Mobilier alsacien : Différence entre versions
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Le mobilier est l’ensemble des éléments mobiles qui font partie de l’aménagement d’un intérieur et qui peuvent être déplacés au sein de ce lieu ou transférés dans un autre. Les meubles sont généralement en bois et font fonction de contenant (coffre, armoire, buffet) ou de support (lit, banc, chaise, table, étagère), ce qui les distingue des ustensiles. Il existe aussi des meubles à usage non domestique, comme le mobilier des églises, des locaux d’enseignement ou des ateliers d’artisans, sujets que nous ne traiterons pas ici.
Sommaire
Les sources
Avant la fin du XVe siècle, les informations sont très rares et peu fiables. Aux XVe et XVIe siècles en revanche, plusieurs sources se recoupent et nous livrent une image assez complète de l’ameublement domestique.
Les gravures d’illustration, comme celles de Grüninger, donnent de nombreuses indications (Dupeux). Les planches de l’ouvrage attribué à Hupfuff parcourent, vers 1510, différentes pièces d’un intérieur dans lequel les meubles sont nombreux, diversifiés et décorés. Les nombreux tableaux peints conservés dans les musées du Rhin supérieur montrent, eux aussi, des pièces de mobilier (catalogue Karlsruhe), placés dans la situation où ils sont utilisés.
Les meubles conservés dans les musées ou chez certains particuliers sont les meilleurs témoignages de cet artisanat, car ils révèlent aussi bien les techniques de fabrication et de montage que l’évolution du style. À travers le temps, ces pièces ont subi une sélection technique en fonction de la nature du bois, de la solidité de la structure et des conditions de conservation, ainsi qu’une sélection esthétique. La richesse du décor et une apparence exceptionnelle sont en effet des critères de survie d’un meuble.
Les inventaires après décès ou après mutation (E. Ungerer) sont des sources importantes lorsqu’elles sont utilisées statistiquement (Boehler, Paysannerie p. 1622-1653). Mais ce travail n’a pas encore été fait en ce qui concerne le mobilier urbain.
Fabricants et fabrication
Au XIIIe siècle, la confection d’un meuble est l’affaire des huchiers (Kistner), regroupés en corporation. Puis, ce savoir-faire devient l’affaire des menuisiers. À Strasbourg, ceux-ci font partie de la Tribu des charpentiers, en compagnie des charrons, des tourneurs sur bois, des vanniers et des fabricants d’orgue (Lévy-Coblentz, t. I).
La fabrication d’un meuble est un travail très divisé : les tourneurs sur bois confectionnent les pieds, les balustres et les colonnes, les serruriers s’occupent de tout ce qui est métallique : gonds, charnières, serrures, crémones et les sculpteurs réalisent tous les décors en relief. Un nouveau corps de métier se rajoute d’ailleurs en 1706, celui des tapissiers qui capitonnent fauteuils et lits.
Le bois
La prépondérance des résineux et surtout du sapin est indiscutable, le coût de ce bois étant modique. Il est quasiment le seul employé jusqu’à la fin du XVIIe siècle, puisque le bâti des meubles marquetés est, lui aussi, réalisé en sapin. Toutefois, des essences plus dures (et plus coûteuses) détrônent progressivement les résineux, ce sont essentiellement le noyer – très apprécié en Alsace – et le chêne.
Le montage
Au Moyen Âge, l’intérieur des coffres montre que les planches des côtés présentent des tenons s’insérant de façon assez grossière dans des mortaises pratiquées dans l’épaisseur des pieds. À la fin du XVe siècle, les menuisiers utilisent les assemblages appelés « à queue d’aronde » pour raccorder les planches à angle droit. Plus tard sont inventées les coupes obliques d’onglet, utilisées pour joindre les angles des moulures.
