Fiançailles

De DHIALSACE
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Verlobung, Sponsalia

Promesse de mariage.

L’évolution de l’institution des fiançailles va de pair avec le développement des prescriptions du droit coutumier et du droit canonique et religieux.

En droit romain, les sponsalia sont un acte par lequel les parents des fiancés et eux-mêmes se promettent le mariage dans un certain délai. Ils peuvent se donner des cadeaux, les arrhes. En cas de rupture, les arrhes seront rendues et une indemnité peut être due par le fiancé qui a rompu. C’est un contrat purement privé. Ces dispositions inspirent ultérieurement le droit de la monarchie française.

En Alsace, l’institution est marquée par la coutume germanique. Le mariage y est précédé d’un ensemble de démarches qui marquent le passage (Traditio) de la femme de la famille de son père à celle de son futur mari. La femme quitte le Munt (tutelle) de son père pour rejoindre celui de son mari. Ce dernier doit l’acheter (Brautkauf) par un Mahlschatz (gage du fiancé, Mahl en français arrhes). Le mot Munt peut également désigner la somme par laquelle on assure le passage d’une tutelle à une autre. Le Brautgrosschen ou Brauttaler, pièce symbolisant le prix de la fiancée, est remplacé à la fin du Moyen Âge par des cadeaux réciproques (anneau, bagues, bijoux, etc.) qu’il faudra rendre si les fiançailles sont rompues. Sans ce Mahlschatz, la femme est une simple concubine (Beischläferin). Ces démarches s’accompagnent de réunions dans lesquelles peuvent intervenir entremetteuses et entremetteurs et auxquelles participent les parents, la famille, les voisins. Elles donnent lieu à la conclusion d’un contrat oral ou écrit (Eheberedung). Elles peuvent se dérouler en l’absence des conjoints, par exemple pour les unions matrimoniales de princes et de seigneurs.

Les fiançailles (Verlobung, Verlöbnis) se distinguent mal du mariage proprement dit (Hochzeit, Trauung). Le Brautlauf (v. Brautlauf) désigne les fiançailles aussi bien que le mariage. Elles constituent le préliminaire d’une série de formalités qui peut s’étendre sur un jour seulement ou sur une année. Elles ne sont pas, contrairement aux fiançailles romaines, révocables et, de ce fait, la vie commune des conjoints commence souvent dès ce moment-là.

L’Église s’est efforcée de réglementer le mariage, en réprimant polygamie et concubinage. Au XIe siècle, le droit canonique définit les conditions du mariage valide et indissoluble (v. Concubinage, Divorce, Donations_nuptiales, Mariage). Il impose la nécessité du consentement des deux époux (et celle du père de la femme mineure) et celle de la consommation (copulatio carnalis). Il distingue deux étapes, celle des fiançailles (sponsalia de futuro) et le mariage proprement dit (sponsalia de praesenti), cérémonie lors de laquelle le prêtre officie pour ce qui est devenu un sacrement au IVe concile de Latran (1215). Les formalités préliminaires (promesse de mariage, contrats, donations dotales, parfois consentement par la formule prononcée par les conjoints : «Ich will dich nehmen », Schwabenspiegel, Landrecht II, 319) ont lieu avant ce que l’on appelle désormais le Kirchgang. Mais les conjoints et le public devaient bien se croire mariés puisque l’agende de l’évêque de Strasbourg de 1480 rappelle que les fiancés valablement mariés ne doivent pas cohabiter avant de passer à l’église (Wendel).

