Pasteurs luthériens (de la Révolution française aux Articles organiques)

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En 1789, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen est accueillie avec satisfaction par les protestants et leurs pasteurs. Le 13 juin 1790, les ministres de tous les cultes sont invités à officier devant l’Autel de la Patrie, ce que les pasteurs et de nombreux curés vont faire. Dans les villages protestants, on célèbre avec ardeur les fêtes patriotiques et on crée des gardes nationales. L’abolition des privilèges à la suite du 4 août 1790 et la mise à la disposition de la nation des biens du clergé le 2 novembre inquiéta aussi les protestants. Certes, en un premier temps, les Schaffneien (fabriques) alsaciennes continuent à gérer le patrimoine des églises et à couvrir les frais du culte et des écoles. Les pasteurs continuent à être rémunérés de diverses manières.

Des projets pour réorganiser les Églises

De nouveaux projets voient le jour en particulier au sein de la Société des Amis de la Constitution. Jacques Mathieu, procureur syndic du District de Strasbourg, soumet le 15 octobre 1790 à ses collègues une motion qui propose de mettre les biens protestants, comme c’était le cas des biens catholiques, à la disposition de la nation, à condition que celle-ci pourvoie aux traitements des pasteurs et aux frais du culte. Plusieurs districts ecclésiaux devaient être établis dans les deux départements, dirigés chacun par un surintendant et un Conseil : les pasteurs devaient être élus par les citoyens actifs protestants du canton, les vicaires ou diacres par les citoyens actifs de la paroisse.

Ces changements proposés par ce catholique choquaient la majorité des protestants, en particulier les pasteurs. Guillaume Koch les combat et réussit à convaincre, en 1790, l’Assemblée Nationale que les biens ecclésiastiques avaient, au temps de la Réformation, « cessé d’être des biens d’Église, mais avaient été sécularisés. Ils étaient devenus des biens domaniaux, des fonds seigneuriaux et des fonds patrimoniaux des villes, ayant reçu une affectation déterminée » (Strohl, p. 310).

Sur la base de cette argumentation, un décret de l’Assemblée sur la désignation des biens nationaux précisera : « 1.°Que les biens possédés par les protestants sont et demeurent exemptés de la vente et qu’ils continuent de les administrer comme par le passé ; 2.°Que les dîmes possédées par eux sont comprises dans les dîmes inféodées dont l’indemnité doit être prise sur les deniers du trésor public, et qu’il sera par conséquent payé annuellement l’équivalent en argent des dîmes dont ils jouissaient ; 3.°Que les charges dont étaient grevées les biens nationaux, en faveur de leurs ministres et de leurs établissements continuent d’être acquittées d’après les ordonnances des Directoires des départements ou des administrations provisoirement conservées. » (Reuss, p. 54)

Par ailleurs, un projet de réorganisation des Églises protestantes voit le jour. Il faisait de la paroisse la cellule constitutive de l’Église. Elle devait être dirigée par un Conseil presbytéral, élu par tous les membres de la paroisse. Ces derniers devaient aussi participer à l’élection du pasteur. « Les diverses communautés d’un district devaient former un Consistoire, composé de 12 membres, avec un Directoire de 4 membres. Au-dessus d’eux, il y aurait un Consistoire Général, élu par la totalité des électeurs (de second degré) de tous les districts : le Consistoire Général, composé de 24 membres, ne devait rien pouvoir ordonner en matière de dogmes, mais protéger, de la manière la plus efficace, la liberté de conscience et de l’enseignement public. » (Strohl, p. 295)

Mais ce projet ne fut pas examiné par l’Assemblée Nationale et se heurta à l’opposition d’une majorité d’églises ainsi qu’à celle des Amis de la Constitution, qui voulaient faire élire les pasteurs par tous les citoyens, comme cela devait se faire pour les évêques et les curés. C’est seulement dix ans plus tard que ce projet allait être repris sous une forme modifiée.

