Iconoclasme

De DHIALSACE
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Destruction d’images religieuses, opérée pour des motifs religieux ou politiques. Le phénomène a marqué le passage à la Réforme, mais aussi la Révolution française.

Réforme et iconoclasme

Phénomène européen qui a accompagné le passage à la Réforme, l’iconoclasme a sévi en Alsace, à des périodes différentes qui vont de ses débuts à Strasbourg à partir de 1524 à sa fin en 1575, à Colmar et à Mulhouse, ainsi que dans d’autres localités qui passent ou veulent passer à la Réforme, mais où ses modalités sont moins connues.

Celles-ci peuvent être assez différentes, mais l’idée directrice est toujours la même : revenir à un christianisme biblique, épuré de tous les ajouts de l’Église médiévale, y compris dans le domaine des « images » ecclésiales, accusées d’être des Götzen, des idoles, des faux dieux. Mais il faut également comprendre le phénomène comme volonté, implicite ou explicite, de se libérer du système de domination religieux, ne fût-ce que dans ces moments particuliers.

La Guerre des Paysans

Fait remarquable, valable pratiquement pour tous les épisodes iconoclastes de la période dans l’espace germanophone : il n’y pas eu réellement d’atteintes graves aux personnes, même dans une période aussi troublée que l’était la Guerre des Paysans en 1525. Certes, dans les campagnes, les couvents et abbayes furent assaillis, les moines et nonnes bousculés, les provisions confisquées et consommées, de nombreux édifices endommagés. Mais s’il y a eu vandalisme et destructions, il semble y avoir eu relativement peu d’iconoclasme à proprement parler, sous réserve de recherches plus approfondies. Il s’agissait pour les paysans de se venger des clercs plus comme possesseurs de biens et percepteurs de la dîme qu’en tant que diffuseurs de la doctrine catholique. Des exceptions confirment la règle ; il en est ainsi de la description par le cellérier de l’abbaye de Neubourg des actes des paysans dans l’église : outre le feu mis à la bibliothèque, aux « images » des saints et à leurs reliques, l’un d’eux jette les hosties à terre et les piétine, on profane de façon scatologique l’autel de la Vierge en blasphémant, et on tire avec des armes à feu sur un crucifix suspendu au milieu de l’église (acte qu’on retrouve assez souvent dans l’iconoclasme postérieur des protestants français ou néerlandais). En admettant même que ce moine ait quelque peu exagéré l’ampleur des dégâts, il est clair qu’il n’y a pas là seulement une révolte socio-politique et anticléricale, mais aussi des actes clairement antireligieux.

Réforme et iconoclasme strasbourgeois

C’est à Strasbourg que l’iconoclasme a été le plus virulent, sur une période qui s’étend de 1524 à 1530. On en a une connaissance relativement précise, même si un certain nombre de sources sont postérieures et/ ou visiblement exagérées. C’est en février et mars 1524 que ses premières manifestations apparaissent à Saint-Thomas et à Saint-Pierre-le-Jeune, à l’occasion de fêtes religieuses (procession, distribution d’indulgences). Les manifestants prennent l’argent des offrandes et le mettent dans le tronc des pauvres, suivant ainsi à la lettre l’influent opuscule de Karlstadt, paru à Wittenberg en  1522, juste après les premiers troubles iconoclastes de cette ville, « Von abtuhung der Bylder/Und das keyn Betdler unther der Christen seyn sollen » (De l’enlèvement des images et qu’il ne doit pas y avoir de mendiants dans la chrétienté). L’idée de consacrer à l’entretien des pauvres l’argent dépensé pour les « images », les indulgences, les messes pour les morts et en général « les fondations et causes pies » était en effet devenue courante dans les premières années de la Réforme et sera légitimée dans le traité d’alliance de Smalkalde de 1541 (Fondation), mais à Saint-Pierre-le-Jeune, les iconoclastes se moquent aussi de la grande croix du jubé, disant qu’on priait en vain devant elle depuis 400 ans et mettant ainsi en doute un des symboles essentiels du christianisme.

Pendant toute l’année, l’agitation se poursuivit, le Conseil essayant de freiner quelque peu les ardeurs de ce que l’on peut appeler une minorité agissante, forte probablement de plusieurs centaines de personnes et composée sans doute surtout d’artisans, pour culminer fin octobre par l’enlèvement d’une partie des peintures, sculptures et reliques de la cathédrale et de Sainte-Aurélie. C’est dans cette même église, où Bucer était pasteur et dont de nombreux paroissiens étaient maraîchers, que se situe l’épisode de la profanation du tombeau « miraculeux » de cette sainte légendaire, où on ne trouve que quelques tibias d’enfant ou d’animal. Ainsi que l’énoncera Bucer ensuite : « Bein seind bein und nit gott » (« Des os sont des os et non Dieu »).