Le décor
Au XVIe siècle, un nouveau procédé, la marqueterie, consiste à recouvrir entièrement les parties à décorer par des éléments de placage assemblés. Ce sont de fines feuilles de bois, découpées selon le motif souhaité, qui sont fixées sur le bâti avec de la colle d’os chaude, jusqu’à recouvrir l’essentiel de la surface du meuble. Outre les éléments sculptés, généralement rapportés, les colonnes tournées ou les pilastres, la marqueterie est une des techniques décoratives caractéristique de la Renaissance alsacienne et rhénane.
L’évolution du mobilier urbain
Retracer l’évolution du mobilier en Alsace est particulièrement complexe. La grande majorité des meubles connus a été réalisée en milieu urbain, à Colmar, Mulhouse et surtout Strasbourg. Le rôle des villes moyennes (Sélestat, Obernai, Wissembourg et bien d’autres) est cependant important, car elles ont souvent abrité des corporations actives et créatives et ont, en outre, permis la diffusion des modèles urbains en milieu rural. S’ajoutent à cette complexité des différences géographiques, et même confessionnelles. Les influences allemandes et suisses (Bâle surtout) ont par ailleurs marqué nombre de créations, mais ce sont surtout les changements dus au rattachement de l’Alsace à la France qui ont conféré une certaine originalité au mobilier alsacien.
Du XIVe au XVIe siècle
Avant 1519, les gravures montrent des meubles très simples : tables rondes tripodes, tabourets de même facture, bancs à pieds divergents et bien sûr coffres.
En 1544, le règlement des menuisiers strasbourgeois édicte que les compagnons doivent produire trois pièces différentes pour accéder à la maîtrise : un châssis de fenêtre, une table pliante et un coffre à queues d’aronde. Le décor de ces chefs-d’œuvre de maîtrise peut se référer au style gothique (teutscher Art) ou au style Renaissance (welscher Art).
Imprimé à Strasbourg en 1543, l’ouvrage de Vitruve sur l’architecture antique est rapidement diffusé et va avoir une influence considérable : le meuble, coffre ou armoire, devient un édifice et sa façade doit suivre les règles de l’architecture, être divisée en étages avec de fausses fenêtres en façade et respecter la succession des ordres antiques pour les chapiteaux des colonnes.
Types de meubles
Dans les intérieurs des bourgeois alsaciens, plusieurs types de meubles sont alors présents :
Les coffres
Au XIVe siècle, les coffres, assez élevés, sont composés sur quatre côtés d’épaisses planches de résineux assemblées à tenons et mortaises. Les pieds, la caisse éloignée du sol et le couvercle rabattable sont bardés de pentures en fer parfois si nombreuses qu’elles font de certains de ces meubles de vrais coffres-forts. Plus tard, les caisses de ces contenants sont assemblées avec des queues d’aronde et reposent plus près du sol sur des pieds séparés du bâti.
Souvent indépendants, les coffres se trouvent parfois associés à un lit. Dans les œuvres peintes, certains sont disposés au pied de la couche, d’autres servent de marchepied pour monter dans le lit. Dès le XVIe siècle est attestée la présence d’une layette, petit compartiment intérieur placé en hauteur, dont le couvercle relevable permet de tenir levé celui, bien plus lourd, du coffre, afin de laisser les mains libres à la personne qui se penche au fond du meuble. Dans les coffres est en effet empilé le linge de lit, draps et taies, dont il convient d’avoir des réserves puisqu’il n’y a que deux lessives annuelles. Le linge de table, essentiellement les nappes qui recouvrent les « tables à manger », parfois aussi des vêtements, sont aussi entreposés dans ces meubles. Mais leur utilisation peut aussi être plus variée.
Les armoires, le lavabo
Au XVIe siècle, les armoires sont plutôt étroites (Känsterlin) et munies de deux petites portes superposées, le couronnement et le socle étant décorés de motifs en méplat.
Les lits
Bien que la caisse du lit (Bettlad), soutenue par des pieds droits et munie de chevets de hauteur variée, soit la structure de base, la diversité des types est de mise. Les plus élaborés sont les lits à baldaquin, dont la partie supérieure du chevet est recourbée bien au-dessus de l’occupant, et les lits à ciel, parfois garnis d’un lambrequin ou de rideaux (une mode française), qui protègent tout le lit des chutes de poussières venues du plafond.
