Krieg (époque moderne)

De DHIALSACE
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« La guerre c’est l’état de ceux qui règlent leurs différends par la force ». La définition donnée par Grotius dans son traité « du droit de la guerre et de la paix » marque la naissance du droit moderne des relations internationales. La guerre y est définie comme un état, avec une avant guerre, un déroulement, une conclusion, et non seulement comme une action de force ou par le fait de guerre. Modalité de règlement des conflits, elle doit être encadrée par des règles de droit. Pour déterminer ces règles, Grotius fait appel au droit naturel, c’està-dire à celui qu’inspire les conduites naturelles et la raison des hommes vivant en société, et au droit des gens, tel qu’il s’exprime dans les récits historiques des guerres, principalement par les auteurs de l’antiquité grecque et romaine et de la Bible, les Scriptores.

Cette doctrine est celle du monde nouveau qui s’ouvre avec la guerre de Trente Ans, où s’affrontent les États et principautés européens, catholiques et protestants.

Grotius, professeur hollandais exilé à Paris, dédie son livre à Louis XIII le Juste. Il y sera, à partir de 1634, ambassadeur en France du Roi de Suède, l’alliée de la République de Strasbourg.

Son traité De jure belli ac pacis est imprimé à Paris en 1625, puis, en 1626, à Francfort-sur-le-Main.

La guerre en Alsace

L’existence historique pluriséculaire de l’Alsace moderne, plus que celle de toute autre province française, est marquée par la guerre.

Au XVIIe siècle, elle y fait des ravages à partir de 1621. La République de Strasbourg a dénoncé l’alliance de l’Union évangélique et proclamé sa neutralité, dans la guerre qui oppose l’Empereur aux princes et états protestants depuis le début de la guerre de Trente Ans, en 1618.

Dans les mois qui suivent, les troupes du condottiere protestant Mansfeld pillent le nord de l’Alsace, et celles de l’archiduc Léopold, évêque de Strasbourg, ne sont pas en reste. On pouvait voir du haut de la cathédrale, les feux des villages incendiés (Reuss).

Les opérations militaires s’y déroulent jusqu’en 1648. La Suède, alliée de Strasbourg en 1630, y intervient en 1632 et installe ses garnisons dans les villes. À son tour, la France intervient aux côtés de la Suède, son alliée depuis 1631, et met en place, en 1634, des garnisons dans les villes de Saverne, de Haguenau, de Colmar et de Sélestat. Les Impériaux s’efforcent de reprendre l’Alsace et se heurtent au condottiere protestant, à qui la France a cédé le landgraviat d’Alsace, Bernhard de Saxe-Weimar, qui installe une principauté sur les terres impériales de l’Autriche antérieure. Il meurt en 1639, et ses troupes passent alors sous le commandement de la France. En 1640, les belligérants s’orientent vers la paix. Les préliminaires de Hambourg, de novembre 1641, prévoient la réunion d’un congrès dans les villes de Munster et d’Osnabruck. Il s’ouvre en 1643.

Le droit de la guerre à l’Université de Strasbourg

Pour prix de sa neutralité de 1621, l’Empereur accorde à Strasbourg, pour son Académie, titre et appellation d’Université. Elle compte alors 7 professeurs dans sa Faculté de Philosophie, 4 dans sa Faculté de Théologie, 4 dans sa Faculté de Droit, et 3 dans sa Faculté de Médecine.

La guerre y a déjà fait l’objet des thèses et mémoires des professeurs et étudiants.

Le professeur de droit féodal, également syndic de la ville, Georges Obrecht (1547-1612) a publié, en 1590, une dissertation, De principiis belli et ejus constitutione (Des principes de la guerre et de sa constitution) et, en 1591, De militari disciplina quae administrationis belli praecipuam partem continet (De la discipline militaire dans l’administration de la guerre). Le professeur Joachim Clüten soutient une thèse sur le droit de la guerre, De jure belli in genere, avant d’être expulsé de Strasbourg, pour sympathies envers le Saint Empire en 1635.

1634 : Grotius exposé à l’Université de Strasbourg

Mais c’est le théologien Jacob Schaller (1604-1676) qui, en 1634, introduit Grotius à Strasbourg, par deux mémoires sous sa direction. Ce sont les premières thèses « grotiennes » soutenues dans une université du Saint Empire. Elles reflètent aussi les débats soulevés dans la population de la ville et de la province. 

Adam Schmidt de Wasselonne

En février 1634, Adam Schmidt de Wasselonne, doit répondre, au cours d’une disputatio sur la guerre, De Bello, aux questions posées par Schaller, devant un jury qui comprend le recteur Bernegger, lui aussi correspondant de Grotius.

