Neunerglock

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Bübenglock, Burgerglock, Feierabendglocke, Lumpenglock, Nachtglock, Ninner Glock, Zehnerglock, Cloche de la retraite, Cloche du couvre-feu  

À Strasbourg, sonnerie de la cathédrale annonçant le couvre-feu. Cette tradition qui remonte au Moyen Âge, mais dont on ignore la date d’origine exacte, consiste en une sonnerie à la tombée de la nuit. Son heure variait en fonction de la saison (hiver/été). Elle invitait tous les habitants à éteindre les feux des lanternes, des bougies et des cheminées afin d’éviter les incendies.  

Variété des appellations selon les localités

Beaucoup de localités en dehors de Strasbourg possédaient ou possèdent encore des cloches de la retraite ou du couvre-feu, sous des appellations diverses : Feierabendglocke, Abendglocke (Bouxwiller, 1545), Nachtglocke (Ingwiller, 1486), Zehnerglocke, Neunerglocke (Saverne, 1634, Rosheim), voire Siebenerglocke (Collégiale Saint-Martin à Colmar, 1573).  

La cloche Edel, fondue pour Eschau en 1778, aujourd’hui à Graufthal, porte la mention : « sogleich ihr zu nacht hoert meinen klang so begebt euch nach haus in frieden und ohne zwang » . 

Mais deux cloches au moins portent le surnom plus expressif de « cloche des ivrognes » : S’Lumpaglöckel, le Zehnerglöckel de Ribeauvillé, fondue par Zacharias Rohr en 1626, logée dans la Tour des Bouchers, et la cloche Sainte-Odile (Causard, 1926) du Kappelturm d’Obernai qui remplace l’ancienne Zehnuhrglocke, Lumpenglocke ou Polizeiglocke de 1845, confisquée en 1917 (L. Schlaefli).  

Le cas de la cathédrale de Strasbourg

Les variantes dans la désignation de cette sonnerie à Strasbourg, ainsi que son objet ont suscité de nombreux débats et ont entraîné des confusions malheureuses qui persistent jusqu’à nos jours. Francis Rapp affirmait voici plus de 40 ans qu’au sujet de la cloche de dix heures, il ne pensait pas qu’il y ait une documentation importante, tant il est vrai que les sources d’archives sont dispersées et peu explicites. Celles-ci ne nous permettent pas de remonter au-delà de la première moitié du XVe siècle. Dans un article paru en  2002, Jean-Pierre Kintz a recensé systématiquement les principales sources.  

Une réglementation datant de 1462 fait mention de la sonnerie de laniener Klock qui retentissait à 9 heures en période hivernale, de la Saint-Michel (29 septembre) à Pâques. Par déduction, on peut penser que durant la saison estivale, la cloche retentissait à 10 heures. Neunerglock et Zehnerglock désignent donc la même réalité. Autre mention : en 1462, les conseillers de la Chambre des XXI avaient décrété que toute personne de la ville, ou étrangère à celle-ci, ne pouvait sortir dans la rue après la sonnerie de la cloche de 9 heures (la ninner 'Glock), sans être munie d’une lanterne. Dans les textes du XVIIIe siècle, on trouve aussi le terme de Bürgerglock (die Bürgerglock soll im Winter wie im Sommer erst nachts um zehn Uhr geläutet werden) (Grandidier). Ce texte est rappelé par Théophile Schuler, lorsqu’il précise : « Die Feyerabend-Glocke die Abends um 10 Uhr geläutet wurde ».  

Louis Schneegans, dans un ouvrage paru en 1855, Straßburgische Geschichten, Sagen, Denkmäler, Inschriften, Künstler, Kunstgegenstände und Allerlei, publie les textes des règlements de 1456, 1460, 1462, 1469, 1487 et 1493. Le plus ancien qu’il ait retrouvé date de 1456 : « daß fernerhin Niemand mehr, er sey fremd oder heimisch, nach der dritten Wachtglocke ohne das gewöhnliche Licht über die Straßen gehen soll weder in der Stadt selbst noch in den Vorstädten ; daß ebenso Niemand mehr nach Auslaüten der selben Glocke, sey es mit oder ohne Licht keinen ungewöhnlichen Schrei auf den Straßen thun, noch laut jauchzen, singen oder brüllen noch Becken schlagen, oder sonst ein ähnliches üngewöhnliches Gewüte sich erlauben soll… », soit « que dorénavant personne, fût-il étranger ou habitant de la ville, ne parcoure les rues de la ville ou des faubourgs sans l’éclairage habituel après la troisième sonnerie de la cloche de garde et que de même personne, après la fin de la sonnerie de ladite cloche, fût-il avec ou sans éclairage, ne pousse dans les rues ni cri inhabituel ni cri d’allégresse, ne chante ou ne hurle, ne frappe des cymbales ou se permette de manifester un vacarme identique et inhabituel » (trad. J.-P. Kintz, p. 180).