Les inventaires (Ungerer) citent plusieurs types de lits : Spannbett (lit à sangles), Lotterbett (lit de camp ou couchette), brabändisches Bett, Federbett, Wollbett, Bettlin, qu’il est bien difficile de décrire avec précision aujourd’hui. Il est à remarquer que la garniture (Bettstückenzeug) du lit est toujours mentionnée dans ces inventaires. La liste débute par le Strohsack, la paillasse, se poursuit par les divers oreillers et traversins avec leur taies en kelsch ou en lin blanc, par les draps (weisse Linlachen) et enfin la couverture ou couvre-lit, faite de tissus de qualité, parfois même de fourrure. Gravures et peintures montrent que les oreillers sont larges et épais et presque toujours redressés, les dormeurs craignant d’adopter la position couchée qui est celle de la mort.
Les tables
Au Moyen Âge, les tables ne sont souvent que des planches disposées sur des tréteaux ou des pieds pliants. Au début du XVIe siècle, les gravures présentent des tables à pieds-patins transversaux, munis d’une barre longitudinale insérée en tenon dans les pieds et dépassant aux extrémités où elle est bloquée par une clavette, ce qui permet un démontage aisé. Les tables à plateau double, dépliables grâce à des pièces de fer sont très appréciées, mais plus rares, à cause de leur prix, car elles sont généralement en noyer. Un troisième type de table, plus rare, est celui à piétement en X, elle aussi conçue pour être mobile, dont le type remonte à l’époque médiévale.
Les sièges
Très courants dans tous les milieux, les bancs ont une assise simple, souvent accolée au mur et munie de pieds transversaux qui peuvent être décorés aux extrémités. Il n’est toutefois pas rare de trouver des bancs munis d’une barre faisant office de dossier.
Les chaises elles aussi sont de plusieurs types : chaise à lamelles pliable, tabouret à pieds tronconiques divergents, puis escabelles à assise soutenue par des pieds divergents et munies d’un dossier très étroit, percé d’un trou servant à la préhension. Ce type de siège deviendra la fameuse chaise dite « alsacienne », en réalité largement diffusée en Europe centrale. Les fauteuils sont plus rares et Hupfuff est le seul à présenter des chaises percées, ou plutôt des fauteuils à dossier et accoudoirs, associés à un pot de chambre posé sous le trou pratiqué au centre de l’assise.
Les règlements des chefs-d’œuvre de maîtrise
À Strasbourg, les règles du métier de menuisier sont très conservatrices. En 1571, les privilèges des maîtres sont consolidés et le nouveau règlement définit les normes du chef d’œuvre, qui doit être une armoire à deux corps. Celle-ci est conçue comme la superposition de deux coffres, chacun pourvu de deux portes. Haute et massive, elle est structurée en cinq parties : socle, corps inférieur, ceinture, corps supérieur et couronnement, et sa façade présente une architecture digne d’un palais de la Renaissance. Ce canon va être consolidé en 1617 : la hauteur pourra être moindre, mais les proportions ne changeront pas et devront s’appliquer à toutes les armoires, même celles qui ne sont pas des chefs-d’œuvre de maîtrise.
À la fin du XVIe siècle, certains menuisiers, dont Veit Eck, menuisier de la Ville, dessinent des modèles de meubles. Pour sa part, Wendel Dietterlin propose un recueil de dessins d’un maniérisme extravagant, intitulé Architectura, qui devient une inépuisable source d’inspiration pour les architectes, menuisiers et autres artisans de la ville.
