Château fort

De DHIALSACE
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Castrum, Castellum, Burg, plus tard Schloss

Le mot burg existe dès le IIe s. ap. J.C., mais à l’origine il désigne une fortification plus grande que le château fort (qui n’existe pas encore) – un oppidum, puis, au plus tard depuis le VIIIe s., aussi une ville (Schlesinger, Köbler, Stülpnagel). Ainsi s’expliquent des noms comme Hohenburg pour le Mont Sainte-Odile, Straßburg ou Regensburg pour des villes sans château, burgetor et burggraben pour les portes et le fossé d’une enceinte urbaine (voire villageoise), ou burger pour « citadin ». Ce n’est qu’à partir du XIIIe s. qu’on dit régulièrement stat et non plus burg pour « ville ». Lorsque, vers le Xe ou XIe s., apparaît le château fort, au sens de résidence fortifiée d’un membre de l’aristocratie et de sa familia, on désigne cette réalité nouvelle du nom ancien de burg, en en infléchissant le sens – ce qui perturbe les auteurs latins du Xe/XIIe s. : il leur arrive d’appeler une ville castrum et un château urbs. Plus tard encore, le mot castellum désigne tantôt un château, tantôt (par ex. chez le Dominicain de Colmar, 2e moitié du XIIIe s.) une petite ville, une bourgade, comme dans la Vulgate. Quant au mot s(ch)loss, apparu vers le milieu du XIVe s., il peut au départ – comme munitio et veste – désigner toute fortification : ville, château, ou l’ensemble formé par une ville et son château. Ce n’est que dans la 2e moitié du XVe s. que son sens se restreint à celui de « château fort », et ce n’est qu’à la fin du XIXe s. qu’on prend l’habitude d’appeler Burg le château fort et Schloß le château non fortifié. Enfin, rappelons que domus et hus peuvent désigner un château (aussi grand et fort soit-il) comme toute autre maison.

L'apparition du château 

Les premiers châteaux (Xe ou XIe s. – la rareté des sources empêche de préciser davantage) sont une nouveauté, que l’on a même pu dire révolutionnaire : jusqu’alors, la noblesse habitait dans les villages des cours (curia, curtis, hof) non ou peu fortifiées ; les fortifications, dont le roi et ses agents (comtes et évêques) étaient censés avoir le monopole, étaient majoritairement de vastes enceintes de refuge (Fliehburgen) à l’écart des habitats, inoccupées en temps de paix. Certaines d’entre elles ont été « privatisées » par les comtes (V. Graf) qui en avaient la garde (Hohegisheim, Frankenburg ?) ; d’autres châteaux ont été érigés « en des lieux inhabituels » – souvent sur des sommets à la vue étendue, mais parfois aussi, dès le départ, en plaine. Si les premiers constructeurs sont le plus souvent issus de familles comtales, on trouve aussi parmi eux quelques simples nobles (Rappoltstein avant 1038 ; Michelbach/Rosenstein (à l’est de Rastatt), bien avant 1102, bientôt suivis par les évêques (Isenburg, XIe s. ?) et par le roi. Ce dernier est obligé d’imiter la noblesse pour ne pas être débordé par elle, mais ses châteaux prennent des formes spécifiques : les uns sont des palais fortifiés (Pfalzen : Erstein, Haguenau), d’autres, plus tard (Pflixburg, Kaysersberg), des forts de garnison vastes, mais sans logis seigneurial.

A quoi est due l’innovation que sont les premiers châteaux ? Elle apparaît trop longtemps après la fin des incursions hongroises pour que celles-ci puissent l’expliquer. La faiblesse de la royauté joue un rôle, mais elle était comparable un siècle plus tôt. Le fait nouveau serait plutôt le décollage économique, suscitant la naissance de la seigneurie banale (voir plus loin). Il faut, en tout cas, souligner que le château n’est pas destiné, comme les Fliehburgen des époques précédentes, à protéger la population ; celle-ci doit au contraire se trouver de nouveaux refuges (v. Cimetière). Le château ne sert qu’à l’aristocratie, à laquelle il permet de s’adonner à la guerre privée à moindre risque, d’intensifier ses droits sur un territoire et d’en écarter les prétentions, fondées ou non, d’autres seigneurs. En cela, le rôle du château n’est donc pas défensif, comme le veut la grande majorité des historiens, mais bien offensif.