Le serment civique

En attendant, un décret du 5 février 1791, approuvé le 27 mars par le roi, imposa aux prédicateurs un serment par lequel ils s’engageaient à veiller avec soin sur les croyants qui leur étaient confiés, à être fidèles à la nation, aux lois et au roi, et à maintenir de toute leur force la Constitution. La municipalité de Strasbourg décrète d’imposer ce serment aussi aux Églises protestantes et à leurs ministres ainsi qu’aux candidats, enseignants, professeurs et même aux sacristains. Le serment fut prêté à Strasbourg le 8 mai 1791, puis le 20 octobre en d’autres lieux. À la fin de l’année, quelque soixante pasteurs sont actifs dans les diverses sociétés révolutionnaires qui quadrillent les deux départements alsaciens. En fait, plusieurs courants émergent parmi les pasteurs alsaciens. Les conservateurs sont nombreux à prier encore en 1791 pour le seigneur du lieu et restent partisans du statu quo dans l’ordre politique et l’ordre religieux. Le courant modéré ou feuillant est favorable à certains changements. Un autre courant girondin est plus progressiste. Enfin, il y a quelques jacobins tels que Mathias Engel.

Sous la République

En 1792, la défaite du parti constitutionnel et le renversement de la royauté vont fragiliser la position des protestants « modérés » qui deviennent suspects et sont destitués de leurs fonctions électives. Pour autant, les administrateurs du Bas-Rhin « laissèrent aux paroisses le droit de choisir leurs pasteurs, en vertu des droits de l’homme, ils interdirent toute mainmise sur les biens assurant le traitement des pasteurs et accordèrent à ceux-ci mêmes des indemnités pour les dîmes supprimées » (Strohl, p. 317). Mais ce n’est pas toujours le cas en d’autres lieux. À Colmar par exemple, « la municipalité cessa ses prestations au culte protestant. Les pasteurs, privés même de leurs presbytères, durent vivre de leurs propres ressources » (ibid.)

La radicalisation

Après la défaite des girondins en juin 1793, c’est un autre vent qui souffle et il atteint aussi les protestants d’Alsace. Les modérés quittent les Amis de la Constitution, les radicaux forment le Club des jacobins, dont font partie aussi quelques pasteurs dont le vieux pasteur Stuber et Mathias Engel. La radicalisation se renforce sous l’action notamment d’Euloge Schneider, un ancien prédicateur allemand. Convaincu que « la plupart des vieux pasteurs retardent de 300 ans sur notre siècle des lumières » (ibid., p. 319), il veut remplacer les religions traditionnelles par une « intelligence rationaliste ».

L’invasion du territoire français par les coalisés entraîna la méfiance vis-à-vis des émigrés mais aussi vis-à-vis du clergé réfractaire, voire de tous les clercs. À l’automne 1793, toutes les églises de Strasbourg sont fermées, suivies par celles des campagnes. « Les édifices cultuels sont loués, vendus, transformés en temples de la Raison, en lieux de réunion des sociétés populaires, en magasins, dépôts divers. » (Vogler, p. 185) Les prêtres et pasteurs sont incités à abandonner leurs fonctions et à abjurer. L’un des principaux acteurs de l’oppression est le maire Monet de Strasbourg, qui somme les pasteurs de lui adresser dans les 24 heures leur désertion et « l’abjuration de leurs erreurs ». Il publie ensuite au sujet de 12 pasteurs une brochure : Les prêtres abjurent l’imposture, qui falsifie en fait les déclarations de plusieurs pasteurs qui protesteront. Seul quelques-uns ont vraiment abjuré. D’autres s’étaient contentés de démissionner.

Ceux qui avaient refusé d’abjurer figurent sur une liste de suspects. Ils sont emprisonnés avec leurs confrères catholiques au Grand Séminaire. Ce fut le cas aussi bien de nombreux théologiens de renom, tels que Blessig et Haffner, que de pasteurs de Strasbourg et de la campagne.

D’autres avaient changé de profession, en devenant enseignants ou juges de paix. Certains ont fait carrière au service de l’État comme David Cunnier, devenu député puis sous-préfet, puis notaire. Un autre, Georges Frédéric Dentzel, est devenu militaire et a fini général.

Selon Reuss « sur deux cent-vingt ministres du culte, vingt peuvent être accusés à bon droit d’avoir manqué aux devoirs élémentaires de leur ministère » (Reuss, p. 127). La plupart reprendront leur ministère après la Terreur.

