Femme (droit de la -)
Le statut juridique de la femme et son évolution Le statut de la femme se définissait en général par référence à sa situation familiale ou matrimoniale : fille, femme mariée, veuve, religieuse.
Sommaire
A. La femme dans le droit civil
Au Moyen Âge et à l’époque moderne, le statut de la femme est défini par un certain nombre de droits issus des codes germaniques, codifiés dans les statuts urbains, les coutumiers, et la jurisprudence des tribunaux et cours. Selon les localités ou les régions, il peut présenter des variantes, quelquefois importantes, par exemple sur le régime matrimonial ou celui de la succession. Le Schwabenspiegel (Miroir des Souabes), rédigé à Augsbourg à la fin du XIIIe siècle, est contemporain de nombre de statuts urbains de l’Alsace et y a été fort diffusé. Il constitue une référence commune des droits de l’Allemagne du Sud-Ouest, codes urbains ou coutumiers. Ceux-ci peuvent cependant reprendre des dispositions juridiques bien plus anciennes. En règle générale, la femme est sous tutelle permanente : fille, épouse ou veuve, elle ne contracte et ne plaide valablement qu’avec le concours d’un tuteur, son père, mari, ses fils ou un tuteur choisi ou désigné.
Âge de la majorité
On distingue la majorité matrimoniale et la majorité civile. Dans le Schwabenspiegel, l’âge de la majorité matrimoniale des filles est fixé à 12 ans et celle des garçons à 14 ans (v. Enfants). À cet âge, le mariage consommé et présumé fécond, est réputé valide. Mais la majorité civile de la fille, comme celle du garçon, est fixée à 25 ans. À cet âge, la fille peut disposer de ses biens (Schwabenspiegel, Landrecht I, art. 59). Si elle mène une vie dissolue, elle perd son honneur, mais pas son héritage (Schwabenspiegel, Landrecht I, art. 15). Le VIe statut de Strasbourg fixe cette majorité à 20 ans (UBS, Statut de Strasbourg, VI, art. 294). Cependant, la capacité juridique de la femme célibataire n’est que partielle ; elle est pourvue d’un tuteur lorsqu’elle este en justice (Kriegsvogtei).
Capacité juridique
La règle est générale : la femme n’a pas de capacité juridique autonome. Elle est placée sous la tutelle d’un homme de par son sexe (Geschlechtsvormundschaft, cura sexus). Elle ne peut ester en justice (Schwabenspiegel, Landrecht I, art. 13) et sa parole ne sera pas admise en témoignage (Schwabenspiegel, Landrecht I, art. 75). Par contre, elle peut se plaindre auprès du juge, d’un tuteur indélicat, mais sera pourvue par le Magistrat ou le tribunal d’un tuteur qui se porte garant pour elle (Schwabenspiegel, Landrecht I, art. 75). Dans le statut de Colmar, de 1293, il est expressément prévu que la fille de bourgeois ne peut pas témoigner en justice. La réception du droit romain au XVIe siècle aurait pu entraîner une certaine libéralisation. Le droit canonique traite la femme sur le même pied que l’homme pour les sacrements : baptême, confirmation, confession et extrême-onction, mais elle est toujours exclue des fonctions ecclésiales majeures (v. Femme religieuse). Cependant, alors que nombre d’États de l’Empire semblent connaître une évolution libérale qui va même jusqu’à l’égalité des statuts dans la gestion des biens et devant les tribunaux, dans le sud-ouest de l’Empire, c’est la réaction qui s’impose, qui rejette la liberté de gestion des femmes célibataires. D’après le Schwabenspiegel (Landrecht, art. 74, fin XIIIe siècle), les filles et femmes qui n’ont pas de mari peuvent aliéner leur bien sans leur tuteur, quand elles sont majeures (25 ans), sauf si elles ont des héritiers qui peuvent faire valoir leurs droits. Pourtant, à Strasbourg une ordonnance de 1433 prescrit que « toute jeune fille ou veuve qui a du bien doit être