Nécrologe

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Documents nécrologiques, Liber vitae, Selbuch, Seelbuch  

Support écrit de la commémoration liturgique des défunts au Moyen Âge et à l’époque moderne, le nécrologe appartient à la catégorie documentaire des documents nécrologiques regroupant les différents écrits de la commémoration des défunts : les calendriers nécrologiques (nécrologes, obituaires, obituaires administratifs, livres de distributions, livres d’anniversaires), les listes nécrologiques (libri memoriales, listes des défunts d’une communauté monastique ou d’une confrérie), les écrits nécrologiques administratifs (cartulaires ou comptes d’anniversaires, registres d’anniversaires), les rouleaux des morts et les brefs mortuaires, enfin les inscriptions funéraires.  

Nommer les documents nécrologiques

Le terme « nécrologe » n’existe cependant pas au Moyen Âge et les manuscrits sont en général dépourvus de titre. Les sources médiévales germaniques emploient les expressions liber vitae ou selbuch pour désigner le calendrier nécrologique, en référence au « livre de vie » mentionné dans l’Apocalypse (Ap. 20,12 et Ap. 20,15) et aux âmes des fidèles. D’autres documents nécrologiques, dépourvus de structure calendaire, sont parfois nommés liber anniversariorum ou jorgezit buch. Le terme necrologium (nécrologe) apparaît à l’époque moderne, dans les travaux d’érudits plus que dans les manuscrits eux-mêmes, tout comme celui d’obituarium (obituaire), très rare dans le corpus alsacien. Les deux termes restent de quasi-synonymes dans les travaux d’historiens jusque dans les années 1970. Nicolas Huyghebaert, puis Jean-Loup Lemaître en précisent alors l’usage en s’appuyant sur les conditions de production, les usages et le contenu des manuscrits. Le genre documentaire des documents nécrologiques évolue, en effet, au gré des mutations de la commémoration des défunts depuis le haut Moyen Âge jusqu’à la fin de l’époque moderne.  

Les différents inventaires des documents nécrologiques alsaciens dressés en 1953, dans les années 1980-1990, puis en 2020, montrent toute la richesse de ce corpus, encore très peu édité. Bien que le Moyen Âge soit surreprésenté, le corpus couvre une large période (XIe-XVIIIe siècle), comprend des manuscrits liturgiques et administratifs, et rassemble surtout des sources issues d’institutions très diverses. Il tire sa spécificité de la relative rareté des nécrologes ou obituaires bénédictins ainsi que de l’abondance des écrits des paroisses, des hôpitaux et de l’ordre des Hospitaliers, beaucoup moins représentés dans les archives d’autres régions.  

Le nécrologe, un manuscrit monastique et canonial

Aucun liber memorialis, ces listes de vivants et de morts tenues dans les monastères bénédictins au haut Moyen Âge, n’a été conservé pour l’Alsace. Les manuscrits nécrologiques les plus anciens sont par conséquent des nécrologes : ceux des abbayes bénédictines Saint-Michel de Honau (XIe siècle) et Saint-Pierre et Saint-Paul de Wissembourg (XIIe siècle), celui de la cathédrale de Strasbourg (Grand Chapitre, XIe-XIVe siècles) et celui du chapitre de Schwarzenthann inclus dans le Codex Guta-Sintram (1154). Apparu au tournant des Xe et XIe siècle en Occident, le nécrologe est un calendrier dans lequel les moines bénédictins et les chanoines inscrivent de leur propre initiative le nom d’un défunt, qu’il soit membre de la communauté ou son bienfaiteur. La liste des défunts du jour est lue lors de la réunion du chapitre après l’office de Prime et possède une fonction liturgique. C’est pourquoi le nécrologe constitue une partie du livre du chapitre. Héritier du martyrologe et du calendrier liturgique, les nécrologes en reprennent la structure tabellaire qui consacre une colonne à chaque type d’informations : le nombre d’or, les lettres dominicales, le calendrier romain, la fête liturgique ou la fête du saint du jour, puis la liste des défunts souvent précédée du verbe obiit ou obierunt. On classe parfois les défunts en différentes catégories selon leur statut (clerc et laïc) et la nature de leurs liens avec la communauté (membres, membres des réseaux de prières, bien-faiteurs, etc.).  