Au XVIIe siècle
Les morts et les pillages dus à la guerre Trente Ans et aux conflits suivants entraînent un appauvrissement général et une diminution du nombre d’artisans et de clients. Il y a encore peu de changement lorsque l’Alsace est rattachée au royaume de France en 1648. Les armoires à deux corps sont toujours de mise, puisque les menuisiers strasbourgeois s’opposent au halber Kasten ou « demi-armoire », nom donné aux armoires à un seul corps et deux battants, alors qu’elles sont admises comme chefs-d’œuvre de maîtrise à Colmar en 1646, puis à Sélestat. Un autre type de meuble apparaît alors, le dressoir, ou crédence, qui permet aux gens fortunés d’exposer leurs objets d’apparat.
De Cologne provient un nouveau style d’ornement sculpté, le décor « cartilage » (Ohrmuschelstil) rappelant les méandres du pavillon de l’oreille, très chantourné, parfois associé aux « cosses de pois », ou série de perles. Il arrive assez tard à Strasbourg, vers 1670-80. Inventé à Nuremberg, un nouvel outil, le rabot à ondes, permet de réaliser un autre élément décoratif, le listel flammé, qui concurrence le décor marqueté ou s’y rajoute.
Source rare, la maison de poupée de 1680, conservée au Musée historique de Strasbourg, montre la répartition des meubles dans chaque pièce, ce qui est d’un apport précieux pour notre connaissance des intérieurs strasbourgeois. On y voit que l’armoire à deux corps et la crédence garnie de récipients en étain, meubles de prestige, sont placés dans le vestibule où sont accueillis les visiteurs qui peuvent les admirer. Dans la Stub chauffée sont placés la table et les chaises, le lit et berceau.
Dans les villes du vignoble en revanche, les armoires à un seul corps se voient déjà couramment, le nombre de colonnes, lisses ou annelées, placées en façade restant un critère indiquant l’aisance du propriétaire. Posséder (et surtout montrer) une armoire ou une crédence à sept colonnes était un élément de prestige.
L’annexion de la ville de Strasbourg par Louis XIV entraîne bien des changements : le retour au catholicisme nécessite de recréer un mobilier d’église négligé depuis la Réforme, ce qui relance en même temps la création des meubles domestiques. Mais l’armoire à deux corps prônée par les « menuisiers allemands » de Strasbourg est devenue trop chère et ne trouve plus guère d’acquéreurs. Coup de théâtre : le préteur royal Obrecht se mêle de l’affaire et décrète, en 1697, que le chef-d’œuvre présenté par les menuisiers doit être une armoire à un seul corps. Mais « l’honorable maîtrise » des menuisiers strasbourgeois résiste, malgré des dissensions internes. De jeunes compagnons allemands ou suisses font pression ; le préteur insiste… les menuisiers « allemands » font traîner les choses, puis finissent par céder.
Au XVIIIe siècle
À Strasbourg, les menuisiers arrivés à la faveur des bouleversements politiques n’ont pas été acceptés par la corporation des menuisiers locaux, dits « allemands ». Ils vont en fin de compte créer en 1701 une « Communauté des Maîtresmenuisiers français de la Ville de Strasbourg », qui est indépendante.
Les deux corporations vont entretenir rivalité et émulation. Un principe nouveau est alors établi : les menuisiers doivent d’abord présenter des dessins préparatoires de leurs meubles, élévation et coupe, le jury donnant ou non l’autorisation de les exécuter en bois massif, chêne ou noyer. Influences réciproques et techniques nouvelles circulent des uns aux autres, même si les règlements strasbourgeois restent toujours aussi rigides.
Mais cette rivalité stérile est bientôt dépassée. À Strasbourg, redevenue terre catholique, s’implantent des résidents de marque, tel le cardinal de Rohan, qui font venir des artisans de Paris et qui initient sur place des travaux « en service commandé ». On voit alors se multiplier à Strasbourg des maîtres dits « extraordinaires », soutenus par le préteur royal, qui travaillent pour ces commanditaires prestigieux et créent, en-dehors du système corporatif, des œuvres elles aussi exceptionnelles. À Colmar, les deux corporations ont fusionné dès 1718 et les menuisiers peuvent depuis longtemps y réaliser des œuvres « à la française ».