François Uberfill

Changements d’horaires à partir du 5 janvier 1739

Dans sa séance du samedi 3 janvier 1739, les XXI examinent une demande des aubergistes strasbourgeois de pouvoir prolonger l’heure d’ouverture hivernale jusqu’à 22 heures et ainsi « im winter gleich wie im sommer bis nachts umb zehn uhre gäste zu halten ».  

Ce texte précise clairement les horaires de la Neunerglock : « abends nach der Nachtglocken, daß ist im Sommer nach zehen und am Winter nach neün uhren ».  

La demande est présentée par la corporation des Fribourgeois, argumentée en six points, dont les principaux sont :  

  • parmi les habitudes de la vie courante, celle concernant les repas ont évolué. Notamment l’heure du repas du soir est passée de sept heures [19h00] à huit heures [20h00] ;
  • la comédie, le concert et autres spectacles se terminent généralement après 20 heures, ce qui laisse peu de temps aux clients qui y ont assisté pour terminer la soirée au restaurant « ehe die sich recht zu tisch gesetzet, und halber gespeißet, bey schlagung der Neuner glock sich weg und nach Hauß begeben müßten » ;
  • les aubergistes qui accueillent des officiers ont du mal à faire respecter les horaires, dans la mesure où ils peuvent le faire ;
  • un allongement des heures d’ouverture serait aussi bénéficiable à l’Umgelt dans la mesure où cela augmenterait la quantité de vin débité.

  Les XXI reconnaissent la justesse de ces arguments et acceptent, avec l’accord du Praetor Regis, de modifier les horaires de la Neunerglock : « Die bürgerklock soll im Winter wie im sommer erst nachts umb zehn uhren geläütet werden ». Cette modification est entrée en vigueur le lundi 5 janvier 1739 : « ist Montag den 5ten Januarii huius die bürgerklock abends nach zehn uhren vor das erste mahl geläütet worden » (source : AMS, 1 R 221, f° 703-715).

Jean-Marie Holderbach

Sonneries de couvre-feu : le souci de la sécurité et de la moralité

Derrière ces mandats et règlements, on perçoit le souci de la sécurité face au danger du feu. La crainte d’un incendie, surtout nocturne, taraude les esprits des habitants des villes du Moyen Âge et des temps modernes. Lucienne Hochstrasser nous apprend ainsi que les autorités de la ville ont imposé aux boulangers certaines règles, dont celle édictée en 1499, de panifier entre midi et minuit tous les jours, et ceci, seulement trois fois par semaine (voir : Feuerordnung).  

On constate ainsi, qu’outre le fait de lutter contre le danger du feu, les textes des règlements visent également à moraliser les mœurs. Une réglementation de 1437 précisait déjà : « Es soll fürter nyemands uff deheiner trinckstuben oder gesellschaften, derheinerley spil thun, noch dem du nünerglock ußgelütet wurt » (Qu’en plus, toute personne aura quitté les tavernes et les lieux de réunion ou ne se livrera à des jeux de quelque sorte qu’ils soient, après que la cloche de 10 heures a retenti). Ces interdictions sont reprises systématiquement par les mandats ou règlements décidés par le Magistrat.  