Les années suivantes, sous la pression populaire, les autorités, assistées des prédicateurs, prirent des mesures de suppression de processions, de jours de fête, de divers rituels, plus tard d’interdiction des enterrements dans les églises et couvents. En 1525-1526, diverses « images scandaleuses » furent enlevées de la cathédrale, à l’initiative d’une pétition de bourgeois. D’autres, en 1528, insistèrent pour que messes, autels et images soient entièrement supprimés. La messe fut officiellement abolie en février 1529 et le mois suivant, dans la foulée, Saint-Pierre-le-Vieux fut entièrement vidée de ses autels et de ses statues, les murs blanchis à la chaux ; on y apposa des inscriptions bibliques, comme cela avait été fait à Zurich. En 1530, l’ensemble des églises strasbourgeoises subit le même traitement et quelques-unes d’entre elles furent détruites (Saint-Martin, Saint-Arbogast et Sainte-Hélène).

Bucer clora ce long processus en consacrant cette même année un opuscule sur la question des images : « Das einigerlei Bild bei den Gotgläubigen an orten da sie verehrt nit mögen geduldet werden… » (« Que les images, quelles qu’elles soient, ne doivent pas être tolérées par les croyants là où elles sont vénérées »), où il justifiait l’interdiction des images ecclésiales à partir de la Bible, mais en invoquant aussi le christianisme primitif aniconique et l’iconoclasme byzantin, se plaçant clairement dans la lignée de Karlstadt et de Zwingli.

Réforme et iconoclasme à Mulhouse

Les choses ne se passèrent pas très différemment à Mulhouse, même si la petite taille de la ville à l’époque explique qu’elles prirent moins de temps. Après la sécularisation des couvents dans la première moitié de 1525, les autorités mulhousiennes, majoritairement acquises aux nouvelles conceptions, firent tout de même preuve d’un attentisme prudent, même après le colloque de Berne (janvier 1528), où les délégués mulhousiens rencontrèrent ceux des cantons suisses et des villes d’Allemagne du Sud acquis à la Réforme. Ce colloque se termina par l’adoption d’un programme en dix points qui portait clairement la marque des conceptions de Zwingli ; il y était notamment dit en point 8 qu’il fallait éliminer les images, contraires à la Parole de Dieu, et susceptibles d’adoration. C’est en fait par répercussion à la violente poussée iconoclaste de Bâle (avril 1528) que les Mulhousiens, aidés, semble-t-il, par des Bâlois et des Bernois, vident les églises de leurs « idoles », mais, ajoute le chroniqueur Stoltz (Mieg, 1948, p. 81) : « … tous les autels y furent brisés au ras du sol. Ils rassemblèrent ensuite les statues et les tableaux et les enfermèrent, sans toutefois en détruire aucun, comme le firent les Bâlois… », ceci se passant sans doute le 17 avril 1528. Mulhouse étant alors une petite ville de moins de 2 000 habitants, il n’a pas fallu longtemps pour vider les églises. Malheureusement, on ne sait pas exactement qui en a pris l’initiative. Il est en tout cas probable que les autorités ont supervisé l’opération, qui se conclut en 1529 par l’abolition de la messe, la même année qu’à Strasbourg.

Colmar, passage tardif à la Réforme

À Colmar, seul exemple en Alsace d’un passage tardif à la Réforme, en 1575, l’initiative vint aussi du Conseil. Là encore, on a fort peu de détails, sinon que la collégiale Saint-Martin, seule église laissée aux catholiques, perdra la plupart de ses autels et ses orgues, d’autres églises étant démolies ou désaffectées. Enfin il ne faut pas oublier que dans certains petits territoires seigneuriaux acquis à la Réforme, le plus important étant le comté de Hanau-Lichtenberg, où cela se fit en 1548, les autorités firent également « purifier » les églises, sans qu’on ait beaucoup de précisions à ce sujet.

Bibliographie

MIEG (Philippe),La Réforme à Mulhouse 1518-1538, Strasbourg, 1948.

LIVET (Georges) et RAPP (Francis) (dir.), Histoire de Strasbourg des origines à nos jours, t. III, 1981.

