Batteurs de laine

De DHIALSACE
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Wollenschläger, Wollesläher, lanifices, lanatores

Les batteurs de laine intervenaient dans le processus de préparation de la laine à fin de tissage. La meilleure laine provenait des agneaux tondus, la moins bonne des moutons et des animaux morts. Après avoir été lavée et séchée, la laine brute était placée par petites portions sur des bancs ou des claies formées de cordes tendues, et les batteurs de laine la frappaient à l’aide de baguettes, éventuellement de pierres, afin d’en évacuer les impuretés et de séparer les brins les uns des autres. Ils utilisaient aussi de petits ciseaux pour supprimer les noeuds.

En Alsace, la recherche historique ne dispose de données précises sur ce métier que pour Strasbourg. « La position des batteurs de laine au début du XIVe siècle à Strasbourg démontre le caractère étendu de leur activité et l’aisance qu’apportait cette dernière » (Schmoller, p. 369). À partir de 1332, en effet, ils disposent d’un représentant au Conseil, ce qui indique qu’ils sont organisés en métier indépendant et qu’ils sont assez nombreux pour justifier leur présence au sein de cet organe. La même année, ils occupent la 6e place dans la succession des corporations, en 1335, la 4e. En 1383, ils affirment qu’il existe depuis plus de 80 ans un contrat entre eux et les tisserands, ce qui démontre que le métier est structuré depuis 1300 au moins et qu’il ne se confond pas avec celui des tisserands. Cependant, les relations entre les deux métiers étant étroites et déterminantes dans le devenir de l’un et de l’autre, il est nécessaire de les évoquer.

Les tisserands exerçaient surtout leur activité à domicile. Une grande partie d’entre eux étaient des femmes (cette activité s’exerçait aussi dans les couvents). Si le tissage était destiné à couvrir dans un premier temps les besoins des ménages, il finit par devenir une activité rémunérée, mais faiblement, car sa technique était simple à acquérir. Ils tissent tout d’abord le lin, puis la laine, mais sans pouvoir l’acheter, car ils comptent parmi les artisans les plus pauvres. Les tisserands sont de simples intermédiaires, qui travaillent contre salaire pour des particuliers et pour les batteurs de laine. Ces derniers, au contraire, s’inscrivent dans le marché, leur rémunération provient du profit qu’ils en retirent. C’est là la différence fondamentale entre les tisserands et les batteurs de laine, qui se transforment petit à petit en drapiers, métier offrant une ascension économique et sociale (Schmoller, p. 410-411).

Les batteurs de laine, en effet, ne se contentent pas de battre la laine : ils se livrent à son commerce, explication de leur situation florissante. Ils achètent la laine brute et, après le battage, le graissage (destiné à faciliter les étapes suivantes), le cardage, le filage et le tissage (ils partagent ces deux dernières activités respectivement avec les femmes et les tisserands), la teinture et le foulage (activité qu’ils partagent avec les foulons), ils procèdent à la vente du produit fini : le drap de laine. Cette situation est illustrée par le fait suivant : en 1383, le Magistrat rend une décision concernant les courtiers (unterkäufer), soit des acheteurs et revendeurs rémunérés de laine brute et de drap au service des batteurs de laine. Depuis 80 ans, un accord entre les batteurs de laine et les tisserands (voir plus haut) stipulait que les batteurs de laine pouvaient disposer de 13 courtiers, alors que les tisserands n’en avaient aucun à leur service. Ces derniers exigent à présent d’en avoir également. Décision du Magistrat, qui soutient les batteurs de laine : ils peuvent continuer d’avoir des courtiers, mais au nombre de 12, alors que cette possibilité est déniée aux tisserands, qui se plaignent de leur mauvais accès au marché. Ils mettent ainsi le doigt sur les différences économiques entre les deux métiers, qui se traduisent aussi par des différences sociales et politiques (AMS CH 2265 ; Schmoller p. 12 n° 14 ; Alioth, p. 378).