pourvue d’un tuteur qui ne soit pas son héritier et s’il ne s’en trouve pas parmi leurs amis, alors Magistrat et conseil doivent en choisir un parmi les XXI, qui prêtera le serment de gérer en bon tuteur, fidèle conformément aux dispositions du livre des tutelles ». La disposition est rappelée par une thèse de Jean Fischer, De Tutela Materna, soutenue à Strasbourg en 1754. Des dispositions analogues figurent dans les statuts de Mulhouse (1740), de Fribourg-en-Brisgau (1541), Lucerne, Zurich, Bâle, Saint-Gall et Ulm (1579 et 1616), ainsi que dans le Landrecht wurtembergeois de 1555 et celui du Margraviat de Bade, de 1619. Se forme ainsi une aire d’inégalité maximale de tutelle du sexe faible et de tutelle maritale (cura sexus et cura maritalis), dans le sud de l’Empire. Les trois grands codes de la fin du XVIIIe et du début du XIXe (Allgemeines bürgerliches Gesetzbuch autrichien, le plus libéral), Allgemeines Landrecht prussien et Code Napoléon adoptent tous trois le principe de la capacité juridique de la femme, mais imposent la tutelle de la femme mariée. L’extension du Code civil à une grande partie de l’Europe impose donc dans les territoires de droit limité le principe de l’autonomie de la femme célibataire (et de la veuve). En 1815, l’Europe est répartie en trois grandes aires de droit de la femme : la France avec les anciens départements de la rive gauche est dans une aire d’égalité de principe pour la femme non mariée, mais de tutelle pour la femme mariée, tout comme la Prusse ; en second lieu, les États du Nord-Est de l’Empire, la Bavière et l’Autriche, où la tutelle de la femme mariée par le mari est limitée, et enfin, paradoxalement, car ce sont aussi les premières principautés constitutionnelles allemandes, le Bade et le Wurtemberg, ont réintroduit les anciens codes avec leurs tutelles intégrales, tout comme les cantons suisses (Holthöfer, Die Geschlechtsvormundschaft).
La femme mariée
Le mari est le maître et le tuteur de la femme mariée. Der Mann ist der Vogt des Weibes und ihr Meister (Schwabenspiegel, Landrecht I, art. 9). C’est la condition de son mari noble, libre ou serf qui s’impose à la femme. Si elle a été libre, elle perd cette liberté le temps du mariage et ne peut la recouvrer qu’à la dissolution du mariage (Schwabenspiegel, Landrecht I, art. 67). Mais les enfants du couple prennent la condition la plus avantageuse (Schwabenspiegel, Landrecht I, art. 68).
Le régime des biens en régime matrimonial – la part inégale de la femme
Quel que soit le régime matrimonial, la femme reçoit au lendemain de ses noces une Morgengabe qu’elle conservera en cas de prédécès de son mari et qui ne peut être jointe à la communauté pour le paiement des dettes. À la femme également, et à ses filles si elle disparaît, la Heimsteuer (qu’elle ait été apportée, cas le plus fréquent, ou donnée par le mari) : basse-cour, linge, vaisselle, literie et draps, bijoux et vêtements (Spindeltheil, par opposition au Schwerttheil du père et des garçons). Les régimes matrimoniaux dominants de l’Alsace (v. Coutume) sont : - Le régime strasbourgeois où la communauté est réduite aux acquêts qui sont partagés aux 2/3-1/3. - La dévolution du Centre-Alsace, avec communauté universelle et sa transmission intégrale (Verfangenschaft) aux enfants avec usufruit au survivant jusqu’à son décès. - Le régime de Ferrette, appliqué dans le Sud de l’Alsace et un grand nombre de communautés alsaciennes, avec selon les cas, communauté universelle ou d’acquêts et meubles répartis aux 2/3 et 1/3. Mais, dans la plupart des régimes, le partage se fait aux 2/3 pour le mari – 1/3 pour la femme, puisqu’on considère que, dans un ménage, c’est le mari qui acquiert et la femme qui conserve.