Le château affaiblit la royauté

Sauf exception (Michelbach/Ufgau), on ne voit pas que la construction des premiers châteaux ait suscité une tentative de répression de la part du roi. Ils sont pourtant illégitimes, en raison même de leur nouveauté, dans un monde où c’est la coutume, donc ce qui se fait depuis longtemps, qui fonde la légitimité. Et ils mettent l’autorité du roi en cause, en rendant leurs possesseurs plus capables de s’en affranchir. Car si aucun château n’est imprenable, chacun a une chance sérieuse de résister à un siège. On l’a bien vu lors de la Querelle des Investitures, où une bonne partie de la noblesse a pu tenir tête
au roi grâce à ses châteaux. Or, une fois lancé, le mouvement de construction de châteaux fait nécessairement tache d’huile, car il donne aux nobles qui en possèdent un ou plusieurs un tel avantage sur les autres (avec lesquels ils sont chroniquement en conflit) que ceux-ci sont obligés de se fortifier à leur tour pour ne pas être écrasés. Et un château une fois construit ne disparaît que rarement ; même ceux qui sont pris et détruits, comme Girbaden en 1162 ou Girsberg au Val en 1291, sont souvent vite rebâtis. C’est pourquoi le nombre de châteaux augmente jusqu’au XIVe, voire au XVe s., et l’autorité royale recule à mesure. De plus, comme ils existent depuis longtemps sans être officiellement contestés, ils ont acquis la légitimité qui leur faisait défaut à l’origine, au point qu’en Alsace, dès la 2e moitié du
XIIIe s., tout noble peut en bâtir un sans s’exposer à une contestation juridique.

Châteaux, monastères et lignages

Jusqu’au XIe/XIIe siècle, les nobles n’ont qu’un prénom et éventuellement un titre (Hugo comes, Otto advocatus). C’est avec l’apparition des châteaux qu’ils adoptent des patronymes, et inversement la majorité des châteaux apparaît dans nos sources par le biais des nobles qui en prennent le nom. Ce n’est pas fortuit : le château contribue fortement à cristaller en lignages patrilinéaires les clans familiaux aux contours flous du Haut Moyen Âge et à donner à ces lignages un ancrage régional (K. Schmid). Le château en est le point essentiel, complété, chez les familles les plus puissantes, par le monastère familial (Hauskloster), qui apparaît à la même époque, en liaison étroite avec le château, puisqu’il est souvent précisé que l’avouerie de ce monastère, fondé par un seigneur à proximité de son château, doit revenir à celui de ses descendants qui possèdera son château (Hohegisheim et Sainte-Croix-en-Plaine, Hohkoenigsburg et Sainte-Foy, Haguenau et Walbourg, Ferrette et Feldbach, etc.). Ce n’est pas le seul lien entre château et avouerie : lorsqu’un seigneur tient en fief du roi ou d’un évêque l’avouerie d’une abbaye ancienne, il tend à bâtir un château à proximité pour assurer sa domination (au XIIe s. Geroldseck et Marmoutier, au XIIIe s. Salm et Senones, Schwarzenberg et Munster) ; une avouerie contestée peut aboutir à la construction de plusieurs châteaux autour du monastère (Hüneburg, Warthenberg et Herrenstein près de Neuwiller).

