Inspecteur des bâtiments publics et communaux

De DHIALSACE
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Corps d’architectes à l’existence éphémère, créé par l’ordonnance de l’intendant d’Alsace du 15 février 1780, dont les titulaires sont chargés de projeter, entre 1780 et 1787, les bâtiments publics pour les communautés rurales. Ces architectes sont les prédécesseurs directs des architectes d’arrondissement qui ont connu un grand succès au cours du XIXe siècle.

La construction des bâtiments communaux (XVIIe-1780)

De la fin de la guerre de Trente Ans au milieu du XVIIIe siècle, la majorité des constructions villageoises (églises, halles, presbytères, écoles, corps de garde…) sont l’œuvre de charpentiers ou de maçons, voire d’entrepreneurs locaux ou venant d’outre-Rhin plus que d’architectes attitrés qu’embauchent des maîtres d’ouvrage divers : paroisses, seigneurs, communautés villageoises… Cette tradition est ancienne et remonte au Moyen Âge, mais perdure malgré le contrôle de plus en plus draconien de l’administration provinciale. La demande en constructions neuves augmente dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et à cette époque, rares sont les seigneuries laïques et religieuses ainsi que les établissements qui disposaient alors d’un architecte permanent.

L’intervention de plus en plus fréquente de l’intendant

L’Intendance, soucieuse de ménager les dépenses qu’engagent des communautés rurales et qui ponctionne la capacité contributive des sujets, fait alors appel au service des Ponts et Chaussées d’Alsace pour assurer le contrôle des constructions. Ce service, introduit en Alsace à partir de 1716, comprend un personnel organisé sur un modèle pyramidal, qui connaît plusieurs remaniements jusqu’en 1789 (Werner, p. 1-34). Sans qu’il n’y ait d’ailleurs de réglementation spécifique, l’administration confie donc le contrôle et même la maîtrise d’œuvre de la construction publique des paroisses et des communautés aux inspecteurs des Ponts et Chaussées. Au vu de leurs réalisations et des plans conservés, ces derniers semblent assez compétents en matière architecturale, comme en témoigne l’œuvre des inspecteurs Christiani, Desbordes, Chassain, Stroltz et Gouget, présents dès les années 1760 et auteurs de nombreux édifices.

Inspecteurs des bâtiments publics et communaux (1780-1787)

Devant la multiplication des chantiers, l’administration décide de créer en 1780 un corps d’architectes chargés des seuls édifices communaux, les Inspecteurs des bâtiments publics et communaux. Par l’article 15 de son ordonnance du 15 février 1780, l’intendant d’Alsace, Chaumont de la Galaizière, décide la nomination de deux inspecteurs, l’un pour la Basse-Alsace, l’autre pour la Haute-Alsace, « dont les fonctions absolument étrangères à celles des ponts et chaussées ne s’étendront qu’aux ouvrages particuliers à chaque communauté, tels que construction et réparation d’église, de presbytère, de maison d’école, de fontaine publique, etc. » (Baumann, RA, 134, p. 273). Les inspecteurs, qui sont nommés par l’intendant, seront amenés à expertiser des édifices, à rédiger des devis, enfin à projeter des bâtiments, sur ordre de l’intendant et à la charge des villes et communautés. L’article 16 de l’arrêté précise le mode d’attribution des travaux, qui se fera surtout par adjudication au rabais pour les constructions les plus importantes, à la manière des travaux des Ponts et Chaussées. L’intendant essaye ainsi d’organiser un contrôle régulier sur les travaux des communautés, en les dissociant définitivement de ceux assurés par les agents des Ponts et Chaussées, invités à remettre aux nouveaux inspecteurs « les papiers, plans et tous les documents quelconques qui se trouvent entre leurs mains, concernant les ouvrages de cette nature qui ont pu être précédemment ordonnés » (ABR, 32J 4 : règlement imprimé du 15 février 1780).

