Charpentier

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Zimmerer, Zimmermann (pluriel : Zimmerleute), carpentarius

Généralités

Les charpentiers se divisent principalement en charpentiers de bâtiment (Hus- Hauszimmerleute, carpentarii domorum) et en charpentiers de bateaux (Schiffzimmerleute, Holzschiffbauer, carpentarii navium). Les premiers fabriquent et mettent en place les éléments en bois destinés à la construction des maisons ou autres édifices, à savoir l’ossature (pour les maisons à pans de bois), le solivage, la charpente, éventuellement les portes et encadrements de fenêtres, les galeries et balcons. Le bois de prédilection pour ces pièces est le chêne.

Les charpentiers de bateaux ont leurs ateliers le long des voies d’eau. Ils fabriquent des barques et des barges à fond plat à l’usage des pêcheurs, pour le transport urbain ou de courte distance des personnes et des marchandises, des bateaux de navigation fluviale de longue distance et des bacs pour traverser fleuve et rivière.

L’exploitation minière de Sainte-Marie-aux-Mines et de ses alentours (argent, cuivre, arsenic, plomb, galène…), qui remonte, semble-t-il, à l’époque romaine, s’est poursuivie au cours du Moyen Âge (entre 895 et 980, puis surtout aux XVe et XVIe siècles) employait aussi des charpentiers, ouvriers engagés et salariés par les propriétaires miniers. Les charpentiers fabriquaient les étais, les rails, les équipements des puits à partir du bois prélevé dans les forêts proches des mines. La sécurité des mineurs dépendait de la qualité du travail des charpentiers.

Le métier de charpentier est réputé physiquement éprouvant dans la mesure où il s’exerce à l’extérieur et où les artisans sont soumis aux intempéries (Palla). Les charpentiers utilisent de multiples outils, dont la doloire, la tarière, la bisaiguë, le marteau…

Les charpentiers sont organisés en corporation urbaine, le plus souvent avec d’autres métiers, en particulier ceux de la construction. À Colmar, par exemple, ils font partie de la corporation Zum Holderbaum (Au sureau) qui accueille aussi les maçons, les tailleurs de pierre, les tuiliers, les menuisiers, les charrons, les serruriers, les forgerons, les sculpteurs, les armuriers, les orfèvres, les potiers et les chaudronniers. La construction des fermes requiert aussi des charpentiers à la campagne. À la fois concepteurs et réalisateurs des bâtiments, leur importance est attestée par les charpentiers de la famille Schini. Ils marquent de leur empreinte l’architecture dans un espace allant de l’Outre-Forêt au Kochersberg, de la fin du XVIe au début du XIXe siècle, par l’amélioration des constructions, tant au niveau architectural qu’esthétique. Dans le Sundgau, la famille Kueny se distingue pour les mêmes raisons. Ces charpentiers sont de « véritables techniciens du bois, autant menuisiers que charpentiers, rayonnant à plusieurs lieues à la ronde, diffusant des techniques de construction relativement standardisées » (Boehler).

 


