Houblon

De DHIALSACE
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(débuts de la production et du commerce du)

Hopfenbau, Hopfenhandel.

Contrairement à la garance et au tabac, le houblon est un tard venu dans le concert des plantes commerciales et spéculatives (Handelsgewächse) que connaît l’Alsace. Introduite vers 1760 / 1770, la culture du houblon domestique, pratiquée d’abord dans les jardins, puis en plein champ, de préférence dans des terres peu propices à la céréaliculture ou des terres nouvellement mises en culture, n’a ni la même ancienneté qu’en Flandre, ni le succès rencontré en Bavière, en Hesse rhénane et dans le Palatinat où elle est associée dès 1657-1683 à la production de la garance (Krapp- und Hopfenbau). Néanmoins les comptes du bailliage de Cleebourg font apparaître des achats de houblon au profit de la cour des Deux-Ponts dès 1661. Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, on récoltait en Alsace le houblon sauvage, souvent cueilli dans les bois ou sur les îles du Rhin, (wilder Hopfen, Landhopfen) et c’est en Franconie, Bohême ou aux Pays-Bas que les négociants strasbourgeois s’approvisionnaient en houblon de qualité (zahmer Hopfen), en attendant que l’impulsion vienne, au début du XIXe siècle, de la rive droite du Rhin, ouvrant la voie à la spéculation houblonnière : aux variétés indigènes comme le Oberhoffen, le Haguenau, le Bischwiller s’ajoute de plus en plus, à partir des années 1830, le « houblon de Spalt », originaire de Franconie, ancêtre d’une variété actuelle connue sous le nom de « Strisselspalt ». C’est que l’installation d’une authentique houblonnière nécessite, même à cette époque, d’importants capitaux, que seuls des notables ou des brasseurs pouvaient avancer, souvent dans le cadre du métayage. Mais peut-on qualifier de « houblonnière » la plantation, fréquente jusqu’à la fin du XIXe siècle, de quelques dizaines ou de quelques centaines de pieds ? Par ailleurs, l’implantation du houblon doit beaucoup au déclin d’autres cultures spéculatives, chanvre et garance, qui étaient seules, jusque-là, à pouvoir fournir à de petits producteurs l’argent frais indispensable au paiement des fermages et des impositions. Il importe enfin de souligner que le houblon sauvage, aussi appelé gemeiner Hopfen, Gartenhopfen, ou Heckenhopfen, peut coexister avec le houblon de culture, assurant, dans le cadre d’une économie de cueillette, la subsistance des pauvres, essentiellement dans les Rieds et les forêts rhénanes, jusqu’au milieu du XIXe siècle (Haguenau 1860). Comme le constate Étienne Juillard, le surpeuplement de la plaine d’Alsace, au XIXe siècle, n’est sans doute pas étranger au succès du houblon, pourvoyeur d’emplois et de ressources nouvelles. Faut-il aller au-delà en suggérant que la rareté des plantations houblonnières dans le département du Haut-Rhin pourrait être liée aux possibilités d’embauche offertes par l’industrie naissante, en particulier par l’industrie textile ? Simple hypothèse.

Tenace, une idée reçue veut que ce soit la seule région de Haguenau qui s’y consacre, du fait de quelques expériences pionnières particulièrement réussies : celle du pasteur Jean Philippe Reinhart Ehrenpfort à Oberhoffen-sur-Moder et celle de François Ignace Derendinger, né à Achern en 1775, établi, à la suite de son mariage, à Haguenau à partir de 1802, et pouvant se prévaloir de relations étroites établies avec le pays de Bade. Le premier se heurte à l’opposition des brasseurs strasbourgeois, qui se sont habitués aux houblons d’Allemagne, mais, en 1819, il se concerte avec le brasseur strasbourgeois Schwartz pour promouvoir le houblon d’Alsace et assurer son succès dans le commerce international, en particulier le long de l’axe rhénan, de Strasbourg à Mayence. Après avoir rapporté de Bohême 800 pousses dès 1813, il est lui-même à la tête d’une exploitation houblonnière et d’une brasserie. En tout cas, suivis en 1815 par Jean-Philippe Arlen dans la cité voisine de Bischwiller, durement touchée par la crise de l’industrie drapière, Ehrenpfort et Derendinger auraient été les premiers à faire connaître, sous sa forme actuelle, cette « vigne des pays froids » dont le produit entre dans la composition de la bière. En réalité, comme l’a montré Jean Vogt dans de nombreux articles, le houblon domestique est présent, de façon diffuse, dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, aussi bien dans la région de Brumath que dans celle de Molsheim et de Wasselonne, le Kochersberg, le Ried et le plateau lorrain, ne serait-ce qu’à l’intérieur des jardins, voire entre les pieds de vigne. Mais, en vertu d’un schéma inversé par rapport à bien des productions agricoles, c’est moins la culture elle-même qui serait à l’origine de l’essor commercial que l’esprit d’initiative de brasseurs courageux (Derendinger et Saglio dans la région de Haguenau), de marchands entreprenants (Gloxin à Wissembourg) ou de grands propriétaires armés de capitaux (Pasquay à Wasselonne et Saverne).

