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De DHIALSACE
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Besserung, Dünger, fumier, fumure, Mist

La fumure joue un rôle capital dans l’amendement des terres connu sous le nom de « mélioration » ou de « bonification » (Besserung). L’action de fumer (düngen, Düngung) s’avère indispensable pour assurer des rendements satisfaisants, en particulier pour ce qui est des sols carencés (tels les sables des Harts autour de Haguenau et de Colmar) ou épuisés par une production forcée de céréales, la mise en jachère, dans le cadre de l’assolement triennal ou biennal, ne suffisant pas à reconstituer le sol.

 

La grande variété des fertilisants

Avant l’utilisation des engrais chimiques, on procède, tantôt par marnage, tantôt par chaulage, à l’apport d’éléments dont le sol a besoin (plâtre, gypse, marne, alluvions de l’Ill, suie et cendre, boue des chemins), savoir-faire intuitif ou expérimental qui se transmet d’une génération à l’autre. S’y ajoute tout naturellement la fumure végétale liée à l’enfouissement de la paille, des fanes, des pois, les uns et les autres fournisseurs d’azote, ou de diverses matières organiques que procurent les sarclures du jardin, les balayures de la grange ou le gazon prélevé sur les terres communales. L’essentiel de la fertilisation réside cependant dans le fumier animal, qu’il provienne de la campagne (Hofbesserung) ou de la ville (le Gassenkot provenant de la décomposition de toutes sortes de détritus confiés à la rue). Cette dernière est en effet pourvoyeuse d’engrais au point qu’Arthur Young déplore que l’Alsace ne compte pas suffisamment de grandes villes, à l’instar de la Flandre, pour participer de la sorte à l’intensification de son agriculture. Très prisé par les maraîchers et les paysans de la campagne environnante, qui affluent régulièrement en ville avec leurs tombereaux, le fumier urbain peut provenir soit de la vidange réglementée des latrines (Strasbourg), soit de l’étable des bouchers et aubergistes, soit de l’écurie des garnisons (Neuf-Brisach, Haguenau) dont l’une des missions est de fournir le crottin que leur procure une importante cavalerie. La hausse du prix du fumier – de 2 à 10 livres tournois la charretée à Colmar – reflète l’augmentation de la demande au cours du XVIIIe siècle.

 

Le fumier au coeur de la « révolution agricole »

Avant la pratique systématique de la stabulation, il se trouve que le fumier, à défaut d’être soigneusement récupéré, est gaspillé sur les espaces ouverts à la vaine pâture ou que la pénurie de paille, entrant dans sa composition, en limite l’utilisation. Le bétail, dont l’entretien répond à une nécessité, cesse peu à peu d’être exclusivement un auxiliaire de l’homme pour devenir un fournisseur d’engrais, donc un acteur majeur dans le processus de la fertilisation du sol. Une vache peut donner entre 10 et 20 kilos de fumier par jour ; un cheval 15 à 20 % moins. Or ce bétail, s’il faut le nourrir autrement – et plus efficacement – que sur les pâturages communaux ou sur les prés périodiquement mis en défens, devient le concurrent alimentaire de l’homme : dans la mesure où une partie des terres cultivables, sur les soles vouées traditionnellement aux grains, lui est consacrée par la pratique des cultures fourragères (trèfle, luzerne, sainfoin ; navets et betteraves) ou encore dans la mesure où il participe directement à la consommation soit de grains panifiables (orge, avoine), soit de légumes (fèves et pois) qui eux-mêmes peuvent être mélangés aux grains.

 