Dès 1357, le Magistrat accorde aux batteurs de laine le droit d’installer des métiers à tisser dans leur maison, en ville comme à la campagne. Ils étaient en conflit avec les tisserands, à cause des pertes qu’ils leur faisaient subir en leur prenant du travail (AMS CH 1525 ; Schmoller, p. 6, n° 7). Une partie des tisserands rejoint alors les batteurs de laine (Schmoller, p. 5, n° 6, UBS, V, 434). Le Magistrat assure également leur monopole du battage de la laine en 1361, en instaurant la délimitation technique entre les batteurs de laine et les chapeliers, affiliés à la corporation des merciers. Le conflit venait de ce qu’un chapelier avait appris à un compagnon à battre la laine, ce qu’il ne devait pas faire. Dorénavant, aucun chapelier n’aurait le droit de battre de laine contre rémunération ; il ne pourrait battre que la quantité de laine nécessaire à la fabrication de ses chapeaux. Ils peuvent en revanche battre du coton pour le compte de marchands (AMS CH 1608 ; Schmoller, p. 7, n° 10). Le droit pour les batteurs de laine d’installer des métiers chez eux est une étape décisive qui leur ouvre la porte de l’essor en évinçant les tisserands. En contre-partie, ces derniers ont le droit de teindre leur production en noir, prérogative des batteurs de laine.

En juin 1374, 23 batteurs de laine achètent pour 69 livres la cour zu dem Rotenmanne sise dans la Stadelgasse et en font leur poêle. Celui-ci est sous la responsabilité de 4 magistri, dont aucun, cependant, ne représente le métier au Conseil (Alioth, p. 377). Par un jeu habile de vente et de rachat de rentes sur ce poêle, la corporation engrange un capital de quelque 95 livres. Mais elle disposera au moins depuis 1395 d’un second poêle, où se réunissent les drapiers, les batteurs de laine (maîtres et compagnons) continuant de se rencontrer dans le plus ancien (Alioth, p. 379).

En 1381, des compagnons batteurs de laine, dont une femme, se plaignent devant le Magistrat. Les représentants du métier des batteurs de laine et du métier des drapiers (tucher), les « cinq », leur avaient interdit de fabriquer du drap pour leur propre usage, ce qu’ils avaient coutume de faire. Le Magistrat soutient les cinq en interdisant aux plaignants, à leurs femmes et à leurs enfants de tisser la laine pour couvrir leurs propres besoins, et expose que cette activité domestique cause de graves dommages aux drapiers et ne permet plus de différencier les métiers. Cependant, les batteurs de laine ont la possibilité d’acheter le droit d’exercer le métier de drapier (4 pfennigs, somme symbolique) si leur père ou beau-père exercent ce métier ou s’ils ont appris ce métier étant enfant. Ils peuvent alors tisser ce dont ils ont besoin pour leur propre usage. Les étrangers à la ville et dont le père n’est pas maître tisserand disposent également de ce droit (AMS CH 2209 ; Schmoller, p. 10, n° 13, Alioth, p. 377‑378). La titulature des « cinq » montre clairement qu’il s’agit de deux métiers différents. Le jugement indique aussi la mise en place du monopole du tissage de la laine par les drapiers, soit les batteurs de laine qui avaient eu le droit d’installer des métiers à tisser en 1357. Le seul battage de la laine devient le travail des maîtres les plus pauvres et des compagnons. Ce phénomène explique aussi l’existence de deux poêles séparés.

L’étape suivante, pour les drapiers, est d’affirmer leur présence au Conseil au détriment des batteurs de laine initialement en place. La dénomination drapiers (tucher) apparaît dans l’appellation de la corporation : dans les listes des membres du Conseil, depuis 1398, ce n’est plus celle des batteurs de laine, mais celle des drapiers.

La nouvelle corporation des drapiers, qui produisent pour le marché, est en pleine expansion et attire les tisserands. En 1395, les drapiers affirment que leurs compagnons sont deux fois plus nombreux que ceux des tisserands (AMS CH 2605). Ces derniers sont de plus en plus cantonnés dans le travail salarié. En 1433, le règlement de métier accepté par les drapiers, d’une part, et les tisserands, d’autre part, ne montre pas encore clairement de différence entre eux, mais vers le milieu du siècle, il est clair que les tisserands n’ont plus le droit de produire pour le marché (Alioth, p. 379, Schmoller, p. 50, n° 28, § 15). De plus en plus, ces derniers apparaissent comme les parents pauvres de la fabrication du drap.

