Notables, l’Assemblée des notables israélites (1806-1807)
La France compte, en 1806, 25 000 Juifs en Alsace, 10 000 en Lorraine, 2 700 à Paris, 3 700 dans le Sud-Ouest et 2 500 dans le Sud-Est, quelques milliers en Belgique, 20 000 sur la rive gauche du Rhin et 5 500 dans le Piémont. Dans les États vassaux, il y en a 50 000 en Hollande, dont 40 000 à Amsterdam, quelques dizaines de milliers dans la Confédération du Rhin et quelques milliers en Italie. Mais en Europe, la Prusse orientale en compte 200 000, l’Empire d’Autriche 450 000, enfin un million au moins dans les provinces polonaises de Russie (F. Delpech).
Le Premier Consul avait renoncé à réglementer le culte israélite comme il l’avait fait pour les cultes catholiques et protestants en 1802. Mais la crise économique de 1805 avait provoqué le retour des accusations d’usure contre les Juifs d’Alsace et subséquemment une flambée de violence à leur égard (F. Lhuillier, p. 515-519). Au cours de son passage à Strasbourg, à son retour d’Austerlitz, il décida de saisir le Conseil d’État. La Haute Assemblée vit s’affronter le rapporteur Molé qui demandait des mesures contre les juifs en général et les usuriers juifs en particulier et le président de la section de l’intérieur Regnaud de Saint-Jean d’Angély, partisan de l’émancipation. Face à ce blocage, Napoléon prit personnellement cette affaire en main et décida immédiatement deux mesures : la publication d’un décret proclamant un Moratoire d’un an sur les dettes contractées auprès des juifs de l’Est (30 mai 1806) et la convocation à Paris d’uneAssemblée de Notables israélites de l’Empire français et du Royaume d’Italie (15 juillet 1806) que présida le Bordelais Abraham Furtado. Elle comprenait 111 membres, dont 26 Alsaciens, 14 pour le Bas-Rhin, 12 pour le Haut-Rhin, en rapport avec leur poids numérique. Les délégués furent choisis par les préfets, après consultation des maires et des communautés ; ceux-ci ont eu parfois bien du mal à faire accepter ces fonctions ingrates et fort onéreuses. En plus, de nombreuses familles juives avaient été ruinées par la crise des assignats, tels les deux branches des Netter à Rosheim ou les Weyl d’Obernai. Enfin, pour une majorité d’entre eux, ils avaient du mal à s’exprimer en français. Pour l’Alsace, on y trouve surtout des rabbins (au nombre de six), des propriétaires et des négociants.
Liste des membres de l’Assemblée des Notables « au titre des deux départements alsaciens ».
Pour le Bas-Rhin : Abraham CAHEN, de Saverne ; Abraham PICARD l’aîné, à Strasbourg ; Auguste RATISBONNE, marchand de drap à Strasbourg ; Baruch CERF BEER, propriétaire ; Cerff SALOMON, marchand à Strasbourg ; Daniel LEVY, négociant à Strasbourg ; David ZINSHEIMER, rabbin à Strasbourg [Sintzheim] ; Hirsch BLOCH, cultivateur à Diebolsheim ; Israël RHENS, à Strasbourg ; Jacques MEYER, rabbin à Niederehnheim ; Joseph FREYFOSS, résidant à Haguenau ; Lazard WOLFF, de Neuwiller, marchand ; Rueff PICARD, à Strasbourg ; Samuel WITTERSHEIM, négociant à Haguenau.
Pour le Haut-Rhin : Abraham JACOB, de Colmar ; Baruch LANG, propriétaire à Sierentz ; CALMAN, rabbin à Biesheim ; DAVID, Rabbin à Hegenheim ; Heymann PICART, propriétaire et tanneur à Belfort ; Hirtz SALOMON, propriétaire, marchand de chevaux à Colmar ; Jacob BRUNSCHWIEG, rabbin ; Lipmann CERF BEER, propriétaire résidant à Paris ; Mayer SAMUEL, de Strasbourg ; Meyer MANHEIMER, à Uffholtz ; SALOMON, rabbin à Colmar ; Wollf BARUCH, fabricant à Turckheim.