L’art de traiter le fumier

L’utilisation rationnelle du fumier est l’une des préoccupations majeures des agronomes et des physiocrates dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, si on en croit les témoignages du pasteur Schroeder dans le pays de Hanau, de Haenlé, le préposé aux grains de la Ville de Strasbourg, du receveur Rosé ou du bailli Hell en Haute-Alsace. Ce sont les jardins de l’Etter, puis la zone de culture intensive ceinturant l’agglomération villageoise, qui en sont les premiers bénéficiaires ; la pratique de la fumure se fait de plus en plus rare à mesure que l’on s’approche des limites de la zone cultivée, ce qui, selon le pasteur Schroeder, n’empêche pas que les prés puissent être occasionnellement fumés. Sur les labours, l’idéal serait, après avoir retourné en automne la sole de jachère, d’y conduire tous les trois ans 8 à 10 charretées de fumier, de 500 kilos chacune, par arpent de 40 à 50 ares, soit une centaine de quintaux par hectare. On est souvent loin du compte et les corporations de laboureurs de Colmar ou d’Obernai, par exemple, le déplorent : à raison de 5 à 8 charretées par arpent, il arrive que la terre ne soit amendée qu’une fois tous les 5, 9, 15, voire 20 ans, ce qui traduit bien la pénurie de fumure animale. Encore faudrait-il que ce fumier soit convenablement confectionné et les recommandations à ce sujet ne manquent pas : ne pas l’utiliser trop frais, donc insuffisamment « consommé », ne pas exagérer les doses pour ne pas « brûler » les grains, ne pas le laisser se dessécher au soleil une fois répandu sur les champs. Si le bailli Hell fait l’apologie de la fosse à purin, ce sont surtout les fermiers anabaptistes qui font figure de véritables spécialistes de l’élevage, des fourrages et de la fumure. Eleveurs réputés et cultivateurs modèles, ils se rangent ainsi parmi ceux qui ont compris que le problème de la fumure passait par le développement et l’alimentation du cheptel.

 

Sources - Bibliographie

AMS Conseil des XXI, « Horbordnung » de la Ville de Strasbourg, 1665 et Conseil des XV, 1691 et 1752.

BNUS Ms. 630 : Christian Haenlé, « Kurze, doch wahrhafte und gründliche Beschreibung deren Früchten und Getreidt…welche absonderlich in der Provinz Elsasses gebauen werden », 1747, fol. 102-106 et 268 ss.

AHR 2 E 70, « Avis d’un Sundgoïen à ses compatriotes », Hell, s.d.

BMC Ms. 907, « Mémoire sur l’Etat des laboureurs de la Province d’Alsace », communication à la Société de lecture de Colmar, 17 octobre 1779.

AN H 1625, mémoire de Hell, s. d.

AHR C 1119, correspondance de Hell avec l’intendant d’Alsace (4 mai 1766) et « Remarques adressées à l’intendant par M. Hell, bailli de Hirsingue, sur les engrais et matières propres à améliorer les champs » (mémoire de 1782) ; « Réponse sur l’instruction sur les moïens de suppléer à la disette des fourrages et d’augmenter la subsistance des bestiaux » (baron de Rathsamhausen, 1785).

Göcking’s Journal von und für Deutschland. Bemerkungen auf verschiedenen Reisen durch Elsass, Wasgau, nach Lothringen und dem obern Rhein entlang, 1784, t. I/2, p. 239.

Archives des corporations de laboureurs AMC HH 23, 59/97 (Colmar 1783) et AMO G 10 (Obernai, 1792).

YOUNG (Arthur), Voyages en France, 1787, 1788 et 1789, trad. et notes de H. Sée, Paris, 1976, t. II, p. 806 et 916.

ABR 63 J 15, Mémoires sur l’agriculture, Société d’agriculture du Bas-Rhin, rapport de Lefébure, s.d.

ABR 63 J 23, communication de Christian Philippe Schroeder, pasteur de Schillersdorf, à la Société des Sciences, Agriculture et Arts du Bas-Rhin, dont il est membre (1805).

RIEMANN (Friedrich Karl), Ackerbau und Viehhaltung im vorindustriellen Deutschland, Kitzingen/Main, 1953, p. 74.

VOGT (Jean), « Un épisode des relations ville-campagne : le commerce des engrais strasbourgeois dans la banlieue et les campagnes voisines (XVIIe - milieu XIXe siècle) », Annuaire de la Société des Amis du Vieux Strasbourg, t. XVI, 1986, p. 25-32.

BOEHLER (Jean-Michel), La paysannerie de la plaine d’Alsace (1648-1789), 3 vol., Strasbourg, 1994, t. I, p. 806-811, 819 et 841.

 

 

Notices connexes

Besserung

Elevage

Latrines

Vidange

Jean-Michel Boehler