Au cours de l’année 1780, Chaumont de la Galaizière procède à la nomination des inspecteurs des bâtiments publics et communaux, qui sont finalement au nombre de cinq, au lieu des deux prévus initialement. On leur attribue à chacun une circonscription bien arrêtée, appelée « département » ou « district ». Gabriel Ignaz Ritter est en activité dans la partie Nord de la Haute-Alsace, tandis que Nicolas Alexandre Salins déploie son activité dans le Nord et le centre de la Basse-Alsace. François-Martin Burger exerce de 1780 à 1784 « dans l’arrondissement des bailliages de Belfort, Delle, Thann et Hirsingue » et permet à son demi-frère par alliance, Jean-Baptiste Kléber, de lui succéder à compter du 15 octobre 1784, date de sa nomination par l’intendant. François Antoine Zeller, originaire du Sundgau, se voit confier les « départements des Haut et Bas bailliages de Landser, d’Altkirch, de Ferrette, d’Eschentzwiller et d’Ensisheim », enfin François de Sales Vaultrin de Saint-Urbain, demeurant à Strasbourg, est nommé par l’ordonnance du 17 mars 1780 « dans l’arrondissement des bailliages de Barr, Benfeld, Dachstein, Mutzig, Ban de la Roche, Guirbaden, Schirmeck, Obernai, Rosheim, la partie des communautés dépendant des terres de la Noblesse et du Grand_Chapitre qui sont situées au midi de la Ville de Strasbourg » (ABR, 32J 2 : acte de nomination du 17 mars 1780). Chacun sera tenu d’adresser à l’intendant « l’état des journées qu’il aura employées aux opérations dont nous l’aurons chargé sans qu’il puisse rien exiger ni recevoir, soit des communautés, soit des entrepreneurs, que sur la taxe que nous aurons faite des frais qui lui seront bien et légitimement dus ». Ce service dépend donc directement de l’intendant qui assure notamment leur rémunération. Chaque subdélégué, bailli de département, magistrat de Ville et prévôt de communauté se devra aussi de reconnaître et faire reconnaître chaque inspecteur dans le cadre de sa circonscription (Baumann, RA, 134, p. 274).

La « réforme » de 1780 est une grande nouveauté dans la province d’Alsace, puisque l’intendant essaye, en rationalisant l’attribution des chantiers communaux, de faciliter leur contrôle par le découpage du territoire en circonscriptions et l’attribution progressive des marchés par voie d’adjudication au rabais. Mais les circonscriptions des inspecteurs, telles qu’elles ont été délimitées dans les règlements, sont loin d’être des « chasses gardées » pour leur titulaire. Car dans la pratique, l’intendant – qui seul peut attribuer un projet –autorise souvent les inspecteurs à travailler hors de leur circonscription. C’est le cas de Zeller qui a travaillé pour 63 localités différentes de Haute-Alsace entre 1780 et 1790, dont certaines autour de Colmar, situées loin du Sundgau (Abel, p. 181-248, 259). Ces architectes sont aussi autorisés à cumuler d’autres fonctions, tel Salins de Montfort comme architecte de l’Évêché de Strasbourg et Burger comme entrepreneur des fortifications de Belfort et Inspecteur des Bâtiments de l’abbaye de Masevaux…

La Commission intermédiaire supprime les Inspecteurs des bâtiments publics et communaux (1787)

En 1787, l’Assemblée provinciale supprime le corps des Inspecteurs des bâtiments publics et communaux. Les communautés sont à nouveau autorisées à confier leurs travaux aux inspecteurs des Ponts et Chaussées. L’Assemblée provinciale élue en 1787, soucieuse d’économies, se montre hostile à l’administration publique des travaux publics. Elle stigmatise surtout les « cinq nouveaux inspecteurs des bâtiments, divisés par département, créés en vertu de commissions permanentes [et] paraissant multiplier les êtres qui vivent aux dépens de la province » (Procès-verbal des séances…, p. 193-194). Malgré les justifications de l’intendant – dont la principale préoccupation visait « à distinguer les monuments des constructions particulières » – l’assemblée a le dernier mot et ne tient nul compte de la supplique transmise par Salins de Montfort au nom de ses collègues (Procès-verbal des séances…, p. 194).

De son côté, la Commission intermédiaire, véritable détentrice du pouvoir de l’intendant, a cessé de reconnaître dès 1787 les inspecteurs des bâtiments et a chargé les inspecteurs des Ponts et Chaussées de reprendre leur activité en matière d’édifices publics et communaux. La Commission ajoute qu’elle regrette « de n’avoir pas été chargée plus tôt de cette partie importante de l’administration […] pour arrêter le luxe qui commençait à s’introduire dans la province » (Précis des opérations…, p. 44- 45). Pourtant, l’administration provinciale cherche à conserver des postes d’architectes, comme celui de Pierre-Michel d’Ixnard, architecte-expert de la commission intermédiaire provinciale entre 1788 et 1790, sorte d’architecte en chef chargé d’examiner et d’améliorer les projets proposés par les autres inspecteurs, voire de les supplanter (Abel, p. 225). Mais son poste est supprimé par la nouvelle administration en 1790.

