Hofnamen

De DHIALSACE
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Noms de ferme.

Coutume rurale, répandue en Alsace et devenue une véritable institution, qui consiste à conférer aux fermes ou Höfe du village un identifiant, de conception clanique et de signification quasi-totémique, se transmettant de génération en génération. En effet, moins individuels que les prénoms et plus collectifs que les patronymes puisqu’ils désignent, de façon intergénérationnelle, l’ensemble des occupants de telle maison et replacent l’individu à la fois dans sa famille et son lignage, les Hofnamen relèvent d’une tradition orale dont l’historien, attaché aux sources de nature archivistique, peine à situer les origines par une datation précise. Il arrive néanmoins que les registres paroissiaux et, par la suite, les livres de familles ou chroniques paroissiales, rédigés au XIXe siècle (Hurtigheim, Littenheim) à partir de registres paroissiaux anciens, par certains curés ou pasteurs, les évoquent à la suite des patronymes, en les faisant précéder parfois des termes de « vulgo » ou de « dito », mots qui n’accompagnent d’ailleurs pas exclusivement les noms de ferme. Une simple comparaison entre le relevé actuel des Hofnamen et les données des registres paroissiaux a permis à Jean-Marie Quelqueger de repérer leur origine, dans le Kochersberg, et de la situer entre la fin du XVIIe et le début du XVIIIe siècle. Les noms de ferme qui rappellent l’existence d’un ancêtre ayant vécu avant la guerre de Trente Ans sont plus rares : ainsi la mémoire populaire rattache le Hofnamen « s’Michels », à Durningen, à Michel Bieth qui aurait été l’un des meneurs lors de la Guerre des Paysans.

Difficiles à situer chronologiquement, très résistants à l’usure du temps, dans la mesure où ils ne s’oublient pas facilement même après que la famille s’est éteinte, ils semblent se rattacher à une tradition germanique répandue de part et d’autre du Rhin, tandis que leur étude s’inscrit dans la traditionnelle Sippenforschung, analyse approfondie des liens de parenté. Dans l’espace français, ils sont moins répandus et, en général, réservés aux fermes isolées en région d’habitat dispersé. En Alsace, où le droit romain compose avec la coutume germanique, le « système de maison », lorsqu’un garçon épouse une fille héritière d’une ferme, lui fait tout naturellement adopter le Hofnamen de sa belle-famille, par le seul fait d’« entrer en gendre ». Il est plus rare de voir un occupant, venant de l’extérieur ou migrant à l’intérieur de l’espace villageois, apporter son propre Hofnamen. Il arrive néanmoins qu’il y ait, suite à l’achat d’une ferme, transfert du Hofnamen, ce dernier suivant l’acquéreur. Mais ce serait une erreur de croire qu’ils sont réservés aux grandes fermes : le besoin d’identification gagne les familles les plus modestes (Krautergersheim en compte 157, dont quelques-uns disparaissent tandis que d’autres se transforment). Si la plupart sont très anciens, certains d’entre eux trahissent une relative actualité (« ’s Maschiners » à Grussenheim, « ’s Isebanhanse » à Wilwisheim, « ’s Tramjacobs » à Furdenheim, « ’s Barissers » à Dachstein, « ’s Mossieurs » à Krautergersheim) nous renvoient à des activités contemporaines (batteuse, tramway, chemin de fer), ou encore à des habitudes ou des préoccupations relativement récentes, ce qui témoigne de la persistance d’une vieille tradition.

Une plus grande fréquence dans l’Alsace du Nord (plus germanisée ?) que dans Alsace du Sud (plus romanisée ?) pourrait contribuer à expliquer – simple hypothèse – l’inégale répartition des Hofnamen : on les trouve couramment, le plus souvent en dialecte alsacien, dans l’Outre-Forêt, le pays de Hanau, le Kochersberg, la plaine d’Erstein et le Ried et ce n’est peut-être pas un hasard si, dans la Hardt, entre Sélestat et Colmar, la pratique se fait plus discrète, pour réapparaître, semble-t-il dans le Sundgau où, selon Marc Grodwohl, elle aurait répondu à une stratégie de limitation des mariages consanguins. Enfin il s’agit bien d’une coutume rurale : on ne les confondra ni avec les Hausnamen urbains, ni avec les noms des cours domaniales, seigneuriales ou abbatiales répondant, dans les villes, petites et grandes, aux noms de Dinghof, Fronhof, Zehnthof, Herrenhof, Amtshof, Freihof et qui sont les centres économiques et administratifs des grandes exploitations aux mains d’une minorité de privilégiés. Au double clivage nord/sud et campagne/ville, s’en ajoute un troisième, celui qui en fait une pratique plus répandue dans la plaine que dans le vignoble alsacien. Pour expliquer le succès des Hofnamen, il convient en tout cas de les resituer dans une époque où l’on ne disposait ni de noms de rues, ni de numérotation de maisons pour se repérer, mais où, par contre, les homonymes patronymiques étaient légion et risquaient, de ce fait, d’entretenir la confusion. L’onomastique s’aventure sur le terrain délicat de l’étymologie et de l’interprétation des noms de ferme. L’historien, quant à lui, se contente d’une prudente classification tout en relevant la constance des préfixes s’ (concentré de « das » ou de « in’s », c’est-à-dire « chez les ») ou de (contraction de « der » qui désigne le maître de maison). Voici un modeste échantillon d’une inépuisable nomenclature.