La coutume de Ferrette, codifiée à la fin du XVIe siècle, quelques années seulement après le concile de Trente, reprend des dispositions plus anciennes. Elle affirme assez maladroitement que le mariage est valide dès le sacrement – Sakrament – ou après l’Ehetag. On retrouve là une disposition répandue dans le sud du Saint‑Empire et les cantons suisses (de Berne à Bâle). L’Ehetag (assemblée de mariage) réunit les pères ou les tuteurs des conjoints, avec des témoins. Il délibère, puis adopte le contrat de mariage (Eheberedung) qui doit être appliqué par les conjoints. Le mariage a lieu ensuite dans un délai variable (Bonvalot, Coutumes de Ferrette, art. 21, p. 237). Les statuts de Sélestat citent une institution analogue. L’Ehetag, est une réunion des familles, avec parents, voisins, qui débat et adopte les termes du contrat de mariage (Eheberedung) avec l’indication des dotations (Heimsteuer). Ceci est arrêté avant la cérémonie religieuse ou Kirchgang (Sélestat 1555, Statuts p. 393). C’est au cours de cet Ehetag que les veuves ou veufs procèdent à l’adoption des enfants du lit précédent ou Einkindschaft (v. Einkindschaft). Le statut exige, pour éviter les disputes, que la Eheberedung soit rédigée par écrit et enregistrée au greffe (Canzlei) de la ville dans un délai de trois mois. Après l’Ehetag, on s’est souvent considéré comme mariés : les statuts de Colmar de 1592, traduits et commentés par Ignace Chauffour, syndic du barreau de la Cour souveraine au XVIIIe siècle (Titre 25, art. Ce qu’on entend par gens mariés) en témoignent : « Nous voulons qu’on ne comprenne sous ce nom de gens mariés que les personnes libres qui auront célébré leurs fiançailles et qui auront reçu la bénédiction sacerdotale à l’église, ou les veuves qui après les fiançailles auront cohabité avec leurs maris, quoique la bénédiction nuptiale à l’église ne soit pas encore intervenue. Nous nous réservons cependant de condamner à l’amende ceux qui contre l’honnêteté publique se seront connus charnellement avant la bénédiction nuptiale en face de l’église. » [Les consentements étaient souvent recueillis sur le parvis de l’église.] Et Chauffour de commenter : « Il paraît que le Kirchgang ou cérémonie de recevoir la bénédiction nuptiale devant le propre curé… n’influe pas sur l’état du mariage, puisque l’on regarde comme mari et femme la veuve qui, après les fiançailles (qui ne constituent qu’une simple promesse de mariage faite partout où on veut en présence de qui on veut) aura couché avec son mari sans avoir célébré son mariage à l’église, ce qui est contraire aux décisions du concile de Trente. » Ce sont les définitions françaises des fiançailles qui influent sur le commentaire du syndic. Cette difficulté à obtenir des conjoints de « passer à l’église » se manifeste également dans les registres du tribunal matrimonial de Colmar qui juge du contentieux matrimonial et où la majorité des cas sont des ruptures de fiançailles ( ?) (v. Ehegericht).

À Strasbourg, aux XVe et XVIe siècles, les fiançailles ont lieu dans les maisons privées ou les poêles des corporations et les conjoints s’abstiennent de venir à l’église (Wendel) (v. Brautlauf). Les prédicants et réformateurs édictent la règle selon laquelle le mariage, produit du consentement des conjoints et des parents, n’existe qu’après la bénédiction du pasteur, la « copulation sacerdotale ». Dans l’ordonnance matrimoniale (Eheordnung) de 1530, le consentement doit être confirmé (bestätigt) par la cérémonie religieuse (Kirchgang) et, en 1534, c’est à l’église que le pasteur doit demander aux conjoints la formule de consentement. L’agende de 1567 prévoit que le pasteur s’enquière de l’observation des formalités préliminaires (Verlobung) au cours desquelles les parents expriment leur consentement au mariage de leurs enfants et se mettent d’accord sur le contrat de mariage (v. Donations_nuptiales). En 1665, ce contrat doit être passé avant mariage, sous peine d’invalidité (Consilia argentinenis, cité par Bonvalot, Coutumes). Le concile de Trente exige que le consentement des conjoints soit exprimé devant le prêtre (1563) et l’Église catholique accorde à nouveau une certaine importance aux sponsalia (fiançailles), où l’on procède avec les parents à la rédaction d’un contrat de mariage. Le prêtre, souvent présent, y prononce la formule de réception de la promesse mutuelle des conjoints. Mais l’Agende de Jean de Manderscheid (évêque de Strasbourg) prescrit aussi de faire promettre aux fiancés de se marier à l’église dans les 40 jours qui suivent (1590).

