Grue (droit de -)

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Craangelt, Hebegelt,Krangeld, Zugrecht

Droit sur les marchandises qui sont chargées ou déchargées à l’aide d’un instrument de levage. Les grues sont installées à partir de la fin du XIIIe siècle dans les ports maritimes et fluviaux de la mer du Nord, de la Baltique, du Rhin et de ses affluents, pour charger et décharger les bateaux. Elles remplacent les vieilles méthodes de levage à partir de cordes et de treuils (winde, wippen, ranen). À Strasbourg, avant l’installation de grues, le transbordement des tonneaux était le fait de valets (Fasszieher), à l’aide de cordes, pour un salaire misérable (ein übel Tagelohn). Ils ne pouvaient survivre en se contentant de telles occupations et devaient se trouver d’autres activités. La construction des grues représente un progrès technologique considérable qui libère de la main-d’oeuvre et provoque des mécontentements à tel point que le Conseil de la Ville est obligé d’intervenir (M. Matheus).

Le principal type de grue est le Turmkrane, machine où la corde et les rouages se trouvent dans une tour dont seuls le bras et le toit pivotent avec la charge.

La première trace d’une grue apparaît dans les comptes de Bruges en 1285/86 (Brügger Stadtrechnung), où il est fait mention d’une dépense pour la construction d’une grue.

Il est difficile de savoir s’il y a eu d’autres installations avant cette date. Elles apparaissent ensuite à Hambourg (1291), Lünebourg (1330), Francfort (la construction d’une grue est signalée en 1331 pour acheminer le flux croissant de tonneaux de vin vers les foires ; au XIVe siècle, il est fait mention d’une deuxième, voire d’une troisième grue en bois) ; ensuite à Danzig (1367), à Cologne (en 1380, elles sont au nombre de quatre, à la fois Hafenkrane et Schiffkrane), à Trêves (1413), à Bâle (1450), à Bingen (1487) et enfin à Rostock (1620).

En ce qui concerne Strasbourg, nous disposons de plusieurs témoignages sur les premières grues. Selon Jakob Twinger von Koenigshoven, il y en aurait eu plusieurs au cours du XIVe siècle, dont deux près du Kaufhaus, bâtiment achevé en 1358, tout près du marché du Salzhof. La Chronique saladine (première moitié du XVIIe siècle) mentionne qu’une première grue est installée près du Salzhof en 1385 (Saladiner Chronik, éd. Schulte et Ruppel, p. 216). Ces grues servaient au chargement des fûts de vin sur les bateaux qui prenaient la direction du Rhin et au déchargement des fûts en provenance de la campagne. L’emplacement des autres reste énigmatique.

On s’est toujours posé la question de l’existence d’une grue sur le Rhin, mais les témoignages sont lacunaires. Une Kraneordnung de la fin du XVe siècle fait à plusieurs reprises mention d’un Krane am Ryne, mais sans plus de précision sur sa localisation. Une autre source fait état du mécontentement des « Brisgoviens » qui, « lorsqu’ils viennent sur le pont du Rhin, ne peuvent aller plus loin en ville pour décharger, de sorte qu’il serait bon d’installer une grue (au pont du Rhin ?), ce qui serait à l’avantage de l’ensemble des habitants » (AMS, XXI, 1575, f. 6/8). Enfin, une source du XVIe siècle nous apprend que le 30 novembre 1555, « la grue sur le pont a été arrachée par les hautes eaux, ainsi que le pont sur lequel elle se trouvait ». Il faut à nouveau réparer le 2 mars 1556. Pendant la durée des travaux, il fallait traverser le fleuve en barque et payer 2 schillings par personne (AMS, Ms 628).

Le plan relief de Strasbourg de 1727 permet de découvrir à proximité d’un bras de l’Ill, près des Contades actuels, une longue bâtisse avec des hangars et peut-être un édifice dont le grenier permettait de charger et de décharger des marchandises.

À la Robertsau, en 1456, un domaine est appelé das Övel… in dicto pago Ruprechtzowe unden in der Öwel, und stat der stat Straßburg krane daruff , et die Merelach…, unden by dem krane,… stossent… uff das Brunwasser (AMS, 8AST 37/15-16). En 1624, das Auwel (die Au) comprend die nechst gebreite vom kran heruff bitz ans Kagenecker gut (ibid. 37/20). Mais en 1641, das Awel comprend un grand champ, darauff hiebevor zum theil der Krahn gestanden, neben dem Rohrwörth (AMS, 8AST 37/22). D’où le nom de Cranwörth ou Kranhwoerth qu’on rencontre dans d’autres documents.

Pour Colmar, une seule mention a été trouvée, en 1518, mais elle est fragmentaire, under den kranich des… alten kouffhuses (AMC, FF 86/2). Les Archives municipales conservent en date du 20 janvier 1769, une « Estimation de frais pour la construction d’une grue couverte pour le service de la navigation de la rivière de l’Ill au Port de Colmar ». Il s’agit d’un devis pour une grue à construire au Ladhof, accompagné d’un dessin. La grue comprend un socle et une plate-forme en pierre, une solide charpente en sapin, le tout pour un montant de 3 000 livres. Mais la réalisation n’a jamais vu le jour.