En effet, son extension caractérise la seconde moitié du XIXe et la première moitié du XXe siècle, si l’on en croit quelques indices incontournables attestant l’engouement pour le houblon : la multiplication des petites brasseries ; l’essor du commerce des perches à houblon – nécessitant un investissement important – fournies par la forêt et l’extension des superficies houblonnières elles-mêmes : de 75 hectares à Haguenau en 1837 elles passeront à 162 en 1852 et 514 en 1864. À Haguenau, Charles Frédéric Ehrenpfort, le fils du pasteur, se fait, au début du XIXe siècle, à la fois producteur, négociant et l’un des meilleurs propagandistes du houblon de la région, dont il ne cesse de vanter les mérites, faisant passer les quantités vendues de 750 à 8 000 kilos en 1826 grâce à l’activité de nombreux marchands juifs qui monopolisent alors le commerce des produits agricoles. Il se concerte
avec le brasseur strasbourgeois Schwartz pour promouvoir le houblon d’Alsace et assurer son succès commercial. Dans les années 1830, la récolte du houblon est en effet estimée, à Haguenau, à 70 000 - 80 000 kilos, par an dont la moitié est consommée en Alsace même, l’autre moitié étant dirigée vers Paris et d’autres provinces, notamment le Midi.

Production commerciale et spéculative par excellence, au même titre que le tabac, le houblon est soumis aux aléas du climat (dégâts imputables aux tempêtes) ou de la conjoncture (variation des prix et, par voie de conséquence, élasticité des emblaves), aux exigences de qualité et à la malveillance humaine (vols ou vandalisme). Lors des années de disette houblonnière (1706, 1725), privant les brasseurs de leur matière première, les cours flambent ; inversement, ils s’effondrent en cas de surproduction (entre 1846 et 1848). Socialement, la plantation se situe au coeur d’un véritable « complexe houblonnier » associant les éventuels cueilleurs de houblon sauvage, les cultivateurs, propriétaires de houblonnières, les brasseurs, les marchands au petit pied, les négociants d’envergure des villes, petites ou grandes (Strasbourg, Haguenau, Wissembourg) et leurs courtiers. Nous retrouvons parfois, à l’instar d’autres productions commerciales, le système d’avances assurant aux producteurs les capitaux nécessaires, à condition de s’engager à vendre, lors
de la récolte à venir, telle quantité de houblon à tel négociant nommément désigné.

Depuis lors, l’économie houblonnière n’a cessé de progresser grâce à la rationalisation des techniques de culture (passage progressif de la perche, qui subsistera jusqu’au début du XXe siècle, au Drahtbau, technique constituée de mâts en bois reliés entre eux par un maillage de fils de fer), du séchage (à l’air libre, puis au calorifère ou séchoir à houblon à flux d’air chaud) et de commercialisation (COPHOUDAL en 1939), avant de connaître, à son tour, la crise actuelle, liée à la fois à la lourdeur des investissements, à la concurrence internationale et à l’irrégularité des cours.

Bibliographie

Journal d’Agriculture pratique, 1862, p. 177-183 (canton de Molsheim).

ZEYL (Robert.), « La culture du houblon en Alsace », Annales de géographie, t. XXXIX, 1930/6, p. 569‑578.

JUILLARD (Étienne), La vie rurale dans la plaine de Basse- Alsace. Essai de géographie sociale, Paris, 1953, p. 344-348, avec références bibliographiques (p. 556-571) remontant à la première moitié du XXe siècle et émanant, le plus souvent, de géographes.

MULL (Charles), Une industrialisation manquée. Histoire économique et sociale de Haguenau depuis la Révolution jusqu’à la guerre de 1870, th. 3e cycle dactyl., 1974, t. II, p. 301-336.

BOEHLER (Jean-Michel), LERCH (Dominique), Moissons d’histoire (XVe-XIXe siècle). Jean Vogt : un demi-siècle de recherches sur l’histoire de la campagne alsacienne (1952-2005), Strasbourg, 2015, p. 156-164. On trouvera dans cet ouvrage la bibliographie exhaustive (p. 23-41) de Jean VOGT sur le sujet (avec l’ensemble des références à ses articles : voir les numéros 218, 219, 221, 222, 242, 255, 263, 265, 274, 277, 278, 279, 280, 293 et 615).

Notices connexes

Bière

Jean-Michel Boehler