Marche

De DHIALSACE
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Marca, Mark.

Au sens spatial, marche/mark/marca équivaut à une limite physique ou ethnique (limes, marca, marke, qu’on retrouve dans marque et marge), et, par extension, la région attenante à celle-ci. Contrairement à land, qui désigne un territoire organisé, le mot s’applique à une réalité moins stable, susceptible d’évoluer ou d’être recomposée. Au sens militaire, il s’agit généralement d’une frontière : un markgraf est, au départ, le comte chargé de la défense d’un comté exposé à des incursions hostiles : en 778 le titre latin de Roland est praefectus britannici limitis ; au fil du temps, la traduction française marquis a pris une connotation honorifique sans rapport avec sa fonction véritable, ce qui invite à privilégier l’adaptation « margrave » quand on évoque le Saint Empire. L’époque contemporaine a réhabilité cette terminologie à propos de l’Alsace, en en faisant, un bastion de la France face à l’Allemagne (la revue revancharde Les Marches de l’Est, publiée à Paris par Georges Ducrocq en 1913, ou, à l’inverse, le pastiche pangermaniste de Hansi Die Westmarken (1912), anticipant sur la publication irrédentiste Westmark de l’entre les deux guerres.)

Dans les textes du haut Moyen Âge, marca s’applique à des réalités très différentes : le domaine relevant d’une villa aussi bien qu’un ensemble beaucoup plus vaste appartenant au fisc royal (à l’instar de Marmoutier, qui couvre 100 km²). La formation de ces marches doit être mise en relation avec le développement simultané de grandes exploitations rurales puis des cellules villageoises, notamment aux confins de celles-ci, à la rencontre de leurs finages. Les zones forestières pour lesquelles on trouve le qualificatif de marca silvatica (par exemple dès 820, à Valff et près de Niederbronn) font l’objet d’accords entre voisins et sont le cadre d’une gestion concertée (commarchio, waldgenossenschaft, markgenossenschaft), en associant des communautés appartenant à des seigneuries différentes.

Rattachée à l’origine à la villa carolingienne de Sigolsheim, la marche forestière relevant pour moitié de l’abbaye d’Ebersmunster et de celle de Munster est connue à travers deux diplômes de Louis le Pieux datés de 817 et 824 fabriqués vers 1150 par les moines de la première à partir d’éléments authentiques : sa gemeine waltmarcke s’étend jusqu’au fond du Val Saint-Grégoire et associe, théoriquement, sept cours domaniales des vallées de la Fecht et de la Weiss.

La mise en place d’une administration, voire d’une juridiction commune s’observe dans d’autres massifs forestiers, pour garantir l’accès aux communaux (allmende). C’est le cas, sous des modalités variables, de la forêt de Barr dont jouissent également les villageois d’Heiligenstein, de Mittelbergheim et environs, de sa voisine d’Obernai ou du Mundat de Wissembourg, de la forêt de la Harth, en Haute-Alsace. En 1135, on signale uncommune commarchium également appelé silvestre contermium commun à Guebwiller, Bergholtz, Ostein, Isenheim, Merxheim et Raedersheim qui correspond vraisemblablement aux bois proches du cours de la Lauch en aval de la première localité.

Quelques marches disposent d’institutions plus élaborées qui ont particulièrement retenu l’attention des historiens du XIXe siècle comme l’abbé Hanauer. Aux yeux de ce dernier, leur constitution remontait aux premiers temps de la sédentarisation des tribus germaniques, avant l’encellulement illustré par les « cours colongères ». Il s’agissait alors d’une survivance des usages « démocratiques » des temps anciens, de même nature que ce qu’on rencontrait dans des régions montagneuses (les vallées pyrénéennes ou alpines), ou dans des terres de conquête (les Ditmarschen d’Allemagne du nord). Les trois exemples les plus connus sont ceux de l’Uffrieth, illustré par un coutumier renouvelé en 1528, du Hattgau et en Alsace centrale, la fameuse Marche de Ribeauvillé ou de Guémar, qui fonctionne jusqu’à la Révolution française.

Dans le Hattgau, la forêt de l’Aspruch est commune à Hatten, Ritterhoffen, Nieder et Oberbetschdorf. Placés sous la tutelle du sire de Ribeaupierre, en tant qu’obermarkherr, les markgenossen de la marche de Guémar sont Ribeauvillé, Guémar et ses appartenances, Saint Hippolyte, possession du duc de Lorraine, Bergheim, mouvant de la Maison d’Autriche, Orschwiller, dépendant du Haut-Koenigsbourg et Ohnenheim et Elsenheim, aux Ratsamhausen. Les différentes localités désignent des waldmeister ou markmeister chargés d’en assurer la surveillance et de prélever les taxes payées par les usagers (charbonniers, bergers ou porchers, etc.). Une assemblée générale se tient annuellement à Illhaeusern, pour renouveler la coutume, recueillir les serments, apurer les contentieux et sanctionner les délits. Une visite complète a lieu tous les sept ans. L’histoire de cette association est émaillée de litiges : une enquête de 1521 en rassemble la plupart des éléments. Il faut attendre le 4 prairial An XIII pour procéder au partage souhaité par les ayants-droit depuis 1772, bien que les pratiques collectives liées à l’indivision aient pu se prolonger bien après, comme le montre l’exemple d’Illhaeusern, qui s’émancipe de Guémar en 1792 mais entretient un contentieux avec cette dernière localité jusqu’en 1833.

Bibliographie

EICHENLAUB (Anne et Jean-Luc), Les Documents anciens de la ville de Guémar, Colmar, AHR, 1986.

HANAUER (Auguste), Les constitutions des campagnes de l’Alsace au Moyen Age, Paris, 1864.

HANAUER (Auguste), Les Paysans de l’Alsace au Moyen Âge, Paris-Strasbourg, 1865.

SCHMIDT (Charles), Les seigneurs, les paysans et la propriété rurale en Alsace au Moyen Âge, Nancy, 1897.

WILSDORF (Christian), L’Alsace des Mérovingiens à Léon IX, Strasbourg, 2011.

Notices connexes

Dinghof

Gibet

Hardt

Hardtgenossen

Marmoutier (marche de)

Sigoltmarca (marche de Sigolsheim)

Georges Bischoff