La formule la plus banale, qui consiste à faire coïncider patronymes et noms de ferme (à Krautergersheim, « de Gebele » de Goepp, « ’s Dells » de Dell ou « ’s Blanches » de Blanché ; à Kienheim, « ’s Steckel’s » de Stoeckel et « ’s Dresche » de Droesch ; à Mussig, « ’s Bulfers » de Bulber) ne nécessite pas de longs développements. On y ajoutera les Hofnamen d’origine française qui rappellent, avec les habituelles déformations, le nom des premiers occupants picards arrivés dans le sillage des armées au XVIIe siècle (à Grassendorf, « ’s Galwas » de Gallois ou « ’s Hüde » de Houdé), comme en témoignent les registres paroissiaux.

Certains Hofnamen sont dérivés de prénoms simples (« ’s Doris » de Théodore à Grussenheim ; « ’s Melichters » de Melchior à Dachstein ; « ’s Andrese » d’André à Friedolsheim ; « ’s Falde » de Valentin à Rumersheim ; « ’s Ziriaks » de Cyriaque et « ’s Paüels » de Paul à Fessenheim-le-Bas ; « ’s Xaveries » de Xavier à Littenheim ; « ’s Matze » de Mathieu à Friedolsheim ; « ’s Adelfels » de Adolphe à Aschbach) ou composés (« ’s Peterlanze » de Pierre + Laurent à Ohlungen ; « ’s Jerrijockels » de Georges + Jacques à Obermodern ; « 's Chrischterlantze » de Christian + Laurent à Durningen ; « ’s Doppelmartels » de Martin + Martin à Dachstein). D’autres associent le prénom à un patronyme (« ’s Schottlanze » de Schott + Laurent à Durningen ; « ’s Walterseppels » de Walter + Joseph à Fegersheim ; « ’s Naegelvirgils » de Naegel + Virgile à Zellwiller ; « ’s Kinnimartins » de Koenig + Martin à Krautergersheim). On notera la rareté, dans ce répertoire, des prénoms féminins (« ’s Julimarthe » à Grussenheim ; « ’s Meybarwels » à Dossenheim-Kochersberg), parfois associés au prénom de l’homme (« ’s Baschtreese » à Entzheim ; « ’s Katteldonis » à Grussenheim) : c’est qu’ils ne donnent leur nom à la ferme que lorsque les circonstances de la vie conduisent les femmes, veuves pour la plupart, à prendre les rênes de l’exploitation sur une période suffisamment longue pour être retenue par la mémoire populaire.

D’autres mettent l’accent sur la profession du ou d’un des premiers occupants, en l’associant au prénom (« ’s Neubüre » à Offenheim  ; « ’s Waeunerhanse » de charron + Jean à Schillersdorf ; « ’s Krütnaze » de choux + Ignace à Ohlungen ; « ’s Nonnejerje » de castreur + Georges à Rohr ; « de Feschermechel » de pêcheur + Michel à Brumath ; « ’s Kieferseppels » de tonnelier + Joseph à Littenheim ; « ’s Hirtefalde » de berger + Valentin à Furdenheim). Il en va de même d’une éventuelle fonction officielle, connue de tous (« ’s Schulzebasche » de Schultheiss ou prévôt + Sébastien à Entzheim ; « ’s Schulzehanse » de Schultheiss + Jean à Kuttolsheim, Pfettisheim, Dachstein).

En composant avec le patronyme (« ’s Radischnieders » de Rettig + tailleur à Breuschwickersheim ; « ’s Schmittbocks » de forgeron + Bock à Durningen), soit en présentant les professions ou fonctions de façon autonome (à Kuttolsheim, « ’s Schulze » de Schultheiss, « ’s Hirte » de berger, « ’s Wewers » de tisserand, « ’s Schniederles » de tailleur ; à Rohr et à Durningen, « ’s Strohschnieders » de coupeur de paille ; à Durningen encore, « ’s Bleujschmitts », entendez « Bschleischmitt », le maréchal ferrant, à ne pas confondre, dans le même village, avec « ’s Schmitts » de forgeron). Et nous passons sur les Beck, Wagner et autres Muller (ou leurs dérivés).

