Faillite

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Bankrott, Banqueroute, Falliment, Fallit, Insolvenz,Konkurs

Insolvabilité d’une personne, d’un commerçant. Procédure prévue pour organiser le remboursement de ses créanciers.

En français, le mot faillite désigne le commerçant qui a cessé ses paiements. En allemand, le mot Fallit recouvre l’insolvabilité, la faillite civile et la faillite commerciale.

L’on rencontre le mot Fallit, Fallimentum dans les sources allemandes à partir de la fin du XVIe siècle, repris de l’italien fallito passé aussi en français, mais également le mot « Koncurs », issu du droit romain, qui finira par désigner toutes les procédures de règlement de l’insolvabilité (ou du surendettement), la faillite civile, comme la faillite commerciale.

Le droit de l’exécution forcée des dettes impayées se développe tout au long du Moyen Âge. À la fin du Moyen Âge, dans les villes à l’économie commerciale et artisanale naissante, il concerne toutes les formes de dettes et la procédure de règlement implique contrats, baux, prêts, ventes, successions. Dans les statuts urbains du Saint‑Empire, en règle générale, la faillite se déroule en plusieurs étapes : le créancier s’adresse au juge pour faire constater sa créance impayée ou le débiteur fait connaître son insolvabilité. Mis en demeure, le débiteur défaillant, qui est fort souvent en fuite, est convoqué pour une audience à laquelle doivent se manifester les créanciers. Le juge fait saisir les biens meubles (fahrende) et immeubles (liegende), dans certains cas le bétail (essendes) du débiteur en garantie (Verpfänden). Une formalité essentielle réside dans le serment que doit prêter le débiteur : il reconnaît ses dettes, à qui il les doit, combien il doit, et pourquoi il doit (art. 317, VIe Statut de Strasbourg) et le créancier prête également serment (VIe Statut de Strasbourg, art. 71, 316a, 317). Si le débiteur ne s’exécute toujours pas, les biens saisis sont vendus aux enchères (Verpfanden und Verganten). 