Elle doit débattre du questionnaire en 12 points portant sur la compatibilité du judaïsme avec le droit commun français (polygamie, divorce, mariages mixtes, citoyenneté française et conscription, organisation du culte, professions interdites, usure). L’Assemblée répond affirmativement. Mais Napoléon veut une sanction religieuse et cultuelle. Il convoque pour la fin de l’été un Grand Sanhédrin, assemblée de 71 personnes, dont 45 rabbins, qui siège pendant un mois (du 9 février au 13 mars 1807), présidée par le futur grand rabbin de Strasbourg David Sintzheim, beau-frère de Cerf Berr de Medelsheim. L’assemblée vote les « Décisions Doctrinales », ensemble de réponses positives qui admettent les mariages mixtes sans les recommander (tout comme le faisaient les cultes chrétiens), accepte la conscription et condamne l’usure. Puis, le Sanhédrin est dissous. Les Notables ont continué de siéger jusqu’au mois d’avril et adoptent à la majorité des voix les décrets sur l’organisation consistoriale du culte israélite, qui seront publiés le 17 mars 1808. En même temps est édicté le « décret infâme » de mars 1808 qui ne concerne que les Juifs de l’Est, donc les Juifs d’Alsace et de Lorraine, discriminant les prêteurs d’argent juifs alsaciens et lorrains et leur activité, par rapport aux autres prêteurs d’argent, leur interdisant le recours au remplacement militaire. En outre, aucun juif, même français, ne pouvait s’installer en Alsace et les migrations dans les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin étaient limitées. Mais la mesure la plus vexatoire pour les Juifs d’Alsace fut que la patente devait être reconduite annuellement par le préfet, et ce, à une double condition : obtenir un certificat de non-usure donné par le maire et obtenir une attestation de bonne conduite délivrée par le consistoire. La mesure témoigne de la méfiance de Napoléon à l’égard de la « nation juive », mais aussi de la difficulté à se débarrasser des clichés qui imprègnent la société de l’époque.
Le 20 juillet de la même année paraît le décret de Fontainebleau qui leur enjoint d’adopter des « noms ordinaires » en les faisant enregistrer devant l’officier d’état civil pour lequel Napoléon décide d’appliquer la loi du 20 septembre 1791 votée par l’Assemblée Législative. Il est, entre autres, prévu que les Juifs qui n’auront pas rempli les formalités prévues par le décret seront renvoyés du territoire de l’Empire.
Bibliographie
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L’HUILLIER (Fernand), Recherches sur l’Alsace Napoléonienne, Paris, 1947.
BLUMENKRANZ (Bernhard), avec la collaboration de Roger BERG, Gilbert CAHEN, Hugues Jean de DIANOUX, François DELPECH, Claude KLEIN, Wladimir RABI, Elie SZAPIRO, Georges WEILL, Olga WORMSER-MIGOT, Histoire des Juifs en France, Toulouse, 1972.
DENIS (Marie-Noëlle), « Noms et prénoms en Alsace au XVIIe et au XVIIIe siècle d’après l’observation d’un certain nombre de registres paroissiaux »,Annales de démographie historique, 1977, p. 343-353.
DELPECH (François), « Les juifs en France et dans l’Empire et la genèse du Grand Sanhédrin », Annales historiques de la Révolution française, 235, 1979, p. 1-26.
WARSCHAWSKI (Max), « David Sintzheim 1745-1812 », Extrait de l’Almanach du KKL-Strasbourg 5749-1989. http://judaisme.sdv.fr/histoire/rabbins/sintzhei/sintzhei.htm
SCHWARZFUCHS (Simon),Du Juif à l’Israélite, histoire d’une mutation, 1770-1870, Paris, 1989.
DALTROFF (Jean), Notice « Sintzheim », NDBA, n°35, 2000, p. 3657-3658.
Notices connexes
Sanhédrin (Grand)
François Uberfill, François Igersheim