Intendance, intendant

De DHIALSACE
(Redirigé depuis Intendance)
Aller à : navigation, rechercher

Cette institution française, création de la monarchie absolue, remonte au plus tard au XVe siècle et a été implantée en Alsace dès lors que la province s’est trouvée progressivement rattachée au royaume de France entre 1639 et 1714. Au prix d’une forte personnalisation, elle est aux mains, jusqu’à la Révolution, d’administrateurs de valeur, jeunes – pour la plupart entre 30 et 40 ans – qui sont autant d’agents de l’absolutisme centralisateur. Elle obéit néanmoins à une évolution significative.

De l’intendant d’armée à l’intendant de province

En principe, c’est jusqu’en 1637 qu’opèrent les intendants d’armée. Mais, lors de l’intendance des frères Mangot (1637-1639), l’Alsace, province-frontière canalisant les armées dans une guerre européenne, se trouvait jointe à la Lorraine et leurs successeurs (Bélesbat, Oysonville, Baussan), du fait de la conjoncture de guerre du XVIIe siècle, portaient encore, entre 1639 et 1655, le titre d’« intendants d’armée et directeurs des vivres ». Comme les maîtres de requêtes auprès du Conseil d’État, dont ils étaient les héritiers, ce sont des inspecteurs envoyés ponctuellement en mission selon le principe des chevauchées. Leur statut était celui de commissaires (« départis dans les provinces »), mis en place par Henri II, nommés à titre temporaire et révocables à tout moment par le roi dont la préoccupation essentielle était, sous couvert de la sécurité, la « protection » de l’Alsace face au danger habsbourgeois. Puis, de façon fort révélatrice, l’installation des intendants ira de pair avec les conquêtes territoriales du roi et sa politique des « réunions » entre 1673 et 1698, à une époque où la fonction d’intendant d’Alsace est occupée par Jacques de La Grange, un ancien commissaire aux guerres.

Claude de La Fond (1698-1699) portera encore le titre d’« intendant de l’armée d’Allemagne ». Mais cette conception toute militaire de la charge cède précocement la place à l’affirmation d’un pouvoir civil reposant sur l’extension des compétences, la pérennité et la sédentarisation de la fonction : avec l’intendant « de police, justice et de finances », parfois appelé « surintendant » ou « superintendant » et qui s’installe en 1682 à Strasbourg – résidence unique, fixe et hautement symbolique –, naît une entité à part entière avec une véritable administration qui, embryonnaire en 1648, dispose à présent de ses propres services (présence de bureaux centralisés qui ne cessent de s’étoffer et assistance de subdélégués subordonnés à l’intendant). Ainsi, de l’intervention occasionnelle on aura passé à l’action permanente, du provisoire au durable et de la protection des frontières à la souveraineté politique qui appelle l’obéissance et s’exerce dans tous les domaines, ce que traduit le trinôme justice, police et finances, en vertu du principe selon lequel tout pouvoir émane du roi. Les mots revêtent en effet un sens moins restrictif que de nos jours. Justice : l’intendant a un droit de regard sur les juridictions existantes et peut statuer au contentieux par voie de règlements, en particulier en matière d’impositions (subvention, capitation, vingtièmes). Aux tribunaux ordinaires qui exercent la justice « déléguée » par le souverain, il peut substituer la justice « retenue » : entre autres, pour les affaires militaires et celles concernant la maréchaussée, les litiges administratifs et les questions religieuses ; une procédure rapide et efficace remplacera ainsi une juridiction administrative jugée lente, inopérante et arbitraire. En 1787, la Commission intermédiaire ne manquera pas de reprocher à l’intendant, outre ses appointements, gratifications et vacations, sa constante immixtion dans l’administration de la justice ordinaire rendue par le Conseil souverain et les juridictions inférieures, en particulier en ce qui concerne les délits forestiers qui sont censés relever des justices seigneuriales. Police : il organise, coordonne et contrôle l’administration au nom du roi, qui se veut source unique de toute législation ; de ce fait, il est amené à arbitrer les pouvoirs locaux (villes, évêque, directoire de la Noblesse) ; enfin il fait enregistrer les textes royaux et, sur des points précis, édite ses propres ordonnances. Finances enfin : en tant que tuteur des communautés, il exerce sur elles une mainmise financière et se préoccupe de la liquidation de leurs dettes. Au total, ces attributions sont suffisamment vastes pour autoriser l’ingérence de l’intendant dans tous les domaines.