Ils se maintiennent dans le Haut-Rhin jusqu’aux débuts de la Révolution

Sous la Révolution et l’Empire, dans le département du Bas-Rhin, les agents des Ponts et Chaussées reprennent leurs travaux en matière de constructions communales, et en conserveront longtemps le monopole. Dans le Haut-Rhin, la situation est différente. Alors que l’architecte colmarien Félix de Rungs obtient le 11 juin 1788 le titre d’inspecteur des bâtiments domaniaux de la Province d’Alsace, les anciens inspecteurs des travaux publics et communaux – Ritter, Zeller et Kléber – continuent d’exercer jusqu’en 1790. Mais là aussi, ils se voient peu à peu dessaisis. Zeller, qui demande à rester en poste dans le district d’Altkirch, voit sa supplique rester sans réponse en 1790 (Abel, p. 249). Ritter s’efface également. Jean-Baptiste Kléber, en revanche, parvient momentanément à se maintenir. En 1790, la supplique qu’il adresse au Conseil général du district de Belfort est fort énergique ; c’est un remarquable mémoire sur les travaux publics, dans lequel il précise les attributions des futurs inspecteurs des bâtiments publics qu’il propose d’instituer dans chaque district (Martin, p. 22-24). Finalement, le Conseil général du département du Haut-Rhin décide, le 15 décembre 1790, de nommer un inspecteur en chef attaché au département et un inspecteur particulier pour chacun des districts de Belfort et d’Altkirch. Kléber postule immédiatement, mais sa nomination officielle comme inspecteur des bâtiments publics et communaux du Haut-Rhin n’a lieu que le 22 décembre 1791, et l’année suivante, ce dernier s’engage dans l’armée pour connaître une carrière militaire célèbre (Martin, p. 25-27).

Bibliographie

ABR : 32J 2 (acte de nomination du 17 mars 1780), 32J 4 (règlement imprimé du 15 février 1780).

Procès-verbal des séances de l’Assemblée provinciale d’Alsace, tenues à Strasbourg aux mois de novembre et décembre 1787, Strasbourg, 1788, p. 193-194, 264.

Précis des opérations de la Commission intermédiaire provinciale d’Alsace jusqu’au 15 février 1789, Strasbourg, 1789, p. 44-45.

WERNER (Robert), Les Ponts et Chaussées d’Alsace au XVIIIe siècle, Strasbourg, 1929, p. 1-34.

LEHNI (Roger), « L’église Saint-Étienne de Rosheim », Annuaire de la Société d’Histoire et d’Archéologie de Molsheim et environs, 1970, p. 7-39.

ABEL (Louis), Kembs en Sundgau rhénan. L’église et l’architecte du XVIIIe siècle. François-Antoine Zeller (1740-1816) et son activité en Haute-Alsace, Strasbourg, 1986, p. 139-265.

MARTIN (Étienne), J. B. Kléber architecte (1784-1792), Catalogue d’exposition, Colmar, 1986, p. 17-28.

RIEGER (Théodore) et VOGLER (Bernard), Alsace baroque et classique 1660-1790, Strasbourg, 1993, p. 175 et suivantes.

BONNEL (Yves), « François Martin Burger (1747-1804) », NDBA, 21, 1993, p. 1979-1980.

LEHNI (Roger), « Gabriel Ignaz Ritter (1732-1813) », NDBA, 31, 1998, p. 3244-3246 ; « Nicolas Alexandre Salins (1753-1839) », NDBA, 32, 1998, p. 3350-3351.

RIEGER (Théodore), « François Antoine Zeller (1740- 1816) », NDBA, 41, 2003, p. 4363.

BAUMANN (Fabien), « Les architectes d’arrondissement et la transformation du paysage communal au XIXe siècle », RA, 134, 2008, p. 271-290.

BAUMANN (Fabien), « François de Sales Vaultrin de Saint-Urbain (1752-1815) », à paraître en ligne (décembre 2015) dans le NetDBA : www.alsace-histoire.org/fr/netdba/.

Fabien Baumann