Les questions portent sur le De jure belli ac pacis. Les réponses sont souvent des citations littérales du traité. 1) Est-il permis de faire la guerre ? On distingue classiquement entre les guerres justes qui sont autorisées : elles ont pour objet la défense contre l’ennemi, qui s’en prend à vos libertés, à vos ressources et à votre vie, et veut vous arracher à la vraie religion… et les guerres injustes et illégitimes : elles procèdent de l’ambition, de la cupidité, pour des buts de conquête et pour étendre ses frontières. 2) Faut-il tenir pour ennemis les neutres qui livrent des biens à l’ennemi ? Il faut distinguer, dans ce qui est fourni à l’ennemi, ce qui sert à la guerre, comme les armes, ou ce qui n’y sert pas, comme les produits de luxe ou de plaisir, ou encore peut servir aux deux, comme l’argent, les vivres, les navires etc. Mais le neutre qui sert l’ennemi doit être tenu pour un ennemi. 3) La guerre autorise-t-elle le recours à la tromperie et au mensonge ? Quand la guerre est juste, réponse affirmative, négative pour la guerre injuste. Cependant, ce principe ne doit pas s’appliquer en cas de foi jurée, et, en règle générale, il convient de s’abstenir du mensonge. 4) Tuer et blesser l’ennemi en temps de guerre est permis, mais non pas de s’en prendre à celui qui est sur territoire neutre. 6) Peut-on tuer les femmes et les enfants ennemis ? Question délicate : la réponse ne s’embarrasse pas des réserves qu’émet Grotius. La thèse recopie mot pour mot un passage du Livre III, chapitre IV où Grotius relève les exemples historiques en ce sens et conclut : la guerre comprend le droit de tuer les femmes et les enfants ennemis. 7) Est-il permis d’empoisonner son ennemi ? Schmidt reprend encore le Livre III, Chapitre IV, où Grotius observe que le droit des gens permet beaucoup de choses défendues par le droit naturel et en interdit certaines, autorisées par le droit naturel. La guerre implique le permis de tuer. Qu’importe que vous le fassiez par l’épée ou par le poison. Cependant, il est plus généreux de s’abstenir du poison : on ne fait pas la guerre par le poison mais par le glaive. 8) Peut-on recourir à d’autres armes et empoisonner les puits et les sources ? Les Barbares l’ont fait, d’après les auteurs antiques, mais ce n’est la coutume des peuples d’Europe, tranche Grotius. 9) Est-il permis de faire assassiner son ennemi prisonnier ? Le droit de la guerre permet de tuer son ennemi, sauf si, ce faisant, on viole une promesse expresse de vie sauve.

Mais cette disputatio n’était qu’une introduction à l’œuvre de Grotius.

Jean-Philippe Orth de Brumath

En octobre 1634, toujours sous la direction de Schaller, c’est Jean Philippe Orth, de Brumath, qui soutient sa thèse De jure belli. Il est auteur et exposant (author et respondent). Mais même dans ces cas, c’est le professeur qui donne les grandes lignes du mémoire et souvent rédige les parties que le doctorant se contente d’exposer (Oscar Berger-Levrault). Orth est un fils du conseiller du comte de Hanau-Lichtenberg qui figure dans le jury, où siègent également les professeurs Bitsch (droit féodal) et Locamer (Pandectes).

Mais alors que les questions posées à Schmidt portaient sur le Livre III de Grotius, celles que Schaller a posées à Orth portent surtout sur les livres I et II, aux développements beaucoup plus philosophiques.

La guerre, un fait social

Classiquement, on commence par définir le sens du mot. Le mot bellum provient de duellum, duel ou Zweykampf, procédure de résolution des conflits individuels, qui n’est plus acceptable désormais. La guerre s’en différencie, car elle oppose un grand nombre d’hommes de part et d’autre, et non pas seulement deux individus. C’est faire de la guerre un fait social, un conflit mettant aux prises deux ensembles institutionnels, deux Etats.

Suivant la leçon de Grotius, Livre I, chapitre II, la thèse annonce les trois questions auxquelles il faut répondre. La guerre peut-elle être juste ? Quelles sont les conditions à remplir pour qu’une guerre soit juste ? Qu’est-ce qui est autorisé au cours d’une guerre ?

Inéluctabilité des guerres

Les juristes médiévaux avaient longuement insisté sur les critères d’une guerre juste. La guerre juste n’est pas seulement autorisée, elle est même nécessaire. Mais elle doit être encadrée, par un droit de la guerre, dont les règles s’inspirent du droit naturel et du droit des gens. L’analyse des causes renvoie à la nécessité de la prévention des conflits tout autant qu’au constat de leur inéluctabilité, du fait des conduites agressives.

La nature n’interdit pas la guerre. L’animal a l’instinct de conservation. Sont autorisées toutes les mesures que l’on prend pour assurer sa défense et faire face à un danger imminent. La raison ni les règles de la vie en société ne s’opposent à l’usage de la force, sauf quand elle s’en prend à la société même et aux droits de chacun. Car la société garantit que chacun puisse vivre en paix en se fondant sur l’aide et la confiance mutuelles.