La gestion des biens du couple marié
L’épouse ne dispose plus de ses biens, propres, apports ou Morgengabe : ils sont gérés par le mari. « La femme vivant avec son mari ne peut disposer de ses biens, ne peut les engager. La femme ou les enfants sont sous puissance paternelle et elle ne peut disposer de son bien sans accord du mari » (vente, don, gage) (Statuts de Colmar, texte de 1593). La redécouverte du droit romain (XIIIe-XIVe siècle) et des lois romaines qui prohibent l’aliénation des biens dotaux (Loi Julia De Fundo Dotali) ou interdisent aux femmes de s’engager pour autrui (Senatus Consulte Velleien), entraînent l’insertion par les tabellions et notaires de formules de renonciation à ces dispositions pour mettre les créanciers du mari à l’abri. Interdites en France par Henri IV, ces formules n’ont donc pas été introduites en Alsace par le Conseil_souverain, mais on les rencontre dans le Saint-Empire, particulièrement dans les villes où elles s’appliquent aux ménages de commerçants. La coopération de l’épouse est pourtant nécessaire pour nombre d’actes de la gestion de la communauté. Le mari doit recueillir l’avis de l’épouse (et de celui d’un tuteur issu de sa lignée) s’il veut disposer des biens propres de sa femme ou de sa Morgengabe (Schwabenspiegel, Landrecht I, art. 23 et coutumes d’Alsace). Il est vrai que le Conseil souverain « attaché à assimiler le mari ferrettain au mari parisien » (Bonvalot) a restreint les droits de la femme. Il arrête que la coutume ferrettaine entraîne communauté universelle des apports et des acquêts assimilés à des meubles comme dans la coutume de Paris. D’après Bonvalot, si la coutume de Ferrette condamne les actes passés à l’auberge par le mari, ce n’est pas tellement par méfiance contre les effets de l’alcool, mais parce que la femme n’a pas participé à la conclusion de l’acte et donné son accord (Bonvalot, La Coutume de Ferrette, p. 201).
La succession
Devant l’héritage, les filles sont à égalité avec les garçons. Elles héritent donc à parts égales de leur père (les 2/3) comme de leur mère (le 1/3). À l’instar de leurs frères, les filles, dotées avant la mort de leurs parents, voient leurs parts rapportées à la succession et déduite. Par contre, dans la majorité des coutumes, la fille cède la place à son frère puîné pour l’héritage du domaine paternel (juveigneurie) et n’y a droit que s’il n’y a pas de garçons, sauf à être dédommagée par soulte. La veuve Dans le royaume de France, à partir du XVIe siècle, certaines coutumes, principalement la coutume parisienne (car d’autres ne le prévoient pas) admettent que la veuve retrouve une pleine ca�pacité juridique de gestion et de disposition. Mais, en Alsace, la veuve passe de la tutelle de son mari à celle d’un tuteur, un proche-parent issu de sa lignée. Le Schwabenspiegel prévoit que le fils majeur, qui doit avoir plus de 25 ans, assume la tutelle de ses frères et sœurs mineurs et de sa mère, si toutefois elle en est d’accord (Schwabenspiegel, Landrecht I. art. 26). La veuve jouit donc d’une autonomie fort limitée, sauf sans doute sur sa Morgengabe ou son Wittum. Pour toutes démarches judiciaires, la femme a besoin d’un tuteur qui se porte garant pour elle. C’est le cas aussi pour ses biens propres sur lesquels son lignage exerce encore un droit de contrôle. Si elle n’en a pas l’usufruit, la veuve peut rester dans le domaine de son mari pendant 30 jours (Schwabenspiegel, art. 25) ou jusqu’à la naissance de l’enfant si elle est enceinte. Puis, sous le contrôle du tuteur, l’on procède au partage : elle prend sa Morgengabe, son trousseau (Spindeltheil) et sa part des meubles partagés en deux avec les enfants (Schwabenspiegel, Landrecht, art. 147). Il est donc prévu un inventaire qui