L’implantation dans la province ne s’est pas faite sans difficultés, car, face à cette « charrue mal attelée » (Condé), l’intendant se heurtait à une double résistance : celle de l’institution rivale que constituaient, au risque d’une dualité administrative, le « gouvernement » ou « régence » de Brisach et sa clientèle « weimarienne » dans l’entourage de Bernard de Saxe-Weimar (mort en 1639), la préfecture de Haguenau et les dix villes de la Décapole contestant les mesures prises par Poncet de La Rivière : des institutions impériales qu’on prétendait pénétrées de « l’esprit républicain » médiéval et qui sont progressivement absorbées ; celle des « officiers » en place (dont le plus important était le duc Mazarin, gouverneur d’Alsace) qui, contrairement aux « commissaires », étaient propriétaires de leur charge, pouvaient la transmettre à leurs héritiers et, jaloux de leurs prérogatives, afficher une certaine indépendance vis-à-vis des agents du roi nouvellement nommés. Il a fallu toute la détermination et l’habileté de La Grange, l’homme de Louvois, pour effectuer, en 1681, le rattachement de Strasbourg et accepter la présence d’un préteur royal qui échappera théoriquement à l’autorité de l’intendant alors que la Ville relèvera non de l’intendant lui-même, mais du secrétariat d’État à la Guerre. Or, si le Magistrat conserve les pouvoirs de police relevant de la vie quotidienne (par exemple, pour l’hébergement des étrangers, la réglementation des cabarets et des jeux), l’intendant, au nom de l’intérêt général, multiplie les empiètements sur le commerce, les transports et la navigation sur le Rhin, l’intervention royale se justifiant par des raisons d’intérêt économique et financier. Quant au Conseil souverain, en cherchant à étendre son autorité, il ne manquera pas de se heurter à l’Intendance qui, avec ses réseaux, donne l’impression de vouloir s’infiltrer dans tous les domaines de l’administration provinciale.

S’y ajoute, au départ, la méconnaissance d’une province qui avait ses spécificités (de coutumes, de langue, de religion) mais qui, privée d’états, d’élection, de généralité, de parlement et de baillis royaux, offrait à la nouvelle administration un irremplaçable banc d’essai propice aux expériences et pouvait servir de modèle à l’Europe absolutiste. L’Intendance d’Alsace était en effet une charge fort recherchée qui précédait parfois, dans une carrière, celle de ministre ou de secrétaire d’État (La Houssaye, garde des Sceaux, puis surintendant et contrôleur général des Finances ; d’Angervilliers, secrétaire d’État à la Guerre ; de Brou, garde des Sceaux). Sans pour autant, faire figure de tremplin, Strasbourg était considérée comme une étape importante dans une carrière politique, sorte de « noviciat administratif et diplomatique » selon Colbert, qui servait les ambitions de la haute bourgeoisie ou de la noblesse de robe, presque exclusivement recrutée parmi l’aristocratie de vieille France. L’urbanité des salons de l’Intendance a en tout cas contribué à la pénétration de l’esprit français en Alsace et à la fusion des élites françaises et germaniques.

L’intendant, homme du roi dans la province ou défenseur de la province au service du roi ?