MULLER (Frank), « Bucer et les images », KRIEGER (Christian) et LIENHARD (Marc) (dir.), Martin Bucer and Sixteenth Century Europe, actes, colloque de Strasbourg 1991, Leyde, 1993, p. 227-237.

DUPEUX (Cécile), JEZLER (Peter), WIRTH (Jean) (dir.), Iconoclasme. Vie et mort de l’image médiévale, catalogue d’exposition Berne, Historisches Museum - Strasbourg, Musée de l’Œuvre-Notre-Dame, 2001, Paris, 2001.

MULLER (Frank),L’iconoclasme à Strasbourg 1524-1530, p. 84-89, p. 119, p. 300-301.

MULLER (Frank), « Le moment de l’athéisme dans l’iconoclasme de l’époque de la Réforme », ELSIG (Frédéric) et al. (dir.), L’image en questions. Pour Jean Wirth, Genève, 2013, p. 242-247.

Notices connexes

Calvaire

Crucifixion

Confession d’Augsbourg

Calviniste

Fondation

Stiftung

Frank Muller

Iconoclasme de la Révolution française - Iconoclastie révolutionnaire

L’iconoclastie révolutionnaire se distingue des épisodes similaires antérieurs par ses motivations qui furent, non pas théologiques, mais politiques. On peut en discerner deux variantes selon les objectifs visés.

Il y eut d’abord celle qui s’en prit aux symboles monarchiques et féodaux, dont le décret du 14 août 1792 de l’Assemblée législative ordonna la destruction. Ainsi, en octobre 1792, à l’instigation des Jacobins de Strasbourg, furent enlevés les couronnes et les sceptres des statues équestres des rois Clovis, Dagobert et Rodolphe de Habsbourg, placés au-dessus du portail principal de la cathédrale ; les statues elles-mêmes ne seront détruites qu’ultérieurement. On traqua les armoiries, les fleurs de lys, les enseignes et inscriptions en langue allemande (« la langue des tyrans »), et tous les emblèmes de féodalité et de royauté, dont Jean-Frédéric Hermann dressa une liste assez imposante (t. 1, p. 382-388). Il y eut aussi cette injonction insolite de la municipalité de Strasbourg au libraire Koenig de la rue des Grandes Arcades (n°55, actuellement n°89, maison reconstruite) « de faire démolir les créneaux existants sur sa maison comme étant signes de féodalité » ! (AM, 267 MW 239, cahier 1, au 1er fructidor an II, 18 août 1794). Obtempéra-t-il ?

Plus importante, plus spectaculaire aussi, fut l’iconoclastie antireligieuse. Elle apparut en 1793, concomitante à la politique de déchristianisation, avec pour but avoué et proclamé la rupture de tous les liens entre le nouvel ordre et le christianisme, dont toute trace devra disparaître de la vie quotidienne. Ses promoteurs partaient ainsi de l’idée – d’ailleurs fausse – que détruire les attributs visibles de la religion, c’était détruire la religion même. 

Le 17 brumaire (7 novembre 1793) les représentants Milhaud et Guyardin ordonnèrent l’élimination de tout signe religieux dans les lieux publics. Le directoire du district de Strasbourg enjoignit alors aux municipalités, « sous peine d’être déclarées suspectes et punies comme telles par le tribunal révolutionnaire, de faire disparaître aussitôt […] dans les rues, chemins, et places publiques, tous crucifix placés devant les églises, sur les rues, dans les champs, sur les chemins publics, sur les cimetières, ainsi que toutes images de saints, martyrs, ou autres représentations angéliques, et tous reliques, ossements des saints même ceux qui se trouveraient dans les maisons des particuliers, […] de les enterrer aussitôt, de faire également démolir toutes chapelles, placées dans les chemins publics, dans les champs et dans tous autres lieux publics, de faire détruire toutes figures de saints, anges et martyrs, qui se trouveraient placés extérieurement aux maisons et églises » (AMS, 205 MW 14, 70). À la même époque, un arrêté similaire du représentant Hérault de Séchelles, transmis aux communes par le directoire du département du Haut-Rhin, exigea que « toutes les croix qui peuvent se trouver sur les églises ou dans les endroits ouverts et continuellement exposés aux regards du peuple, que tous les signes de l’ancienne superstition devant à l’instant disparaître, il soit sur le champ mis en réquisition les ouvriers nécessaires pour les enlever ou les détruire » (Véron-Réville, p. 134 et s.).

