Ochs – Le bœuf et l’âne dans la crèche de la Nativité
L’âne et le bœuf sont omniprésents dans la représentation de la Nativité du Christ chez les pères de l’Église. Ceux-ci s’appuient sur une citation d’Isaïe (1,3) : « Le bœuf connaît son propriétaire et l’âne, la crèche de son maître. » L’évangile apocryphe du Pseudo-Matthieu a tiré de ce passage le bœuf et l’âne de la crèche (1,4). La présence de ces deux animaux dans la crèche est reprise vers 380 dans un sermon de Grégoire de Nazianze (Oratio, 38, 17). En fait, dans l’Ancien Testament, le bœuf n’évoque jamais la Nativité, il est par excellence l’animal du sacrifice, notamment au Temple de Jérusalem.
Sommaire
Présence des jeux de Noël, mais absence de la crèche en Alsace
Si la tradition de la crèche s’installe très tôt en Allemagne du Sud et en Italie, celle-ci n’atteint notre région qu’à une date plus tardive. On constate, en effet, qu’en Alsace, les Weihnachtsspiele y précèdent l’installation de crèches dans les églises. Grâce aux travaux du bénédictin André Wilmart, nous connaissons l’un de ces plus anciens jeux en Alsace, Le jeu des trois Mages ou Officium Stellae, qui était donné au XIIe siècle à l’intérieur de la cathédrale de Strasbourg le jour de l’Épiphanie et durant son octave (v. Noël). Mais ces jeux n’étaient pas accompagnés de l’installation d’une crèche dans le chœur ou la nef de l’édifice.
Dans l’ensemble de l’aire germanique, nous trouvons de nombreux jeux scéniques de Noël. Mais très vite, ceux-ci ne sont plus donnés à l’intérieur de l’église dans le cadre de la liturgie de Noël, mais à l’extérieur, car leur représentation avait donné lieu à de nombreux excès, au point que le pape Innocent III, dans une décrétale, en 1207, les avait interdits dans l’espace sacré.
Ainsi, les Weihnachtsspiele donnés en 1462 à Colmar par des habitants de Rouffach, Pfaffenheim et Eguisheim se déroulent-ils à l’extérieur (v. Noël). Un peu plus d’un siècle plus tard, Adam Colb de Buchen d’Osthouse nous apprend qu’un Weihnachtsspiel a été donné en 1583 dans cette localité, commandé par Sebastian von Bulach (L. Pfleger, p. 154).
Aux XIVe et XVe siècles, de nombreux Weihnachtslieder sont composés. L’un des plus célèbres est celui que l’on doit à Heinrich von Laufenberg. Suivons les traces de ce clerc : en 1422, il est pléban dans une des paroisses de Friboug-en-Brisgau, puis, à partir de 1433-1434, chanoine, puis doyen du chapitre de la cathédrale de cette ville. Mais c’est à Strasbourg, dans la maison des Johannites au Grünenwörth (Île verte), qu’il compose un Weihnachtslied dont voici une strophe :
In einem krippfly lag ein kind
Da stund ein esel und ein rind.
Fo nei was auch die maget clar
Maria, die das kind gebar.
Jhesus der herre min,
Der was das kindelin.
Dans la crèche un enfant était couché
À côté de lui se tenaient un âne et un bœuf
Il y avait aussi la vierge pure
Marie qui accoucha de l’enfant
Jésus, mon seigneur était cet enfant.
Peut-on imaginer la composition et la diffusion de ces cantiques de Noël sans que ceux-ci ne trouvent leur place dans des dévotions autour de la crèche ?
Première mentions d’une crèche en Alsace au XVe siècle
Si l’on suit Charles Pfleger, une crèche aurait été dressée dans le Lustgarten de l’abbaye de Hohenbourg au temps de l’abbesse Herrade (vers 1170) : l’enfant Jésus était couché dans une mangeoire, d’où l’âne et le bœuf tiraient des brins de foin et de paille. Pfleger en déduit qu’il est fort probable qu’une crèche ait également été installée à l’intérieur de l’église abbatiale. Les nombreux chants de Noël, écrits en latin par Herrade et accompagnés de mélodies, confirment l’importance que la solennité de Noël avait acquise dans ce haut lieu.
Mais la plus ancienne mention de crèche se trouve à Haguenau. En effet, pour l’année 1422, un registre conservé aux Archives municipales de la ville fait mention d’une crèche que l’on dresse contre le mur extérieur de l’église Saint-Georges, donc au cimetière, pour Noël 1422. On lit dans un extrait des cahiers de cette année-là : « Item 4 ß on 4 d koste die kripfe zu machende, die ußwendig an sanct Jergen muren stet, und umb gerten darzu. Herman gap die stecke darzu vergeben » (AM Haguenau, GG 249/1), soit « De même, la réalisation de la crèche entourée de branchages, sur les murs extérieurs de Saint-Georges, a coûté 4 schillings moins 4 pfennigs. Hermann a fourni lesdits branchages. » Il s’agit de la plus ancienne trace écrite de l’existence d’une crèche en Alsace. (E. Clementz).