L’intendant est avant tout l’agent de la centralisation monarchique garantissant le passage de centres de décision multiples (Brisach et Ensisheim ; mais également Spire et Rottweil) et d’une mosaïque seigneuriale constituée au Moyen Âge à l’émergence d’un État moderne : il a une grande responsabilité dans la territorialisation de l’Alsace, la formation même et la cohésion de la province (politique des « réunions ») comme dans l’intégration de cette dernière au sein de l’espace français en vertu d’une certaine conception de l’unité nationale qui n’est pas forcément synonyme d’uniformité. Cette affirmation des droits du souverain sous-tend certes l’attitude d’autorité et de combat qui est la sienne, mais nombre de conflits de juridiction seront tranchés au cas par cas.

En effet l’ambiguïté du traité de Münster, qui jouera sur les mots – supériorité territoriale des princes et souveraineté royale – est précédée par les subtilités du jeu des pouvoirs, anciens et nouveaux, comme s’il s’agissait d’adapter les institutions des archiducs aux exigences de la monarchie française : avant que la bureaucratie s’imposât, l’usage avait consacré la règle et l’habitude avait créé la pratique. Lorsqu’il s’installe à Colmar en 1658, après avoir siégé à Ensisheim et à Brisach, le Conseil souverain, dont le rôle dans la diffusion de la législation française est incontestable, est mis sous tutelle par l’intendant qui, à l’origine, en est le premier président, avant d’acquérir, en 1698, une certaine indépendance. Dans le respect des droits acquis et du statu quo administratif, des franchises et des « libertés », une telle politique, œuvre de longue haleine, nécessitait à la fois de la prudence, de l’habileté et une part de fermeté, dénuée de brutalité. On y ajoutera la reconversion de certains baillis seigneuriaux en fonctionnaires royaux, les liens personnels qui se nouent entre le roi et les seigneurs de part et d’autre du Rhin ou encore le prince-évêque de Strasbourg, personnage-clé de l’échiquier politique tant que les Furstenberg et les Rohan défendent les intérêts du roi : il se trouve que les visites de l’intendant à Saverne sont aussi fréquentes que celles du prince-évêque à Versailles et à Paris. En effet, il importait d’assurer le ralliement des pouvoirs locaux en place, baillis et prévôts, et de satisfaire « l’esprit public » exprimé par les notables, aristocratie et bourgeoisie, comme par les Magistrats des villes. N’échappent pas à cette logique les relations avec les luthériens, la politique de combat de la monarchie se trouvant, passées les premières vexations, progressivement assouplie au nom du réalisme politique (politique de reconstruction religieuse de Colbert de Croissy). Si la priorité consistait, selon l’injonction de Colbert, à « suivre, autant qu’il se pourra, l’exemple des archiducs » – un bel hommage à ceux qui avaient initié la politique de centralisation –, le système politique et social traditionnel était ainsi récupéré et orienté dans le sens souhaité.

Dans cette politique, l’intendant joue donc un triple rôle : celui d’informateur, comme le prouvent les nombreux mémoires destinés à l’administration centrale ; celui d’inspirateur, rôle que lui confère progressivement la connaissance du milieu ; enfin celui, unique, d’intermédiaire entre le royaume et l’Empire dans une province « à l’instar de l’étranger effectif » qui fait partie de réseaux économiques et culturels différents de ceux de la France : la frontière finit par ne plus être une barrière face à l’ennemi pour devenir une zone de contact générant des échanges. D’abord sentinelles sur le Rhin au service du roi, l’intendant et l’évêque ont un objectif commun : s’ouvrir sur l’Allemagne, mais pas à n’importe quel prix : c’est par exclusion d’un Habsbourg que le siège épiscopal de Strasbourg échut à un Furstenberg et c’est l’interprétation française du traité de Münster qui a fini par l’emporter.