À partir du XVIe siècle, le droit de la faillite ou de la banqueroute (Fallit) mentionne spécialement les négociants et artisans, mais concerne toujours l’ensemble des débiteurs défaillants, quelquefois sous le nom de Gantordnung (Augsbourg). L’ordonnance de Hambourg de 1618 (Bankerout und Fallitenordnung) semble être la première à être promulguée avec ce titre (Goldschmidt). En 1628, le Magistrat de Strasbourg procède à la codification de ses règlements de police (Polizeiordnung). Son titre XI porte sur les contrefaçons et faux, les faillis et banqueroutiers (vorzetzliche Faillite und Banckrottierer) où selon la formule consacrée, on reprend les règlements édictés par les ancêtres (Vorfahren). L’ordonnance insiste sur la nécessité de maintenir la réputation et le crédit de la ville, faite de gens honnêtes. Elle rappelle les peines qu’encourent les faillis. Appartenant le plus souvent aux professions réunies dans les tribus, ils seront exclus de la liste des échevins. Dès cette époque, le législateur urbain fait la distinction entre déconfits malhonnêtes et les malheureux, victimes de circonstances comme l’incendie, le vol, le naufrage, la captivité et l’invalidité. Le failli ne doit pas se mêler à la société des gens honnêtes et sa femme n’affichera pas bijoux et vêtements de soie. Le banqueroutier voleur sera puni de la prison à perpétuité. Le classement de créances et créanciers par ordre de priorité est prévu implicitement par la disposition sur le sort réservé aux épouses de faillis : elles seront privées du tiers des acquêts si elles étaient complices. Mais on ne précise pas plus, et les réglementations dans l’Empire ne sont pas plus explicites avant la fin du XVIIe siècle. Dès 1662, le Magistrat prend un nouveau texte, « Von Straff der Falliten », dont les dispositions sont beaucoup plus complètes, sans être exhaustives. Il y affirme que des scandales récents – dont on ne sait rien – l’ont poussé à rechercher dans les anciennes ordonnances ce que les ancêtres avaient prévu pour la sanction des escrocs. En effet, trop souvent, des commerçants et artisans de la ville en déconfiture, ont pu bénéficier de concordats de la part de leurs créanciers soucieux de ne pas tout perdre, relancé leurs affaires et continué de vivre sur un grand pied. Voilà qui mettait en cause la réputation de la ville. Le Magistrat veut désormais revenir aux règles anciennes, indice d’un certain laxisme régnant à Strasbourg, qui devait nuire aux relations d’affaires des négociants strasbourgeois avec l’extérieur. Il est prescrit aux autorités de rechercher le déconfit en fuite à l’étranger ou caché dans les environs, de l’écrouer et de le mettre au pain et à l’eau jusqu’au concordat avec les créanciers, puis de l’assigner à résidence dans sa demeure (art. 1). Une délégation (Ausschuss) ou un syndic des créanciers procédera, avec l’aide des autorités, à la saisie de tous biens immeubles, meubles, espèces, bijoux, métaux précieux, livres de comptes et autres pièces qui serviront au remboursement des créances (art. 2). Le failli prête serment que ni lui ni sa famille ni des tiers agissant à sa demande n’ont rien caché ou dissimulé, aliéné ou recelé, ou de toute autre façon soustrait des biens ou des espèces, ou des livres de compte recherchés (art. 3). À Strasbourg aussi, est ménagée une période « d’atermoiement » pour un délai que les créanciers accordent et pour un montant dont un solde est annulé provisoirement, sous contrôle du juge, dans l’espoir que le débiteur reviendra à meilleure fortune et pourra rembourser (art. 4). Mais, même en cas de concordat accordé par la bienveillance des créanciers (Gutthat), le Magistrat peut poursuivre le failli (art. 5). Outre les peines de droit commun, frappant l’escroc et parjure – la prison à vie et le bannissement – il sera frappé de mort sociale et civile « ewiger spott » (art. 6). Le failli sera frappé de peines « dont les gens honorables ont aussi peur que de la mort véritable ». Il sera rayé de la liste des échevins, porté dans le livre de sa tribu comme homme sans honneur et, à chaque réunion de tribu, cité comme parjure et interdit d’ester en justice (art. 7). La femme ne doit porter ni bijoux ni soie (art. 8) et, si elle avait été volontairement complice, le tiers des acquêts qui lui est réservé (v. Coutume, Divorce, Ehegericht) sera versé à la masse (art. 10). Par contre, l’ordonnance du 22 décembre 1662 renforce encore la notion absolutoire de « circonstances imprévisibles » comme « l’incendie, le vol, le naufrage, la captivité et autres invalidités » qui justifieraient que l’on s’abstienne de condamnations pénales par « compassion chrétienne envers un malheureux ». Sont passées sous silence comme allant de soi, les références à la procédure déjà bien établie pour l’exécution forcée des débiteurs défaillants : la saisie et l’inventaire par les « Inventierschreiber », et vente forcée en salle des ventes (Ganthaus) (v. Gant). Le jugement des faillites revient au Grand Conseil (Cramer).

À Bâle et Tübingen, on avait déjà soutenu des thèses « de mercatura » (Bâle) ou « de jure in curia mercaturum usito » (Tübingen) (Frank L. Schaefer). En 1662, un futur bourgmestre de Lübeck, Marquard, rédige ce qui passe pour le premier traité de droit commercial allemand,Tractatus… de jure mercatorum, publié à Francfort (Goldschmidt). Le droit commercial figure aussi parmi les matières traitées à l’université de Strasbourg, et de façon fort précoce, si l’on en croit la thèse soutenue par Paul Gambs en 1639 (v. La femme marchande publique), sous la direction du professeur Rebhan (NDBA). 

