Pasteurs luthériens d’Alsace

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Caractéristiques générales

Il y a toujours, dans les Églises passées au protestantisme au XVIe siècle, des ministres du culte chargés, au plan paroissial, de prêcher, d’administrer les sacrements, de catéchiser et de célébrer des mariages et des obsèques. Ils reprennent ainsi une grande partie du ministère des curés.

Pourtant, des accents particuliers caractérisent le ministère des pasteurs protestants. C’est d’abord l’importance fondamentale attribuée à la prédication. Le pasteur est un prédicateur et un enseignant, et non un prêtre. Tous les croyants sont prêtres, ce qui signifie qu’ils ont un accès direct à Dieu. En second lieu, l’accent est mis sur leur formation académique, rappelée d’ailleurs par le port de la robe pastorale. En troisième lieu, les pasteurs sont en général mariés et ont, le plus souvent, beaucoup d’enfants.

Les pasteurs alsaciens sont à l’œuvre dans une des 48 Églises territoriales d’Alsace, dont la plus grande, celle du Hanau-Lichtenberg, comporte 14 bailliages et 136 villages. À la fin du XVIe siècle, un tiers de l’Alsace était devenu protestant.

Divers termes sont employés pour désigner les pasteurs. Si celui de Priester (prêtre) apparaît encore dans la convocation au synode strasbourgeois de 1533, il disparaît par la suite. D’autres termes se sont maintenus ou ont émergé au cours des siècles. Ceux de Pfarrherr ou Pfarrer, déjà employés avant la Réforme protestante, sont couramment utilisés. Il y a ensuite ceux de Prediger ou Praedicant (prédicateur), dont l’utilisation rappelle une des fonctions principales du pasteur, qui est celle de prêcher. On trouve également le mot Hirte (berger) pour évoquer la tâche du pasteur de nourrir – spirituellement – les fidèles et de les rassembler. Les Ordonnances ecclésiastiques, dont celle de Strasbourg de 1598 et celle du Hanau-Lichtenberg de 1573, utilisent le plus souvent le terme Kirchendiener (serviteur de l’Église). Quant au terme Pfaff, il n’a pas toujours un sens péjoratif.

Plus tard, il est question, en particulier dans la littérature ou dans les travaux historiques tels que celui de Bopp, de Geistliche. Ce terme s’applique aussi au clergé catholique.

Diversité des pasteurs

Les postes pastoraux existant dans les Églises d’Alsace sont d’ordre divers. En tête, pour ce qui est des responsabilités et des revenus, se trouvent les pasteurs titulaires d’une cure. Entre 1618 et 1789, leur nombre oscillait dans le comté de Hanau-Lichtenberg entre 56 et 76. Aux côtés de ces pasteurs, des vicaires et des Helfer (pasteurs adjoints), appelés aussi « chapelains » à Mulhouse et à Wissembourg, étaient à l’œuvre dans les cures les plus importantes, en attendant d’accéder au stade de pasteurs titulaires ou « premiers pasteurs ». Les vicaires sont engagés à titre personnel par le pasteur titulaire qui les nourrit, les loge et les rétribue. Leur situation peut être plus ou moins précaire dans les diverses Églises. Le statut de Helfer, à l’œuvre dans les grandes paroisses, était plus avantageux dans la mesure où c’étaient les consistoires qui examinaient, ordonnaient et nommaient les pasteurs, en fixant et en contrôlant aussi leurs émoluments. Majoritaires au XVIIe siècle, les vicaires acquièrent par la suite le statut de pasteurs adjoints. Dans les sièges des divers bailliages et dans d’autres localités importantes, on trouve aussi des diacres. Ils exercent soit des fonctions pastorales, soit des fonctions d’enseignement, dans certains cas ils remplissent les deux fonctions. Là aussi, une évolution est perceptible. Ainsi, à Bouxwiller où il remplissait uniquement des fonctions pastorales, le diacre est appelé « deuxième pasteur » à partir de 1721. Dans la même ville, où le pasteur titulaire remplissait aussi des fonctions de direction d’Église, et où le pasteur adjoint était préposé à autres tâches, deux postes supplémentaires destinés à des débutants étaient créés pour des pasteurs appelés Freiprediger, sans attaches paroissiales à part la prédication. Ils devaient seconder le pasteur dirigeant dans ses multiples tâches, voire le remplacer dans le travail pastoral. On trouve aussi des Freiprediger dans le cadre de la paroisse de la cathédrale de Strasbourg, où ils étaient avant tout préposés à la prédication, comme ce fut le cas de Philippe Spener, le père du piétisme allemand.