L’œuvre de l’Intendance, création permanente et évolutive

Unité d’impulsion, continuité et universalité de l’action caractérisent l’œuvre des intendants successifs dont Georges Livet aura relevé les facteurs constitutifs. C’est la conjoncture qui dicte l’orientation politique. Avec les deux Colbert et La Grange, la priorité résidait, en période de guerre, d’après-guerre et de crise, dans la reconstruction de la province (inventaire des biens et dénombrement des hommes, édits de défrichement et politique de repeuplement par immigration, gestion des crises frumentaires et, plus largement, du problème des subsistances) en harmonie avec les théories mercantilistes qui exigeaient que l’on créât ou développât des richesses et en relais de l’approvisionnement des armées. Elle allait de pair avec la reconstruction administrative, judiciaire et religieuse. Dès lors que la province était solidement tenue par l’administration royale, efficacement fortifiée par Vauban, et que les crises de subsistance s’atténuaient, pouvaient se substituer aux intendants « de combat » les intendants « des lumières ».

Compte tenu de la conjoncture, plus favorable, du XVIIIe siècle, des bienfaits de la « paix française » et du rayonnement de la civilisation française, il importait, au nom du libéralisme économique, d’entreprendre des réformes de structure (amélioration de l’agriculture, implantation de manufactures, construction des belles routes françaises qui feront l’admiration d’Arthur Young et serviront de modèle au margrave de Bade, développement du commerce), sans que, sur le plan démographique et dans le domaine économique, les forts taux de croissance ne fondent une quelconque supériorité que ce soit par rapport à d’autres provinces françaises, tant le retard à combler était important : les intendants ont dû procéder au relèvement de l’Alsace avant d’avoir pu songer à son développement. Création de la monarchie absolue, l’Intendance ne pouvait pas survivre à l’avènement de la monarchie constitutionnelle, entre 1789 et 1792 ; il faudra attendre les préfets napoléoniens pour voir réapparaître, en province, les agents du pouvoir central de cette importance et l’hôtel de l’intendant deviendra l’hôtel de la préfecture.

Les intendants d’Alsace et leur activité

Toute l’œuvre de la monarchie française, aux XVIIe et XVIIIe siècles, se reflète dans l’activité des intendants successifs.

Henri Hurault de Bélesbat (1639-1641)

Est le premier à porter le titre d’« intendant de justice, police et finances » après avoir été intendant d’armée.

Paul, baron d’Oysonville (1641-1644)

A fait une carrière militaire avant de se consacrer à la sécurité de la province (armée, finances, contributions, ravitaillement).

Philibert de Baussan (1645-1655)

Gère le délicat passage de l’état de guerre à l’état de paix (organisation de l’armée, défense du droit, allègement des impôts).

Charles Colbert de Croissy (1655-1663)

Tire en partie son autorité du fait qu’il est le frère cadet de Jean-Baptiste Colbert, secrétaire du cardinal de Mazarin. Obtient le comté de Ferrette, les seigneuries d’Issenheim, d’Altkirch, de Thann, de Delle et de Belfort (possessions données par le roi au cardinal Mazarin), ce qui assure son implantation en Alsace qui fait l’objet d’un mémoire détaillé en 1663. Crée en 1657, une cour souveraine est installée à Ensisheim. Se consacre à la reconstruction de la province. Dans l’affirmation des droits que le roi tient de la Maison d’Autriche, en vertu des traités de Westphalie, la « question des dix villes » tient une place aussi importante que la mainmise sur la noblesse et l’affirmation du catholicisme. Fait élire un Furstenberg comme évêque à Strasbourg, ce qui met fin à la prédominance diplomatique des Habsbourg. Ses nombreuses missions en Europe nécessitent fréquemment son remplacement par son Cousin Charles Colbert qui devait lui succéder.

Charles Colbert de Saint Mars (1663-1671)

Son ambitieux programme au service du roi se trouve en partie contrarié par les rapports conflictuels entretenus avec le duc Mazarin, gouverneur d’Alsace, la province apparaissant de ce fait, aux yeux de Condé, comme « une charrue fort mal attelée ».

