Déboisement

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Abholzung, Entwaldung

Le déboisement consiste à supprimer les arbres d’un terrain boisé. Il peut être réalisé collectivement ou individuellement, de façon licite ou clandestine. Le déboisement résulte de la volonté d’exploiter le bois sans permettre sa régénération. L’espace gagné sur la forêt permet l’extension des emblavures ou des pâturages.

Le déboisement s’effectue par la coupe des arbres à la hache afin de pouvoir utiliser le bois. Les marcaires de la vallée de Munster et du Val d’Orbey pratiquent la technique du surcenage pour étendre les chaumes. Ils effectuent une large entaille sur la circonférence du tronc pour faire périr les arbres à la montée de la sève au printemps suivant (comme à Fréland en 1733 AHR 3 B 177 n° 22 Val d’Orbey). Les paysans procèdent ensuite au dessouchage des arbres pour la mise en culture du terrain. Les racines sont extraites de terre, mises à sécher, puis brûlées sur place pour fertiliser la terre ou façonnées comme bois de chauffage. Le terrain est enfin épierré pour permettre les labours. Les grosses pierres sont déposées en bordure de la parcelle et agencées pour constituer des murets de pierres sèches.

Le déboisement peut être l’oeuvre de bûcherons travaillant pour le compte d’une activité proto-industrielle grande consommatrice de bois comme la verrerie (Jéhin p. 165-188) ou la métallurgie (Jéhin p. 234-250). Ce déboisement se trouve parfois à l’origine de nouvelles communautés villageoises comme Volksberg dans les Vosges du Nord ou la Grande Verrerie près de Ribeauvillé. Généralement, le déboisement est entrepris par des agriculteurs à la recherche de nouvelles terres lors des périodes d’accroissement démographique. A partir de la fin du XVIIe siècle, la conquête de nouvelles terres cultivables se fait au détriment de la forêt qui constitue l’ultime réserve foncière, comme à Lichtenberg (ABR E 1966). Au cours du XVIIIe siècle, la « faim de terres des paysans » semble se focaliser sur les espaces forestiers. La forêt est perçue comme un espace ouvert à la colonisation agricole, aussi bien en plaine que dans les vallées vosgiennes. La forêt du Drittelsberg à Neuwiller-lès-Saverne est totalement déboisée et convertie en champs et vignes dans le premier tiers du XVIIIe siècle (ABR G 5489). En montagne, la conquête agricole consiste en un mouvement ascendant à partir des fonds de vallées vers les sommets, en un mitage des espaces boisés par l’implantation de clairières à vocation agricole, mais aussi, de façon plus diffuse, au déboisement des lisières forestières sur presque tous les bans et en particulier sur le piémont alsacien.

Au Moyen Âge, les autorités seigneuriales ont largement encouragé le déboisement afin de faciliter le peuplement (Jéhin p. 26-30). A la fin du XVIIe siècle, un arrêt du Conseil d’Etat de 1686 confirmant les arrêts et règlements antérieurs, des mois de décembre 1680 et juillet 1681, accorde aux immigrants la propriété des terrains mis en culture et des exonérations d’impôts pendant dix ans sur les terres agricoles afin de repeupler la région dévastée par les guerres. Une ordonnance de novembre 1687 déclare que les terrains déboisés sur les îles du Rhin deviendront la propriété des agriculteurs qui les convertiront en prairies, labours ou vignes. Seuls les bois de haute futaie et les chênes sont interdits de coupe. Ces dispositions sont renouvelées à plusieurs reprises jusque sous le règne de Louis XV pour encourager la reconquête agricole.

Avec l’augmentation de la population, les déboisements consentis par le roi ou les seigneurs pour favoriser le repeuplement des régions désertées deviennent incompatibles avec une bonne gestion de la forêt. Dès le milieu du XVIIIe siècle, de nombreuses restrictions sont apportées pour limiter les déboisements. En 1784, l’intendant d’Alsace condamne un déboisement à vocation agricole sur dix-neuf arpents dans le ban de Neuwiller-lès-Saverne (ABR E 2962). Les anticipations illicites sur les forêts communales ou seigneuriales paraissent très courantes tout au long du XVIIIe siècle (Jéhin, p. 123-137). Cependant, malgré les restrictions officielles, des déboisements à des fins agricoles se poursuivent tout au long du siècle, avec l’accord des différentes autorités. L’extension des finages se commet alors par des anticipations sur la forêt et les lisières boisées. L’initiative n’en revient généralement pas aux autorités seigneuriales ou royales mais découle des demandes des communautés ou de quelques particuliers qui sont loin d’être systématiquement rejetées.