Il faut évoquer aussi les fonctions de direction des Églises. En principe, l’autorité suprême appartenait au pouvoir politique. Mais celui-ci déléguait certaines fonctions à des pasteurs. C’est ainsi que, dès l’introduction de la Réforme dans le comté de Hanau-Lichtenberg, la fonction de surintendant avait été créée. C’est le comte qui nomme les titulaires. La tâche principale du surintendant est d’entreprendre des inspections dans tout le comté, en visitant aussi bien les pasteurs que les paroisses.

En 1718, un corps intermédiaire d’inspecteurs, appelés Special, fut créé pour superviser par des visites annuelles les ministres et la vie des paroisses.

On retrouve dans d’autres lieux, comme à Strasbourg, la fonction de surintendant. Sa mise en place se heurte, en 1574, aux résistances du Magistrat de Strasbourg qui aurait voulu se réserver cette fonction, ou bien la confier à un pasteur de son choix. Elle finit pourtant par s’imposer, même si l’Ordonnance ecclésiastique de 1598 parle de « président du Convent ecclésiastique » plutôt que de surintendant.

Les origines des pasteurs

L’origine géographique et l’origine sociale des pasteurs de Strasbourg et du Hanau-Lichtenberg ont été étudiées par Bernard Vogler, Gérard Schildberg et Jean-Georges Guth. Sur 203 pasteurs strasbourgeois (sur 280) du XVIe siècle dont on connaît l’origine, 63, c’est-à-dire 30 %, étaient nés à Strasbourg. Les deux autres tiers étaient originaires principalement d’Allemagne du Sud et d’Autriche. À la fin du siècle, le recrutement se régionalise : deux tiers sont originaires des villes de la Décapole, 43 % sont nés à Strasbourg. Dans le Hanau-Lichtenberg, jusqu’à la guerre de Trente Ans, un sixième seulement est originaire du comté. La création d’une école latine à Bouxwiller en 1612, devenue Gymnase par la suite, augmentera la part des pasteurs issus du comté. Ils sont 20 % en 1700 et 80 % à la veille de la Révolution. En 1727, le ministre Le Blanc étend au clergé protestant d’Alsace une règle déjà appliquée au clergé catholique depuis 1681, selon laquelle tous les ministres du culte devaient être des ressortissants français. Il en résulta une « alsacianisation » des pasteurs.

Depuis le rattachement de Strasbourg au royaume de France (1681), les pasteurs sont essentiellement d’origine strasbourgeoise. Malgré la Déclaration royale de juin 1683, le courant étranger ne s’est pas entièrement tari, puisque les étudiants allemands, immatriculés à l’Université de Strasbourg, peuvent être admis au sein du corps pastoral. Cette pratique dure jusqu’en 1727, où seuls les sujets du roi peuvent faire partie du clergé luthérien.

L’origine sociale des pasteurs est plus difficile à déterminer avec exactitude, au vu de l’état des sources. On peut relever qu’à Strasbourg, 75 % des 36 cas connus de la seconde moitié du XVIe siècle sont issus soit du pastorat, soit de l’artisanat. Dans le Hanau-Lichtenberg, le pourcentage de pasteurs issus d’un presbytère augmente de 27 à 54 % entre la guerre de Trente Ans et le milieu du XVIIIe siècle.