Poncet de la Rivière (1671-1673)

Fait partie de la clientèle de Louvois et participe à la mise en défense des places fortes. Est le dernier intendant à présider le Conseil souverain d’Alsace qui acquiert peu à peu une relative indépendance.

Jacques de La Grange (1673-1698)

Il apparaît comme l’homme de Louvois. Ancien commissaire des guerres, esprit pratique tourné vers les réalisations matérielles, il est chargé des places fortes et de leur approvisionnement entre la guerre de Hollande et celle de la Ligue d’Augsbourg. Son mémoire de 1697, réponse au questionnaire que le duc de Beauvilliers avait envoyé aux intendants pour servir à l’instruction du duc de Bourgogne, révèle ses talents d’administrateur avisé d’une Alsace française en mettant l’accent sur trois domaines : la sécurité de la province (fortifications de Vauban), le problème financier (qui inclut l’économie et les impositions, destinées à renflouer les caisses du roi) et la question religieuse (affirmation du catholicisme, religion du roi – alternative et simultaneum – et insidieuses mesures de vexation à l’égard des protestants). Intendant de combat dans une province en voie de constitution, ce « conquérant civil de l’Alsace » (Rodolphe Reuss) s’est investi dans la « politique des réunions » entre 1679 et 1682. Il a travaillé en bonne intelligence avec le préteur royal mais, accusé de malversations et de despotisme, il sera révoqué en janvier 1698.

Claude de La Fond (1698-1699)

D’abord intendant de Franche-Comté entre 1683 et 1698, il ne fait qu’un bref séjour en Alsace. Alors que le Conseil souverain s’installe à Colmar (1698), il assure la continuité administrative, préparant ainsi la voie à son successeur. Il tente de remettre de l’ordre dans les finances des communautés mises à mal par la guerre et de rétablir le commerce strasbourgeois.

Félix Le Pelletier de La Houssaye (1699-1715)

Avec lui, la souveraineté du roi s’étend à présent à l’ensemble de la province, territoires d’ancienne et de nouvelle domination. Il gère la province avec fermeté et tact selon le principe qu’il ne faut pas « toucher aux choses d’Alsace ». Mais son administration est marquée par la longue et catastrophique guerre de Succession d’Espagne et le Grand Hiver de 1709.

Nicolas Prosper Bauyn d’Angervilliers (1715-1724)

Se caractérise par une apparente inaction, entre une organisation bureaucratique, à présent développée, et de fréquents déplacements personnels dans les ministères. Travaille à l’extinction des dettes des communautés et s’efforce de limiter les effets de l’affaire Law. Continue la politique royale en faveur du catholicisme.

Louis Achille de Harlay de Cély (1724-1728)

Prend des mesures monétaires (liquidation de l’affaire de Law), économiques et sociales (ravitaillement, commerce, prix, mendicité). Préconise la modération dans les rapports avec les protestants d’Alsace et le Magistrat de Strasbourg, entretient de bonnes relations avec le gouverneur, le maréchal du Bourg. Participe aux préparatifs de mariage de Louis XV.

Paul Esprit Feydeau de Brou (1728-1743)

Réalisations architecturales à Strasbourg dans le style français : construction du palais Rohan (1728), puis de l’hôtel du préteur royal (1733) et de l’hôtel de Darmstadt (1737). Impulsion économique : développement de la culture du tabac ; interdiction d’étendre le vignoble en plaine (1731) ; installation de la manufacture d’armes blanches à Klingenthal ; réglementation de la verrerie et de la papeterie ; développement des manufactures de drap et de faïence.

Julien Louis Bidé de La Granville (1743-1744)

Une année de guerre (guerre de Succession d’Autriche) aux côtés de la Prusse absorbe l’essentiel de son activité (fournitures, impositions, corvées et charrois).