Or, c’est dans la période comprise entre 1474 et 1515 que les deux grands peintres Schongauer et Baldung Grien ayant travaillé en Alsace réalisent des gravures ou des tableaux de la Nativité comportant les bergers et les animaux de la crèche.
À l’exception de l’exemple de Haguenau, nous constatons pour les XVe et XVIe siècles l’absence de trace de crèches d’église, y compris dans les sermons de l’époque, pas même chez Geiler de Kaysersberg, pourtant passé maître dans l’art de commenter ou de broder autour des coutumes de l’époque. Les crèches sont également absentes des Kirchenordnungen et introuvables dans les inventaires des églises et des sacristies. Par contre, on trouve mention d’une crèche domestique chez l’ammeister Peter Schott, ami de Geiler.
Quelques mentions pour les XVIIe-XVIIIe siècles
Nous n’avons retrouvé que deux mentions pour le XVIIe siècle. L’une à Erstein en 1651, l’autre à Turckheim où le curé Johann Ludwig Schenckel a composé, en 1690, un Weihnachtsspiel, qui fut donné à l’extérieur le jour du Nouvel An. Cet événement nous est rapporté par André Scherlen dans sonHistoire de la ville de Turckheim, parue en 1926. Mais ce qui nous intéresse, c’est que cet ecclésiastique qui venait de Fulda (est-ce un ancien moine ?) a monté une crèche dans son église. C’est l’unique témoignage de l’existence d’une crèche en Alsace pour tout le XVIIe siècle. Leur usage aurait-il été popularisé par les couvents et monastères ?
L’Alsace, une exception dans le Saint Empire ?
La quasi-absence en Alsace, aux XVIe et XVIIe siècles, de crèches d’église ou de crèches domestiques constitue une exception parmi les pays de l’Allemagne du Sud, de l’Autriche ou du Tyrol, au moment où elles se développent partout sous l’influence de la Contre-Réforme et que leur usage est popularisé par les Jésuites.
Il est difficile d’imaginer que l’Alsace n’ait pas été davantage réceptive à une tradition développée dans les pays limitrophes. Cette exception est d’autant plus troublante qu’elle est en contradiction avec le succès et la diffusion rapide du Neu-Vollkommencatholische Gesang-Buch (le nouveau recueil de chants pleinement catholiques), paru en 1697, et qui contient, selon Vogeleis, 226 cantiques et, parmi ceux-ci, de nombreux chants de Noël.
Pour le XVIIIe siècle, quelques rares témoignages de la présence d’une crèche nous sont parvenus, tel celui de ce cordonnier de Boersch qui, en 1715, en fabrique une, destinée à l’église paroissiale. Au milieu du XIXe siècle, le grand prédicateur de la cathédrale Simon Mühe encourage le développement des Krippenandachten (dévotions autour de la crèche). Lui-même a confectionné une crèche domestique dans sa maison de la Place Gutenberg. Les enfants, pour lesquels il organise des visites, en reviennent enchantés. C’est également ce prêtre qui fait installer à ses frais (12 000 francs) une grande crèche comportant de nombreux personnages et des figurines, qu’il destine à la chapelle Saint-Laurent de la cathédrale. Celle-ci fut ensuite montée dans la chapelle du séminaire, puis fut déplacée entre 1823 et 1829 dans l’église Saint-Étienne, pour aboutir enfin dans l’église Saint-Jean. Faut-il en conclure qu’à cette date les crèches d’église sont encore une chose rare en Alsace ?
Coutumes de la veille de Noël
Signalons une coutume pratiquée dans certains villages (en particulier autour de Mutzig). Au moment où retentit la première sonnerie annonçant la messe de Minuit, le chef de famille distribue aux bovins et aux chevaux une bonne ration de foin et de paille. Cette coutume est déjà mentionnée par Fischart en 1572. Ailleurs, dans certains villages du Haut-Rhin (Baldersheim, Niederentzen, Roppentzwiller, Tagolsheim et Wittengheim), dans la nuit de Noël, on abreuve le bétail avec de l’eau bénite, une façon d’honorer les animaux de la crèche.
Bibliographie
Elsässische Schrifften - Elsaß-Lothringischen Wissenschaftliche Gesellschaft zu Straßburg (ouvrage collectif), Guebwiller, 1931.
PFLEGER (Charles), Die Weihnacht der Tiere, p. 117-126.
PFLEGER (Lucien), « Zur Geschichte der Weihnachtskrippe », p. 151-156, in Elsässische Schrifften Elsaß-Lothringischen Wissenschaftliche Gesellschaft zu Straßburg (ouvrage collectif), Alsatia, Guebwiller, 1931.
LESER (Gérard), Noël-Weihnachte, rites, coutumes, croyances, Bischheim, 1990, p. 101-107 et 233-238.
Le beau Martin : Gravures et dessins de Martin Schongauer, catalogue d’exposition, Musée Unterlinden, Colmar, 1991.
CLEMENTZ (Élisabeth), « Le cimetière Saint-Georges de Haguenau, séjour des morts, lieu de vie », Haguenau, 900 ans d’histoire, Illkirch, 2015, p. 39-60.
WACKENHEIM (Michel), La crèche de Noël, histoire d’une représentation, 2019, p. 53-81.
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François Uberfill