De manière générale, sous l’Ancien Régime, la mobilité sociale était limitée, et cela ne concernait pas seulement les pasteurs. Par ailleurs, faute de moyens financiers, il n’était guère possible pour les enfants de la grande majorité des pasteurs de s’élever dans la hiérarchie sociale. Certaines dynasties de pasteurs ont traversé les âges. Ainsi huit Reuchlin sont attestés depuis Jean (mort en 1558) jusqu’à Friedrich Jakob (mort en 1793). Du premier Kampmann, Kaspar (né vers 1600) au dernier représentant de la lignée au XIXe siècle, on trouve quinze représentants de ce nom. Il y a aussi une parenté des dynasties pastorales, une interpénétration mutuelle par le mariage. Il y a aussi les Leonhard ou les Silberrrad (cf. BOPP, Die evangelischen Geistlichen und theologen in Elsass und Lothringen). Certains pasteurs se succèdent de père en fils dans la même paroisse. Ainsi, trois Heusse, famille originaire de Gertwiller, occupent sans interruption des postes de vicaire au Temple Neuf, entre 1686 et 1748. Trois générations de pasteurs de la famille Huber sont en poste à Saint-Guillaume, entre 1642 et 1734.

Les pasteurs strasbourgeois du début du XVIè à la veille de la Révolution

La formation

Deux cas se présentent à Strasbourg à partir de 1523 : d’une part, d’anciens prêtres ou moines sont passés au protestantisme, qu’il fallait instruire dans la théologie protestante. Des cours sont dispensés à cet effet, en particulier par Bucer. D’autre part, de jeunes étudiants, sortis des écoles paroissiales et des écoles latines, se destinent au ministère pastoral. À partir de 1538, la formation est assurée dans le cadre de la Haute École, devenue Académie en 1566 puis Université en 1621. Elle accueille aussi bien des alphabétaires que des élèves plus avancés et des étudiants. Certains étudiants en théologie fréquentent d’autres universités, en particulier celles de Wittenberg et de Tübingen pour les luthériens, celles de Bâle et de Heidelberg pour les réformés. Tout au long des siècles, l’Allemagne et la culture allemande ne cessent d’influencer les pasteurs d’Alsace-Moselle. Le niveau des diplômes s’accroît avec le temps. En 1540, cinq étudiants accèdent au grade de maître en théologie ; ils seront 14 en 1581 et 38 sur 49 pasteurs en fonction en 1619. En 1548, 8 accèdent au doctorat. En 1619, seul un pasteur strasbourgeois n’a pas fait d’études universitaires. À la même époque, le titre de maître est exigé aussi pour être pasteur dans les paroisses rurales relevant de la ville de Strasbourg. Pour compléter l’enseignement, une bibliothèque est créée à Strasbourg en 1531. L’Ordonnance ecclésiastique de 1534 propose une liste de livres que chaque paroisse rurale devait acquérir. À côté de la Bible en latin et en allemand et de postilles, c’est-à-dire de prédications imprimées, des commentaires bibliques sont proposés.

Sous l’Ancien Régime (1681-1789), la quasi-totalité du corps pastoral a fait ses humanités au Gymnase, avant de fréquenter la Faculté de théologie, où l’âge moyen d’inscription s’établit à 16 ans. Presque tous ont obtenu le grade de Magister. Les études se poursuivent au Séminaire protestant (le Collège Saint-Guillaume), où la plupart des étudiants sont pensionnaires. Au XVIIe siècle, c’est l’orthodoxie luthérienne qui domine à la Faculté de théologie. De grandes figures émergent, en particulier Conrad Dannhauer, auteur de synthèses théologiques, Jean Dorsch, qui s’efforce de montrer l’accord entre la Confession d’Augsbourg et Thomas d’Aquin, ou encore Sébastien Schmidt, qui a commenté presque tous les écrits bibliques et traduit la Bible en latin. Au XVIIIe siècle, l’envergure des enseignants fléchit jusqu’à l’émergence de Johann Lorenz Blessig, d’Isaac Haffner et de Johann Sigismund Lorenz.