Barthélémy de Vanolles (1744-1750)

Préoccupé par les affaires militaires (guerre de Succession d’Autriche) et le problème des bailliages contestés entre Queich et Lauter. Outre les questions de ravitaillement des garnisons, il est absorbé par le problème des grains (protection des récoltes contre les rongeurs, régulation des marchés et des exportations), des forêts (arpentage, règlements), des impôts (création, en 1749, des vingtièmes par le contrôleur général des Finances), de l’environnement et de la santé (rouissage du chanvre, divagations du Rhin, boîtes de remèdes d’Helvétius). C’est de Vanolles qui reçoit Louis XV à Strasbourg le 5 octobre 1744.

Jean Nicolas Mégret de Sérilly (1750-1752)

Joue un rôle essentiel dans la reprise en mains par la monarchie de la gestion de la Ville de Strasbourg (affaire Klinglin). Adapte à l’Alsace la levée du nouvel impôt des vingtièmes. Veut faire de Strasbourg l’entrepôt des marchandises provenant des manufactures et le carrefour du commerce, non seulement pour les produits de l’espace rhénan mais pour ceux en provenance de la France, en particulier des ports de l’Atlantique, donc du monde colonial : il prépare ainsi le « reculement des barrières » sur le Rhin, en gestation entre 1785 et 1791. Ses « mémoires et observations » portent sur le développement des pépinières, la culture du chanvre, la sériciculture, l’élevage, les manufactures de tabac, les tanneries et les papeteries, les canaux : autant de propositions dont beaucoup sont restées à l’état de projets.

Jacques Pineau de Lucé (1752-1765)

Assiste, suite au renversement des alliances de 1756, au rapprochement avec l’Autriche. Son œuvre principale est, en 1756, dans un souci de justice fiscale, la tentative d’arpentage général (environ 500 plans de finage) qui préfigure l’établissement du futur cadastre. Se préoccupe de la conservation des grains et des risques que représente l’émigration vers le Nouveau Monde. Entretient de bons rapports avec le nouveau préteur royal, l’abbé de Régemorte, et s’installe dans le nouvel hôtel de l’Intendance, ancien hôtel Klinglin, mis à sa disposition par la Ville en 1753.

Louis Guillaume de Blair de Boisemont (1765-1778)

Affirme, à la faveur de la paix, sa volonté d’essor et de modernisation économiques ainsi que de développement routier en dépit de la crise de subsistance de 1770. Assiste aux passages à Strasbourg de Jean-Jacques Rousseau (1765), de la dauphine Marie-Antoinette et de Goethe (1770) et fait de son hôtel un centre de la vie culturelle. Le mausolée du maréchal de Saxe, érigé par Pigalle à l’église Saint-Thomas, semble sceller le ralliement luthérien à l’ordre nouveau.

Antoine Martin de Chaumont de La Galaizière (1779-1789)

Ses réalisations se situent dans la ligne de celles de ses prédécesseurs : subsistances, assistance et santé (École catholique de sages femmes à l’Hôpital), entretien des troupes, politique du bâtiment public. Habile administrateur, il déploie une grande activité dans le domaine économique : amélioration du réseau routier, protection des forêts compte tenu de la pénurie inquiétante de bois, développement des manufactures. Mais, bien plus, ce fils de chancelier du duc Stanislas, futur roi de Lorraine, s’applique surtout à faire de Strasbourg un foyer cosmopolite des « Lumières » et de forger en Alsace une conscience véritablement nationale. Cependant la nouvelle administration, représentée par l’Assemblée provinciale en 1787, dénonce les abus de la monarchie, en attendant de remodeler l’ancienne constitution de l’Alsace. L’Intendance d’Alsace en fait les frais et devra lui céder la place.

En ce qui concerne la carrière et l’œuvre des intendants successifs, il convient de consulter les notices parues dans le Nouveau Dictionnaire de Biographie alsacienne (1982-2007) sous la plume, entre autres, de Georges Livet, de Jean-Marie Schmitt, de Christian Wolff et, plus récemment, de Claude Muller.