En dépit de la loi de protection et de conservation des œuvres d’art et monuments, propriétés de la Nation du 16 septembre 1792 et celle du 6 juin 1793 qui réprimait les dégradations des monuments nationaux, les conventionnels Saint-Just et Lebas n’hésitèrent pas à ordonner le 4 frimaire an II (24 novembre 1793) la destruction des statues extérieures de la cathédrale de Strasbourg, ce que le maire Monet (NDBA, fasc. 27, p. 2 685) s’empressa de faire aussitôt exécuter. Bilan : 235 statues abattues, dont 67 purent être sauvées ; les autres, mises en pièces, servirent à remblayer quelques rues dans la Krutenau. On n’en resta pas là, on détruisit également les statues de l’intérieur de l’édifice, y compris la splendide chaire dite de Geiler de Kaysersberg. Jean Frédéric Hermann (p. 382-385) donne le détail de toutes ces dégradations consignées par un procès-verbal dressé en l’an III.

En mission dans l’Ain, le 7 pluviôse an II (26 janvier 1794) le représentant du peuple Antoine Louis Albitte (1761-1812) prit un arrêté ordonnant, entre autres, la démolition des clochers des églises. Ce fut ainsi que fut entreprise la destruction de celui de l’église du monastère royal de Brou à Bourg-en-Bresse. Deux mois plus tard, à Strasbourg, l’ultra-jacobin Antoine Téterel (NDBA, fasc. 37, p. 3 843) fit au conseil municipal, dont il était alors membre, la motion extravagante de raser la pyramide de la cathédrale (devenue Temple de la Raison) jusqu’à hauteur de la plate-forme, sous prétexte qu’elle insulterait à l’égalité ! Il ne fut que peu suivi ; un autre officier municipal, le serrurier Jean-Michel Sultzer (NDBA, fasc. 36, p. 3 823) fit adopter la proposition de coiffer la flèche d’un bonnet phrygien, pour faire connaître aux peuples esclaves d’outre-Rhin le triomphe de la liberté en France. Non sans peine, danger et dégradations, on recouvrit la pointe de la flèche d’un bonnet en fer-blanc de dix mètres de haut, peint en rouge. Il y resta jusqu’en 1802.

La pose de cet immense bonnet rouge sur la flèche de la cathédrale ne constitue pas nécessairement un acte d’iconoclastie si on le considère comme symbole et moyen de propagande de la liberté, trônant sur le plus haut édifice du monde, visible de loin, surtout des habitants de l’Empire voisin ; non plus, en admettant que ce ne fut qu’un subterfuge pour préserver la flèche d’une destruction manigancée par quelques zélateurs d’un égalitarisme mal compris. Le cas ne fut pas unique. À Landau aussi, l’église des Augustins fut « décorée » d’un tel bonnet, qui y resta jusqu’en 1847. Toujours à Strasbourg, on pensa protéger une statue placée dans une niche de l’un des angles de l’église Saint-Nicolas en l’affublant du bonnet de la liberté, qui, malheureusement, ne la préserva pas pour autant de la destruction !

Le 7 thermidor an II (25 juillet 1794, les administrateurs du directoire du département du Bas-Rhin écrivirent aux représentants du peuple : « L’ancien orgueil des jongleurs chrétiens avait fait élever des clochers insolens sur les édifices consacrés à leurs bilevesées (sic) religieuses. […] Ordonnez donc, citoyens Représentans, que tous les clochers et tours soient abattus. » […] Sur ce, intervint heureusement le 9 Thermidor, mettant fin aux destructions iconoclastes.

Bibliographie

Livre bleu, Strasbourg, 1795, 2 vol.

FRIESE (Johannes),Die Vaterländische Geschichte der Stadt Straßburg und des ehemaligen Elsaßes, t. 5, Strasbourg, 1801.

HERMANN (Jean-Frédéric), Notices historiques, statistiques et littéraires sur la ville de Strasbourg, 2 vol., Strasbourg, 1817-1819.

VERON-REVILLE (Armand-Antoine), Histoire de la Révolution française dans le département du Haut-Rhin. 1789-1795, Paris-Colmar, 1865.

REUSS (Rodolphe), La Cathédrale de Strasbourg pendant la Révolution, Paris, 1888.

HERMANN (Jean), Notes historiques et archéologiques sur Strasbourg, avant et pendant la Révolution […], par Rodolphe REUSS, Strasbourg, 1905.

Notices connexes

Biens nationaux

Calvaire

Croix rurales

Monuments

Vandalisme

Claude Betzinger