Les grades supérieurs sont surtout l’apanage des pasteurs exerçant leur ministère dans les paroisses du noyau central de Strasbourg. 70 % des pasteurs du Temple Neuf possèdent le titre de docteur et 50 % sont professeurs de théologie. À Saint-Thomas, le grade de docteur est obtenu par un quart des pasteurs ; rares sont ceux qui sont professeurs comme Michaël Lorenz ou Friedrich Reuchlin. Certains, comme le pasteur du Temple Neuf à la veille de la Révolution, Johann Lorenz Blessig, ont approfondi leurs connaissances dans d’autres domaines (le droit ou la philosophie), dans lesquels ils ont présenté des thèses de doctorat.

La tradition des voyages à l’étranger pour compléter la formation se maintient. À la fin du XVIIe siècle, ce sont les universités allemandes de Leipzig, de Gissen et de Wittenberg qui sont choisies en priorité et qui modèlent les tendances orthodoxes. Au cours du XVIIIe siècle, les étudiants fréquentent davantage les Facultés de théologie de Iéna et de Halle en Saxe, en raison de leur renommée piétistes. Des pasteurs comme Friedrich Lorenz ou Johann Blessig ont entrepris un périple à travers l’Europe. Incontestablement, le corps pastoral fait partie des élites intellectuelles de Strasbourg.

Choix et engagements des pasteurs

À Strasbourg, en un premier temps, les prêtres passés à la Réforme sont pris en charge par le Magistrat. Ils acquièrent le droit de bourgeoisie. Les premiers pasteurs accrédités sont donc d’anciens prêtres. Nouveaux venus ou déjà en place, ils avaient été recrutés ou reçus par la communauté paroissiale et le choix avait été ratifié par le Magistrat.

L’Ordonnance ecclésiastique de 1534 réglemente davantage le processus de nomination. En cas de vacance d’un poste, une commission doctrinale propose plusieurs candidats. Ces derniers sont invités à prêcher plusieurs fois devant la communauté. Ensuite les examinateurs de la commission doctrinale et les trois curateurs (kirchenpfleger) de la paroisse s’adjoignent douze paroissiens pour l’élection, chiffre qui augmentera par la suite. L’élu est proposé au Magistrat, auquel appartient, depuis 1534, le pouvoir de nomination. Exceptionnellement, le Magistrat pouvait choisir seul un pasteur ; il pouvait aussi refuser un candidat proposé. S’il s’agissait d’une première nomination, le candidat était ordonné par imposition des mains, pratique mise en place par Bucer dans les dernières années de son activité strasbourgeoise.

L’Ordonnance de 1598 évoque trois domaines qui doivent retenir l’attention des examinateurs : la doctrine ou confession des candidats, leur vie et leur âge. La cérémonie d’ordination y est présentée de manière plus explicite que dans les textes antérieurs.

L’Ordonnance strasbourgeoise de 1598 y ajoute la Formule de Concorde. Le pasteur s’engage aussi à respecter les institutions mises en place par l’autorité civile, en particulier les visites pastorales et les synodes. Le pasteur strasbourgeois promet, en outre, de participer régulièrement au Convent de l’Église et d’éviter les disputes oiseuses et les conflits avec ses collègues. En cas de mauvais comportements et de faute grave, les kirchenpfleger de Strasbourg étaient autorisés à congédier purement et simplement un vicaire. Mais seul le Magistrat pouvait destituer un pasteur. Par ailleurs, n’importe qui avait le droit de s’adresser à l’ammeistre, qui avait le pouvoir d’accueillir ou de rejeter la demande.

