Fonte de cloches

De DHIALSACE
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Glockengiesserei

Aux origines, du moins dans le monde germanique, la science de la fonte des cloches était l’apanage du clergé, du simple moine à l’archevêque Thiemo de Salzbourg ; le bénédictin Rugerus (Theophilus), de l’abbaye de Helmershausen, a relaté au XIIe siècle, dans sa « Schedula diversarum artium » le processus de la fonte d’une cloche (Walter, 34).

Dans la Lorraine voisine, les plus anciens fondeurs de cloches étaient également des moines (Gorze, Saint-Arnould…) et ce n’est qu’au XIIIe siècle que cet art y a passé aux mains des laïcs (Bour, I, 359). Était-ce également le cas en Alsace ? Certes, les cinq plus anciennes cloches mentionnées en Alsace et disparues dans un incendie en 1101 étaient celles de l’abbaye bénédictine implantée jadis à l’emplacement de l’actuel couvent de Saint-Marc près de Gueberschwihr ; on ne saurait affirmer pour autant qu’elles aient été confectionnées par des moines. À Murbach, les « sondages archéologiques de 1984 ont découvert l’existence d’un four à cloches installé dans la croisée, au pied de l’escalier de la sacristie actuelle. On peut penser que les cloches ont été fabriquées à cet endroit, avant le lancement de la voûte de la croisée » (Legin, 74) ; là encore, on ne connaît pas les fondeurs. Les plus anciennes cloches alsaciennes existantes, conservées en l’église Saint-Georges de Haguenau, ont été fondues en 1268 par « maître » Henri de Haguenau : « MAGISTER + hENRICUS + DE Hagen . FUDIT ME », dont nous ne savons s’il était clerc ou laïc. Ultérieurement, il s’agit bien de fondeurs professionnels.

Si, à des périodes fastes pour eux – après des guerres, comme celle de Trente Ans, ou les confiscations révolutionnaires – les fonderies ont pu prospérer, la fonte de cloches n’assurait sûrement pas en continu la subsistance des fondeurs établis à demeure ; ils étaient donc obligés de diversifier leur production. Le Strasbourgeois Jean-Jacques Miller est attesté comme horloger en 1673. Après la découverte de la poudre à canon, beaucoup d’entre eux s’étaient mis à fabriquer des canons ; ce sera aussi le cas, bien plus tard, de la lignée des Edel à Strasbourg : sur la vignette publicitaire qu’il a fait graver par Striedbeck, Matthieu Edel a fait figurer, outre la cloche en position centrale, un canon, une pompe à incendie, un mortier de pharmacien et un robinet de tonneau. Les Bayer de Colmar vendent et réparent des pompes à incendie à partir de 1784 ; en 1798, la marque de Sébastien comporte aussi un canon en plus de la cloche. À partir de 1810, David Maurice, de Soultz, est également cité comme « mécanicien pour pompe à feu ».

Par contre, des fondeurs ambulants, étrangers à l’Alsace, surtout lorrains, mais aussi du Bassigny, n’hésitaient pas à venir prospecter en Alsace pour y fondre des cloches sur place. Ainsi, César (II) Bonbon, de Levécourt, fondit à Dangolsheim, le 2 novembre 1682, la cloche sainte Catherine, refondue en 1924. Jean Rosier, de Senecourt, en a refondu une en 1695 à Guebwiller. Un fondeur inconnu en a coulé deux au cimetière de Duppigheim en 1698. En 1704, Onofrius Rodt, de Bâle, fondit une cloche à Rixheim, avec Franz Sannter de Thann, comme le précise son inscription : « ONOFRION . ROTH IN BASEL GOS MICH ZV RIXHEIM UND FRANTZ SANNTER IN THANN 1704 ». Nicolas Antoine, d’Urville, aidé par son gendre Nicolas Liebaut, a refondu quatre cloches à Munster en 1767. Nicolas Ferry, de Saint-Dié, vint refondre, entre autres, trois cloches à Bergheim en 1754. En 1817 encore, François Robert, de Nancy, vint fondre trois cloches sur la Place de la Mairie à Wettolsheim. Cette liste n’est qu’indicative.

Au besoin, ces « saintiers » regroupaient leurs commandes et fondaient en un seul lieu ; c’est ce que fit Franz Sermund, de Berne, qui, en 1573, à Colmar «in dem Stadtgraben vor dem Kerkertore », fondit six cloches pour Colmar, autant pour Munster, une pour Sainte-Croix-en-Plaine et une pour Dessenheim (Kraus, II, 239). En 1574 ou 1575, Nicolas Lamperti, de Deneuvre (Lorraine), associé à Paul Eber, de Rosheim, fondit à Benfeld des cloches pour Benfeld, Dambach-la-Ville, Huttenheim et Rhinau (Muller,Lamperti, 55).

Le cas est différent à Marbach, où, en 1500, le prieur Dahlen a fait venir « maître » Jean Schad, de Mersbach, accompagné de ses deux frères, François et Nicolas, pour refondre les sept cloches et n’en faire qu’une sonnerie de quatre cloches.