Les bourgeois fortunés mettent alors un point d’honneur à mettre portes d’entrée, escaliers à balustres et surtout leurs meubles au goût du jour. Enfin, en 1714, le nouveau chef-d’œuvre des menuisiers « allemands » est une armoire dite « à la française », constituée d’un seul corps, une porte à deux battants et sept colonnes.
Par ailleurs, la mode va être aux colonnes à profil torse, ce qui augmente la difficulté de fabrication ; elles sont finalement abandonnées vers 1730, au profit des pilastres. Au milieu du siècle, apparaît le goût pour les panneaux bastionnés : ce sont d’abord des baguettes moulurées collées sur les battants en formant des angles aigus comme celui d’un bastion fortifié. Puis, des surépaisseurs s’y ajoutent, devenant des sortes de coussins en relief.
Sous l’influence des décors du Palais Rohan de Strasbourg se développe après 1735 le style rocaille. La marqueterie est à nouveau employée et les thèmes représentés s’approchent de la nature morte. En même temps qu’une nouvelle classe sociale, que les Alsaciens les plus aisés cherchent à imiter, de nouveaux types de meubles apparaissent : les buffets deux-corps, le scriban (combinaison de secrétaire et de buffet), les commodes, les tables de jeu ou les consoles aux fins pieds galbés. À partir de l’époque de la Régence, il n’y a plus de différence entre les productions des menuisiers français et allemands. Dérisoire victoire, les deux corps sont enfin réunis en 1782, alors que s’épanouit déjà le style Louis XVI, aux pieds cannelés et aux angles droits et ce, quelques années avant la suppression des corporations lors de la Révolution.
Le style français a définitivement triomphé en milieu urbain et c’est parmi le mobilier rural que vont se perpétuer une partie des usages et des formes du mobilier alsacien.
Le mobilier rural
Avec un notable temps de retard sur les créations urbaines, les artisans ruraux ont inventé un monde spécifique, avec ses techniques, ses types de meubles et son style propre, dont l’esprit créatif n’a disparu qu’après 1850.
Il est difficile de se reporter aux intérieurs paysans antérieurs à 1800, car il n’en existe pas de représentations et notre regard est influencé par les aménagements des maisons rurales tels qu’ils ont pu subsister au XXe siècle. Seules de rarissimes gravures du XVIe siècle montrent des intérieurs, ainsi celle qui est attribuée à Hans Weiditz et montre un paysan dans sa chaumière, assis sur un siège tripode devant une table ronde du même type. Outre ces deux éléments, seule une barre de bois sert de support, peut-être même pas mobile.
Contrairement aux artisans placés dans le cadre strict régissant les corporations qui sont implantées dans les villes, même moyennes, le menuisier rural est indépendant et souvent ambulant et il s’installe chez son client pour fabriquer ce qui lui a été commandé, en premier lieu les boiseries couvrant les murs de la Stube et délimitant l’alcôve. Dans les fermes alsaciennes, tous les meubles ne sont en effet pas déplaçables et il faut les réaliser sur place. Certains d’entre eux sont intégrés aux boiseries, ce qui permet d’économiser le coût des planches du fond, et confère à la pièce où l’on vit et où l’on reçoit une harmonie esthétique certaine. Il s’agit le plus souvent du buffet d’angle et du petit placard suspendu dans ce que l’on nomme « le coin du Bon Dieu ». Les bancs fixés le long de certains murs de la pièce commune restent en place lors des successions.
Matériaux et techniques
La prépondérance du sapin, bois d’un prix modique, est massive. S’il est peint, parfois de plusieurs couleurs, cela n’implique pas la pauvreté de populations qui auraient soin de cacher ce bois rustique sous une peinture. La polychromie est, en effet, une tradition culturelle qui s’est diffusée dans toute l’Europe centrale. Des régions moins riches que l’Alsace produisent d’ailleurs des meubles en bois dits « nobles », telle la Lorraine avec ses immenses vaisseliers.