À Strasbourg, sous la monarchie d’Ancien Régime, le Convent, par l’intermédiaire du collège pastoral institué depuis 1714, établit une liste des candidats (en général, quatre postulants pour un poste vacant) soumise au Magistrat par le Collège desOberkirchenpfleger, institué en 1683. Si celui-ci n’émet aucune objection, le candidat retenu est présenté à ses futurs paroissiens. Au XVIIIe siècle, l’usage du suffrage paroissial et la prédication-examen ne sont plus imposés. L’ordination intervient avant la nomination au premier poste. Elle donne lieu à une cérémonie, en présence d’un clerc spécialement nommé et de deux pasteurs déjà ordonnés. Elle n’a jamais lieu avant l’âge de 25 ans. Elle permet la transmission des droits et des devoirs du ministère.

Service des pasteurs

Leur mission essentielle est d’annoncer l’Évangile, de célébrer le baptême et la cène, ainsi que d’établir les actes pastoraux tels que les mariages et les obsèques. Il faut ajouter l’instruction religieuse des enfants dès les années 1520.

Quant à la durée de la prédication, il est demandé en 1571 aux pasteurs strasbourgeois de ne pas dépasser la demi-heure dans le cadre des cultes matinaux quotidiens. Le dimanche, la prédication pouvait être plus longue. Les professeurs de théologie prêchent régulièrement à la cathédrale de Strasbourg, protestante jusqu’en 1681, ou dans d’autres paroisses de la ville.

En ce qui concerne la prédication, les divers textes officiels soulignent qu’elle doit se fonder sur l’Écriture sainte, aussi bien l’Ancien que le Nouveau Testament. Elle doit annoncer purement la Parole de Dieu et non des opinions humaines.

Les pasteurs auraient voulu participer également à l’application de la discipline. Au second synode strasbourgeois, en 1539, ils expriment le souhait de pouvoir interpeller (beschicken) leurs paroissiens et de pouvoir les exclure de la cène (Bann). Le Magistrat s’y oppose.

Le contrôle des pasteurs par les autorités civiles

À Strasbourg, où plusieurs pasteurs étaient à l’œuvre, l’habitude avait été prise très tôt, après la Réforme, de se réunir régulièrement pour traiter les questions diverses en rapport avec leur ministère. On parle, à ce propos, de Convent ecclésiastique. Une Ordonnance du 31 octobre 1531 donna indirectement une valeur officielle à cet organe, en y déléguant une fois par trimestre la commission des Kirchenpfleger. Ces derniers au nombre de 21, dont un tiers était issu des sept paroisses, sont en réalité des représentants du Magistrat. Une participation de deux à trois Kirchenpfleger à la réunion du Convent paraissait souhaitable, mais ne se réalisera pas toujours dans les faits. Avec le temps, le Convent renforça de plus en plus sa position par rapport au Magistrat affaibli, en s’emparant de la réalité du pouvoir ecclésiastique. De la réunion hebdomadaire, on passera au rythme bimensuel avec présence obligatoire des pasteurs, mais celle des Kirchenfleger fut plus irrégulière.

On retrouve, à Strasbourg, comme dans d’autres lieux, la fonction de surintendant assurée par un des pasteurs. Sa mise en place se heurte, en 1574, aux résistances du Magistrat, qui aurait voulu se réserver cette fonction ou bien la confier à un pasteur de son choix. Elle finit par s’imposer, même si l’Ordonnance de 1598 parle de « président du Convent ecclésiastique » plutôt que de surintendant. Le président du Convent, appelé surintendant à certaines époques, doit diriger les réunions du Convent, veiller à l’observation de la vraie doctrine, surveiller le ministère et le comportement des membres du Convent, mettre en œuvre les examens précédant l’ordination et l’installation des pasteurs. Il doit aussi visiter (c’est-à-dire inspecter) tous les ans les églises du territoire de Strasbourg et en rendre compte par écrit au Magistrat de la ville.