Comme pour la coutume de Ferrette ou celle de Colmar, la Eheberedung est irrévocable et doit être appliquée (sauf à changer de contrat en cours de mariage (v. Coutume). Le grand juriste protestant Carpzov estime que le pasteur a le droit de forcer un fiancé récalcitrant, sous peine de prison, à épouser sa promise (Carpzov, Jurisprudentia ecclesiastica, 1649). Mais Schilter met l’accent sur un jugement strasbourgeois de 1664 : le fiancé strasbourgeois avait pris la fuite pour échapper aux suites de ses fiançailles ; il a été condamné pour rébellion, mais sa fiancée peut se remarier (Schilter, Consilia). On avait donc appliqué au récalcitrant, par analogie, les règles gouvernant les cas de divorce. Ce sont également elles qu’applique la ville de Mulhouse dans l’article VI de sa Ehegerichtsordnung de 1744 reprenant des textes de 1663 et 1797 « ob und wann die Sponsalia oder Eheverlöbnissen wieder aufzulösen », où sont assimilés Verlöbniss et mariage.

Des évolutions se produisent au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. La conception romaine et française des fiançailles s’impose de plus en plus. Pour le droit français, la promesse comporte l’obligation de contracter mariage. Mais la validité de cette promesse repose sur le consentement des fiancés. Les fiançailles n’entraînent pas de mise sous tutelle de la fiancée par le fiancé. La fiancée, tout comme le fiancé, peut rompre les fiançailles, rupture qui peut intervenir par consentement mutuel. Le juge ne peut contraindre celui qui se refuse. Mais ce refus entraîne droit à dommages et intérêts, pour réparer le partenaire lésé des dépenses faites à la suite des fiançailles (recherche d’un ou d’une fiancée par entremise, achat de maison pour la future famille, trousseau, etc.). Les arrhes (bagues, bijoux, etc.) doivent être rendues : « Les fiançailles sont une période pendant laquelle les fiancés apprennent à se connaitre, mais la jactance du fiancé d’avoir eu des rapports avec la fiancée est un motif de rupture. » Le juge ecclésiastique peut juger de la rupture, mais non pas des dommages et intérêts (Guyot, fiançailles). Le Code Napoléon ignore les fiançailles, sauf à exiger que « toute donation faite en faveur du mariage sera caduque, si le mariage ne s’ensuit pas » (Code Napoléon, art. 1088). Les fiançailles sont donc des cérémonies privées pour les conjoints et leurs familles… ainsi que pour les notaires s’il y a contrat de mariage (v. Donations_nuptiales).

 

Sources - Bibliographie

Droit municipal de Colmar, traduit de l’allemand par M. Ignace Chauffour, syndic du collège des avocats au Conseil souverain d’Alsace, vers 1788-1789, avec un précis historique sur la législation ancienne de cette ville et des notes du traducteur sur la jurisprudence (BNUS, réserve, Ms.1.187).

Bibliothèque Chauffour, Colmar (Fonds Billing) :

  •  No 23/1. Ehegericht de Colmar ; registre des causes portées devant le tribunal matrimonial tenu par le pasteur Socin de 1600 à 1616, avec des notes marginales de Billing, de 1616 à 1789.
  •  No 79-No 9 et 11 Notice sur le Conseil matrimonial. Das Ehegericht… (XVIIe siècle).
  •  No 1609.Ehegerichtsordnung der Stadt Mulhausen, 1744.

CARPZOV (Benedikt), Jurisprudentia ecclesiastica, Hanovre, 1649.

SCHILTER (Johann), Consilia Argentoratensia, t. 9, Strasbourg, 1701.

GUYOT, Répertoire (1775-1798), art. Fiançailles.

BONVALOT (Édouard), Coutumes de Ferrette (1870).

GENY (Joseph),Schlettstadter Stadtrechte (Oberrheinische Stadtrechte, 3 : Elsässische Stadtrechte), Strasbourg, 1902.

DRW, art. Ehetag, Eheberedung.

DERSCHKA (Harald), Schwabenspiegel im heutigen Deutsch, Munich, 2002.

DÖRNER (Gerald), Die evangelischen Kirchenordnungen des XVI. Jahrhunderts, Elsass 1. Teilband Strassburg, Tübingen, 2011.

WENDEL (François), Le mariage à Strasbourg à l’époque de la Réforme (1520-1692), Strasbourg, 1928.

ENNEN (Édith),Frauen im Mittelalter, 6e éd., Munich, 1993.

 

Notices connexes

Brautlauf

Concubinage

Divorce

Donations_nuptiales

Eheberedung

Ehegericht

Mariage

Officialité

 

François Igersheim