Cependant, les essences de bois utilisées se diversifient progressivement vers la fin du XVIIIe siècle (noyer, chêne, fruitiers), ce qui montre une aisance croissante de la paysannerie alsacienne.
Le mobilier rural alsacien se caractérise par la facilité avec laquelle il peut être démonté, cela grâce à un assemblage judicieux d’éléments qui s’emboîtent et sont maintenus en place par des clavettes ou par des chevilles que l’on peut aisément enlever et remettre à la main.
La peinture
Loin d’être systématique, la peinture des meubles en sapin (Denis) est alors plutôt monochrome. La polychromie, qui nous semble être un des traits caractéristiques du mobilier alsacien, n’est guère attestée dans les inventaires après décès. En revanche, la partie visible des coffres et armoires est souvent couverte d’un décor réalisé au brou de noix, qui protège le bois plus qu’il ne le cache. Il peut être pommelé avec l’aide d’une demi-pomme de terre ou strié à l’aide d’un peigne, imitant ainsi les veines du bois. Toutefois, des motifs noirs réalisés au pochoir, dont beaucoup imitent des motifs de marqueterie, existent dès le XVIIe siècle. Ensuite, apparaissent le blanc et le vert, puis le rouge (qui n’est pas du sang de bœuf). Le mobilier polychrome est à son apogée entre 1750 et 1850 et présente des décors caractérisant divers secteurs géographiques de l’Alsace.
Les types de meubles
Au XVIIe siècle, le mobilier rural est encore rare. On assiste ensuite à une différenciation croissante, dont les fonctions se spécialisent (Boehler p. 1632). Le style des meubles reste germanique et l’influence urbaine met du temps à arriver à la campagne. Il en est de même avec les meubles du XVIIIe siècle, qui sont adaptés près d’un demi-siècle plus tard. Ainsi, un buffet strasbourgeois à deux-corps et chapeau de gendarme en noyer a été fabriqué vers 1770 (exposée à Strasbourg, Musée des Arts décoratifs, tandis que sa version en sapin utilisée à Duntzenheim est datée de 1823 et visible au Musée alsacien).
Les coffres
Les coffres sont prépondérants et présents dans 90% des ménages, et ce avec une grande constance entre 1660 et 1789 (Boehler p. 1633). Au fur et à mesure de la diffusion de l’armoire, les coffres se voient cependant progressivement relégués à l’étage, parfois en soupente et, de contenant du trousseau de la mariée, se transforment en meuble de stockage de provisions ou de matériaux divers.
Les armoires
Les armoires sont un symbole d’embourgeoisement. Elles ne détrônent pas le coffre, mais s’y ajoutent dans l’intérieur rural. La majorité d’entre elles est à deux battants, mais les exemplaires à une porte ne sont pas rares. Un élément propre à la région est le gond en fer se terminant par un appendice recourbé dit en « queue de cochon ». Ces meubles gardent longtemps les larges faux-montants (Beystücke) visibles en façade qui correspondent à une structure latérale en caisson : elles sont comme composées de deux coffres debout, maintenus accolés dans les cadres d’un socle et d’une corniche (Denis) et assemblés par des clavettes. Cette construction si aisément démontable ne sera modifiée qu’au XVIIIe siècle.
Les armoires à deux portes sont souvent divisées en deux parties : d’un côté, des étagères, où est entreposé le linge de maison, de l’autre une penderie, où des crochets en bois sommairement dégrossis sont chevillés dans une planche, elle-même fixée contre la paroi du fond. Cette utilisation résulte sans doute de l’introduction de la redingote, sorte de manteau, dans le costume masculin. Au-dessus des crochets, il est fréquent de trouver une tablette horizontale, sur laquelle devait être posé le tricorne du maître de maison.
Les buffets
Les buffets n’apparaissent que tardivement, vers 1810-20. Ils reproduisent le buffet deux-corps à chapeau de gendarme de style Louis XV diffusé en milieu urbain au XVIIIe siècle, puis prennent les formes plus rectilignes des styles Louis XVI et Empire.