Brève histoire des charpentiers strasbourgeois

À Strasbourg, le premier Stadtrecht (vers 1131-1132, UBS, I, 476, § 118) précise que les charpentiers doivent se mettre tous les lundis au service de l’évêque, à ses frais. Ils sont exemptés des cinq jours de travail par an demandés à tous les bourgeois de Strasbourg par l’évêque (UBS, I, 473). Ils exercent leur métier comme Burggrafenhandwerk, soit un métier contrôlé par le Burggraf (XIIe-XVe siècle). Cependant, un règlement non daté du milieu du XIVe siècle démontre que les charpentiers ne dépendaient pas d’une manière aussi exclusive du Burggraf : les articles indiquent, en plus des règles relatives à l’exercice et à l’organisation du métier, que le Burggraf ne touchait pas une part du droit de l’Einung ni une part de la cotisation annuelle. Il n’est cité qu’en tant que juge et protecteur du monopole des charpentiers. Le nombre des compagnons par atelier est spécifié, l’embauche se faisant lors de six journées par an prévues à cet effet. Peu de temps plus tard, probablement, le Conseil émet un règlement à l’usage des charpentiers et des maçons, qui leur interdit de travailler sur plusieurs chantiers à la fois. Les charpentiers disposaient déjà, à ce moment-là, d’un règlement de poêle. Dans un manifeste de 1486, ils indiquent que les ordonnances du Conseil sont en contradiction avec les droits et usages du métier (Weistum). Ils regrettent aussi d’avoir dû modifier leur organisation depuis qu’ils font partie de la même corporation que les charrons (1482), qui tentent de les affaiblir en confiant du travail de charpenterie aux menuisiers, l’enjeu étant l’expansion politique des charrons. Ils se sentent lésés au niveau de leur « identité », puisque la corporation est dénommée « celle des charrons », que les symboles des charpentiers ne figurent plus sur le drapeau et que la vaisselle du poêle ne comporte que les emblèmes des charrons. Ce sont là, avec l’absence, de tout temps, d’un charpentier comme Ammeister, les signes du déclin des « vieilles » corporations dépendantes sur le terrain de la politique. Trois charpentiers, cependant, avaient été maîtres d’oeuvre (Werkmann) de la ville (Alioth). Certains charpentiers travaillent contre salaire pour la ville, l’Église ou l’OEuvre Notre-Dame. La ville, en 1425, leur interdit d’être maître de la corporation, (Zunftmeister), juré (Geschworener) ou trésorier (Seckker) (AMS, 1MR, p. 63, f° 37v).

En 1453, le Magistrat strasbourgeois rend sa sentence dans un conflit qui oppose les charpentiers de bateaux à un pêcheur (Ulrich Rulmann), qui répare les barques (weideschiffe und weidelinge) contre un salaire journalier ou un forfait. Les charpentiers reprochent au pêcheur d’empiéter ainsi sur leur métier, et se plaignent des difficultés qu’ils connaissent à cause du déclin de la navigation rhénane. Les pêcheurs rétorquent que les tarifs des charpentiers sont excessifs. Le Magistrat autorise les pêcheurs à réparer leurs barques, mais non des embarcations plus grandes, ni en chêne ni en sapin (AMS, CH 5254).

Les organisations régionales

Les charpentiers sont aussi regroupés dans diverses entités au niveau supra-local.

Ainsi, la confrérie des charpentiers de Haute Alsace est créée en 1518 à Rouffach, l’acte de fondation étant établi par l’évêque de Strasbourg (Walter ; Landmann). Elle regroupe les maîtres et les compagnons exerçant leur métier entre le Blauen (région de Bâle, qui trouve ses limites à la crête septentrionale du Jura suisse) et le Landgraben. Elle est dédiée à sainte Anne et à saint Joseph. La confrérie se réunit une fois l’an, le mardi et le mercredi de la Pentecôte, à Rouffach. La présence de tous les membres est obligatoire. Des messes de requiem sont dites à la mémoire des confrères défunts et le tribunal juge les litiges. La confrérie est dirigée par unBrudermeister et un Schaffner, qui gèrent aussi la caisse. Les compagnons sont pris en charge en cas de maladie et de problèmes financiers.

En 1563, Egenolphe, seigneur de Ribeaupierre, émet un règlement destiné aux charpentiers et maçons des villes d’Ammerschwihr, de Kaysersberg, Kientzheim, Riquewihr, Ribeauvillé, Niedermorschwihr, Turckheim, Wintzenheim, Bergheim et Saint-Hippolyte. Il devient aussi leur protecteur. Les charpentiers s’engagent à se réunir une fois l’an et à régler leurs litiges (AMC, HH 75/6).

Les tailleurs de pierre et les charpentiers de la seigneurie d’Altkirch sont regroupés au sein d’une corporation disposant de statuts. Ceux-ci sont révisés et modifiés par le Conseil souverain d’Alsace en 1686 (Curiosités d’Alsace).