Les mémoires des intendants

En comparaison avec d’autres provinces, l’Alsace se distingue par le grand nombre de mémoires rédigés : plus d’une cinquantaine d’entre eux ont été publiés ; d’autres continuent à être exhumés des archives, ce qui ne manque pas d’intérêt même si on a eu tendance à se recopier d’un mémoire à l’autre (répertoire en projet par Alain J. Lemaitre, Université de Haute Alsace). Si l’intendant en est l’inspirateur et le responsable, il n’en est pas forcément l’auteur ni le réalisateur sur le terrain : dans ce domaine, les subdélégués, auxiliaires indispensables et conseillers écoutés, semblent avoir joué un rôle de premier plan.

« Rapport fait au Roy… par nous Charles Colbert… depuis l’année 1656 jusques en 1663… »

« Mémoire sur l’estat présent de l’Alsace dressez par ordre de M. Colbert de Croissy en 1656-1657-1660 ». Voir PFISTER (Christian), « Un mémoire de l’intendant Colbert de Croissy sur l’Alsace, 1663 », RA, 1895, p. 193-212 et 300-331 ; « Extraits du mémoire de Charles Colbert de Croissy sur l’Alsace (1657) », Bulletin philologique et historique du CTHS, 1915, p. 276-308.

« Mémoire historique de la province d’Alsace ou Mémoire sur la province d’Alsace pour servir à l’instruction du duc de Bourgogne par l’intendant de La Grange, 1697 ». Voir OBERLE (Roland), L’Alsace en 1700. Mémoire sur la province d’Alsace de l’intendant Jacques de La Grange, Strasbourg, 1975.

MULLER (Claude), « Le mémoire sur la Haute Alsace de François Dietremann (1694) »,Annuaire de la Société d’histoire de Colmar, 44, 1999-2000, p. 45-64 (le subdélégué Dietremann aurait été le rédacteur du quart du mémoire de La Grange).

« Mémoire sur l’état présent de la province d’Alsace, fait et dressé en 1701 par l’intendant Pelletier de la Houssaye ». Voir WEISGERBER (Henri), «  L’Alsace au commencement du XVIIIe siècle d’après le mémoire inédit de l’Intendance (Le Pelletier de La Houssaye) », 1701, RA, 1897, p. 433-459 et 1898, p. 26-46.

« Lettres écrites à la Cour par M. d’Angervilliers, intendant d’Alsace, 1716-1724 ». Voir SPACH (Louis),Bulletin de la Société pour la conservation des Monuments historiques d’Alsace, 1878.

« Mémoire de Peloux, secrétaire de l’intendant Feydeau de Brou ». Voir KROEBER (Auguste), « Etat de l’industrie en Alsace (Mémoire de Peloux) », RA, 1867, p. 302-312 et 337-346. Voir PFISTER (Christian), « Extrait d’un mémoire sur l’Alsace de l’année 1735 », Revue historique, 1916/5, t. CXXIII, p. 54 s.

« Mémoires sur la province d’Alsace de l’intendant Mégret de Sérilly, 1751 ».Voir SCHWARTZ (Camille), « L’intendant Mégret de Sérilly et son œuvre en Alsace », La Vie en Alsace, 1927, p. 80-88.