L’interdiction revient de façon récurrente dans les textes, ainsi dans ce mandat de 1697 où il est prescrit : « ledige bursch sollen nach der Nachtglock nach haus gehen » (les jeunes gens célibataires doivent rejoindre le maison à la sonnerie de la cloche). À noter que le terme de Nachtglock ne se rencontre que rarement dans les textes  

Confusions avec la Thorglocke

La Zehnerglock a souvent été confondue avec la Thorglock. Celle-ci est mentionnée une première fois en  1332 par Closener et Twinger von Koenigshofen. Grandidier la mentionne dans ses « Essais historiques et topographiques sur l’Église cathédrale de Strasbourg » : « Man mahte ouch, wanne man morgens und abendes di dorglocke lute, daz man danne die dor beschliessen und entschliesen solle. » (On rappelle également que lorsque matin et soir la cloche des portes était sonnée, il fallait verrouiller ou ouvrir les portes).  

Théophile Schuler précise : « Die Thorglocke so genant weil man sie Morgens und Abends vor dem Auf- und Zugang der Stadt laüten pflegt. Sie wurde zum erstenmal gegossen im Jahr 1330. » (La cloche des portes, ainsi appelée, parce que matin et soir on la faisait sonner à l’ouverture et à la fermeture des portes. La première cloche fut fondue en l’an 1330). D’après un autre texte, l’heure de la sonnerie de la Thorglock était à la discrétion de l’ammeister, pour tenir compte du temps et de l’heure.  

Confusions avec le Grüselhorn

La sonnerie de la Zehnerglock et celle du Grüselhorn ont souvent fait l’objet d’une confusion. L’origine de la sonnerie du Grüselhorn est incertaine, la chronique de Koenigshofen la situe en 1349, Grandidier en 1389. Combien de fois en sonnait-on ? Geiler de Kaysersberg affirme qu’on sonnait le Grüselhorn plusieurs fois dans la nuit. La mention la plus précise au sujet de cette tradition provient de Jean André Sibermann (suivant une note manuscrite aujourd’hui perdue mais reprise par A. Stoeber) : « Il est sonné deux fois toutes les nuits du haut de la cathédrale par l’un des veilleurs. La première fois, après la Scharwächterglocke (cloche des veilleurs), à savoir l’été avant 9 heures et pour le reste du temps avant 8 heures ; ensuite, le cor est sonné autant de fois que la cloche retentit. La nuit, à 12 heures, on sonne également du cor près de la tour, à partir de deux endroits situés près des toits de pierre. » Charles Schmidt confirme dans son dictionnaire (Wörterbuch der strassburger Mundart, 1896) que l’on sonnait du cor la nuit pour annoncer les heures.  

La Zehnerglock, chère au cœur des Strasbourgeois, a inspiré de nombreux auteurs, écrivains ou poètes, tels Adolphe Matthis (1874-1944), Henri Solveen (1891-1956), ou Raymond Matzen (1922-2014).  

Bibliographie

AVS : Mandats et règlements : R37, n°173 ; R2, f. 53 verso ; R2, f. 132 v et R3, f. 22v et f. 53 ; R18, f.°19.  

DRW, « Zehnerglocke ».  

SALADIN (Johann Georg), Strasburger Chronik, Strasbourg, vers 1618.  

GRANDIDIER (Philippe-André), Essais historiques et topographiques sur l’Église cathédrale de Strasbourg, Strasbourg, 1782, p. 245-248.  

SCHULER (Théophile), Strasburger Münster, Strasbourg, 1817.  

RAPHAËL (Freddy), WEYL (Robert), Juifs en Alsace, Toulouse, 1977.  

FUCHS (François Joseph), « Un règlement inédit des gardiens de la cathédrale de 1596 », Bulletin de la cathédrale de Strasbourg, XXV, 2002, p. 187-196.  

KINTZ (Jean-Pierre), « Zehnerglock et Grüselhorn »,Bulletin de la cathédrale de Strasbourg, XXV, 2002, p. 179-186.  

TAROZZI (Olivier), « Le rythme des jours à travers les cloches de la cathédrale », La cathédrale de Strasbourg en sa ville. Le spirituel et le temporel, (ss dir. Christian Grappe), Strasbourg, 2021, p. 53-67.  

SCHLAEFLI (Louis), Mille ans de cloches en Alsace, Fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace, Coll. Alsace Histoire (ouvrage à paraître).  

Notices connexes

Clocher  

Cloche_bourgeoise  

Cloches (sonnerie des)  

Feuerordnung  

Loisirs (jeux)  

Lumpenglocke  

Nacht  

Thorglocke  

Zehnerglock

François Uberfill