détermine ces parts et les remet aux ayant droits. Par contre, la coutume de Ferrette (et la plupart des coutumes communau�taires) ne prévoit pas que la veuve puisse renoncer à l’héritage pour ne pas avoir à assumer un passif plus grand que l’actif. Par contre, les arrêts du Conseil souverain, de 1723 et de 1725, introduisent sur ce point les dispositions des ordonnances et arrêts français sur l’acceptation des successions sous béné�fice d’inventaire, et la veuve est protégée (Bonvalot, p. 205 et s.). À partir de 1804 s’appliquent les dispositions du Code Napoléon qui prévoit que la veuve a trois mois pour faire une renonciation auprès du greffe du juge de paix (CC. 1453 et s.). La tutelle des orphelins Il est rare que le père survivant soit chargé de la tutelle de ses enfants mineurs, la mère ne l’est jamais. Voilà la règle générale des statuts et coutu�miers alsaciens telle qu’elle est affirmée par le statu�taire d’Alsace publié par d’Agon de la Contrie. Au décès de l’un des deux conjoints, leurs plus proches parents ou amis se rassemblent devant le bailli ou le commissaire du Magistrat des villes et quelquefois devant le prévôt du village et établissent ordinai�rement le plus proche parent tuteur des mineurs. Celui-ci accepte la tutelle data manu loco juramenti. Le commissaire du bailli que, pour cette raison, on appelle commissaire aux tutelles faisait de temps en temps rendre les comptes de leur gestion. Les procureurs fiscaux devaient veiller à ce qu’ils fussent rendus. Les villes veillent à assurer la tutelle des orphelins avec, à Strasbourg, un Vogteigericht, à Colmar les Weysenvögte et à Mulhouse un Waisengericht, choisis dans le Magistrat. Ce sont les corporations qui régissent la tutelle des orphelins d’artisans. Pourtant, le droit romain prévoit que la tutelle, dite légitime, incombe au parent survivant ; la mère pouvait donc être tutrice de ses enfants. Le Conseil souverain a reconnu la qualité de tutrice légitime aux princesses, veuves et tutrices de leurs enfants, la duchesse de Deux-Ponts (1736) ou la marquise de Rosen (1751). Les arrêts de l’affaire qui op�posent deux curés à la veuve Caroline Waldner de Freundstein (1756) ou celle de la Dame Ferrier, qui avait fait procéder à un inventaire de la suc�cession de son mari, avocat au Conseil souverain, par un conseiller, éclairent quelque peu la termi�nologie. Elles sont qualifiées de « tutrices natu�relles », non pas de « tutrices légales ». Le droit germanique ne connaît pas la différence entre le tuteur, chargé de l’éducation des enfants (et de la gestion de leurs affaires) et la curatelle, qui se borne à la seule gestion des biens des mineurs. Dans l’affaire Catherine Kopp contre le Magistrat de Colmar (de Boug II, 1764, p. 658 et s.), où la Ville ne veut pas reconnaître à son petit-fils, considéré comme étranger, sa part d’un héritage colmarien, Catherine Kopp, qualifiée de « tutrice naturelle », prend un curateur et gagne son procès (v. Étranger). Mais dès 1674, le Conseil alors encore Provincial et siégeant à Ensisheim avait rappelé aux officiers leurs devoirs de protection des mineurs en les dotant de tuteurs (de Boug, 16 février 1674). Dans son commentaire de la coutume d’Orbey (p. 41), Bonvalot relève que cette règle paraissait négligée au milieu du XVIIe siècle ; le tuteur était souvent le conjoint survivant – soit également la mère – et il avait fallu la rappeler sous peine d’amende. Ganghoffer estime que, dans le cours du XVIIe et XVIIIe siècle, dans le centre de l’Alsace, la tutelle s’était rapprochée de celle qui existait dans le droit coutumier de l’ancienne France (Ganghoffer, tu�telle, p. 325). Avec le Code Napoléon, le principe de la cou�tume de Paris, qui donne à la mère la tutelle légale,