En juillet 1794, un arrêté des représentants en mission impose l’arrestation et la déportation de tous les membres du culte, mais une dizaine seulement fut internée à Besançon, les autres ayant été relâchés après la chute de Robespierre. Dix anciens pasteurs sont jacobins sous la Terreur.

C’est dans le Bas-Rhin que l’oppression des Églises et des pasteurs est la plus forte. Dans le Haut-Rhin, le culte peut se poursuivre dans des lieux tels que Mittelwihr ou dans la vallée de Munster. Confrontés dans le Bas-Rhin à de réelles menaces, la plupart des pasteurs arrêtent l’exercice de leur ministère pendant neuf à quinze mois. Dans certaines localités, les pasteurs mènent une vie clandestine. Ils trouvent refuge chez de fidèles paroissiens qui les avertissent à l’approche de gendarmes pour qu’ils puissent se cacher en un lieu sûr. D’autres poursuivent leur ministère en camouflant les cultes en séances patriotiques. C’est le cas du pasteur Schaller à Pfaffenhoffen, du pasteur Mathias Engel à Ribeauvillé. Oberlin fonde un club, avec lequel il organise à la Perheux des célébrations au cours desquelles il appelle à combattre les tyrans qui menacent ses fidèles, en désignant par là la paresse, la cupidité et l’alcool.

La séparation de l’État et de l’Église

Dès la fin de l’année 1794, quelques pasteurs avaient essayé de reprendre l’exercice de leur ministère. C’est seulement le 3 ventôse, c’est-à-dire le 21 février 1795, que la liberté des cultes est reconnue par les autorités. Mais aucun traitement ne devait être accordé aux ministères du culte, ni aucun local gratuit. Le port d’un costume sacerdotal était interdit.

Mais qu’allait-on faire du côté des Églises ? Conserver les anciens pasteurs ou les remplacer au moyen d’élections ? La reprise du culte et le choix des pasteurs se heurtent à bien des obstacles. Au plan des institutions, les anciennes fabriques ont été mises sous séquestre et leurs revenus étaient dilapidés. Certaines localités étaient peu disposées à engager un pasteur, car elles craignaient de ne pas être en état de pourvoir à son traitement. D’autres louent un pasteur à l’année, en se réservant le droit de remettre son ministère en question à chaque échéance.

Des individus peu formés ou des étudiants peu soucieux de continuer leurs études candidataient à un poste. Les communautés sont tentées de choisir celui qui allait leur coûter le moins cher. Les pasteurs en fonction avant la Terreur doivent renoncer à une partie de leur traitement sous peine d’être congédiés. Mais ces situations extrêmes sont présentes à la campagne plutôt qu’à la ville. En ce qui concerne le choix d’un pasteur, c’est quelquefois la municipalité seule qui décide. Mais généralement, c’était l’ensemble des citoyens adultes réunis en assemblée électorale. Sous la direction du maire, un accord était proposé à l’ancien pasteur et, le cas échéant, à un autre candidat. Il précisait les conditions financières de l’engagement, comme le nombre de quartauts de céréales et une somme assez modeste versée en numéraire.

Vers une réorganisation de l’Église

Au cours des premiers mois de l’année 1795, tout se décide au plan local, y compris les formes des célébrations. Il n’y avait aucune instance consistoriale ou synodale pour veiller à une certaine unité dans les diverses pratiques institutionnelles et cultuelles. C’est au mois d’août que le professeur Blessig, figure éminente du protestantisme alsacien, prend l’initiative de réorganiser les quarante-huit Églises protestantes territoriales d’Alsace, plus ou moins autonomes. Il réussit à mettre en place une « Conférence générale », qui allait fonctionner jusqu’à la réorganisation officielle des cultes en Alsace. Presque tous les postes pastoraux sont occupés en 1796. Mais par la suite, les candidats font défaut. L’absence d’une formation académique fut un autre obstacle sur la voie de la réorganisation et de la nomination de pasteurs et la réorganisation des institutions.