L’explication la plus plausible de cette profonde transformation de la noblesse, dont les châteaux sont à la fois la manifestation et l’agent, semble à chercher du côté de la seigneurie banale (v. Ban), qui apparaît à la même époque qu’eux, et par laquelle la noblesse s’arroge de nouveaux droits sur les paysans (gîte, corvées, banalités, taille). La question est de savoir quel noble exercera ces droits sur quels paysans, et un château permet à certains de la trancher à leur profit, tout en ôtant aux paysans toute chance de résister à cette aggravation du statut au moins d’une partie d’entre eux. Ainsi le château, tout comme il provoque un glissement de pouvoir au détriment du roi et bientôt des comtes, suscite aussi un reclassement à l’intérieur de la noblesse : autour de son château – et dans une zone d’autant plus étendue que les autres châteaux sont plus éloignés – chaque seigneur a la possibilité de s’arroger des pouvoirs lucratifs sur des hommes qui n’étaient pas les siens ; en même temps, il risque fort de perdre ce qu’il possédait trop loin de son ou ses château(x). C’est ainsi que les évêchés et abbayes ont à partir du XIe s. perdu leur Fernbesitz (par ex. Spiez – Oberland bernois – pour l’évêque de Strasbourg, Soultz-sous-Forêt pour celui de Cologne, les biens de Murbach en Suisse, en Wormsgau ou même à Engwiller et Hipsheim en Basse-Alsace) ; il y a tout lieu de supposer que le même phénomène a affecté la noblesse, même si les sources ne le laissent apercevoir qu’exceptionnellement : Hohkoenigsburg permet ainsi aux Staufen d’arracher au duc de Lorraine l’avouerie de Lièpvre. C’est ainsi qu’on passe de l’aristocratie carolingienne, aux biens très largement dispersés, à la noblesse féodale, dont les possessions se régionalisent et se concentrent autour de ses châteaux.

Mais plus les châteaux se multiplient, plus la zone que chacun permet de contrôler se rétrécit ; plus, aussi, le prestige qu’ils confèrent s’amoindrit : pour être vraiment considéré, il faut bientôt en posséder plusieurs, ou, mieux, l’avouerie d’une abbaye prospère, ou une ville. A terme, on finit par trouver des châteaux qui ne sont plus le centre que d’une seigneurie minuscule ou inexistante, comme Haneck ou Kagenfels. Ceux-là, mais bientôt aussi d’autres, ne sont plus considérés comme le noyau intangible du patrimoine lignager, mais comme un bien comme un autre, susceptible d’être aliéné, ce qui est plus facile s’il s’agit d’un alleu (dans le cas d’un fief, il faut l’accord du seigneur) ; or une proportion importante des châteaux forts alsaciens, peut-être la moitié, est allodiale. A mesure que l’économie monétaire se développe et que certains seigneurs s’endettent, ils peuvent être tentés de faire argent de leur château, en le vendant en tout (Tunsel/Brisgau 1256, Butenheim 1299, Hageneck 1300) ou en partie ; bien plus, il devient possible de le céder en gage, ce qui laisse l’espoir, pas toujours illusoire, de le racheter plus tard (Ringelstein 1228, une part de Hohenstein 1279). A partir du XIVe s., l’usage de plus en plus abondant de ces possibilités aboutit à ce que toujours plus de châteaux changent de main ou soient partagés entre plusieurs coseigneurs.

La garnison

La multiplication des châteaux signifie aussi qu’un nombre croissant de seigneurs, en possédant plusieurs, se voient obligés d’en confier certains à quelqu’un qui les garde pour eux. La solution la plus ancienne est de les donner en fief à un fidèle ; mais comme le fief est héréditaire et la fidélité non, un château inféodé est tôt ou tard un château perdu. L’ayant compris, les seigneurs préfèrent les confier à des ministériaux, chevaliers d’origine servile dont ils attendent plus de fidélité. Mais, grâce aux responsabilités qu’on leur confie, les ministériaux s’enrichissent, s’élèvent dans la hiérarchie sociale et finissent, vers le 3e quart du XIIIe s., par entrer dans la noblesse. Dès ce moment, voire parfois avant, leurs seigneurs ne peuvent plus vraiment compter sur les châteaux qu’ils les ont chargés de garder pour eux. Entre-temps, ils ont trouvé un meilleur système, celui des fiefs castraux (v. Burglehen), qui leur donne à peu près satisfaction aux XIIe et XIIIe s., mais plus par la suite, car ici aussi, les vassaux finissent par ne plus remplir les obligations qui sont la contrepartie du fief dont ils continuent à jouir. Il ne reste plus alors au seigneur qu’à salarier une garnison de Burgknechte, commandée par un châtelain ou Burgvogt également salarié.

