de sa population et son organisation en communautés plus puissantes qu’ailleurs.

Situation des léproseries

Les léproseries alsaciennes sont toujours situées à l’extérieur des villes, à une distance variant de quelques centaines de mètres (Mulhouse) à 2 km (Haguenau). Cette proximité relative s’explique en partie par le fait qu’en Alsace l’habitat est dense, et les villes et les villages proches les uns des autres. Si la position extra muros des léproseries est indéniable, certaines d’entre elles ne sont pas établies dans un désert pour autant. La léproserie de Rotenkirche de Strasbourg se trouve à proximité de l’église paroissiale Sainte-Hélène de Schiltigheim, d’un habitat qui s’est formé autour, et d’une tour fortifiée servant de poste de guet. À Altkirch, le prieuré clunisien de Saint-Morand et son célèbre pèlerinage étaient proches de la léproserie. Ces institutions s’établissent près d’un cours d’eau et non loin d’une grand’route. Cette dernière est indispensable à la survie de la communauté. En effet, pour subvenir à leurs besoins, les lépreux sollicitent l’aumône de ceux qui passent. On constate également qu’un certain nombre de léproseries sont situées à la limite du ban. C’est le cas de la léproserie de Guebwiller, qui se trouve à deux kilomètres de la porte basse de la ville, mais à la limite du finage d’Issenheim et à 100 mètres de celui de Bergholtz. Autre spécificité qui mérite d’être relevée : dans plusieurs cas, la léproserie se trouve à l’emplacement d’un habitat disparu. À Habsheim, par exemple, elle est située sur le site de Ratzheim alias Rolisheim, habitat disparu au XVe siècle, près de l’actuelle gare de Habsheim. À Bouxwiller, la léproserie était au nord-est de la ville, à la limite du ban d’Obermodern, sur le site de Feckelnheim, village disparu.

Organisation spatiale des léproseries

Les léproseries se situent toujours dans un espace bien délimité et soigneusement clos, conformément aux prescriptions du 3e concile de Latran de 1179, qui autorise l’érection d’une chapelle et la mise à disposition d’un espace pour servir de cimetière. Tout comme les maisons religieuses, une léproserie institutionnelle d’une certaine importance se caractérise donc par l’existence d’une église, d’un cimetière et d’une clôture. Pour l’hébergement des lépreux, un bâtiment unique semble avoir été la règle pour les petites léproseries et celles de taille moyenne. Pour les plus grandes léproseries, par contre, des maisons individuelles sont attestées (AMS V 116f f°50r et 58v), en plus du ou des bâtiments d’hébergement collectif. C’est le cas à Strasbourg, où il y avait trois maisons en 1468, l’une, appelée le Schnelling, pour les pauvres, une autre pour les femmes ayant acheté une prébende et une troisième pour les hommes ayant fait de même. L’hébergement en maison particulière se monnayait. Comme les couvents, les léproseries possédaient un local à part pour recevoir leurs hôtes, à savoir les lépreux étrangers de passage. Très fréquemment, ce local se trouvait à l’étage de la léproserie. Les léproseries, à l’image des établissements religieux, disposaient également d’une exploitation agricole. Ainsi à Haguenau à la fin du Moyen Âge, l’écurie, la grange, la porcherie, le pressoir et le colombier sont situés dans l’enclos de la léproserie.