L’influence du droit allemand va laisser la place à celle du droit français, fortement spécialisé. En 1673 est promulguée l’Ordonnance sur le commerce de Savary. Elle sera enregistrée par le Conseil_souverain. Par contre, toutes les Déclarations qui en précisent l’application ne le sont pas, il en est ainsi de l’importante déclaration sur les faillites et banqueroutes de 1716 (Pagny-le-Ber, p. 286). En Alsace, le code est généralement appliqué par les tribunaux et le Conseil souverain est juge d’appel, ce qui a peut-être été apprécié par le banqueroutier qu’un tribunal alsacien (Colmar ?) avait condamné à la pendaison (peine prévue par le code, mais qui n’était pas prononcée par les juges de France) : le Conseil condamne aux galères précédées de trois jours au pilori (1702). Le Conseil a confirmé les jugements fondés sur les articles 6 et 7 du titre des faillites, validant les concordats établis par la pluralité des créanciers représentant les trois quarts de la totalité de la créance et contestés par la minorité (1775, Pagny – Le Ber, p. 278). Mais les Magistrats des villes, juges en matière commerciale, n’appliquent pas l’ordonnance en tous points et suivent plus volontiers les ordonnances et la jurisprudence propres. Strasbourg est en particulier très pointilleux à cet égard et le nouveau Corps des marchands, créé en 1687 et qui succède à une Kaufmannschaft antérieure à l’annexion à la France, ne disposera que du pouvoir d’intervention amiable – fort important cependant en matière commerciale –, et non pas de pouvoirs juridictionnels. Il est vrai qu’une bonne partie du commerce de Strasbourg se fait avec les villes allemandes. Le seul arrêt sur les faillites que le président de Boug fait publier dans son « Recueil » est celui qui décide que le juge « naturel » de la faillite d’une société avec siège à Freistett et Lichtenau (évêché de Strasbourg, rive droite), ouverte à Strasbourg et dont les créanciers sont Strasbourgeois, est le Magistrat de Strasbourg et non le bailli de Lichtenau (de Boug, 1775, p. 869). Autre source majeure du droit de l’insolvabilité du XVIIIe siècle, le code mulhousien, compris dans ses Statuten und Gerichtsordnung der Stadt Mulhausen (v. 1740 ?). Son titre XXVI, Von Concurs der Creditoren oder Fallimentsachen semble s’inspirer de codes allemands ou suisses plus que du code français de 1673. Très complet dans sa description de la procédure à suivre, de la déclaration de faillite jusqu’à la vente forcée, il comporte un très long développement sur la classification des créances prioritaires, qui suit de près la leçon des réglementations allemandes et suisses. Sont prioritaires les créanciers de classe 1, à dédommager par retour de la chose, propriétaires de biens baillés au débiteur pour un mandat de vente ou en garantie, biens d’orphelins dont le failli est tuteur ou qui sont confiés à l’Église, ou encore marchandises en attente de paiement en espèces ; classe 2, frais de justice, honoraires d’obsèques, de médecins, de pharmaciens, fermiers et domestiques assurant la continuité de l’exploitation des biens du séquestre, écoles et précepteurs, domestiques (lidlöhner) et fermiers, impôts, pécule des enfants (kindergut) ; classe 3, créanciers porteurs d’hypothèques ; classe 4, titres sous seing privé et biens de la femme, s’ils ont fait l’objet d’une inscription à la chancellerie ; classe 5, tous autres créanciers, à proportion du reste de la masse. L’originalité de cette classification est la place modeste réservée aux biens de l’épouse, beaucoup mieux défendue dans les ordonnances d’Augsbourg, à peu près contemporaines. Par ailleurs, on peut s’étonner, pour la ville de Mulhouse, qui commence alors son essor
industriel et commercial, de l’absence de références à des titres et effets de commerce. Est-ce une indication de l’importance accordée aux procédures arbitrales ?

Mais, ici aussi, la réglementation et la jurisprudence des « faillites » des villes alsaciennes traitent de la même façon les « faillites civiles » et les « faillites commerciales ».

Voilà qui allait changer avec la Révolution et l’Empire. Avec le droit intermédiaire, puis le Code de commerce, la réglementation de la faillite est celle de toute la France et de la rive gauche du Rhin jusqu’en 1815, puis des provinces rhénanes de la Prusse et des cantons romands. Elle inspire celles de la Bavière, de Hesse et du Bade jusqu’à la loi impériale sur les faillites de 1877, Reichskonkursordnung, et les codes de droit suisses de la seconde moitié du XIXe siècle). La faillite est désormais purement commerciale et son jugement relève des juges consulaires avec appel à la Cour de Colmar et cassation dans la capitale (v. Chambre de Commerce, Commerce, tribunal de Commerce).

 

Sources - Bibliographie

UBS, IV, 2 (Statuten).

Polizeiordnung der Stadt Strassburg (1628).

Von Straff der Falliten. Extract (1662) (coll. Heitz).

Code du commerce (1673).

GUYOT,Répertoire (1775-1798) : « Banqueroute », « Faillite ».

Code de Commerce du 18 septembre 1807.

Journal de Jurisprudence civile et commerciale ou Recueil des Arrêts notables de la Cour d’Appel séant à Colmar.

SCHAEFER (Frank Ludwig), « Exekution » « Fallit », « Konkurs », Juristische Germanistik, Francfort-sur-le-Main, 2008.

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COQUERY (Natacha), PRAQUIN (Nicolas), « Règlement des faillites et pratiques judiciaires De l’entre-soi à l’expertise du syndic (1673-1889) ». Histoire et mesure, 2008. p. 43-83.

 

Notices connexes

Commerce (Chambre de –, Tribunal de –),

Coutume

Droit de l’Alsace (droit commercial)

Gant

Kaufmann

Kaufmannschaft

Lidtlohn

Marchand

François Igersheim