Un meuble spécifiquement alsacien est l’Olmer (à l’origine du mot « armoire »), qui réunit buffet et penderie (Denis). À gauche, deux portes à deux battants et un rabat, parfois un tiroir, renferment ce qui est nécessaire pour la table : nappes, assiettes, etc., et de l’autre une porte plus haute ouvre vers les crochets de la penderie. L’Olmer est souvent placé dans le petit hall d’entrée de la maison, tout près de la porte de la Stube. Les vaisseliers sont pour leur part quasi inexistants dans la région.
Les étagères
En revanche, les étagères simples, composées d’une étroite tablette de sapin ou encore les barres en bois suspendues au mur ou au plafond ne peuvent pas être qualifiés de meubles. Ces aménagements légers sont pourtant fréquemment représentés dans les gravures de la fin du XVe siècle et le principe en existe encore dans les Stuben du XIXe siècle, où un dispositif de séchage composé de barres de bois encadre l’espace de chaleur situé au-dessus du poêle. Les tablettes étroites fixées au-dessus des portes ou en haut des murs accueillent des objets ou des livres et existent encore au début du XXe siècle dans certains intérieurs ruraux.
Les lits
Les lits sont plus nombreux et présents dans 80% des ménages (Boehler p. 1632). Le lit conjugal est placé dans l’alcôve de la Stube, lorsqu’il y en a une. Il est court et relativement étroit et le bâti est éloigné du sol par des pieds assez élevés, ce qui implique l’usage d’un tabouret pour y monter. Les lits à colonnes supportant un ciel en bois semblent réservés à l’élite villageoise. Dans le Sundgau, le lit conjugal devient quasiment une armoire-lit, dont les battants peuvent se fermer sur les occupants. Les autres membres de la famille dorment à l’étage, dans des lits plus simples, parfois celui des générations précédentes dont on a coupé les colonnes, ou des couches plus simples, garnies de sangles ou de toile.
Les berceaux et lits d’enfants
Les berceaux et lits d’enfants occupent souvent l’autre partie de l’alcôve, au plus près du poêle. Sur le côté des berceaux alsaciens, des boutons en bois sont en saillie ; ils servent à lacer une sangle – ou lisière – au-dessus de l’enfant qui, n’étant pas emmailloté, peut gesticuler dans son berceau tout en y restant confiné.
Très mobiles, ces objets sont transmis d’une génération à l’autre, prêtés d’une famille à une autre. En milieu protestant, un berceau spécifique est utilisé lors du baptême. Avec sa base arrondie et son fond ajouré, il est assez léger pour être porté sur les bras de la sage-femme ou de la marraine vers l’église, où un support adapté l’attend. Connue à Strasbourg en milieu bourgeois, cet usage a subsisté jusqu’au XIXe siècle dans le Nord de l’Alsace. La sage-femme conserve aussi chez elle un autre meuble communautaire, la chaise d’accouchement (voir : Hebamme).
Les tables
Les tables ne semblent présentes que dans un ménage sur deux (Boehler p. 1634). Il est possible qu’elles aient été souvent composées de planches posées sur des tréteaux, donc amovibles, ou bien fixées aux lambris et rabattables, ce qui, dans un cas comme dans l’autre, ne les a pas fait considérer comme des pièces individualisées. Au XVIIIe siècle toutefois, existent des tables aux pieds tournés en balustre reliés par des entretoises sur lesquelles les convives peuvent poser les pieds. Le plateau en bois de noyer ou de fruitier, aux angles arrondis, est aisément amovible, maintenu uniquement par quatre chevilles passant à travers deux coulisses fixées sous le plateau (Lévy-Coblentz, t. II). Souvent, un tiroir est aménagé dans la ceinture, peut-être pour y déposer la miche de pain entamée. La taille relativement réduite des tables dites paysannes laisse supposer que tous les occupants de la ferme, la famille et ses domestiques, ne prenaient pas leurs repas en même temps ou dans le même lieu.