Le personnel

Les sources livrent également des renseignements sur le personnel de ces institutions. La fonction d’administrateur (pfleger) apparaît au XIVe siècle, mais jusqu’au début du XVe siècle, les termes utilisés pour les désigner (pfleger, schaffner, meister) ne suffisent pas toujours à les distinguer des économes (schaffner) ou des maîtres (meister). Les administrateurs disposent d’un pouvoir disciplinaire sur l’ensemble du personnel et des habitants de la léproserie et sont responsables, avec l’économe, des archives et du patrimoine de la maison, et de la bonne gestion de cette dernière. Ils jouent aussi un rôle dans la détection de la maladie, car ils sont tenus de dénoncer aux inspecteurs les suspects de lèpre. L’apparition d’un ou de plusieurs administrateurs prouve que le processus de mise sous tutelle de l’institution, appelé parfois « communalisation », est achevé. L’administrateur est le lien indispensable entre la léproserie et le Magistrat de la ville, à qui il prête serment. Il est généralement membre du Conseil. Dans les villes d’une certaine importance, leur nombre augmente au fil du temps, passant à Strasbourg de un au XIVe siècle à trois au XVe siècle. À partir de 1446, un pfleger de Rotenkirche est issu du patriciat et deux des corporations. La fonction d’administrateur est sans conteste une fonction prestigieuse, souvent exercée par les familles les plus en vue des villes alsaciennes. L’économe, lui, est avant tout responsable des finances de la maison. Il lui incombe de collecter les cens, rentes et revenus divers de la léproserie. Chaque année, il doit rendre compte de sa gestion aux administrateurs, en produisant deux livrets de comptes, l’un pour la ville et l’autre pour la léproserie.

L’office de maître représente des réalités bien différentes selon les lieux et les époques. À Strasbourg, ce sont des lépreux élus par leurs pairs qui exercent cette fonction. Seules les léproseries des quatre plus grandes villes d’Alsace – Sélestat, Colmar, Haguenau et Strasbourg – et celle d’Obernai, ont un meister ou/et une meisterin parmi leur personnel. En effet, plus une léproserie est importante, plus les fonctions sont diversifiées et plus le personnel est nombreux. C’est également vrai en ce qui concerne les domestiques. Les léproseries les plus importantes de Basse-Alsace étaient dotées d’un klingler (de klingeln = sonner). C’est lui qui quête argent et nourriture pour les lépreux et qui attire l’attention des passants en actionnant une clochette, d’où son nom. Il est aussi chargé de menus travaux d’entretien à la léproserie. La domesticité féminine joue également un rôle de premier plan dans la vie quotidienne de ces institutions. Les servantes sont chargées de différents travaux. À Haguenau, elles étaient trois : l’une s’occupait du bétail, la seconde de la cuisine et la dernière est à la disposition des malades. Il s’agit là d’une spécificité haguenovienne, que l’on ne rencontre dans aucune autre léproserie alsacienne. L’existence d’une servante mise à la disposition des malades suggère que la léproserie de Haguenau était une institution « de luxe ». Ailleurs, la servante ne prenait soin des lépreux que lorsque ces derniers étaient malades. À Strasbourg, ces femmes ont aussi un rôle disciplinaire, car le règlement leur demande de dénoncer ceux qui profèrent des jurons, s’adonnent au jeu ou ont eu des relations sexuelles. De même pour le chapelain. À Strasbourg, il fait partie du personnel encadrant la communauté des lépreux. Son rôle n’est pas seulement spirituel, il intervient dans la gestion des cens et des rentes et dispose aussi d’un pouvoir disciplinaire et d’arbitrage. Par contre, il n’y a aucun médecin rattaché à une léproserie en Alsace. Cela n’a rien de surprenant, si l’on songe qu’il faut attendre 1515 pour qu’un médecin soit rattaché au Grand Hôpital de Strasbourg. Il faut également remarquer que toutes les personnes engagées prêtent serment de servir au mieux les intérêts de la léproserie et de dénoncer tous ceux qui contreviendraient au règlement. Il s’en dégage l’image d’un monde très contrôlé, où chacun surveille l’autre et rapporte tout manquement à l’administrateur ou à l’économe. En déduire pour autant que la léproserie médiévale a été le prototype de l’enfermement qui sera en vigueur au XVIIe siècle serait faire preuve d’un manque d’objectivité, car les hôpitaux au Moyen Âge fonctionnent de façon similaire. Par ailleurs, le cas de l’Alsace montre que ces malades n’ont été ni enfermés ni séquestrés dans ces institutions. Ils sont régulièrement en ville pour effectuer leur tournée de quête. Ils fréquentent également les bains dans des villes d’eaux ou les lieux de pèlerinage.

Bibliographie

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CLEMENTZ (Élisabeth), Les lépreux en Alsace : marginaux, exclus, intercesseurs ? (à paraître).

Élisabeth Clementz