Les textes réglementaires concernant Strasbourg (Kraneordnungen) prévoient les obligations des personnes qui desservent les grues : ils mentionnent le Kranmeister, l’Unterkranmeister et les Kranknechte. Ils prêtent serment en entrant en fonction. Nous connaissons le nom de plusieurs Kranmeister ; ainsi, à la fin du XVIe siècle, le nom de Claus Ottmann revient à plusieurs reprises (AMS, KS 306, f. 117). Ils sont responsables du bon entretien des machines, surtout de la chaîne, de la corde et des verrous. Les accidents sont fréquents si l’on en croit les textes qui parlent d’un travail dangereux. Lorsqu’un tel accident se produit, c’est le Kranmeister qui en est responsable. En 1426, le bourgeois de Strasbourg Merckel Hans perçoit un dédommagement de la ville de Cologne, suite à une fausse manoeuvre lors d’un déchargement de marchandises. Les machines ont fait des progrès : en se fondant sur le registre des redevances, F.-J. Fuchs estime que l’une des grues devant le Kaufhaus était capable de soulever des charges de trois Fuder, soit plus de trois tonnes. La perception de la redevance dont le montant est fixé par les règlements et qui dépend de la contenance des tonneaux (donnée en Ohmen et en Fuder) est le fait du Kranmeister qui réclame le montant au marchand, puis se rend avec lui auprès du huszherr (Kaufhausherr, préposé à la Douane) pour lui remettre la somme. En présence du kranmeister, le huszherr dépose la somme dans une boîte (sonder büchse). Tous les samedis, ce dernier se rend au Pfennigturm pour y verser le contenu de la boîte. Il appartient également au préposé de porter sur une feuille de papier (Zetel) le contenu des tonneaux déchargés authentifié par un cachet et d’envoyer le marchand accompagné du Kranmeister au bureau de l’Umgeld. Les revenus du Krangelt sont ainsi répartis : 1/6 va au Kranmeister et aux Kranknechte, le reste, soit les 5/6e à la Ville. Lorsque la manipulation se fait entre la sonnerie de cloche du soir et celle du matin, les Kranknechte ont droit à 4 schillings par Fuder. Mais ceux-ci prélèvent souvent des montants frauduleux. Ainsi, en 1548, les préposés de la foire ont appris que les employés de la grue exigeaient des droits très élevés, en particulier pour les marchandises autres que le vin, allant jusqu’au double du tarif prévu. Les préposés se demandent alors quelles consignes ils vont donner au Kranmeister (AMS, XXI, 1575, f. 6/8).

À la suite de l’essor commercial des XVIe et XVIIe siècles qui se traduit à Strasbourg par une augmentation du volume du trafic, la procédure est légèrement modifiée (décrets du 22 juin 1664 et du 16 novembre 1685). Le Kranmeister appose un signe particulier ou bien ses initiales sur chaque tonneau qui a été manipulé. Le montant de la redevance est déposé dans trois boîtes séparées (une pour le vin, une pour les eaux de vie, une troisième pour le vinaigre) qui sont rangées dans une petite armoire (kensterlein) qui se trouve dans une pièce où il est interdit de pénétrer et de manger. L’armoire comporte deux serrures dont chacun des deux Kranmeister (ober- et unter-) dispose d’une des clefs. Toutes les recettes sont portées sur un registre. Le Kaufhausherr va déposer le total de la redevance au Pfennigturm plus qu’une fois par semaine. Si l’on en juge par le montant du Krangeld perçu à Cologne au milieu XIVe siècle, on peut supposer que ces revenus étaient substantiels. À la fin du Moyen Âge, les revenus que la Ville tirait des activités du Kaufhaus, en y incluant le chargement et le déchargement des bateaux, s’élevaient à 42 000 Thaler (Dove).

Bibliographie

Deutsches Lexicon für Mittelalter (Jean Heers).

EHEBERG, Verfassungs (1899), t. I : Urkunden und Akten, 1681, p. 512-514.

Craan-Ordnung (Der Statt Straßburg revidirte), Strasbourg, 1731 (Ac 6/74 Grand Séminaire).

DOVE (Alfred), « Das Kaufhaus in Strassburg und der Transithandel des Elsasses in früherer Zeit », Wochenschrift für das Leben des deutschen Volkes in Staat, Wissenschaft und Kunst, Leipzig, 1873.

LIVET, RAPP, Histoire de Strasbourg (1980-1982), t. 2, p. 265-271.

MATHEUS (Michael), « Hafenkrane. Zur Geschichte einer mittelalterischen Maschine am Rhein und seinen Nebenflüssen von Straßburg bis Düsseldorf », Trierer Historische Forschungen, t. 9, Trèves, 1985.

Notices connexes

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François Uberfill