À partir de 1681, les rapports entre le Collège des Oberkirchenpfleger et le Convent sont souvent difficiles. Il fallait souder la communauté luthérienne pour résister à l’assaut des catholiques. Le Magistrat, par l’intermédiaire des Oberkirchenpfleger, oppose régulièrement aux propositions du Convent une force d’inertie et ne lui épargne pas les refus, quand il trouve son zèle religieux excessif, voire indiscret. Rodolphe Reuss souligne ce climat délétère qu’il a découvert dans les procès-verbaux du Convent : « Plus d’une page des procès-verbaux porte la trace évidente de cette méfiance réciproque, masquée par la phraséologie cérémonieuse de l’époque. »

Les orientations théologiques et culturelles des pasteurs

Elles ont varié au cours des temps. Au XVIe siècle, les pasteurs sont portés par l’élan réformateur et l’enracinement biblique suscités par Luther et d’autres, puis encadrés par un corpus doctrinal qui conduira à une orthodoxie rassurante, mais aussi pesante. En réaction, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, un réveil initié par l’Alsacien Spener, et connu sous le terme de piétisme, met l’accent sur la vie religieuse personnelle des pasteurs plutôt que sur la conformité doctrinale. Il suscite également la création de petits cercles de croyants « réveillés » dans lesquels la différence entre pasteur et fidèles s’estompe, dans la mesure où ce sont la conversion, la lecture commune de la Bible et les « fruits » de la foi qui sont déterminants plus que les connaissances doctrinales et le statut du pasteur.

Mais au XVIIIe siècle, dans l’orbite des Lumières, un autre courant émerge qui valorise la raison, y compris dans les affirmations doctrinales, et place les vertus morales au centre de son message.

Les revenus du pasteur de Saint-Nicolas, d’après un registre de 1777 (Archives de Saint-Thomas, no 70/42,1)
  Revenus en nature Revenus en espèces
Chapitre de Saint-Thomas
Portion du pasteur
40 Viertel de froment
40 Viertel de seigle = 40 Viertel d’orge.
300 Gulden
(1 florin (Gulden) = 1 pièce de 1,48 gr d’or pur)
le Chapitre
prébende de chanoine
7 Viertel de froment + 18 Viertel de seigle + 7 Viertel d’orge 110 Gulden
(intérêts d’un legs déposé au Pfennigturm)
par la Ville 2 toises de bois dur + 3 toises de bois tendre + 600 fagots  

1 Viertel contient 6 boisseaux. Le boisseau de la ville est égal à 18,6 litres. 1 toise de bois : 1 stère de bois.

La rémunération des pasteurs (competenz)

Au XVIe siècle, les pasteurs sont rémunérés en bénéficiant d’une prébende attribuée soit par le Magistrat, soit par un chapitre.

Au XVIIIe siècle, la vie matérielle du corps pastoral est relativement confortable. Il existe trois niveaux de rémunération. Les membres du Chapitre de Saint-Thomas (les pasteurs titulaires de Saint-Thomas, de Saint-Nicolas et de Sainte-Aurélie) perçoivent des revenus d’un montant global de 3 000 à 4 000 livres (Pfund) contre une moyenne de 1 700 livres pour les pasteurs titulaires des autres paroisses. Les vicaires touchent une rémunération de 900 à 1 200 livres (cf. article de Bernard Vogler, BSHPF, juillet-août-septembre, 1980, p. 291).Ilfaut souligner la part importante des revenus en nature, qui est supérieure aux besoins de la consommation personnelle.

Revenus des pasteurs luthériens strasbourgeois pour l’exercice de leur charge pastorale

Voir le tableau : Les revenus du pasteur de Saint-Nicolas. Les pasteurs de Saint-Thomas et de Sainte Aurélie doivent avoir des revenus identiques.