Dès la 2e moitié du XIIIe s., ce sont les villes qui semblent porteuses d’avenir, et les châteaux forts perdent de leur importance. Pourtant, leur nombre continue à augmenter, sans qu’on soit jamais arrivé au stade où tout noble aurait son château ; au contraire, il se peut que la moitié de la petite noblesse n’en ait jamais possédé. En montagne, il semble que les derniers soient bâtis en 1312 (Wildenstein et Herrenfluh), mais en plaine, on ne cesse d’en construire (par ex. Marmoutier en 1391, Benfeld vers 1400, Sundhouse entre 1452 et 1473, Steinbrunn-le-Bas entre 1519 et 1526) ; à partir du XVe s., ils évoluent peu à peu vers le château de plaisance ; la transition n’est guère perceptible, car des éléments traditionnels de la fortification comme le fossé d’eau et les tours d’angle perdurent jusqu’au XVIIe s., tout en perdant peu à peu leur fonction défensive. Quant aux châteaux de montagne, si certains sont abandonnés – soit à la suite d’une destruction, soit peu à peu – d’autres sont modernisés, voire rebâtis à l’âge de l’artillerie, parce que leur site de sommet les rend difficiles à canonner et a valeur de symbole. Mais beaucoup d’autres châteaux sont en triste état : certaines familles (Fleckenstein, Rathsamhausen, Reinach) ont plus de châteaux qu’il ne leur en faut ; d’autres sont trop pauvres pour entretenir le leur. Les plus mal lotis sont ceux qui sont tenus en coseigneurie (Ganerbenburgen), aucun des coseigneurs n’ayant envie d’investir dans un édifice dont la maîtrise lui échappe.

Châteaux partagés et paix castrales

En effet, le trait le plus caractéristique des XIVe et XVe s. est le grand nombre de châteaux partagés entre plusieurs seigneurs, apparentés entre eux ou non. Leur cohabitation étant souvent conflictuelle, l’habitude se prend de conclure pour de tels châteaux des « règlements de copropriété » appelés Burgfrieden (paix castrales) ; le luxe de mesures juridiques que ces textes prévoient contre les contrevenants montre combien leur application est incertaine. Or les nobles ont d’autant plus tendance à faire d’un château un usage risqué, voire irresponsable, que la part qu’ils en possèdent est plus faible – et moindre, par conséquent la perte qu’ils risquent. De plus, la majorité des paix castrales prévoit la possibilité de mettre le château, contre argent, à la disposition d’un noble quelconque (parfois même d’un roturier) voulant mener une guerre privée (entheltnis, Enthalt, mal traduit par droit de séjour). Ce système permet aux coseigneurs de « rentabiliser » leur château, et à presque tout un chacun de se lancer dans une guerre à moindre risque. Dans ces conditions, les châteaux, aux XIVe et XVe s., sont de plus en plus perçus comme un fléau (domus nocive, roubburgen). Les princes cherchent à les contrôler, les villes à les détruire, les paysans les haïssent.

Princes, villes et châteaux

Les princes ménagent la noblesse, qu’ils souhaitent intégrer dans leur administration et leur armée. Mais, soucieux d’apparaître comme garants de l’ordre public, ils s’efforcent de la dissuader de faire de ses châteaux un usage trop anarchique, en usant de tout un arsenal de moyens de pression. Le plus traditionnel est la relation féodale : par la contrainte ou à prix d’argent, ils obtiennent que des nobles leur fassent oblation de leur château (Lützelstein 1223, Meyenheim 1280, Hartmannswiller 1308, etc.) ; mais l’autorité qu’ils acquièrent ainsi est faible. Elle l’est moins lorsque s’y ajoute le droit d’ouverture (Öffnungsrecht : le maître d’un château s’engage à l’ouvrir à un prince à toute réquisition). Ils peuvent aussi prendre un noble à leur service, au moyen d’un contrat (Dienstvertrag) par lequel il s’engage à mettre ses châteaux au service du prince, ou lui proposer (ou imposer) leur protection (Schutz und Schirm), qui implique qu’il soumette tous ses conflits à leur arbitrage. Mais leur arme la plus efficace est de se faire céder par un noble une part de son château (par ex. 1/8e) ; ils renoncent à une part correspondante des revenus de la seigneurie dépendant du château, mais n’ont à participer ni à son entretien ni à sa garde ; ils peuvent néanmoins y installer un bailli (Amtmann, Burgvogt) qui est leur agent de contrôle. La paix castrale conclue à cette occasion entre le prince et les nobles contient souvent des clauses limitant leur droit de guerre : ils ne peuvent la déclarer que si leur adversaire a refusé l’arbitrage du prince. C’est par ces moyens que l’Electeur Palatin, profitant des dissensions internes de la noblesse, a commencé dès la 2e moitié du XIVe s. à imposer son contrôle sur une bonne partie des châteaux du Nord de l’Alsace.