En 1434, le sort des batteurs de laine se trouve scellé au niveau économique et social. Maîtres et compagnons, dépossédés du droit de tisser du drap, se voient contraints d’accepter un salaire tarifé pour leur activité, salaire plus avantageux pour les drapiers et les tisserands que pour les autres clients (couvents, marchands, particuliers…). Par ailleurs, la différence entre les maîtres et les compagnons se réduit, dans la mesure où les compagnons ont à présent le droit de disposer de leur propre installation de battage. Une autre mesure est prise : l’apprentissage des batteurs de laine ne peut s’effectuer que dans la maison d’un maître drapier. Toutes ces dispositions abaissent les batteurs de laine au rang de simples exécutants au service des drapiers. Ce fait est certainement dû à la moindre qualification requise par ce métier, dont l’apprentissage ne dure que six semaines (Schmoller, p. 23, n° 23).

Derrière ce déclin de la profession de batteur de laine et son absorption par les drapiers se trouvent aussi des avancées techniques. Le foulage du drap, qui consiste à le frapper pour aplanir les fibres et le rendre plus étanche, plus moelleux et plus résistant, se faisait initialement avec les pieds. Cette activité se mécanise ensuite par le biais de moulins à foulon (walkmühle). La première mention d’un moulin à foulon à Strasbourg date de 1217. Ils prennent de l’ampleur au milieu du XIVe siècle. Le drap passe entre des rouleaux ou est battu par des martinets. Le foulage était également du ressort des batteurs de laine (et des foulons, métier indépendant). Ces moulins appartiennent non aux batteurs de laine, mais à des entrepreneurs issus du patriciat disposant de capitaux. L’étude des représentants au Conseil révèle qu’entre 1349 et 1400, quatre familles de drapiers se partagent la représentation au sein de cet organe du Magistrat (les Heilmann : 16 années, 4 fois Ammeister ; les Voltze : 6 années ; les Bliweger et les von Wangen : 6 années). Ce sont ces familles qui sont propriétaires et / ou exploitants des moulins à foulon (et à farine). Le recours aux moulins à foulon dépossède les simples batteurs de laine d’une partie de leur activité et réduit leur importance.

En 1559, les XV prennent une décision dans le conflit opposant les drapiers et les chapeliers au sujet de la teinture et du battage de la laine. Les chapeliers ne peuvent teindre que la matière dont ils ont besoin pour la fabrication de leurs chapeaux. Il en est de même en ce qui concerne le battage de la laine (autrement dit, ils ne doivent pas retirer de gains de ces activités, en les exerçant contre salaire ; en cas d’infraction, une amende de 30 schillings est appliquée (Schmoller, p. 217, n° 89). Cette décision n’est que la reprise de celle de 1357 et le montant de l’amende, dissuasif, tend à prouver que cette dernière n’était plus appliquée.

L’histoire des batteurs de laine strasbourgeois est donc étroitement liée à celle des drapiers, anciens batteurs de laine pour certains. Ces derniers phagocytent peu à peu les batteurs de laine et les tisserands ; cependant, certains batteurs restent à la frange de ce processus et sont exclus de l’ascension sociale que connaissent les drapiers.

Les batteurs de laine, maîtres et compagnons, formaient des confréries de piété avec d’autres métiers. Ainsi, à Colmar, le 13 mars 1463, les compagnons batteurs de laine, tisserands de laine, tisserands de lin et chapeliers, faisant partie de la corporation de l’Aigle (zum Adler), passent contrat avec les franciscains au sujet de la fondation de deux messes perpétuelles, (AMC, HOP II, C1/6). En 1525, les mêmes créent auprès de l’Hôpital une fondation perpétuelle relative à une chambre et un lit à l’usage des compagnons malades (AMC, HH, 64/11-12).

 

Sources - Bibliographie

SCHMOLLER (Gustav), Die Straßburger Tucher- und Weberzunft. Urkunden und Darstellungen nebst Regesten und Glossar. Ein Beitrag zur Geschichte der deutschen Weberei und des deutschen Gewerberechts vom XIII.-XVII. Jahrhundert, Strasbourg, 1879, p. 395-433.

ALIOTH (Martin), Gruppen an der Macht : Zünfte und Patriziat in Straßburg im 14. und 15. Jahrhundert, Bâle et Frankfurt/Main, 2 vol.,1988, p. 377-386.

PALLA (Rudy), Das Lexikon der untergegangenen Berufe. Von Abdecker bis Zokelmacher, Francfort-sur-le-Main, 1994, p. 361.

 

Notices connexes

Corporation

Draperie

Haguenau (ville de)

Industrie

Kauf, Kaufmann

Marchand

 

Monique Debus Kehr