Il n’est pas rare qu’apparaissent dans les Hofnamen l’origine géographique de la famille, réelle ou supposée (à Entzheim, « ’s Henemichels » de Hoenheim + Michel ; à Breuschwickersheim, « ’s Händschehanse » de Handschuheim + Jean ; à Berstett « ’s Baslers », les Bâlois ; à Aschbach, « ’s Bollacke », les Polonais ; à Rumersheim, « ’s Nassauers », originaires du duché de Nassau), ou sa localisation topographique dans le village (à Entzheim, « de Eckschnieder », le tailleur du coin et « de Kericheschmitt », le forgeron d’à côté de l’église ; à Altenheim, « ’s Bariwewers » qui habitent la colline ou à Littenheim, « ’s Lindemichels » qui habitent près du tilleul ou encore près d’un calvaire comme le « Kritzbür » de Krautergersheim ; à Rumersheim, de façon plus banale, « ’s Hengersepps » – de devant – pour les distinguer des « s’Vordersepps », de derrière)…

Enfin des particularités physiques ou comportementales laissent des traces par-delà les générations et ont la vie dure (« ’s Dicke » et « ’s Dickewisse » à Avenheim et Durningen, au sens de blonds au teint clair ; « ’s Dickemichels » à Fessenheim-leBas et Furdenheim, au sens de blonds à teint clair ; « ’s Süfferjegels » à Brumath)… À la limite des Hofnamen se situent les sobriquets (Übernamen, Spitznamen, Spottnamen), qui peuvent être, eux aussi, collectifs et héréditaires, comme les appellations de « ’s Krummfingerles » à Riquewihr ou de « ’s Malpropers » à Barr encore en usage au XXe siècle !

S’il est souvent difficile de démêler – a fortiori de dater – les strates successives d’apparition des noms de ferme, qui participent de l’oralité et, si leur interprétation est parfois sujette à caution, les Hofnamen font partie du patrimoine culturel et ont été progressivement institutionnalisés au point d’être plus familiers aux habitants et plus usités que les patronymes eux-mêmes.

Bibliographie

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MATT (Alfred), METZGER (Marguerite), « Les habitants de Schillersdorf du XVIIe siècle au début du XIXe siècle », Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de Saverne et environs, 135-136, 1986/II-III, p. 69-92.

KELLER (Gabriel), Wilwisheim, Welse, mini Heimet, Strasbourg, 1992, p. 197-205.

WEBER (Sonia), « Analyse et classification des chorionymes d’Obermodern », Bulletin de la Société d’histoire et d’archéologie de Saverne et environs, 171, II/1995, p. 38-40 (Obermodern et Zutzendorf).

Collectif, Ohlungen-Keffendorf : haut lieu du courage et de la solidarité, Strasbourg, 1997, p. 266-272.

MEYER (Pierre), Chronique d’Ingersheim, 6, 1997, p. 64-79.

GERGES (Fabien), « Les Hoftnamen de Grussenheim », Bulletin de liaison des Amis d’Annette de Rathsamhausen, baronne de Gérando, et du vieux Grussenheim, 1999/1, p. 40-45.

Revue Essor, numéro spécial sur la guerre de Trente Ans, 205, 2005, p. 134.

RIETSCH (Raymond), « Les Hofname de Fegersheim-Ohnheim », Annuaire de la Société d’histoire des Quatre Cantons, 25, 2007, p. 69-76.

FRIESS (Hubert), Les Hofname de Krautergersheim, Krautergersheim, 2008. Pour la première fois, dans cet ouvrage, les Hofname ont été étudiés en tant que tels, alors qu’ils constituent en général l’appendice des monographies locales.

Nombreux renseignements dans la Revue Kocherschbari : 1/1980, 5/1982, 7/1983, 9/1984, 12/1985, 52/2005 et 58/2008 (QUELQUEGER Jean-Marie) ; 3/1981 JUND (N.) et IRRMANN (M.) et 4 (Rédaction) ; 11/1985 (BRUMPTER Michel et WALTER Jean-Michel) ; 14/1986 (GENTNER Rémy) ; 25/1992 (DIEMER Alfred) ; 37/1998 (HOERTER Charles) ; 60/2009 (MATZEN Raymond), 70 et 72/ 2014 et 2015 (RIEHL Julien, KLEIN Jean-Marie) ainsi que dans le Bulletin du Cercle généalogique d’Alsace, passim et le Bulletin d’études et de recherches généalogiques de Haute-Alsace, passim.

BOEHLER (Jean-Michel), « Ils ont une histoire : les noms de ferme ou Hofname dans l’Alsace rurale d’autrefois », Annuaire de la Société d’histoire et d’archéologie de Dambach-Barr-Obernai, 45, 2011, p. 135-142.

Notices connexes

Habitat rural

Haus

Hausnamen

Hof

Hofzeichen 

Jean-Michel Boehler