Les villes, du moins les plus grandes, s’assurent elles aussi l’ouverture de quelques châteaux, soit en en acquérant une part, soit en prenant à leur solde des nobles avec leurs forteresses pour une durée déterminée. Strasbourg le fait pour le comte de Leiningen-Dagsburg en 1372 (UBS V n° 1079) et le sire d’Ochsenstein en 1392 (UBS VI n° 1401). Mais surtout, elles n’hésitent pas à assiéger des châteaux ; au besoin, elles se liguent pour y parvenir, l’exemple le plus ancien étant l’alliance de Bâle et Mulhouse contre Landser en 1246, et le plus spectaculaire l’alliance de nombreuses villes (de Haguenau à Rheinfelden, voire selon Closener à Berne) contre Schwanau en 1333. Le cas échéant, des princes et des villes s’unissent contre un château, par ex. contre Reichenstein en 1269, Winstein en 1333, Ortenberg en 1461, Hohkoenigsburg en 1462, la Roche en 1469. La force des villes est leur artillerie, et en particulier leurs énormes bombardes (Mauerbrecher), difficiles à mener à pied d’oeuvre et lentes, mais auxquelles les enceintes traditionnelles ne résistent pas. Plus souvent que les princes, les villes détruisent les châteaux qu’elles ont conquis ; il est plus rare qu’elles les annexent (Herrenstein). Une grande ville, qui a nécessairement un territoire rural, est aussi amenée à acheter des châteaux, voire à en construire (Benfeld).

Châteaux et paysans 

Les paysans ont plus de motifs de considérer les châteaux comme des instruments de surveillance et d’oppression que comme des lieux de refuge, même s’il arrive qu’ils les utilisent comme tels (Herrenstein début XVe s., Kochersberg 1428, Wangen 1444, La Wantzenau 1647) ; on voit aussi des châtelains faire pression sur des paysans (ou sur leurs seigneurs ?) en menaçant de ne plus les recevoir dans leur château (Hattstatt 1468, Ferrette 1552). Mais, pour l’essentiel, le château est le lieu où ils ont à monter la garde, à porter leurs redevances, qu’ils doivent fournir en bois (beholzen – conflit
à ce sujet à Wittenheim en 1513 : ABR 39J 230), pour lequel on exige d’eux des corvées de charroi et d’autres, parfois sur des distances considérables (les sujets des Fleckenstein dans l’Uffried travaillent avant 1469 à un bollewergk à Madenburg, à plus de 40 km de là : Archives Gayling à Ebnet, C2 f° 135v), et d’où parfois, lorsque les droits seigneuriaux sont disputés, les hommes d’armes d’un seigneur tombent sur eux pour leur extorquer la taille qu’ils ont déjà payée à l’autre (M.L. Cunz, Der Wasgenwald II, 1971, 170). Comme l’écrit Fridank (vers 1215/30) : darumbe hat man bürge/ Daz man die armen würge (H.E. Bezzenberger, éd., Fridankes Bescheidenheit, 1872, 178, v. 12-13). On est donc surpris de voir qu’en Alsace (à la différence, par ex., de la Franconie), la guerre des Paysans s’en est peu prise aux châteaux : celui de Bouxwiller a été pillé, Freundstein incendié, Saint-Rémy détruit. En revanche, la commune de Soultzmatt achète dès 1507 Breitenberg (JbVC 1914, 177), et en 1578 Zillhausen – qu’elle démolit – pour récupérer les terres en dépendant (ATG 1976, 76).