Les archives de l’Intendance

Après la formation des deux départements en février-mars 1790, il a été décidé de centraliser ces archives à Strasbourg, dans les locaux de l’ancien hôtel de l’Intendance en mai-juin 1791. Néanmoins la totalité des archives de l’Intendance ne semble pas avoir été transférée par la suite aux Archives départementales du Bas-Rhin (série C), d’où la localisation fort complexe des lieux de conservation de ces mémoires : Archives départementales du Haut-Rhin et Bibliothèque municipale à Colmar ; Bibliothèque nationale et universitaire et Bibliothèque municipale à Strasbourg ; Bibliothèque nationale et Archives nationales à Paris, etc. On ajoutera à ces mémoires les enquêtes, inventaires et rapports transmis à la Cour et que l’intendant partage avec ceux qui ont été rédigés par le grand Condé (1673 et 1675), les gouverneurs de la province, les géographes du roi (du Val, 1652) et divers fonctionnaires (Sanson, 1667 et L’Hermine, 1674-1681) des subordonnés ou conseillers de l’intendant (Goezmann, 1767). Ils témoignent de l’intérêt porté par les agents du roi à la province nouvellement conquise. Voir également de Boug, « Recueil des édits, déclarations, lettres patentes, arrêts du Conseil d’État et du Conseil souverain d’Alsace, ordonnances et règlements concernant cette province », Colmar, 1775, 2 t. et compléments. Voir le « Catalogue dactylographié des ordonnances et arrêts concernant l’Alsace », Strasbourg, ABR, 1980-1982, 2 t. + index.

Bibliographie

KRUG-BASSE (Jules), L’Alsace avant 1789, Paris-Colmar, 1876, t. I, p. 17-22.

HOFFMANN (Charles), La Haute Alsace à la veille de la Révolution. La Haute Alsace durant l’administration provinciale, 1899, t. I, p. 5-11.

LIVET (Georges), « Les intendants d’Alsace et leur œuvre, 1648-1789 », Deux siècles d’Alsace française, 1648-1848, Strasbourg-Paris, 1948, p. 79-131.

LIVET (Georges), Intendance, Strasbourg, 1956 et nouvelle édition, Du Saint Empire romain germanique au Royaume de France. L’Intendance d’Alsace de la guerre de Trente Ans à la mort de Louis XIV (1634-1715), Strasbourg, 1991.

MOUSNIER (Roland), « Etat et commissaire. Recherche sur la création des intendants, 1634-1648 », Forschungen zu Staat und Verfassung in Festgabe für Fritz Hartung, Berlin, 1958, p. 325-344.

STREITBERGER (Ingeborg), Der königliche Prätor von Strassburg, 1685-1789, Wiesbaden, 1961, p. 2-86, 117-245 et 288-290.

HIMLY (François Jacques), Chronologie de la Basse-Alsace (Ier-XXe siècles), Strasbourg, 1972, 27.

BORDES (Maurice), L’administration provinciale et municipale en France au XVIIIe siècle, Paris, 1972.

LIVET (Georges), « Strasbourg, capitale de la province, siège de l’Intendance d’Alsace », Histoire de Strasbourg des origines à nos jours, Strasbourg, 1981, t. III, p. 326-341.

LIVET (Georges), « Particularisme municipal et centralisation sous l’Ancien Régime. La Ville de Strasbourg et l’intendant d’Alsace », Études rhénanes. Mélanges offerts à Raymond Oberlé, Genève-Paris, 1983, p. 121-137.

LIVET (Georges), notice « intendant » in Encyclopédie d’Alsace, Strasbourg, t. VII, 1984, p. 4280-4281.

LEMAITRE (Alain J.), « L’intendance en Alsace, Franche-Comté et Lorraine aux XVIIe et XVIIIe siècles », Annales de l’Est, 2, 2000, p. 205-232.

LEMAITRE (Alain J.), « L’enquête administrative dans la gestion territoriale de l’Alsace aux XVIIe et XVIIIe siècles », Annales de l’Est, 2010, numéro spécial, p. 157-168.

MULLER (Claude), « L’intendant ou le prince-évêque ? Du pouvoir en Alsace dans la première moitié du XVIIIe siècle », Annuaire de la Société d’histoire de Mutzig, 37, 2015, p. 5-16.

Notices connexes

Bailli (du département)

Brisach

Commission intermédiaire

Conseil souverain

Frontière

Gouverneur

Préteur royal

Réunions

Subdélégué

Traité (de Münster)

Jean-Michel Boehler