Les pasteurs chanoines de Saint-Thomas perçoivent d’autres émoluments en tant qu’enseignants au Gymnase ou professeurs à l’Université. Il arrive que les pasteurs deviennent président du Convent : c’est une charge qui confère des revenus supplémentaires. Ceux-ci ont pu être évalués, le 29 décembre 1772, pour Friedrich Jakob Reuchlin, pasteur de Saint-Thomas et professeur de théologie : 25 Gulden du Trésor + 17,5 Gulden de l’Université + 52,5 Gulden de la fondation de Saint-Marc + 600 fagots (Archives de Saint-Thomas, no 70/41, 2).

Les pasteurs qui ne sont pas chanoines ont des revenus moins substantiels. Le registre de 1777 présente ceux du pasteur de Saint-Guillaume. La ville prend en charge ses émoluments qui se répartissent ainsi : 14 Gulden du Trésor + les revenus en nature fournis par le Grenier de la ville (25 Viertel de froment, 25 Viertel de seigle et 4 Viertel d’orge). Le pasteur touche aussi une quote-part non précisée d’une somme globale de 2 944 livres, distribuée aux membres du corps pastoral et aux membres laïcs de la paroisse, comme le sacristain et le maître d’école (cf. Roehrich, p. 87).

L’examen des inventaires donne une impression d’aisance. Une partie des pasteurs cherche à placer des capitaux. Pour les années 1751,1756 et 1761, Bernard Vogler a relevé un total de 18 prêts d’un montant moyen de 1 204 livres tournois : ce qui range les pasteurs au 6e rang des catégories socio-professionnelles (cf. article de Bernard Vogler, op. cit., p. 240). À la veille de la Révolution, la situation des pasteurs est plus précaire. Selon le président du Convent ecclésiastique, la plupart ne gagnent que 1 200 florins et ne survivent qu’avec l’apport en nature.

L’influence sur la société

L’ensemble des pasteurs a exercé une influence certaine sur la culture, en particulier par leur intervention dans les écoles, la création de bibliothèques, leur pratique musicale, caractéristique de bien des familles pastorales. Un certain nombre de pasteurs ont publié soit leur autobiographie, soit des prédications, ou encore des travaux historiques. D’autres ont publié des recueils de chants ou de prières, des catéchismes, ou des poésies de leur crû. Leur ministère est en général apprécié, malgré des liens jugés trop étroits avec les autorités civiles et les faiblesses, voire les dérives de l’un ou l’autre pasteur.

Les étapes et la durée du ministère des pasteurs strasbourgeois

La pension étant modique, la plupart des pasteurs demeurent en fonction jusqu’à l’extrême limite de leurs forces et certains se font souvent aider par des vicaires surnuméraires qu’ils rétribuent sur leurs propres revenus. L’âge de la durée en exercice peut dépasser les 70, voire les 80 ans.

La plupart des pasteurs débutent par un poste d’enseignement (pédagogues au Collège Saint-Guillaume ou professeurs au Gymnase). Ensuite, ils obtiennent un poste de vicaire à la campagne, le plus souvent dans le territoire rural de Strasbourg (bailliages de Barr, d’Illkirch, de Marlenheim et de Wasselonne), où ils accèdent rapidement à une charge de pasteur. Le passage à la campagne dure entre 10 et 20 ans et se caractérise par une assez grande mobilité : près de la moitié d’entre eux occupent deux postes.

L’accès à la charge pastorale en ville est, en général, l’aboutissement d’une carrière. Elle commence par une charge de prédicateur, puis de vicaire. Plus de la moitié des vicaires deviennent pasteurs en moins de 10 ans et plus du quart en moins de 5 ans. La moyenne d’âge, au moment de leur entrée en fonction, est assez élevée : elle se situe vers 53 ans ; 40 % ont moins de 50 ans. Certaines carrières sont longues, car elles sont hiérarchisées : les candidats doivent gravir les échelons de troisième, de deuxième puis de premier vicaire dans les paroisses où ils seront promus pasteurs. Le record de durée est détenu par Philipp Jakob Engel, qui a dû patienter 29 années, d’abord comme deuxième vicaire (de 1738 à 1752), puis comme premier vicaire (de 1752 à 1767), avant de terminer comme pasteur de Saint-Thomas. Si Reuchlin est le doyen du corps pastoral strasbourgeois (il est mort en exercice à 93 ans), cinq de ses collègues de Saint-Thomas ont été en activité pendant plus de 70 ans. Au Temple Neuf, deux pasteurs sont restés en place pendant plus de 30 ans : il s’agit de Friedrich Saltzmann (36 années), à la fin du XVIIe siècle, et de Philipp Johann Beyckert (35 années), dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.