Les autorités autorisent quelques déboisements définitifs quand la forêt se trouve enclavée dans les terres agricoles et dont le destin paraît inéluctable. Elles entérinent ainsi une conversion qui se ferait sans nul doute de façon clandestine quelques années plus tard. De même, quand le bois est très dégradé, elles considèrent qu’il vaut mieux le concéder contre un cens récognitif et quelques taxes sur les terrains déboisés que de fermer les yeux sur des dégradations irréversibles, comme sur le ban de Graufthal en 1760 (A.N. Q 1 / 970). La conservation de forêts situées en bordure des terres cultivées, voire enclavées au milieu des emblavures, nécessite une surveillance active et coûteuse, des frais importants qu’une exploitation raisonnable ne permet souvent pas de couvrir. Aussi vaut-il parfois mieux la céder à bon prix aux paysans à la recherche de nouvelles terres cultivables. L’abbaye lorraine de Sturzelbronn abandonne ainsi aux paysans la forêt appeléeIngolsheimer Wald sur le ban d’Ingolsheim en 1783 (ABR E 95 n° 1).

Bien souvent, les autorités seigneuriales ou royales accordent des autorisations devant les besoins croissants en terres cultivables d’une population rurale souvent indigente. En décembre 1749, un défrichement est réalisé au Wengelsbach, dans la forêt de Wasigenstein. Il porte sur vingt-trois arpents divisés en treize lots. On procède ainsi à une extension du finage (ABR E 2673). De même, à Wimmenau en 1753, au lieu-dit Hauberg ou Heuberg, un vaste défrichement est mené pour créer vingt-deux champs d’un arpent chacun, à la lisière de la forêt seigneuriale (ABR E 2082). Dans ces deux cas, les habitants ont obtenu des terrains agricoles supplémentaires au détriment de la forêt. Jusqu’à la veille de la Révolution le mouvement de déboisement se poursuit en Alsace. Ainsi, de 1776 à 1789, près de trois mille hectares de terres cultivables sont gagnés sur les forêts de Basse-Alsace, soit 1 % de la surface forestière (R. Marx, La Révolution et les classes sociales en Basse-Alsace, Paris, 1974).

Bibliographie

Encyclopédie d’Alsace, « déboisement », p. 2284-2287.

HOFFMANN (Charles),L’Alsace au XVIIIe siècle, 1906, t.1, p. 170-171.

JUILLIARD (Etienne), La vie rurale dans la plaine de Basse Alsace, Paris, 1953.

DEVEZE (Michel), Histoire des forêts, Paris, 1965.

DEVEZE (Michel), La forêt et les communautés rurales (XVIe –XVIIIe siècles), Paris, 1982.

BECHMANN (Roland), Des arbres et des hommes, la forêt au Moyen Âge, Paris, 1984.

CORVOL (Andrée), L’homme aux bois : histoire des relations de l’homme et de la forêt (XVIIe-XXe siècle), Paris, 1987.

JEHIN (Philippe), Les hommes contre la forêt, Strasbourg, 1993, p. 135-137.

BOEHLER (Jean-Michel), La paysannerie de la plaine d’Alsace (1648-1789), 3 vol., Strasbourg, 1994, p. 645-683.

LACHIVER (Marcel), Dictionnaire du monde rural, Paris 1997, p. 599.

GARNIER (Emmanuel), Terres de conquêtes : la forêt vosgienne sous l’Ancien Régime, Paris, 2004.

JEHIN (Philippe), Les forêts des Vosges du Nord du Moyen Âge à la Révolution, Strasbourg, 2005, p. 101-118.

Notices connexes

Bois

Défrichement

Essartage

Forêt

Gerüte

Philippe Jéhin