Déclin des châteaux forts

Au XVIe siècle, les châteaux forts ont perdu leurs principales raisons d’être. Militairement, les progrès de l’artillerie les rendent obsolètes ; l’avenir est à la fortification bastionnée, que seuls les États peuvent
financer. Politiquement, la noblesse a perdu l’indépendance que ses châteaux étaient censés lui assurer. La guerre privée lui est interdite depuis 1495, et, dans le demi-siècle qui suit, elle finit par y renoncer effectivement, sauf exceptions de plus en plus rares. Le nombre de châteaux forts en Alsace, qui avait déjà baissé au XVe s., recule encore plus fortement, parfois par destruction guerrière, plus souvent par abandon. Beaucoup subsistent, mais ne sont plus que partiellement entretenus, voire perdent tout caractère nobiliaire : certains ne servent plus guère que de maison forestière, en montagne (Kagenfels, Frankenburg), ou de ferme, en plaine – et dans ce cas, il n’est pas rare que l’ancienne basse-cour reste occupée pendant que la Kernburg disparaît. D’autres évoluent vers le château de plaisance, tout en conservant au moins certaines apparences de fortification. Seule une minorité est modernisée, et ce sont souvent des châteaux de sommet fort anciens. Les uns appartiennent à une moyenne puissance, qui estime avoir besoin d’une forteresse sans avoir les moyens de la bastionner (l’évêque de Strasbourg à Hohbarr, la ville à Herrenstein, les Hanau à Lichtenberg, les Rappoltstein à Hohnack), d’autres à un petit noble aisé et attaché à ce symbole traditionnel (les Beger à Schwarzenberg, les Dürkheim à Schoeneck). Un cas particulier est celui des Habsbourg : alors qu’au Moyen Âge les châteaux ne servaient jamais à défendre une frontière linéaire (dans les Vosges du Nord non plus), les Habsbourg, à partir de la fin du XVe s., se soucient de protéger leur territoire contre les Suisses au
sud et le roi de France à l’ouest et au sud-ouest. Mais comme leurs ressources ne suffisent pour une ligne ni de forteresses bastionnées, ni même de châteaux puissants, ils incitent des engagistes et autres satellites à moderniser Landskron, Ferrette, Belfort, Wildenstein, Hohkoenigsburg, etc. Le résultat est rarement satisfaisant, car les travaux nécessaires excèdent les ressources de ceux à qui ils ont ainsi été délégués, de sorte que les Habsbourg doivent d’abord les subventionner, puis parfois leur racheter le château pour éviter qu’ils ne le cèdent à une puissance hostile. Et lorsque ces forteresses seront vraiment mises à l’épreuve, lors des guerres du XVIIe s., rares sont celles qui s’avèreront capables de résister à un siège. Néanmoins, à cette époque encore, les militaires sont divisés à leur sujet : les uns sont partisans de les raser pour éviter qu’ils ne servent à l’ennemi ou à des maraudeurs, d’autres leur trouvent encore une utilité pour la petite guerre, font des projets pour les renforcer, voire les remettre en état (Gross-Arnsberg, Hohbarr, Dabo), et en dressent l’inventaire (mémoire de Guillin en 1702). En général, le ministère de la Guerre, reculant devant des dépenses peu rentables, tranche en faveur des premiers. C’est pourquoi très peu de châteaux médiévaux sont restés en usage comme forteresses au-delà de 1680 : Landskron jusqu’en 1814, Lichtenberg et La Petite-Pierre jusqu’en 1870, Belfort. De leur côté, les nobles perdent au XVIIe s. le goût de fortifier leur logis ; la reconstruction de Schoeneck par un Dürkheim en 1663, après un incendie fortuit, est l’ultime exception. Il se trouvera encore des roturiers en mal d’anoblissement pour acheter un château ruiné afin d’en prendre le nom (Clarcke, comte de Hunebourg ; Hatry de Pierrebourg = Fleckenstein), comme bien avant eux les Niedhammer « von Wasenburg », les Klöckler « von Münchenstein » et d’autres – mais ils ne songeront plus à le rebâtir.