Certains auteurs du XIXe siècle ont porté un jugement sévère sur cette gérontocratie. C’est ainsi que Johann Wilhelm Baum accuse le corps pastoral de sénilité et de sclérose, lui reprochant de pratiquer le ministère par la force de l’habitude. Par contre, il loue les mérites de Reuchlin.

Sources-Bibliographie

Les registres des procès-verbaux du Convent sont classés dans les Archives de Saint-Thomas, conservées aux Archives municipales et communautaires de Strasbourg.

NDBA (Nouveau dictionnaire de biographie alsacienne) pour les pasteurs les plus connus.

RÖRICH (Thimotheus Wilhelm), « Wie vor Zeiten unsere Pfarrer in das Amt kamen », Mitteilungen aus der Geschichte der evangelischen Kirchen des Elsasses, t. I, Paris-Strasbourg, 1855, p. 371-391.

SCHINDLING (Anton), Humanistische Hochschule und Freie Reichsstadt: Gymnasium und Akademie in Strassburg, Wiesbaden, 1877.

REUSS (Rodolphe), L’Église luthérienne de Strasbourg au dix-huitième siècle, Paris, 1892.

HORNING (Wilhelm), Zur Strassburger Kirchengeschichte im XVIII. Jahrhundert, Strasbourg, 1907.

ADAM (Johann), Evangelische Kirchengeschichte der Stadt Strassburg bis zur Französischen Revolution, Strasbourg, 1922.

STROHL (Henri), Le protestantisme en Alsace, Strasbourg, 1950, 2e éd., 2000.

VOGLER (Bernard), « Recrutement et carrière des pasteurs strasbourgeois au XVIe siècle », Revue d’histoire et de philosophie religieuse, 48/2 (1968), p. 151-174.

VOGLER (Bernard), « Le corps pastoral strasbourgeois du XVIIIe siècle », Bulletin de la société de l’histoire du protestantisme français, 1980, p. 287-296.

BORNERT (René), La Réforme Protestante du culte à Strasbourg au XVIe siècle (1523-1598), Leyde, 1981.

LIENHARD (Marc), « La Réforme à Strasbourg », LIVET (Georges), RAPP (Francis), Histoire de Strasbourg des origines à nos jours, t. 2, Strasbourg, 1981, p. 437-544.

SEHLING (Emil), Die evangelischen Kirchenordnungen des XVI. Jahrhunderts, WOLGAST (Eike) éd., t. 20/1 : Straßburg, Tübingen, 2011.

GUTH (Jean-Georges), Les protestants de Strasbourg sous la monarchie française (de 1681 à la veille de la Révolution) : une communauté religieuse distincte ?, Thèse soutenue le 9 juillet 1997 à Strasbourg (un résumé se trouve dans l’Annuaire de la Société d’Histoire des Quatre Cantons, 2016, p. 23-77).

Notices connexes

Articles organiques du culte protestant ; Augsbourg (confession d’)

Convent ecclésiastique ; Corps_pastoral

Directoire ; Droit ecclésiastique protestant

Fabrique protestante

Inspection - Inspecteur ecclésiastique

Kirchenordnungen

Liturgie protestante

Paroisse ; Protestantisme

Oberkirchenpfleger ; Ordination

Piétisme ; Paroisses et consistoires de Strasbourg ; Presbytère_protestant (v. aussi : BaptêmeConfession, Confirmation, Divorce, Ehe-Mariage).

Jean-Georges Guth, Marc Lienhard