L’apparition de l’obituaire au tournant des XIIe- XIIIe siècles

À partir des XIIe-XIIIe siècles, de profondes modifications affectent les documents nécrologiques. D’une part, la multiplication des fondations de messes bouleverse le calendrier nécrologique, donnant naissance à un ouvrage hybride que les historiens désignent comme « obituaire ». Désormais, l’institution religieuse y inscrit le nom des défunts qui ont payé pour que soit célébrée une messe anniversaire ; elle enregistre non seulement les données liturgiques, mais également les bases économiques de l’anniversaire (modalités de paiement de la rente). L’obituaire possède par conséquent une fonction liturgique et administrative : il est utilisé pendant l’office (en particulier les vigiles) et la messe, mais aussi pour la gestion des revenus et des biens liés à l’anniversaire. D’autre part, de nouvelles institutions religieuses prennent en charge la commémoration des défunts : paroisses, ordres mendiants, ordres militaires, hôpitaux, béguinages, confréries. Chacune tient un document nécrologique adapté à ses pratiques liturgiques. Le nécrologe et l’obituaire demeurent la forme la plus courante. Cependant, au tournant des XVe et XVIe siècles, les confréries alsaciennes tiennent des listes de défunts plus adaptées à la commémoration collective des défunts qu’elles mettent en œuvre (il est impossible de savoir si elles complètent aussi un obituaire), et les béguines strasbourgeoises composent un registre des anniversaires n’enregistrant que les dates auxquelles elles devaient se rendre dans des églises pour assister aux anniversaires (1523). Enfin, la commémoration des défunts n’est plus une pratique réservée aux clercs et aux aristocrates, elle se diffuse dans toute la société. La diversification du profil des donateurs n’est pas sensible partout. Certaines églises restent le lieu privilégié de la mémoire des élites : la cathédrale, mais aussi la collégiale Saint-Thomas, l’église des Hospitaliers du Marais Vert, le couvent Sainte-Madeleine de Strasbourg.  

Diversification et spécialisation des documents nécrologiques (XIIIe-début XVIe siècle)

L’importance grandissante de la bonne gestion des revenus et des biens liés aux anniversaires explique l’apparition des documents nécrologiques strictement administratifs à partir du XIIIe siècle. Certains de ces écrits conservent la structure calendaire. C’est le cas des livres de distribution dans lesquels les chapitres (par exemple celui de Saint-Thomas à Strasbourg dont sont conservés huit livres de distribution, en plus d’un obituaire et de deux registres des anniversaires) inscrivaient les distributions aux chanoines auxquelles il fallait procéder au nom du défunt le jour de l’anniversaire. Il en est de même pour les obituaires administratifs, c’est-à-dire les calendriers nécrologiques rédigés le plus souvent sur papier par les responsables administratifs des établissements religieux (abbaye de Marmoutier) et la fabrique des paroisses (Haguenau, Obernai par exemple). D’autres documents nécrologiques administratifs sont issus du processus de spécialisation des registres administratifs en cours à partir du XIIIe siècle. Certaines institutions religieuses rédigent des cartulaires d’anniversaires (ex : le couvent Saint-Marc de Strasbourg), des censiers d’anniversaires (ex : la paroisse de Soultz-les-Bains), des comptes d’anniversaires (ex : paroisse Sainte-Aurélie de Strasbourg). La diversité et la multiplication des documents nécrologiques administratifs vont de pair avec la complexité de l’organisation administrative des établissements religieux et le nombre d’acteurs impliqués dans la gestion du patrimoine. La diffusion du papier permet de distinguer les écrits administratifs de référence, rédigés sur parchemin, et les registres de la gestion plus quotidienne pour lesquels on choisit le papier comme support. Dans la seconde moitié du XVe siècle, apparaît un dernier type de document nécrologique. On assiste alors à un véritable engouement pour la commémoration sur la tombe, en particulier chez les élites qui disposent de tombes individuelles ou familiales identifiées. Afin de trouver rapidement le lieu d’inhumation, la commanderie hospitalière du Marais Vert à Strasbourg répertorie les tombes en fonction de leur localisation dans un livre des sépultures (1465).  

Les documents nécrologiques à l’époque moderne

Le XVIe siècle marque une rupture. Les réformes protestantes rejettent les anniversaires. Les documents nécrologiques justifient néanmoins la possession de biens et de revenus désormais affectés au financement du nouveau culte. Ils contiennent aussi la mémoire de la communauté. C’est à ce titre qu’on les conserve le plus souvent. En revanche, la Guerre des paysans (1525) voit disparaître bon nombre de manuscrits de la commémoration des défunts, en particulier dans les monastères bénédictins. Considérés comme des outils de l’oppression seigneuriale par les insurgés du fait de leurs fonctions administratives, les documents nécrologiques sont détruits comme les autres archives administratives des monastères. Dans les décennies qui suivirent les événements, on en rédigea de nouveaux. La pratique des anniversaires et l’utilisation des nécrologes et obituaires perdurent en effet dans l’Église catholique bien au-delà du XVIe siècle ; plusieurs obituaires ou registres des anniversaires conservés dans les fonds alsaciens sont en usage au XVIIe ou au XVIIIe siècle. Certains documents nécrologiques médiévaux, par exemple celui du couvent Sainte-Madeleine de Strasbourg, sont continués jusqu’au XVIIIe siècle. D’autres deviennent des livres d’histoire de la communauté (à la commanderie hospitalière du Marais Vert par exemple) ou des sources pour les érudits modernes.  