Conclusion

C’est par un regrettable malentendu que les châteaux forts ont longtemps été considérés comme des édifices militaires. Le militaire est une fonction spécialisée de l’État, et les châteaux, au contraire, naissent et prospèrent dans un monde pratiquement sans État – un monde où l’on ne saurait distinguer le civil du militaire – et déclinent à mesure que l’État se développe. Les châteaux sont bien davantage que des bâtiments utilitaires ; ils sont le type le plus représentatif de l’architecture profane médiévale. Ils jouent aussi un grand rôle dans le peuplement : les uns sont un élément structurant du village, d’autres le premier et le plus durable des habitats isolés, souvent aux limites du ban. D’autres ont leur propre ban (Gross-Arnsberg, Salm, Girsberg au Val), ou même donnent naissance à un village (Wangenburg, Jungholtz), voire à une ville (Haguenau, Kaysersberg, Thann). En cela, ils témoignent du rôle de la noblesse dans la croissance du Moyen Âge central, et plus généralement de son emprise sur l’économie et la société médiévales. Ce n’est pas un hasard si le château apparaît en même temps que la seigneurie banale : c’est grâce à lui que la noblesse a pu imposer aux paysans des prélèvements d’un type nouveau. Le château est l’instrument de sa puissance, et c’est pour cela qu’il devient un symbole de puissance, et que son architecture évolue de manière à accentuer ce symbolisme : le donjon – dont les premiers châteaux se passent, mais dont la plupart se dotent à partir du XIIe s., bien qu’il n’ait guère d’utilité pratique – en est un exemple. Avec la multiplication des châteaux, surtout à partir du XIIIe s., on finit par en trouver qui ne sont plus le chef-lieu d’une seigneurie même modeste (Birkenfels, Haneck). Mais même ceux-là ne sont pas purement symboliques, car tout château confère à son détenteur au moins un pouvoir de nuisance, en le mettant en état de faire la guerre sans grand risque – et de permettre à d’autres de la faire, par le biais de l’Enthalt. Symbole donc, mais avec et après bien d’autres fonctions : le château est la résidence d’une famille aristocratique, aussi forte et luxueuse que ses moyens le lui permettent. Il est le centre « administratif » d’une seigneurie – entendons le siège d’un bailli (qui est en même temps le Burgvogt) – et/ou d’un receveur (Schaffner ou Keller), et le lieu où sont portées les redevances des sujets. La plupart des châteaux sont couplés à une grosse exploitation agricole, appelée Bauhof ou Ackerhof en plaine, Burgmeierhof en montagne. En particulier, beaucoup de châteaux sont des lieux d’élevage ; certains ont d’ailleurs une fromagerie. Les châteaux les plus anciens sont des centres artisanaux, avec notamment des bas-fourneaux, une métallurgie diversifiée, des fours de potier. Il semble qu’au XIIIe s. les artisans émigrent en ville, et qu’il ne reste dans les châteaux qu’une forge et quelques activités occasionnelles (tannerie à Kaysersberg, tapisserie à Rötteln, orfèvrerie à Ortenberg). Une minorité de châteaux a un rôle religieux par leur chapelle, dont l’une ou l’autre a même donné naissance à un pèlerinage (Ulrichsburg) ; n’oublions pas la douzaine de cimetières fortifiés seigneuriaux, qui sont des châteaux renfermant une église paroissiale (Hochfelden, Epfig). Ceux des grands seigneurs peuvent être le siège d’une cour et attirer Minnesänger et ménestrels.

Au total, le château fort a modelé la société du Moyen Âge central. Celle-ci se caractérise par la domination de la noblesse, fondée au moins au départ sur la force, et génératrice de morcellement et d’anarchie, dans la mesure où, grâce à ses châteaux, la noblesse est en mesure d’exercer dans un territoire limité certaines fonctions régaliennes (guerre et fortification, haute justice, péages) sans véritable contrôle des rois ni des princes. A mesure que ceux-ci arrivent à renforcer leur autorité et à domestiquer la noblesse, les châteaux déclinent en nombre et en importance. Et comme, jusqu’au XVIIe siècle, aucun roi ni prince n’a vraiment réussi à soumettre l’Alsace à son autorité, elle est restée longtemps un paradis des châteaux, ce qui fait le bonheur des touristes d’aujourd’hui, mais n’a pas fait celui des Alsaciens d’autrefois.

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METZ (Bernhard), « Le droit de fortifier en Alsace au Moyen Âge », Autorité, liberté, contrainte en Alsace, 2010, p. 48-59.

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