C’est Portalis qui, au nom de Bonaparte, en fut l’artisan. Pour les protestants, les nouvelles directives sont précisées dans les Articles organiques de 1802. Ils soulignent que « nul ne pourra exercer les fonctions du culte s’il n’est pas Français » (article 1). Les relations avec une puissance ou autorité étrangère sont interdites. Les pasteurs doivent prier pour les autorités de la République (puis de l’Empire). Toute décision doctrinale ou « confession » nouvelle doit être soumise à ces autorités avant d’être publiée. La cellule ecclésiale de base n’est plus la paroisse mais un consistoire de 6 000 âmes. Ce dernier sera composé du pasteur ou des pasteurs desservant le consistoire et d’anciens ou notables laïques, choisis parmi les citoyens les plus imposés. « Cinq Églises consistoriales forment l’arrondissement d’une inspection présidée par un pasteur inspecteur et deux laïques […]. L’inspecteur pourra visiter les églises de son arrondissement, il s’adjoindra les deux laïques. » (article 39) « Il sera pourvu au traitement des pasteurs des Églises consistoriales, bien entendu qu’on imputera sur ce traitement les biens que ces Églises possèdent et le produit des oblations établies par l’usage ou par des règlements. » (article 7)

En ce qui concerne les pasteurs, il est précisé que « nul ne pourra être élu ministre ou pasteur d’une église de la Confession d’Augsbourg s’il n’a étudié, pendant un temps déterminé, dans un des séminaires français destinés à l’instruction des ministres de cette confession, et s’il ne rapporte un certificat en bonne forme constatant son temps d’étude, sa capacité et ses bonnes mœurs » (article 13). « Les pasteurs ne pourront être destitués qu’à la charge de présenter des motifs au gouvernement qui les approuvera ou les rejettera. » (article 25)

Trois changements ou précisions interviendront par la suite. La formation à Strasbourg des pasteurs de l’Église de la Confession d’Augsbourg est assurée à partir de 1803 dans une Académie, appelée Séminaire en 1806. En 1819, une Faculté de théologie est créée dans le cadre de l’Université, sans que disparaisse pour autant le Séminaire qui continue à participer à la formation des pasteurs.

Les traitements des pasteurs sont pris en charge par l’État en 1805 à Colmar, en 1806 dans le Haut-Rhin et à Montbéliard et en 1819 dans le Bas-Rhin. Enfin, il faut relever qu’en 1852, la paroisse retrouve sa place comme base de l’institution ecclésiale.

Bibliographie

SCHNEIDER (Johann), Geschichte der evangelischen Kirche des Elsaß in der Zeit der Französischen Revolution (1789-1802), Strasbourg, 1830.

REUSS (Rodolphe), Les Églises Protestantes d’Alsace pendant la Révolution (1789-1802), Paris, 1906.

HORNING (Wilhelm), Zur Straßburger Kirchengeschichte im XVIII. Jahrhundert, II. Text: Die neue Zeit vor, während und nach der Revolution, Strasbourg, 1907.

STROHL (Henri), Le Protestantisme en Alsace, Strasbourg, 1950, 2e éd., 2000.

SCHEIDHAUER (Marcel),Les Églises luthériennes en France 1800-1815. Alsace-Montbéliard-Paris, Strasbourg, 1975.

LIENHARD (Marc), « La foi chrétienne à l’heure de la Révolution : l’itinéraire spirituel et politique du pasteur alsacien Mathias Engel (1755-1811) », Revue d’histoire et de philosophie religieuse, 69 (1989), p. 451-473.

LIENHARD (Marc), « Les Protestants et la Révolution », Saisons d’Alsace,été 1989, p. 81-90.

VOGLER (Bernard), Histoire des Chrétiens d’Alsace des origines à nos jours, Paris, 1994.

Notices connexes

Articles organiques du culte protestant ; Augsbourg (confession d’)

Convent ecclésiastique ; Corps pastoral

Directoire ; Droit ecclésiastique protestant

Fabrique protestante

Inspection-Inspecteur ecclésiastique

Kirchenordnungen

Liturgie protestante

Paroisse ; Protestantisme

Oberkirchenpfleger ; Ordination

Piétisme ; Paroisses et consistoires de Strasbourg ; Presbytère protestant (v. aussi : BaptêmeConfession, Confirmation, Divorce, Ehe-Mariage).

Marc Lienhard