Bibliographie

 WITTMER (Charles), « Liste des obituaires alsaciens  », Bulletin philologique et historique (jusqu’à 1715) des comités des travaux historiques et scientifiques, 1953, p. 1-10.  

LEMAÎTRE (Jean-Loup), Répertoire des documents nécrologiques, vol. 1 et 2, Paris, 1980.  

LEMAÎTRE (Jean-Loup), Répertoire des documents nécrologiques français. Supplément et deuxième supplément, Paris, 1987-1992.  

RAUNER (Anne), Ce que les morts doivent à l’écrit. Documents nécrologiques et système documentaire de la memoria au Bas Moyen Âge (diocèse de Strasbourg), vol. 2, thèse inédite d’histoire médiévale, Université de Strasbourg, 2020.  

Sources imprimées (sélection) :  

ADAM (Alphonse), éd., « Das Seelenbuch des Spitals in Zabern », Bulletin de la Société pour la conservation des monuments historiques d’Alsace, 21, 1906, p. 129-242.  

RODÉ (Émile), éd., L’obituaire des chevaliers de Saint-Jean à Sélestat, Colmar, 1906.  

SCHLAGER (Patrice), « Necrologium provinciae Argentinae fratrum minorum observantium (1426-1541) », Analecta franciscana historica, t. VI : Necrologia, Quaracchi, 1917, p. 257-306.  

KREBS (Manfred), « Das Jahrzeitbuch des Chorherrenstifts Truttenhausen im Elsass », ZGO, 94, 1942, p. 1-29.  

BURG (André-Marcel), « Un obituaire inconnu (vers 1165) de la cathédrale de Strasbourg. Introduction, recherches et texte »,Archives de l’Église d’Alsace, 22, 1975, p. 37-78.  

BURG (André-Marcel), « Un second obituaire de l’œuvre Saint-Georges de Haguenau. Texte et index », Études haguenoviennes, 8, 1982, p. 5-50.  

SCHLAEFLI (Louis), éd., avec la collaboration de Jean-Loup Lemaître,L’obituaire des pénitentes de Sainte-Madeleine de Strasbourg, Paris, 2020.  

Bibliographie sélective  

KREBS (Manfred), « Das Nekrologfragmente des Chorherrenstiftes Oelenberg », ZGO, 53, 1940, p. 241-255.  

WEIS (Béatrice), Le Codex Guta-Sintram. Manuscrit 37 de la Bibliothèque du Grand Séminaire de Strasbourg, Lucerne/ Strasbourg, 1983.  

METZ (Bernhard), « Les obituaires », Les Strasbourgeois et la mort du Moyen Âge à nos jours, Strasbourg, 2009, p. 182-188.  

STANFORD (Charlotte A.), Commemorating the Dead in Late Medieval Strasbourg. The Cathedral’s Book of Donors and Its Use (1320-1521), Aldershot (Hampshire), 2011.  

NOHLEN (Marie-José), « Das „Donationsbuch“ des Frauenwerks im Straßburger Münster. Erste Untersuchungsergebnisse », BUCHHOLZER-REMY (Laurence), HEUSINGER (Sabine von), HIRBODIAN (Sigrid), RICHARD (Olivier), ZOTZ (Thomas), dir.,Neue Forschungen zur elsässischen Geschichte im Mittelalter, Fribourgen-Brisgau/Munich, 2012, p. 73-84.  

RENAUDIN (Marie), Le « Liber Vitae »de Rouffach (A GG 77), Manuscrit du XIVe s. sur parchemin, mémoire de fin d’études, Paris, École de Condé Patrimoine Promotion 2019.  

RAUNER (Anne), Ce que les morts doivent à l’écrit. Documents nécrologiques et système documentaire de la memoria au Bas Moyen Âge (diocèse de Strasbourg), 2 vol., thèse inédite d’histoire médiévale, Université de Strasbourg, 2020.  

RAUNER (Anne), « Des écrits pour gérer la commémoration des défunts : les quatre obituaires administratifs d’Obernai (XVe siècle) », Annuaire de la Société d’histoire et d’archéologie de Dambach-la-Ville, Barr, Obernai, 54, 2020, p. 17-34.  

Notices connexes

Fondation  

Obituaire  

Paroisse  

Piae (causae piae)  

Selbuch

Anne Rauner