Les sièges
Les sièges pouvant recevoir le plus de personnes sont les bancs, généralement fixés contre les murs extérieurs de la Stube et composés de simples planches de sapin maintenues à intervalles réguliers par de petites planches transversales formant pieds. Ils sont complétés par des chaises, dont le type est bien connu, avec ses quatre pieds divergents et son dossier souvent sculpté et muni d’une ouverture de préhension. Souvent cadeaux de mariage, ces chaises sont facilement démontables (Henninger) lorsqu’il faut changer un pied abîmé. On les trouve le plus souvent autour des deux côtés accessibles de la table, où elles sont avancées aux visiteurs ou réservées aux femmes qui doivent se lever fréquemment durant le repas pour chercher les plats, mais sans déranger ceux qui sont assis sur le banc.
Les chaises paillées sont bien plus nombreuses à être mentionnées dans les inventaires après décès (Denis) que les chaises dites « alsaciennes » avec leur assise en bois. Elles sont moins chères, mais se sont sans doute bien moins bien conservées.
La répartition des meubles dans la maison
Malgré les localisations données par certains documents, il est difficile de déterminer la répartition du mobilier par pièce, qui est souvent très imprécise, tout autant que la détermination des types de meubles sur les listes établies par les notaires après un décès. La plupart d’entre eux se trouvent cependant généralement placés dans la Stub.
Bibliographie
HUPFUFF (Mathias), Hussrath didactisches Gedicht, Strasbourg, s. d. (1510), Bibliothèque du Grand Séminaire.
UNGERER (Edmund), Elsässische Altertümer in Burg und Haus, in Kloster und Kirche. Inventar vom Ausgang des Mittelalters bis zum dreissigjährigen Kriege aus Stadt und Bistum, 2 vol., Strasbourg, t. 1, 1911 ; t. 2, 1913.
HENNINGER (Roger), « La chaise paysanne alsacienne », CAAAH, 1959, p. 87-136.
KLEIN (Georges), Le mobilier polychrome, Colmar, 1973.
LEVY-COBLENTZ (Françoise), L’art du meuble en Alsace, t. I, Du gothique au baroque 1480-1698, Strasbourg, 1975, t. II, De la paix de Ryswick à la Révolution. 1698-1798, Saint-Dié, 1985.
BOEHLER (Jean-Michel), Paysannerie, 1994, t. 2, Mobilier domestique, p. 1620-1653.
CHARLES (Corinne), « Meubles du Moyen Age en Alsace et dans le Rhin supérieur », CAAAH, XL, 1997, p. 125-149.
KREISEL (H.), HIMMELHEBER (G.),Die Kunst des deutschen Möbels. Möbel und Vertäfelung des deutschen Sprachraums von den Anfängen bis zum Hochbarock, Munich, 1981.
Spätmittelalter am Oberrhein, 2000, I, Maler und Werkstätten, 1450-1525, catalogue d’exposition, Badisches Landesmuseum, Karlsruhe, 2001.
CHARLES (Corinne), Möbel, Spätmittelalter am Oberrhein, II, Alltag, Handwerk und Handel, 1350-1525, p. 293-295 et p. 357-366, Badisches Landesmuseum Karlsruhe, 2002.
DENIS (Marie-Noële), Le mobilier traditionnel d’Alsace, Thionville, 2002.
DUPEUX (Cécile), LEVY (Jacqueline), MULLER (Franck), PETER (Sébastien), La gravure d’illustration en Alsace au XVIe siècle, t. 3, 2009.
HESS (Stefan), LOESCHER (Wolfgang),Möbel in Basel. Die Geschichte des Schreinerhandwerks in Basel, Historisches Museum, Bâle, 2012.
De nombreux meubles sont visibles à Strasbourg, au Musée de l’Œuvre-Notre-Dame, (mobilier jusqu’au XVIIe siècle), au Musée des Arts Décoratifs (meubles du XVIIIe siècle), au Musée Alsacien (mobilier rural) et dans de nombreux musées locaux.
Notices connexes
Malou Schneider