En 1743, une nouvelle confrérie regroupant les maçons, charpentiers et tailleurs de pierre est créée. Elle concerne les artisans de la « Haute et Basse Alsace, entre Strasbourg et Bâle ». Ils rédigent un règlement de trente-trois articles, que le roi de France approuve en 1747. L’assemblée annuelle se tient par roulement le 25 août (fête de la saint Louis), soit à Colmar, soit à Sélestat, et la présence des maîtres de la ville y est requise, ainsi que celle de deux délégués de chaque « boëte particulière ». Les trésoriers généraux et ceux de chaque « boëte » y rendent leurs comptes, les préposés sont élus pour trois ans et les litiges qui n’ont pas trouvé à se régler dans chacune des « boëtes » y sont jugés. Le chef de la confrérie sera toujours un Colmarien. Une grand-messe est lue à l’église des Dominicains de Colmar ou à celle des Dominicains de Sélestat, selon la ville où se tient l’assemblée. Par ailleurs, une messe de requiem et deux messes basses sont dites lors des Quatre-Temps en mémoire des défunts. Le règlement précise aussi les questions liées à l’exercice du métier. Ainsi, la durée du compagnonnage est de trois ans, avec voyage obligatoire à l’étranger pour y apprendre d’autres techniques ; le chef-d’oeuvre consiste à réaliser un toit et un pressoir, selon les plans réalisés par le candidat à la maîtrise. Les charpentiers étrangers n’ont pas droit au travail, sauf à « fréquenter » la confrérie pendant trois ans avant d’y être admis et à effectuer leur voyage. Les compagnons étrangers peuvent travailler comme aides. Le règlement traite aussi du montant des cotisations, de l’assistance aux blessés et aux estropiés, le métier présentant moult dangers. Les charpentiers domiciliés dans les villes et lieux dépendant de l’évêché de Strasbourg ne sont pas « assujettis » aux statuts de cette confrérie, l’évêque de Strasbourg ayant le droit par décision royale d’accorder des statuts aux charpentiers de son ressort (AMC, HH 76). Ce règlement est confirmé à plusieurs reprises dans les décennies suivantes (Ordonnances d’Alsace) et la confrérie est dissoute au moment de la Révolution (AMC, HH 77, 78, 81).

 

Sources - Bibliographie

DE BOUG, Ordonnances d’Alsace, II, p. 361, 544, 671.

Curiosités d’Alsace, 1, 1861/62, p. 283-94.

WALTER (Theobald), Urkundenbuch der Pfarrei Rufach, 1900, n° 116.

LANDMANN (Florent), « Die Bruderschaft der oberelsässischen Zimmerleute », Elsassland, 1938, p. 37-39.

SITTLER (Lucien), « Les associations artisanales en Alsace au Moyen Âge et sous l’Ancien Régime », RA, 1958, p. 52-55.

ALIOTH (Martin), Gruppen an der Macht. Zünfte und Patriziat in Strassburg im 14. und 15. Jahrhundert. Untersuchungen zu Verfassung, Wirtschaftsgefüge und Sozialstruktur, Bâle et Francfort-sur-le-Main, 1988, p. 88, 256, 369-370-371.

BRUGEROLLES (Emmanuelle), BARI (Hubert), BENOÎT (Paul), FLUCK (Pierre), SCHOEN (Henri), La mine, mode d’emploi. La Rouge Myne de Sainct Nicolas de la Croix dessinée par Henrich Groff, Paris, 1992, p. 10 et 70 [Nom réel : Gross].

BOEHLER (Jean-Michel), La paysannerie de la plaine d’Alsace (1648-1789), 3 vol., Strasbourg, 1994, II, p. 1568.

FISCHER (Thierry), FUCHS (Christian), GRODWOHL (Marc), Les maisons d’Alsace, Paris, 1997.

SCHWIEN (Jean-Jacques), GRODWOHL (Marc), Maisons du XIVe au milieu du XVIe siècle : Alsace : Artolsheim (Bas-Rhin), 1998.

FLUCK (Pierre), Sainte-Marie-aux Mines. Les mines du rêve, Soultz, 2000.

PALLA (Rudi), Das Lexikon der untergegangenen Berufe. Von Abdecker bis Zokelmacher, Augsbourg, 2000, p. 141-151.

Maison et bâtiments à Wissembourg, à Bouxwiller et en Alsace : du Moyen Âge au 16e siècle. Charpentiers, charpentes et pans de bois, L’Outre-Forêt, 2007, n° 139.

GRODWOHL (Marc), Habiter le Sundgau 1500-1636 : la maison rurale en pans de bois, techniques, culture et société, Altkirch, 2010.

 

Notices connexes

Artisanat

Burggraf

Corporation

Emblème de métier

Haus

Mines

Monique Debus Kehr