Malgré les moyens de communication plutôt rudimentaires d’antan, des maisons locales ou étrangères continuèrent à fabriquer les cloches dans leur fonderie et à les envoyer au loin. Ainsi, en 1383, Johannes Reber, d’Aarau, expédia à Roderen une cloche, toujours existante, qui porte l’inscription : « Anno Domini MCCCLXXXIII Fusa sum in Arow a Magistro Johann D(i)c(t)o Rebe(r) + ». Nicolas Kettelat, de Delémont, fondit en 1581, pour Froeningen, la cloche qui porte toujours sa marque : « NICOLAVS KETTELAT ME FVDIT THELSPERGI ». La Wandlungsglocke de Lautenbach vient également de Bâle : « JACOB RODT GOSS MICH IN BASEL ANNO 1671 », tout comme le eisgleckla de Walheim : « DIESE GLOCKE IST … IN S. BLESI KIRCHEN GEKAUFT UND AUF GEHENGT WORDEN ANNO 1681 VND JACOB ROHT GOSS MICH ZU BASEL ». Ce sont surtout les Weitnauer, de Bâle, qui expédièrent aux XVIIe et XVIIIe siècles des cloches en Haute Alsace, qui relevait du diocèse de Bâle : Colmar (1646), Guebwiller (1696), Uffheim (1700), Thierhurst (1701), Widensolen (1736), Bretten : « FAIT PAR MOI JEAN FRIDRIC WEITNAUER DE BASLE POUR LA COMMUNAUTE DE BRETT DANS L’ANNEE 1790 », pour ne citer que quelques-unes des cloches toujours en place.

Parmi les fondeurs allemands, Paul Kessel, de Spire, expédia une cloche à Schleithal en 1594 et Sigmund Bebel, de Breisach, une autre à Benfeld en 1605. Helfrantzkirch possède la seule cloche d’Andreas Rost, de Loerrach, conservée en Alsace : « GOS MICH ANDREAS ROST IN LÖRACH. VOR DIE GEMEIN HELFRANTZKIRCH 1770 ».

La lignée strasbourgeoise des Edel fit de même. Sur les 417 exemplaires vendus par Jean-Pierre Edel entre 1670 et 1715, au moins 120 étaient destinés à des localités allemandes (Muller, Baden, 491). Ses successeurs firent de même.

Pour des raisons évidentes de sécurité, les fonderies étaient généralement implantées à l’écart des localités. Ambrosius, puis Hanns Zeisch en 1557 habitaient la maison « genannt zur Drumme, jhensit der Schindtbrücken » à Strasbourg (AMS KS 93, f. 402 vo ; AMS KS 94, f. 258 vo). La fonderie (Stückund glockengiesserhauß) de Jean-Pierre Edel se situait, en 1677, « gegen dem Zoll am Weißenthurn » (AMS VII, 1365). Nicolas Spitz, fondeur de cloches à Colmar, fit reconstruire sa maison « hors la porte de Brisach » en 1761.

Sur le plan technique, le bronze utilisé devait être plus pur que celui des canons et comporter 78 % de cuivre et 22 % d’étain, avec une tolérance d’impureté de 1 %. S’il est avéré que les cloches livrées en 1349 par maître André à Mutzig renfermaient 3/1 000e d’argent, il n’existait pas en Alsace de cloche « en argent » qui aurait été plus cristalline, même si la Messglock (cloche de la foire) de la cathédrale portait aussi, en raison de sa sonorité, le nom de Silberglock. Il s’agissait d’une astuce de fondeur pour récupérer des objets de valeur dans un métal trop précieux pour entrer dans l’alliage.

Bibliographie

EDEL (Friedrich Wilhelm), Von den Glocken. Geschichtliche und technische, auch vaterländische Mittheilungen über dieselben. Zweite Hälfte, Strasbourg, 1863.

KRAUS (Franz Xaver), Kunst und Alterthum in Elsass-Lothringen, Strassburg, 3 tomes, Strasbourg, 1876-1892.

WALTER (Karl), Glockenkunde, Ratisbonne-Rome, 1913.

HERZOG (Émile), « Zur Geschichte unserer Glocken », Calendrier du culte catholique à Colmar, 1920, p. 55‑76.

BOUR (Roch Stephanus), Études campanaires mosellanes, 2 vol., t. I, Colmar, 1947 ; t. II, Metz, 1951.

HUEBER (Lucien), « Les fondeurs de cloches anciennes en Haute-Alsace et leurs oeuvres », AEA, 39, 1976-1979, p. 1-61.

FISCHER (Fritz),Glocken aus aller Welt, Biedenkopf, 1978.

THURM (Sigrid), « Lothringische und elsässische Wandergiesser in Südwestdeutschland in der Zeit von 1460‑1560 », Kunstspiegel, 1980, no 2, p. 111‑122.

SALMON (Jean),Cloches et saintiers du Bassigny, Langres, 1985.

THURM (Sigrid), Deutscher Glockenatlas Baden, Munich-Berlin, 1985.

RONOT (Henry), Dictionnaire des fondeurs de cloches du Bassigny, un rayonnement sur l’Europe, Dijon, 2001.

MULLER (Christine), « Les fondeurs de cloches lorrains Lamperti (Lamprecht, Lambert), Rosheim et l’Alsace », Ann. SHAME, 2010, p. 5‑70.

MULLER (Christine), « Die durch Edel in Straßburg nach Baden verkauften Glocken (1670-1715) »,Die Ortenau, 93, 2013, p. 491‑508.

Notice connexe

Artillerie

Louis Schlaefli